Europe : Mélenchon abandonne le Frexit à la droite
Europe : Mélenchon abandonne le Frexit à la droite.
L’université d’été de la France insoumise a mis fin aux équivoques de Mélenchon sur l’Europe. Dans son discours de clôture, il a très clairement repoussé la possibilité même d’un « plan B », qui aussi trouble qu’il fût, promouvait au moins l’idée d’une sortie institutionnelle de l’Europe. Mélenchon -et par voie de conséquence ses troupes- marche maintenant à fond dans l’Union européenne. Deux conclusions s’imposent. D’une part, sans « plan B » dissuasif et crédible, Mélenchon se propose de négocier à Bruxelles sans rapport de force, ce qui est peut-être pire que tout (voir Tsipras en Grèce). D’autre part, avec lui, la gauche radicale officielle laisse définitivement le « Frexit » au bénéfice des souverainistes de droite.
Ce qui est fou, c’est que Mélenchon, en rejetant la menace du son « plan B », se prive de tout argument dans un rapport de force avec les partenaires et les institutions européennes. On pourrait bien imaginer mener une « négociation », mais encore faudrait-il avoir des menaces à faire valoir. On ne négocie pas avec des capitalistes sans moyens de pression. Mélenchon propose donc de partir en campagne avec des fusils vides. « C’est plus pacifiste » pourrait-il dire ! Sauf que c’est la pire attitude... soit on se soumet franchement, et on essaye de tirer son épingle du jeu, soit on part avec des munitions pour affronter son adversaire avec des chances raisonnables. Entre les deux, cela s’appelle le casse-pipe.
Les succès électoraux n’ont pas débouché sur de l’éducation populaire.
Ce choix révèle les lignes de fracture profondes au sein de l’électorat de la France Insoumise. Dans les 11% des élections de 2012, il y avait déjà une division notoire entre les gauchistes pro-Europe, et les communistes anti-Europe. Cette division s’est accentuée, en 2017, avec l’arrivée de bataillons d’électeurs socio-démocrates en mal du PS. Le succès méritoire de 2017 ne peut cacher aussi la « dilution idéologique » qu’il représente en même temps. Les nouveaux électeurs n’ont adhéré que du bout des lèvres, et en raison des conditions électorales spécifiques (Hollande ridiculisé, Hamon inconsistant, et Macron caricatural). Mélenchon a su parfaitement jouer des circonstances pour réaliser un gros score : on peut lui reconnaitre ce talent évident. Mais dans le même temps, aucun effort d’éducation populaire (le fameux « dissensus » cher aux insoumis) n’a été réalisé en direction de ce nouvel électorat.
Pourtant, les employés et petits fonctionnaires de plus en plus touchés par la crise (qui ne concerne plus que les industries ouvrières) deviennent sensibles à cette question. Il serait donc tout à fait opportun de profiter de cette période pour leur faire entendre des arguments, et porter à leur connaissance des faits éclairants. Mélenchon qui a participé à la campagne du « Non » en 2005 est-il en train de tourner casaque une fois de plus ? Mélenchon sait bien les lobbys et les pressions (sinon les menaces) qui s’exerceraient sans pitié si il venait à prendre positions ouvertement contre l’Union Européenne. Mais d’un autre côté, la première phase de sa démarche (qui avait une certaine forme de cohérence) est venue à bout : il a réussi à réveiller et rassembler tout un spectre de l’électorat socialiste et communiste. Qu’espère-t-il de plus maintenant ? Cela n’a pas de sens ! Fonder un parti, et distribuer des prébendes à ses assistants ? Recréer le PS ? Plusieurs des députés insoumis ont déjà la tête de l’emploi, et les plus « radicaux » en apparence ne sont pas les moins mûrs...
Dorénavant, plus rien ne justifie cette stagnation idéologique de la France Insoumise. 2022 ne peut pas constituer un objectif. Mélenchon espère-t-il nous jouer un troisième concerto ? Mini-Lénine en 2012, populo-jauréssien en 2017, va-t-il nous le faire « à la Georges Frêche » cette fois-ci ? A quoi cela sert-il, sinon à sa carrière et à celle de ses amis ? A quoi bon conspuer Pierre Laurent et les fantômes du PCF, Benoît Hamon et les réformistes bourgeois, si c’est pour en faire tout autant ? Quelles perspectives politiques propose-t-il maintenant ? Aucune. Sinon d’animer, comme autrefois, « l’aile-gauche du PS ».
Personne à gauche ne répond sérieusement aux arguments des pro-Frexit.
Le débat sur le Frexit (sortie de la France de l’UE) est pourtant largement présent dans les milieux militants. Des intellectuels « de gauche » aussi célèbres Jacques Sapir, Emmanuel Todd ou Jacques Nikonoff y appellent depuis longtemps (sinon depuis toujours). A droite, François Asselineau et Florian Philippot en font de même. Les arguments sont clairs.
Les conférences internet de François Asselineau sur ce sujet là sont extrêmement précises et convaincantes (quoi qu’on pense par ailleurs du personnage). Il nous montre clairement comment et pourquoi L’Union Européenne est mathématiquement irréformable. Dès lors, la notion « d’autre Europe » que nous propose la gauche est illusoire. Certes, on peut lui rétorquer qu’il ne prend pas en compte la notion de « rapport de force » que pourrait créer un grand peuple (et une grande économie) comme la France, pour obtenir des réformes. L’objection est juste, car la notion de rapport de force et de mouvements sociaux est inexistante dans la pensée de François Asselineau (en raison de son propre parcours politique). Mais dès lors, la balle est dans le camp de la gauche qui prétend obtenir ce « rapport de force » : cela se construit à l’avance et en profondeur, par une solide éducation populaire. Et on retombe sur la désertion de la France Insoumise sur le sujet. La boucle est bouclée ! Mélenchon nous envoie au combat avec des fusils vides, c’est le casse-pipe bruxellois assuré.
On voit donc que les partisans de « l’autre Europe » jouent un jeu trouble. D’un côté ils reprochent à juste titre à un Asselineau de ne pas prendre en compte la notion de négociation et de rapport de force. Mais dans le même temps ils refusent de se donner sérieusement les moyens de ce rapport de force. Volonté délibérée d’impasse ou inconscience ? Chacun pense ce qu’il veut. Mais d’un point de vue objectif, la gauche radicale apparait aujourd’hui comme un rabatteur du système, et un échec assuré. Les tenants de « l’autre Europe » ne se donnent pas les moyens de leur discours, et se disqualifient eux-mêmes, emportant leur hypothèse avec eux. Ils sont même pire que tout, car de ce point de vue, ils sont comme des gens qui jouent les va-t-en guerre tout en désarmant le pays. Hélas, le gauchisme et la social-démocratie ont souvent joué ce rôle de Janus, le dieu à double-face, entrainant le peuple à baisser sa garde au nom des grands principes.
On pourrait ajouter que des analystes comme Emmanuel Todd (qui s’est opposé à l’UE depuis les années 1980) ne pensent pas qu’une union économique et monétaire soit possible entre des nations aux structures anthropologiques si différentes que les nations européennes. Il fustige ceux qui nient les différences entre les peuples, qui nous font croire qu’être différents ne peut se conjuguer avec le bon voisinage et rime forcément avec la guerre. Il est vrai que c’est une atrophie de la pensée, les guerres ne venant pas des « différences entre les peuples », mais uniquement des appétits voraces et des rivalités des puissants. Il ne s’agit donc pas de faire jouer aux peuples la mauvaise comédie d’un mariage impossible, mais plutôt de juguler et de réguler les appétits, le pouvoir, et les rivalités des puissants... ce qui serait un vrai programme de gauche (en lieu et place des bisounours sucrés qu’on nous inflige aujourd’hui).
Je ne vais pas dérouler ici les arguments pour ou contre la sortie de l’UE. C’est un autre débat. Chacun les connait, ou peut prendre le temps de les connaitre sur internet. Mon sujet est plutôt de faire le constat de la totale inexistence à gauche d’un parti politique visible et crédible pour conduire le Frexit. C’est à dire que la gauche laisse définitivement la main à des souverainistes de droite (Asselineau et Philippot) sur ce sujet. Des petits groupes (par exemple le PRCF ou le Pardem de Nikonoff) sont plus des cercles de discussion que des partis authentiques. L’extrême-gauche « trotskyste » (LO, NPA) ou anarchiste est bien-sûr totalement inconsistante sur le sujet. Les anarchistes discutent de caillassage d’abri-bus, de vie de boy-scouts au fond des bois, et de fumette entre cadets de famille en révolte. Et les trotskystes en mal de prolétariat révolutionnaire, de rêver de « changer de peuple » en ouvrant grand les frontières aux migrants. Les uns et les autres rivalisant d’outrance et de sectarisme dans les argumentaires.
On peut conclure que la gauche radicale dans son ensemble (à quelques exceptions non organisées) laisse clairement et définitivement aux partis de droite le monopole du Frexit. C’est la leçon essentielle de l’Université d’été de la France insoumise : les équivoques sont éclaircies.
Dans le même temps, le FN a également remisé ses prétentions au Frexit. Marine Le Pen a renvoyé Florian Philippot. Et Marion Maréchal, qui s’est débarrassée (en vue du futur ?) du nom de « Le Pen », est allée à New-York se faire introniser par les néoconservateurs américains (depuis, la jeune femme de 28 ans seulement a miraculeusement trouvé les fonds pour financer son école de formation politique). L’agent américain Steve Bannon va maintenant pouvoir « sauver l’Europe » en fédérant les populismes européens (l’italien Salvini est déjà prêt à travailler avec lui). La boucle est bouclée.
Seize ans après 2002, treize ans après 2005, dix ans après 2008, il n’y a pas de contestation de masse organisée en France. C’est le point mort.