jeudi 9 février 2006 - par Bernard Lallement

Fabrice Burgaud : incommensurabilité

Je ne suis pas sûr que l’audition, en direct, de Fabrice Burgaud devant la Commission parlementaire ait apporté une plus grande compréhension, tant de l’affaire que de la justice. Certes, le juge s’est montré sous un jour différent de celui dépeint par les acquittés. Mais aux yeux de l’opinion publique, devant laquelle il comparaissait, il fait toujours figure d’accusé sans grande circonstance atténuante.

Pour lui, quelque part, les jeux sont faits, et il lui aurait fallu une grande éloquence et une force peu commune de conviction pour contrecarrer l’image qu’avaient donnée de lui les innocents, comme la presse les nomme maintenant. Sur ce plan, le voir entouré de ses deux avocats, muets par obligation, cinglait comme le symbole de son incapacité à conjurer la fonction sacrificielle dans laquelle on l’a cantonné.

Force est de reconnaître qu’il a été peu convaincant. Il ne pouvait en être autrement, d’ailleurs, après l’émotion suscitée par l’audition des anciens accusés et la charge de leurs avocats à son encontre.

Alors qu’à l’instruction il est maître de l’enquête, et investi de la toute-puissance de sa fonction, ici il devient fragile, hésitant, les yeux cernés, cherchant parfois ses mots. « J’ai été terriblement choqué d’être présenté comme une machine à appliquer le droit sans aucune humanité. Je voulais dire que je ne suis pas la personne que les personnes acquittées ont décrite », a-t-il tenu à préciser dans sa déclaration liminaire. Il entend assumer son instruction tout en reconnaissant « avoir pu commettre des erreurs d’appréciation. » Mais, a-t-il ajouté, « personne ne m’a jamais dit à l’époque que je faisais fausse route. »

Et c’est bien toute la difficulté, et le tragique, de l’entreprise. Outre Fabrice Burgaud, il n’y eut pas moins de soixante-quatre magistrats, dont certains chevronnés comme Didier Beauvais, promu depuis à la Cour de cassation, qui se sont penchés sur le dossier sans que quiconque ne tire le signal d’alarme ou n’émette le moindre doute.

Changer les mentalités


Inexpérimenté, auditeur moyen tout frais émoulu de l’ENM et nommé, pour son premier poste, dans une petite juridiction avec petit effectif, le juge Burgaud n’était manifestement pas préparé à affronter ce genre d’histoire. C’est une évidence qui, à l’époque, ne semble avoir choqué personne. Cela ne saurait, pour autant, l’exonérer des fautes qu’il aurait commises. Mais il n’a pas été le seul, et s’il a pu prospérer dans ses errements, c’est aussi parce que ceux dont la mission était de superviser son instruction, voire, comme les policiers et les experts, d’éclairer son discernement, ont mal rempli leur rôle.

Or, de même qu’il avait été extraordinaire de voir réunir, dans une seule cage d’escalier de la tour du Renard, tout un réseau de pédophiles, il serait improbable qu’un tel dysfonctionnement ne soit circonscrit qu’aux limites d’une seule Cour d’appel pour un seul dossier.

Et c’est bien là que se trouve tout l’enjeu de cette affaire. Au-delà des règles de la procédure, ce sont, avant tout, les mentalités et les préjugés de ceux qui les mettent en oeuvre dont il est question. Or, sur ce point, toutes les réformes qui se sont succédées n’ont apporté aucun remède.

Les magistrats n’ont pas le culte de l’innocent, mais la culture du coupable. Ils ne sont pas différents du peuple au nom duquel ils rendent leurs jugements. En ce sens, nous sommes tous des juges Burgaud. Aujourd’hui, ceux qui compatissent au sort des acquittés étaient les mêmes qui, au début de l’enquête, hurlaient leur haine et réclamaient un châtiment exemplaire.

Les députés se penchent sur les raisons d’un naufrage judiciaire qui est, avant tout, un désastre humain, mais feignent d’oublier qu’il ont, dans le même temps, voté des lois de plus en plus répressives, tenus des propos appelant à encore plus de fermeté et, maintenant, ils s’étonnent de l’abus des incarcérations qu’ils revendiquaient, hier, à grands cris.

Fallait-il attendre de voir treize personnes totaliser 26 ans de détentions provisoires injustifiées pour s’émouvoir de ce qui se passe dans nos tribunaux ? Bruay-en-Artois, l’affaire Grégory n’ont donné lieu à aucune prise de conscience. Je doute très sincèrement qu’Outreau débouche sur une remise à plat du système judiciaire.

L’hermine ne fait pas du juge un homme au-dessus des passions. Et tant que, dans notre société, nous privilégierons l’anathème à la compréhension, l’invective à l’entendement, le spectacle à la réflexion, la justice ne saurait évoluer. De Montesquieu à La Fontaine, tout a été dit... et rien n’a changé.

Photos : Le Monde - AFP



5 réactions


  • Réaliste (---.---.90.88) 9 février 2006 14:22

    Burgaud ? Raide comme le « produit » type de la justice Française qui le laisse se démmerder tout seul face à des députés que l’on a jamais vu,eux, devant leurs pairs en « live » à la télé pour s’expliquer de leurs délits ou diverses magouilles .Ça fait froid dans le dos, ça ne m’étonne pas,mais les responsables qui laissent perdurer ce système inepte,ils sont où ? Le problème,tout le monde le connaît : formation,système,syndicats sont à changer RADICALEMENT.Pour faire ça ,il faut de l’argent,des budgets,l’envie etc... Faut arrêter de rêver,nous sommes dirigés par des cinglés qui ne feront rien pour les pauvres et les cons que nous sommes car pour eux tout va bien,ils n’ont pas de problème de faim de mois.Et quand ils sont justiciables,ils jouent à « plouf-plouf » pour désigner un bouc émissaire,(Emmanelli,Juppé,etc...) qu’ils accueillent à bras ouvert à son retour,après leur condamnation « avec sursis »,évidemment. FAUT SE TIRER DE CE PAYS KAFKAIEN. Laissons la place aux inactifs professionnels,aux professionnels du chômage,aux intermittents du chômage, aux professionnels des « droits à tout »,sans parler de certains fonctionnaires placardisés de fait et réclamant des postes supplémentaires,pendant que ceux qui travaillent dans le privé tremblent tous les matins pour aller bosser,etc... Quant à notre cher Président,il vient de faire preuve d’un tel courage dans l’affaire des caricatures,tremblant de toute sa sénilité, que les fous religieux ont raison de vouloir imposer la charia aux sans-couilles que nous sommes devenus,émasculés par des lois qui nous interdisent de défendre notre vie si nous sommes agressés dans la rue. Comme si,dans ce cas précis, nous pensions à répondre « proportionnellement » à l’agression subie.On pense à sauver notre peau,bande de nazes... Bref,finalement les « jeunes » ont raison.Donnez moi une raison pour un jeune d’avoir envie d’avoir 20 ans aujourd’hui,s’il n’est pas nanti,d’une façon ou d’une autre. Nous sommes pour laplupart de pauvres manipulés par nos politiques avec la complicité des médias,mais pour s’en apercevoir,il faut s’informer,lire énormément,donc avoir du temps,donc être riche...ou renoncer comme moi à s’enrichir,et savoir se contenter de vivre modestement.La chance des jeunes aujourd’hui,c’est internet,l’anglais fluently,et ...OUT.

    Burgaud ? Coupable ? Oui,mais ceux qui ont rendu possible qu’un jeune de moins de 30 ans se retrouve seul avec un tel pouvoir : décider de la VIE ,de l’AVENIR de familles entières,les bouziller pour TOUJOURS,ceux là,on les juge en « direct-live » QUAND ?


  • PJ-BR (---.---.220.140) 9 février 2006 17:38

    Trop facile de s’acharner sur le lampiste, de lui faire porter le poids de notre culpabilité d’avoir nous aussi (pas tous mais un bon nombre) condamné les accusés avant le procès. Maintenant tout le monde vomit sur juge « autiste », « inflexible »... TROP FACILE. Après avoir condamné les innocents d’Outreau nous passons au juge, coupable de ne pas nous avoir montré que cette affaire ne tenait pas debout. C’est indécent.

    Je suis d’accord quand il dit qu’il n’a pas à présenter d’excuses. Il a fait son boulot. Il aurait peut-être pu mieux faire, sans doute. Mais c’est facile de donner des leçons assis tranquillement devant son ordi. Ce n’est pas nous devions subir, aussi jeune, la pression médiatique qui condamnait à l’avance les Dutroux français.

    Et puis un certain nombre de garde-fous n’ont pas fonctionné. Pourquoi l’enquête a elle été laissée à un gamin inexpérimenté au lieu de la repasser à un juge plus expérimenté et plus à même de résister à la pression ? Ca n’aurait pas été le premier juge dessaisi d’une enquête. Et qu’aurait fait le parquet si le juge Burgaud n’avait pas demandé la prison préventive pour des pédophiles présumés ?

    La presse a beau jeu de dénoncer aujourd’hui ce qu’elle demandait au moment de l’enquête. Et qui le redemandera demain si d’aventure un juge des libertés libère un prisonnier qui en profite pour récidiver.

    Et j’aimerais comprendre comment plus de la moitié de la population française peut s’émouvoir du sort des accusés d’Outreau (opportunément rebaptisés innocentés) alors que plus de la moitié de la population est pour la prison préventive et contre les libérations anticipées.

    Le VRAI problème c’est la procédure pénale française qui ne donne aucun droits à l’accusé, qui autorise 48 heures de garde à vue sans assistance d’un avocat, qui laisse quelqu’un partir en prison « préventive » sans débat contradictoire (donc sur la seule conviction du juge d’instruction), qui estime que des aveux obtenu sans le contrôle d’un avocat valent preuve de la culpabilité (cf. Patrick Dils, Christian Ranucci et tant d’autres). Les réformes envisagées pour s’attaquer aux problèmes les plus criants (entre autre collège de trois juges, différents du juge d’instruction, pour décider de prison préventive) n’ont jamais été mises en place FAUTE DE MOYEN FINANCIERS. Un rapport est déjà sorti sur les améliorations à apporter dans la procédure pénale. Mais ça a été enterré le plus vite possible parce que ça coûte cher à mettre en place. Et je n’ai pas vu grand monde descendre dans la rue pour l’imposer.

    Burgaud coupable ? Non, NOUS sommes coupables.


  • herbe (---.---.12.154) 9 février 2006 21:09

    1 autre point de vue ici : http://blog.ronez.net/?p=323


  • Daniel Bainville-Latour (---.---.183.130) 10 février 2006 16:04

    Certes, il ne doit pas s’agir de lyncher le juge Burgaud, transformé en bouc émissaire. Mais doit on, pour autant, s’appitoyer sur la situation de ce « gamin fragile », tel qu’il est apparu, une fois les rôles renversés ? A t’il eu l’écoute et la pitié, face à cet autre gamin, sensiblement de son âge, qu’il a jeté en prison ? Envers ce handicapé dont la mère disait, de manière aussi touchante que grinçante, qu’il ne pouvait être soupçonné d’avoir enlevé sa petite culotte à une fille dès lors qu’il ne savait pas enlever la sienne ?

    Ne lynchons pas mais restons lucides.

    Il est facile également de noyer le poisson en soulignant que personne, dans la chaîne judiciaire, ne l’a prévenu qu’il faisait fausse route. Mais a-t-il lui même rendu compte ? Saisi sa hiérarchie ? Demandé conseil , si jamais il a pu avoir le sentiment d’incohérences où que cette affaire dépassait sa fraîche expérience, sa jeune envergure ?

    Ne lynchons pas mais restons lucides.

    En réalité, M. Burgaud apparaît comme le pur produit d’un système oligarchique où la séparation des pouvoirs n’est plus qu’une illusion. Formé - formaté devrait-on dire -, après Scienes-Po, paraît-il, par une école qui se veut le pendant de ce qu’est l’ENA pour le pouvoir exécutif, investi d’un pouvoir démesuré, quel étourdissement à l’idée d’appartenir à cette caste dirigeante, quel boulevard offert aux ambitions, quelle tentation de s’imposer magistralement dans son milieu, quelle chance de se voir attribuer une « affaire du siècle »...

    Et nous avons tous connu des personnages d’autant plus cassants et tyraniques, dans leurs responsablilités, qu’intimement ,ils étaient fragiles et peu sûrs d’eux !

    Ne lynchons pas mais restons lucides.

    Si le système doit être réformé, alors il devra l’être profondément.Les magistrats ne rendent pas la justice « au nom du Peuple Français », belle formule creuse, mais au nom d’un état qui les recrute, les forme, les paie. L’indépendance est faible et la tentation de participer du pouvoir est forte, d’autant plus qu’il n’existe pas de procédure de remise en cause de la carrière d’un magistrat.

    Réformer le système en profondeur, c’est déjà poser que l’état est un justiciable comme les autres et dès lors supprimer purement et s’implement les tribunaux administratifs, les cours d’appel administratives et le rôle de censeur du Conseil d’Etat à cet égard. L’obligation ,depuis quelque temps , de rendre la représentattion par avocat obligatoire en cas d’appel , montre bien comment le système se protège et rend plus difficile l’action du citoyen.

    Pareillement, il faut supprimer toutes ces juridictions spéciales telles que juridictions de la sécurité sociale, des prud’hommes...Un tribunal n’est-il pas en mesure de statuer sur un différend entre un citoyen et l’état, un organisme de sécu ou son patron ?

    Mais surtout, l’expérience montre qu’un magistrat ne peut véritablement juger « au nom de Peuple Français » que s’il procède de ce peuple français. A quand des juges élus et dont le mandat sera périodiquement remis en cause devant le peuple ? Certes c’est une révolution qui fera hurler le « système », mais à défaut, la France continuera à subir une justice fonctionnarisée, une justice sanctuarisée.

    Ne lynchons pas ce pauvre gamin mais ne l’exonérons pas non plus. Et s’il a quelque mérite dans cette affaire, c’est de démontrer, sans le vouloir, que le système est à bout de souffle.


    • PJ-BR (---.---.220.140) 13 février 2006 10:47

      Restons lucides justement.

      Le lynchage du juge Burgaud va-t-il aider à améliorer le système judiciaire français. A mon avis la réponse est non. La conclusion que je sens poindre est :« Le juge Burgaud est le seul fautif de ce scandale. Et le problème c’est le juge d’instruction et ses pouvoirs trop étendus quand ils sont confiés à un incompétent. » Les politiques vont donc se précipiter pour supprimer le seul juge indépendant de l’exécutif, au lieu d’augmenter le nombre de juges pour leur permettre de travailler en équipe.

      Il y 832 personnes qui ont fait de la prison préventive pour rien (acquités, non-lieu) en 2004. Burgaud n’est ni mieux ni pire que ses collègues, y compris le juge Bruguières. Le spécialiste de la lutte anti terroriste a enfermé 51 personnes pour rien en 1998. Mais c’est vrai que c’étaient des « arabes terroristes islamistes », pas des blancs.

      Le problème c’est la procédure judiciaire qui nie systématiquement les droits de la défense. Voir http://maitre.eolas.free.fr/journal/index.php?2006/02/08/285-l-autre-outreau.

      Le juge Burgaud a rendu une justice conforme à ce qui est demandé par les gens que NOUS avons élus, par vote ou par abstention, en 2002 sur un thème ultra sécuritaire. Nous avons donc plus de préventive dans des prisons de plus en plus inhumaines et délabrées (cf rapport d’Amnesty International sur la France). Donc NOUS sommes autant coupables que Burgaud.

      Et je maintiens que le lynchage de Burgaud est inutile voire nuisible.

      Il y 832 personnes qui ont fait de la prison préventive pour rien (acquités, non-lieu) en 2004. Burgaud n’est ni mieux ni pire que ses collègues, y compris le juge Bruguières. Le spécialiste de la lutte anti terroriste a enfermé 51 personnes pour rien en 1998. Mais c’est vrai que c’étaient des « arabes terroristes islamistes », pas des blancs.

      Le problème c’est la procédure judiciaire qui nie systématiquement les droits de la défense. Voir http://maitre.eolas.free.fr/journal/index.php?2006/02/08/285-l-autre-outreau.

      Le juge Burgaud a rendu une justice conforme à ce qui est demandé par les gens que NOUS avons élus, par vote ou par abstention, en 2002 sur un thème ultra sécuritaire. Nous avons donc plus de préventive dans des prisons de plus en plus inhumaines et délabrées (cf rapport d’Amnesty International sur la France).


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