mardi 2 décembre 2014 - par tiptop

Exhibit B nous sort-il de l’impensé de la race et de l’antiracisme naïf ?

Au delà des fausses polémiques, il me semble que certains dispositifs artistiques rentrent dans ce que Mbembe appelle l’impensé de la race[1]. Pour le dire autrement, une forme d’anti-racisme naïf n’est que l’envers du racisme puisqu’il en reprend les catégories et la symbolique. On reste dans la bibliothèque coloniale[2].

A Paris, « Exhibit B » fait polémique. Brett Bailey, Sud africain blanc, est accusé par certains de reproduire les « zoos humains » des expositions coloniales qu’il entend dénoncer. Ce 27 novembre, des incidents en marge de la première du spectacle au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, en banlieue parisienne, ont contraint son directeur à annuler la séance... Déjà, en septembre, à Londres, le centre Barbican avait renoncé à montrer son exposition pour cause de pétition, signée par 23 000 personnes, et de manifestations de militants antiracistes. Une autre pétition lancée en France rassemble près de 20 000 signatures, mais l'exposition est défendue par de grands noms de la culture comme Peter Brook, ainsi que par la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, et la maire de Paris, Anne Hidalgo. Cet article fait suite à celui d’Eric Fassin Exhibit B : représentation du racisme et sous-représentation des minorités raciales[1] qui pose intelligemment les premiers jalons du débat.

Au delà des fausses polémiques, il me semble que certains dispositifs artistiques rentrent dans ce que Mbembe appelle l’impensé de la race[2]. Pour le dire autrement, une forme d’anti-racisme naïf n’est que l’envers du racisme puisqu’il en reprend les catégories et la symbolique. On reste dans la bibliothèque coloniale[3]. Je n'ai pas vu le spectacle (Va t-il passer en province ?) mais Eric Fassin note :

"Acteurs et personnages sont réduits au silence. Les Noirs apparaissent ainsi privés de toute capacité d’agir, victimes éternellement passives de la domination raciale : des « Nègres marrons », dont la révolte a arraché leurs communautés à l’esclavage, il n’est pas question ici."

C'est tout le problème. Calquer le binôme victime /bourreau sur celui de la race masque une réalité que l’histoire, l’anthropologie, et la sociologie ont fini par débusquer (tardivement il est vrai) : les peuples asservis, quelque que soit leur identité assumée, ont toujours été les acteurs de leur histoire. En clair, pour parler des « Noirs » [4], les attitudes de résistances protéiformes furent constantes quelque soient les dispositifs de domination (traite, colonialisme, situations postcoloniales…). Si cet aspect fondamental est gommé, le dispositif artistique ne renforce que les processus d’identification par le prisme de la race, i.e les noirs sont les victimes et les blancs sont les bourreaux. Ce faisant, il hypothèque le processus de recouvrement de la dignité des gens de couleur qui passe par une reconnaissance de leur historicité. D’autre part, il enferme les occidentaux dans des postures de culpabilisation, ou pire, dans une forme de raidissement identitaire dont on voit les manifestations aujourd’hui [5].

La comparaison avec d’autres œuvres artistiques est éclairante. J’en citerai deux déjà évoqués dans ce forum. Les films Django (Tarantino) et La Vénus noire (Khéchiche) sont tous deux magnifiques à cet égard y compris dans leur outrance. Jamais les personnages noirs ne sont présentés comme des victimes passives. Ils luttent tous deux à leur façon : un déchainement de violence baroque et libératrice pour Django et l’aspiration silencieuse, profondément ambigüe mais constante de Saartjie Baartman à être reconnu comme une artiste. Bref les processus d’identification opèrent au-delà de la race, très loin d’une certaine compassion misérabiliste encore en vogue dans certaines œuvres.

Au vu des réactions enregistrées ça et là, on a le sentiment que beaucoup en sont restés au stade de la sidération, de l’émotion brute. Mais peut-être que je me trompe, aussi je donne la parole à ce qui ont vu le spectacle. La fonction de l’art est de libérer le regard, pas de l’enfermer. Est-ce le cas ici ?

 

[2] Son œuvre la plus forte dans ce domaine reste De la postcolonie, Paris, Karthala, 2000.

[3] Pour une approche du problème de la négritude à travers la littérature noire lire Mangeon Anthony, La pensée noire et l’Occident : de la bibliothèque coloniale à Barack Obama, Cabris, Sulliver, 2010.

[4] C’est une identité évidemment historiquement construite et non raciale. Pour une tentative de définition un peu éclairé de ce que veut dire être « noir » lire Ndiaye Pap, La condition noire, essai sur une minorité française, Paris, Calman-lévy, 2008.

[5] Voir le succès de certains ouvrages récent comme Le suicide français (Eric Zemmour), l’identité malheureuse ( Alain Finkielkraut) . La liste est trop longue !



6 réactions


  • César Castique César Castique 2 décembre 2014 11:20

    Comme quoi, tout antiraciste trouve plus antiraciste que lui, qui le stigmatise smiley



    Si le ridicule ne tue plus, il devrait quand même finir par engloutir l’antiracisme sous les sarcasmes du petit peuple.


    P.S. - En Suisse, une chaîne de supermarchés - Migros - vient d’envoyer bouler des « antiracistes » qui exigeait des excuses à propos d’une publicité considérée comme « raciste », par des hystériques de l’antiracisme.

  • Emin Bernar Emin Bernar Paşa 2 décembre 2014 13:59

    votre article est juste ! 


    c’est d’ailleurs l’idée que j’ai eu après l’émission Ce soir ou jamais de Frédéric Taddéi vendredi dernier ! Taddéi avait invité une jeune militante qui s’est très bien tirée de la discussion avec quelques partisans de la liberté de l’art à tout prix !

    il ne s’agit ici pas d’art ! mais d’une conception « boboïste », genre Koons, de l’art

    • marauder 3 décembre 2014 06:17

      J’oubliais...

      On a aussi droit a un connard de droite surement hyper rebel’z et totalement anti-system « au dela des clivages » (sic) qui s’assois confortablement dans son canapé pour regarder quoi ? La tv ... en plus une chaine publique avec dedans un « animateur » tres buisness qui fricote avec du faf...

      Bin heureusement que tu te prends pour un rebel sinon ca serait quoi....

      Mais bien sur heureusement qu’il y a les antisysteme pour nous dire ce qu’est le rascisme. D’un autre coté, y’a pas plus clair si j’ose dire, qu’une eructation rasciste. Ne pas le voir c’est avoir un penchant rasciste a depasser.


  • marauder 3 décembre 2014 06:10

    La pourriture de droite de cesar castique (pseudo revelateur de sa (non)pensee... bien oui porter le nom d’un degeneré d’empereur faut le faire quand meme) eructe encore et encore son besoin visceral primaire et totalement arrieree qui consiste a etre obsede par sa volonte de toute puissance.

    Pour le connard de droite moyen, tout tourne autour de la domination, la supprematie de sa propre personne sur l’autre.

    Alors forcement, pour cela bizzarement, il est d’accord avec fleur pellerin.

    Comprenne qui pourra le connard de droite.


  • Tuscarora 9 décembre 2014 13:27

    Excellent article. Dommage que la plupart des commentaires soient au niveau du caniveau...


    • tiptop 9 décembre 2014 16:45

      Merci. Je me sens de plus en plus seul sur Agoravox. C’est devenu au fil des années un défouloir et un terrain de jeu pour certainsgroupuscules. Au point, que je prends maintenant un haut score d’avis défavorable pour un compliment


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