Féminisme politique, pas mort !
Féministe, Ségolène Royal ? Pas assez, ou pas exactement à leur goût, vous répondront beaucoup de militantes féministes. Plutôt que gloser sur la validité de cet épithète, demandons-nous si ses propositions en matière de droits des femmes, de prise en charge de la petite enfance, et de lutte contre la pauvreté, sont pertinentes et justifiées.
Se dire féministe laisse accroire qu’on part de pétitions de principe, raison pour laquelle l’étiquette est mal vue en politique. De ce point de vue Royal aurait plutôt un avantage, ironiquement, puisque les militantes rappellent volontiers qu’elles ne l’ont jamais vue dans leurs rangs en manifestion. Ingratitude ? Légère suspicion, plus exactement, d’un féminisme français très universaliste qui répugne traditionellement à mettre en avant la maternité. Mais Royal est aussi celle qui a créé le congé de paternité, qu’utilisent deux tiers des pères (l’égalité, c’est mutuel, pas à sens unique).
Quelle est aujourd’hui la situation économique et sociale des femmes en France ? Elle est paradoxale, puisqu’au niveau des droits légaux on compte chaque année des avancées, alors que dans les faits stagnation et régression sont la règle. Stabilité des écarts de salaire, d’un chômage des femmes plus important, stabilité encore dans le faible pourcentage d’élues au Parlement. Persistence également, des violences considérables subies par les femmes en France (50’000 femmes adultes violées chaque année, dont seulement 2% voient leur violeur condamné aux assises).
Puisque les lois n’ont pas réussi à faire reculer les inégalités et les injustices, à quoi bon en proposer de nouvelles, me direz-vous ? Malgré la force symbolique de la loi dans notre pays, il est clair que certains textes restent inefficaces car la volonté politique et les moyens accordés restent insuffisants. Les femmes elles-mêmes semblent ne pas prendre toute la mesure de ces injustices, puisque la HALDE indique que seulement 6% des personnes qui la saisissent invoquent une discrimination sexiste.
Un détour conceptuel par le racisme est nécessaire. Depuis des années des organismes comme le Geld ou le Fasild (aujourd’hui [l’Acse|http://www.lacse.fr/dispatch.do|fr]) utilisent le concept majeur de ’’discrimination systémique’’. Les actes répréhensibles existent, mais c’est plus largement le fonctionnement de la société, de tout un tas [de représentations|http://www.liberation.fr/rebonds/219492.FR.php|fr] et d’institutions, qui fait pencher la balance en défaveur des femmes (inutile de me sortir des contre-exemples, j’en connais autant que vous et la question n’est pas là). Royal est la candidate du PS, Parisot dirige le Medef, mais 2 arbres ne cachent pas une forêt. Les faits, rappelés récemment par [Dominique Méda et Hélène Périvier|http://www.repid.com/spip.php?article483|fr], sont cruellement têtus.
Pour faire reculer les inégalités, ce ne sont pas telle ou telle loi qu’il faut faire, c’est une action combinée qu’il faut avoir, et une vision transversale qu’il faut adopter. Méda et Périvier montrent que l’équivalent nordique du "service public de la petite enfance" (proposé par Royal) a été efficace pour permettre un taux d’emploi des femmes le plus élevé d’Europe. Mais elles soulignent également que les femmes scandinaves sont encore plus cantonnées dans un petit nombre de métiers spécifiques que les Françaises. La question de l’orientation est donc cruciale, question plus aigue encore pour les femmes que pour les hommes (elles sont sur-représentées dans les filières sans débouchés). Proposer un service public de l’orientation, c’est permettre à l’Etat de jouer un rôle moteur, pour l’emploi en général, mais par conséquent pour l’emploi des femmes particulièrement.
L’emploi des femmes, c’est une question de justice, tout bonnement. Et c’est une condition essentielle de l’autonomie, enjeu de gauche s’il en est.
Le bon sens nous indique également qu’on ne peut pas résoudre d’un même coup le chômage, le niveau des retraites, et leur financement. A court terme, Royal rappelle que repousser l’âge de la retraite pose problème parce qu’en France le chômage des plus de 50 ans est déjà le plus élevé d’Europe. A moyen terme, moins de chômage c’est à la fois plus de cotisations et plus de retraites à taux plein. Ca ne veut pas dire qu’il ne faut pas poser la question des régimes spéciaux, mais c’est une approche rationnelle et qui se tient. Les femmes ont des retraites plus faibles, parce qu’elles ont souvent travaillé à temps partiel, eu des périodes sans emploi donc moins cotisé. L’emploi des femmes, c’est aussi la retraite des femmes. Dans un pays où elles vivent plus longtemps que les hommes, il est pertinent de le rappeler.