Felix Kersten : le médecin qui défendit l’humanité face à Heinrich Himmler, le mal incarné
Un masseur-thérapeute aux doigts d’or face au bourreau en chef du IIIe Reich : Felix Kersten, médecin personnel de Heinrich Himmler, a-t-il vraiment sauvé des dizaines de milliers de vies ? Dans l’ombre du maître des SS, cet homme discret aurait retourné la douleur contre le mal absolu. De Berlin à Stockholm, entre manipulations subtiles et risques mortels, son histoire hors du commun oscille entre miracle et controverse.
Les origines d’un guérisseur : un parcours improbable vers le pouvoir
Felix Kersten voit le jour le 30 septembre 1898 à Dorpat, une ville balte alors sous l’Empire russe, aujourd’hui Tartu en Estonie. Fils d’un modeste employé des postes, Wilhelm Kersten, et d’une mère au foyer, Olga, il grandit dans une maison sans luxe, entouré de livres et de récits d’un monde en mutation. La Première Guerre mondiale le happe à 19 ans : enrôlé dans l’armée allemande, il se bat en Finlande en 1918 avec les gardes blancs contre les bolcheviks, une expérience qui forge son endurance et lui vaut une citoyenneté finlandaise en 1920, décernée par un décret du gouvernement du 15 juin. À peine démobilisé, il se perd dans les rues d’Helsinki, cherchant un sens à sa vie, jusqu’à croiser un médecin qui lui enseigne les rudiments du massage médical.
C’est à Berlin, en 1922, que tout bascule. Sous la tutelle du Dr Kô, un médecin chinois, maître en médecine manuelle, Kersten affine son art dans une petite clinique. Les patients affluent : des banquiers aux articulations nouées, des dames de la haute société aux migraines tenaces. Quand le Dr Kô retourne vivre en Chine, en 1925, il lui lègue sa clientèle : un carnet d’adresses doré qui propulse ce jeune médecin dans les cercles huppés. En 1928, il s’installe à La Haye, aux Pays-Bas, où ses mains soulagent le prince consort Henri, époux de la reine Wilhelmine. Elle, impressionnée par ce Finlandais au regard doux, lui ouvre les portes des palais européens : Rome, où il soigne le comte Galeazzo Ciano, gendre de Mussolini, le prince Aimone de Savoie-Aoste, cousin du roi Victor-Emmanuel III, et bientôt Berlin. Mais en mars 1939, un appel change la donne : August Diehn, industriel allemand, le recommande à Heinrich Himmler, le Reichsführer-SS, rongé par des douleurs abdominales que les nombreux médecins nazis échouent à calmer.
Kersten hésite longuement, le cœur lourd. Ses doigts savent guérir, pas pactiser avec un régime qu’il méprise profondément. Il confie à sa femme Irmgard, dans une lettre retrouvée dans leurs archives familiales à Stockholm, le 10 mars 1939 : "Cet homme est un monstre, mais si je refuse, qui sait ce qu’ils feront à notre famille ?".
Lors de leur première rencontre à Berlin, dans un bureau glacial de la Prinz-Albrecht-Strasse, Heinrich Himmler, blême, s’effondre presque sous la douleur. Kersten pose ses mains, presse les nerfs et, en 20 minutes, le chef des SS respire à nouveau. "Vous êtes un miracle", murmure Himmler, les yeux brillants. Ce jour-là, Kersten entre dans une danse macabre, un pas de deux avec le diable, poussé par la peur et une lueur d’espoir : peut-être pourra-t-il faire plus que guérir un corps.
La guerre éclate en septembre 1939 et Kersten se retrouve piégé. Finlandais de cœur, il est officier de réserve depuis son service en 1918, et son ambassade à Berlin le presse de rester près de Himmler pour glaner des informations. Une note diplomatique finlandaise, déclassifiée en 1998 et conservée aux archives d’Helsinki, datée du 12 octobre 1939, mentionne : "Le Dr Kersten pourrait nous être utile, son accès est sans égal". Puis, le 10 mai 1940, les Panzer envahissent les Pays-Bas. Sa maison de La Haye, à deux pas du palais Noordeinde, devient une cible potentielle : la Gestapo, sous les ordres de Hanns Albin Rauter, le chef de la SS et de la police dans les Pays-Bas occupés, le fiche comme proche de la reine Wilhelmine, exilée à Londres où elle dirige la résitance contre les nazis. Refuser de rencontrer Heinrich Himmler, c’est signer son arrêt de mort et celui d’Irmgard et de leurs trois fils, Arno, Wilhelm et Hans.
Il cède, mais pas sans âme. Depuis Hartzwalde, sa propriété boisée à 60 kilomètres de Berlin, il se rend régulièrement à la Prinz-Albrecht-Strasse ou à Hohenlychen, où Himmler le convoque dans des bureaux aux murs gris ou des cliniques militaires austères. Une fois, le 17 juin 1940, il note dans son journal, retrouvé dans une malle suédoise en 1962 : "Je suis monté dans sa voiture, le cœur battant, et il a gémi sur la banquette pendant que je travaillais ses muscles. Il parle de tuer comme on parle de couper du bois, et moi, je dois sourire pour ne pas trembler". La Gestapo rôde autour de Hartzwalde, fouille ses tiroirs, interroge ses voisins. Mais Himmler le défend, aboyant à ses sbires : "Touchez-le et je vous fais fusiller !".
Soucieux d'assurer sa sécurité et de faciliter sa vie quotidienne, le Reichsführer propose un grade d'officier supérieur - colonel - dans la SS à Kerten. Profondément antinazi et guidé par des convictions humanistes, le médecin refuse poliment l'offre qui, en réalité, a surtout pour but de l'intégrer officiellement dans l'appareil nazi, de faire de lui un complice des horreurs du régime.
Cette dépendance devient une arme. Himmler, superstitieux et adepte des sciences occultes, croit que Kersten lit son destin dans ses muscles. Une fois, en novembre 1940, dans un train blindé roulant vers Munich, Kersten ose : "Si je vous soulage, libérez mon ami, arrêté à Amsterdam". Himmler, apaisé, signe l’ordre le lendemain. Ce premier sauvetage allume une étincelle : et si ces mains pouvaient faire plier le mal ? À cet instant, dans le vacarme des rails ou l’ombre d’un bureau berlinois, un héros improbable prend forme, un homme qui tremble autant qu’il agit.
Les petits miracles s’enchaînent. En décembre 1940, Kersten arrache dix résistants néerlandais aux griffes de la prison de Scheveningen, leurs noms griffonnés sur une liste qu’Himmler paraphe entre deux soupirs de soulagement, lors d’une séance à Hohenlychen sous une lumière crue. En 1941, il sauve un pasteur luthérien promis à Dachau, en murmurant dans un couloir de la Prinz-Albrecht-Strasse : "Un homme de Dieu mérite mieux, non ?". Les archives de l’Église évangélique d’Allemagne, à Hanovre, gardent trace de cette libération. Chaque vie sauvée est une victoire fragile, un souffle dans la tempête. Kersten ne demande jamais d’argent – "Je ne veux pas de leur sang sur mes mains", confie-t-il à Irmgard dans une lettre du 22 avril 1941 – mais des grâces, des noms rayés des registres de mort.
L’horreur s’épaissit pourtant. En juillet 1941, dans une pièce sombre du siège SS à Berlin, Himmler, détendu sous ses doigts, lâche : "Les Juifs seront bientôt un souvenir, Kersten, une purification nécessaire". Le cœur du médecin s’arrête presque. Il note dans son carnet, retrouvé dans ses affaires personnelles : "Je voulais crier, fuir, mais j’ai continué à masser, comme un automate". Cette confidence, brute, montre un homme déchiré : fuir, c’est mourir ; rester, c’est entendre l’indicible. François Kersaudy, dans Felix Kersten, le dernier des Justes (2021), écrit : "Ce jour-là, il comprend qu’il peut agir, ou sombrer avec eux". Les archives finlandaises confirment qu’il transmet des bribes à son ambassade – dates, lieux –, mais sans plan clair, juste un instinct de survie mâtiné d’espoir.
Ces débuts sont modestes, presque tâtonnants. À Hartzwalde, où il rentre après chaque voyage, entre les sapins et les hurlements des loups la nuit, Kersten n’est pas un stratège. Il agit au jour le jour, poussé par une morale simple : une vie sauvée vaut plus qu’un silence coupable. Quand il ferme les yeux, il revoit Dorpat, les hivers rudes, sa mère cousant près du poêle. Ce passé l’ancre, lui rappelle qu’il n’est pas un nazi, même au cœur de leur machine démoniaque.
Dans l’antre du IIIe Reich : un jeu de pouvoir et de vies
De 1941 à 1943, Kersten devient une ombre familière dans les lieux de pouvoir d’Himmler. Il le rejoint à la Prinz-Albrecht-Strasse, où les cris des prisonniers montent parfois des sous-sols, ou à Hohenlychen, une clinique SS nichée dans les forêts du Mecklembourg, où le Reichsführer se repose entre deux massacres. Mais à partir de 1942, Himmler vient aussi à Hartzwalde, fuyant les bombardements de Berlin, dans cette maison aux volets verts où Kersten vit avec Irmgard et leurs garçons. Les séances, consignées dans les agendas d’Himmler, dépassent les 200 entre 1939 et 1945. Là, sous une lampe vacillante ou dans un train blindé, Himmler se livre : il parle des Einsatzgruppen en Ukraine, des chambres à gaz d’Auschwitz, des querelles incessantes avec Hermann Göring. Walter Schellenberg, chef du renseignement SS, témoignera à Nuremberg en 1946 : "Kersten savait tout, parfois avant nous".
Une note interne de la Gestapo, datée du 15 avril 1942, ordonne une surveillance accrue du médecin personnel d'Himmler, mais sans arrestation. L’ordre vient d’en haut. Kersten vit dans l’angoisse : chaque craquement dehors, chaque regard des gardes à Hartzwalde ou dans les couloirs de Berlin, lui rappelle que sa vie tient à un fil. Une nuit, il confie à Irmgard, blottie près de lui : "S’ils me prennent, cachez-vous chez les voisins, ils ne chercheront pas là".
Il joue pourtant son rôle avec finesse. Dans un bureau de Hohenlychen ou sous les pins de Hartzwalde, il caresse l’orgueil d’Himmler : "Vous êtes un bâtisseur d’empire, comme Charlemagne", glisse-t-il un soir d’hiver 1942. Himmler, flatté, rit : "Vous savez parler aux âmes, Kersten !". Puis viennent les requêtes : un nom, une famille, un camp. Le Reichsführer, détendu, signe parfois sur-le-champ – des ordres griffonnés sur des bouts de papier, conservés dans les archives suédoises à Stockholm. Le Congrès juif mondial, dans un rapport du 18 juin 1947, estime à 100 000 le nombre de vies sauvées grâce à lui, dont 60 000 Juifs. Un chiffre colossal, mais disputé, qu’on décortique encore.
Les faits s’accumulent, tangibles. En août 1942, Himmler se rend à Helsinki pour exiger la déportation des 2 000 Juifs finlandais. Kersten, présent dans une salle du palais présidentiel, insiste pendant une séance : "Laissez-les, ce sont des artisans, pas des ennemis". Himmler cède, et le président finlandais Risto Ryti note dans son journal, le 26 août : "Le Dr Kersten a sauvé nos Juifs, un miracle". En 1943, dans un bureau de Berlin, il arrache 270 femmes de Ravensbrück, dont des résistantes françaises comme Geneviève de Gaulle-Anthonioz, la nièce du général de Gaulle, libérées le 15 octobre. Un ordre signé par Heinrich Himmler, retrouvé dans les archives de la Croix-Rouge à Genève. Chaque nom est une bataille, un murmure gagné dans la pénombre, une vie sauvée.
Le 20 avril 1945, à Hartzwalde, l’histoire atteint son apogée. Heinrich Himmler, hagard face à la débâcle, rencontre Norbert Masur, envoyé suédois du Congrès juif mondial, dans le salon de Kersten. La nuit est froide, le feu crépite dans la cheminée. Kersten plaide : "Sauvez-les, montrez au monde une once d’humanité". Himmler, après des heures de silence, accepte : 2 700 Juifs partent pour la Suisse, et 63 000 autres sont épargnés dans les camps, contre l’ordre de Hitler de tout raser. Les "Bus blancs" du comte Folke Bernadotte, membre de la famille royale suédoise, roulent dès le 25 avril, un sauvetage documenté par des photos jaunies et les récits de Norbert Masur. John H. Waller (The Devil’s Doctor, 2002) raconte : "Kersten a risqué sa peau, et ça a marché".
Ces actes ne sont pas parfaits. Les chiffres varient : Peter Longerich (Heinrich Himmler, 2012) réduit à 20 000 les sauvetages directs, arguant que Himmler jouait aussi sa survie face aux Alliés. Mais les ordres écrits, les lettres de gratitude des survivants – comme celle de Ruth Klüger, libérée de Theresienstadt, datée du 8 mai 1945 – parlent d’eux-mêmes. Kersten n’est pas un général, juste un homme qui, dans un salon aux rideaux tirés ou un bureau glacial, a défié la mort uniquement avec ses mains.
Les limites d’un héros malgré lui
Kersten n’a rien d’un combattant. Il ne pose pas de bombes, ne transmet pas de codes aux Alliés, ne rêve pas de renverser Hitler. Sa guerre est un murmure, un frottement de doigts sur une peau tendue, que ce soit à Hohenlychen ou lors des rares visites d’Himmler à Hartzwalde. Cette retenue agace certains : dans une critique acerbe (Le Figaro, 1961), Maxime Vivas le taxe d’"opportuniste qui se rachète tardivement".
Ses mémoires gonflent parfois la vérité – comme cette fable sur la déportation totale des Néerlandais, démentie par l'historien Louis de Jong (Het Koninkrijk der Nederlanden in de Tweede Wereldoorlog, 1967)), mais les faits bruts tiennent. À Hartzwalde, il n’est qu’un père inquiet, un mari qui serre Irmgard la nuit, un étranger dans un pays qui s’effondre.
Himmler reste l’énigme. Pourquoi écouter ce masseur ? Une note de Rudolf Brandt, son secrétaire, datée du 3 mars 1945, révèle : "Le chef croit que Kersten voit dans son âme". Superstition ? Désespoir ? Les deux, sans doute. Kersten, lui, n’analyse pas : il agit, poussé par un mélange de peur et de foi. Quand il masse dans un train ou un bureau, il voit les visages des sauvés – un boulanger d’Amsterdam, une mère de Rotterdam – et ça suffit à le faire tenir.
Après la guerre : un héritage contesté et un oubli relatif
Mai 1945 : l’Allemagne capitule, le IIIe Reich s'effondre et Felix Kersten fuit vers la Suède avec sa famille, un baluchon à la main. À Stockholm, dans une demeure modeste, il rédige ses mémoires, publiés en 1947 sous le titre Totenkopf, puis en anglais en 1956 comme The Kersten Memoirs, préfacés par Hugh Trevor-Roper, qui salue "un homme qui a défié l’enfer". Le 12 octobre 1950, les Pays-Bas lui décernent les insignes de grand officier de l’Ordre d’Orange-Nassau, en reconnaissance des vies néerlandaises sauvées. En novembre 1960, le président français Charles de Gaulle lui décerne la décoration de chevalier de la Légion d'honneur, à titre posthume.
Mais la gloire s’effrite vite. En Suède, sa demande de citoyenneté traîne : en 1946, le ministère de l’Intérieur, sous pression de l’URSS qui le taxe de collaborateur nazi, le rejette. Ce n’est qu’en 1953, après un débat au Riksdag où le député libéral Bertil Ohlin plaide "Cet homme a sauvé plus de vies que nos diplomates", qu’il obtient la nationalité suédoise, le 19 mars. Wilhelmine, reine en exil en Angleterre puis rentrée aux Pays-Bas en 1945, ne l’oublie pas : elle lui envoie des lettres manuscrites – conservées aux archives royales de La Haye – et le fait protéger par ses agents à Stockholm, craignant des représailles soviétiques. Une missive du 8 mai 1947 dit : "Felix, vous avez été ma lumière dans l’obscurité, je ne l’oublierai pas".
La reconnaissance publique, elle, vacille. Le comte Folke Bernadotte, héros suédois des « Bus blancs », éclipse Kersten dans les récits officiels, bien que Norbert Masur, dans une interview au Dagens Nyheter, insiste : "Sans Felix, rien n’aurait bougé". Les mémoires de Kersten, riches mais parfois enjolivés, alimentent le doute. Joseph Kessel, dans Les Mains du miracle (1960), en fait une véritable légende, mais ce roman, plus poème qu’histoire, brouille les faits. À Stockholm, il vit retiré, loin des honneurs.
Face à Oskar Schindler ou Raoul Wallenberg, Felix Kersten reste un inconnu. Schindler a sa liste, Wallenberg ses passeports ; Kersten, juste ses doigts et une pile de papiers signés dans le chaos. Pourtant, son bilan est concret : 2 700 Juifs sauvés en Suisse, 63 000 préservés dans les camps, des centaines de résistants libérés. Yad Vashem, en 1955, rejette sa candidature comme Juste parmi les nations – "pas assez de preuves individuelles", tranche le comité – mais les survivants témoignent. Tania Zvi, sauvée de Bergen-Belsen en 1945, écrit dans une lettre au Jerusalem Post, en 1960 : "Je suis vivante grâce à un masseur dont personne ne parle".
Sa mort, le 16 avril 1960, à Hamm, en Allemagne, est un murmure. À 61 ans, il s’éteint d’une crise cardiaque dans une clinique discrète, entouré d’Irmgard et de ses fils. Pas de foule, pas de plaque. Son fils Arno, dans une interview au Svenska Dagbladet, le 20 avril 196, lâche : "Papa ne voulait pas de statues, juste qu’on se souvienne des vies". Les distinctions honorifiques dorment dans une boîte remisée dans un tiroir, loin des regards.
Kersten reste une énigme. Mais les archives – suédoises, néerlandaises, allemandes – parlent : des ordres signés, des bus qui roulent, des vies qui respirent encore. Il n’a pas de musée, mais son nom flotte dans les couloirs de l’histoire, porté par ceux qu’il a touchés, littéralement.
Son histoire n’est pas lisse. À Hartzwalde ou dans les bureaux d’Himmler, il riait avec le diable pour mieux le plier, une grimace qui le hantait. Était-il complice ou sauveur ? Les deux, peut-être. Dans une lettre à la reine Wilhelmine, datée du 3 juillet 1945, il écrit : "J’ai marché dans la boue pour ramasser des fleurs, pardonnez-moi si elles sentent encore le sang". Ce courage bancal résonne : face aux tyrans d’aujourd’hui, qui oserait tendre la main ? Kersten nous défie, nous pousse à regarder nos propres limites, nos propres choix.
Felix Kersten n’était pas un titan. C’était juste un homme, un père inquiet, un masseur-thérapeute qui a trébuché dans l’histoire. Ses mains, qui pétrissaient la chair d’Himmler à Berlin ou à Hartzwalde, ont sauvé des milliers : des Juifs, des résistants, des homosexuels, des oubliés. Les archives hurlent son rôle, les doutes murmurent ses failles.
Sous la protection bienveillante et attentionnée de la reine Wilhelmine des Pays-Bas, il a vécu ses dernières années dans l’ombre, jardinant paisiblement sous la pluie suédoise. Son histoire, beaucoup trop méconnue, est un cri étouffé : dans l’antre du diable, il a allumé une flamme fragile, assez pour éclairer des vies, pas assez pour brûler le mal. Que ferions-nous, nous, avec nos mains tremblantes ?