Faut-il supprimer un jour férié pour tous ou les jours fériés en double de certains ? Un casse-tête confessionnel
Je croisais récemment mon voisin qui, bien guilleret, me disait combien il appréciait les jours fériés, autant pour ce qu’ils perpétuent la mémoire respectable de motifs historiques ou religieux que pour la qualité de vie dont ils sont la conséquence. L’orage se profilant au moins pour l’un d’entre - eux, je lui recommandais alors de bien en profiter, car à en croire la porte-parole de LREM, une suppression s’envisageait avec optimisme puisque reposant sur un motif louable ; « la création d'une nouvelle journée de solidarité pour financer la prise en charge de la dépendance et du grand âge ». Son intervention ouvrait la porte à une autre raison de mauvais augure pour la première. "…persuadée que les Français seraient d'accord si 100% des recettes de la journée de solidarité étaient consacrées à la baisse de leurs impôts OU au financement des Ehpad", (22/04). Si son optimisme au motif de la cause pouvait être entendu, que venait faire ce commentaire sur la baisse des impôts qui brouillait l’affaire de la journée de solidarité pour financement des Ehpad ?
Je le sentais partagé entre son plaisir égoïste de profiter pour lui-même de ce plaisir férié et ce sentiment de solidarité avec les anciens dont il serait un jour bénéficiaire aussi, en supposant que l’histoire de la baisse des impôts soit une facétie de politicienne amateure.. Tiraillé par cette réflexion, il me confiait : « j’ai toujours un doute quant à la pérennité de ces mesures ». Je lui rétorquais que « le doute doit profiter à la vertu, que les procès d’intention systématiques sont un frein à toute chose et que le sujet méritait un effort de chacun pour le bénéfice de tous ».
Comme le père Goriot qui faisait répéter ses interlocuteurs pour mûrir sa réponse qui ne venait pas, mon voisin fini par me lâcher avec une étincelle dans les yeux. « Avant de généraliser la suppression d’un jour férié, je propose que soient supprimés ceux qui sont en double ! » Je lui demandais de m’expliquer cette suggestion incompréhensible. « Eh bien oui ! » me dit-il excité par sa trouvaille, « selon votre religion, vous pouvez bénéficier en France, de jours fériés supplémentaires ». Cette disposition ne me semble pas très catholique, lui dis-je circonspect. « En effet, me répondit-il rigolard, exclusion faite pour les catholiques ! » A l’appui de son propos il me citait mi- amusé mi- agacé, la circulaire du 13 avril 2007 relative à la charte de laïcité dans les services publics. « Le fait, pour un agent public, de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations. Mais la même circulaire précise qu’ils bénéficient d’autorisations d’absence pour participer à une fête religieuse dès lors qu’elles sont compatibles avec les nécessités de fonctionnement normal du service. » Je compris alors sa remarque, les jours fériés « catholiques » bénéficient à tous les salariés qu’elles que soient leurs religions, auxquels les juifs, les musulmans et les pratiquants d’autres religions ajoutent leurs fêtes religieuses sans renoncer pour autant aux fêtes légales du calendrier national.
Cette conversation éclairait les commentaires sibyllins d’Emmanuel Macron qui indiquait lors de sa récente conférence de presse « ne pas souhaiter imiter le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, qui en 2004 avait supprimé le jour de congé du lundi de Pentecôte » ajoutant, « Je ne crois pas que ce soit le plus efficace. On a déjà essayé… Ça n'a pas très bien marché, ce n'est pas clair… Une telle mesure serait d'une complexité absolument abyssale pour tout le monde… »
Je comprenais alors « la complexité » à laquelle il était fait allusion. Supprimer un jour férié « catholique » et maintenir « l’autorisation d’absence pour participer à une fête religieuse » des musulmans, juifs… serait osé, sauf à autoriser les salariés catholiques à s’absenter (toujours au titre de la circulaire du 13 avril 2007) le jour férié … supprimé. Kafkaïen.
Le Président devait se souvenir de sa tentative de modification des jours fériés dans les territoires ultramarins votée à l’Assemblée Nationale et retoquée par le Conseil Constitutionnel, lorsqu’il conclut en abandonnant l’idée « Nous adorons les débats, mais si en plus on pouvait s'économiser le débat de savoir quel jour férié on choisit, ça serait formidable. »
Continuant mon chemin éclairé par cette face cachée de l’histoire du jour férié, je prolongeais la réflexion que mon voisin avait semée. Le trouble de cette situation m’égarait dans le dédale hasardeux des solutions qui s’offraient. Un tropisme s’imposait. Supprimer les jours fériés « religieux » pour tous ?
Oui mais alors les grands perdants seraient les juifs et les musulmans bénéficiaires du cumul fêtes légales (d’origine catholique) et fêtes religieuses juives, musulmanes. Je sentais poindre les réactions communautaristes sur ce sujet irritant…
Ou supprimer les autorisations d’absence pour motif religieux accordées aux non catholiques (jours fériés supplémentaires déguisés) pessah, yom kippour, chouchane pourim, aïd el fitr, el kebir, achoura, etcetera. Les perdants seraient les mêmes.
Pourtant la solution existait déjà depuis longtemps avec Terra Nova, think tank qui a inspiré longtemps le PS et qui phosphore toujours mais à contre-courant parfois. Dans son rapport « L’émancipation de l’islam de France » (2017), il avait trouvé la solution … « deux jours fériés supplémentaires : une fête musulmane et une fête juive ». Leur proposition était cependant bien moins audacieuse que les dispositions en vigueur à Mayotte ou sont officiellement chômés et payés (en plus des fêtes légales chrétiennes) : Ide El Kébir, Miradji, Idi El Fitri, Maoulid , 27 avril abolition de l’esclavage. (http://mayotte.dieccte.gouv.fr/Les-jours-feries)
Pour l’heure, le Président a tranché, on ne change rien, les partisans du maintien des jours fériés sont contents et mon voisin n'a plus à se poser de questions.