François Fillon, un catholique si peu chrétien
François Fillon le moralisateur aux costumes à 6 500 euros l'unité laissera-t-il son nom dans l'historiette politique de la Ve République comme le responsable d'un schisme politique ? L'ancien Premier ministre candidat à la présidence n'a rien d'un Saint-Martin qui partagea son manteau avec un enfant malade ni d'un Saint-François de Paul, le Coluche de son époque, ni de Saint-François d'Assise. Son comportement est plus proche de ces gens d'église qui vendaient des indulgences qui seront responsables de la religion réformée, de son expansion, et des guerres de religion entre Chrétiens.
Certains lecteurs trouveront sans doute ce billet d'humeur et cette analogie politico-religieuse audacieuse, et pourtant, ne repose-t-elle pas sur la même fibre composant les hommes pénétrés des valeurs chrétiennes : le rapport à l'argent, le mensonge, l'orgueil, le bien et le mal, etc. ? ce qui semble être aux antipodes de son éminence Saint-François Fillon qui préfère sans doute le Saint-Émilion au vin de messe, qui s'il le pouvait rétablirait le droit de haute et basse justice sur ses terres de Sablé-sur-Sarthe. Feu Karl Marx l'aurait qualifié de « petit bourgeois » de la pire espèce. Il ne suffit pas de vivre dans un château pour être un châtelain ni de vivre dans une gentilhommière pour être un gentilhomme. Fillon n'est qu'un hobereau comme il en existe hélas trop en France.
Faisons un bond dans le temps et revenons au XVIe siècle. Martin Luther (1483-1546) fut outré lors d'une visite à Rome en 1510 par la vente des indulgences divines instituées à seule fin de financer la construction de la basilique Saint-Pierre. Cette pratique censée permettre la repentance par le versement d'une somme assez substantielle encourageait le péché puisque le pécheur avait l'assurance de pouvoir acheter le pardon du Christ, alors que l'effacement était tout aussi possible par : la pénitence physique, le jeûne, le pèlerinage ou l'aumône. De retour en Allemagne, ce professeur de théologie à l'université de Wittenberg rédigea « 95 thèses » qu'il placarda le 31 octobre 1517 sur les portes de la cathédrale afin de les soumettre au débat public, ce qui lui valut une convocation à Rome, à laquelle il refusa de se rendre. Dans une des thèses, il attaquait vivement la vente : « Les indulgences dont les prédicateurs prônent à grands cris les mérites, n'en ont qu'un, celui de rapporter de l'argent. » Excommunié par le pape Léon X pour hérésie le 3 janvier 1521, il brûla la bulle papale devant ses élèves.
Les idées de Luther ne tardèrent pas grâce à l'imprimerie naissante, à se répandre à travers toute l'Europe et finirent par y entraîner un schisme. Les monarques désireux de se libérer de l'emprise de l'Église romaine dont les membres du clergé étaient perçus comme corrompus et indignes du rôle qui leur était dévolu, se rallièrent à la Réforme. En France, les idées de Jean Calvin s'y répandirent à leur tour et plusieurs Églises protestantes (huguenots) virent le jour dans le Royaume de France. Le calvinisme qui condamne le principe de la monarchie, le culte des reliques et de la superstition trouve son prolongement dans le cartésianisme réprouvé par l'Église catholique. En novembre 1533, Jean Calvin dut s'enfuir de Paris, de rejoindre la Suisse avant de revenir à Strasbourg en 1538 où il demeura jusqu'en 1541. Le monarque qui ne craignait ni le pape ni les pays voisins acquis au protestantisme demeura fidèle au catholicisme ; la remise en cause de la foi aurait entraîné aussi une remise en cause de la monarchie puisque le roi détient son pouvoir de droit divin.
Certains passèrent au calvinisme par opportunisme politique lorsque les ordres de la chevalerie perdirent de leur importance (paix de Cateau-Cambresis en 1559). Les nobles récemment convertis gagnèrent en influence en se posant comme protecteurs politiques et religieux. Le pays allait connaître huit conflits religieux entre les catholiques et les protestants, le climax fut le massacre des huguenots (calvinistes) durant la nuit de la saint-Barthélémy en 1572. Pour certains nobles, ce ne fut rien d'autre qu'une guerre de prédation ou de réappropriation. Les huguenots trouveront un défenseur en la personne de Voltaire, et Louis XVI accordera en 1787 un édit de tolérance.
S'il existe des femmes de petite vertu, on pourrait parler en l'occurrence et à propos de Fillon de l'impudence d'un homme capable de vivre des largesses d'autres paroissiens, allant jusqu'à accepter des cadeaux sans en remercier son généreux « donateur »... N'importe qui d'entre-nous sait qu'un don appelle un contre-don ou renvoi d'ascenseur... Son âpreté au gain semble si forte qu'il est allé jusqu'à récupérer une partie des salaires versés à ses enfants au titre d'assistants parlementaires..., à moins que l'on soit en présence d'un subterfuge destiné à embrouiller les enquêteurs. Détourner à son seul profit de l'argent public ou jouir de largesses indues n'a rien de respectable, c'est de l'enrichissement sans cause, c'est à dire constitutif d'un quasi délit. Mais peut-être que François « le Pieu » à la morale élastique s'est rêvé en un nouveau président new look de droit divin républicain...
Comment l'austère anglicane Pénélope Fillon née Clarke convertie au catholicisme, vit-elle la situation en son âme et conscience ? elle qui fut élève au collège Henry VIII. Ce roi qui ne put obtenir du pape Clément VIII le droit de divorcer de Catherine d'Aragon qui n'avait pu donner naissance à un héritier après vingt-quatre années d'union, rompit les liens de l'Angleterre avec l'Église romaine (1529) et se déclara défenseur de la foi anglicane. François Fillon a épousé Pénélope à Sablé-sur-Sarthe en 1980, mariage civil suivi d'une célébration religieuse deux mois tard dans l'église anglicane de Llanover au Pays de Galles. A l'époque, il était peu courant qu'un fidèle catholique pratiquant de surcroît, passé par une scolarité chez les Jésuites, épouse une protestante ; les journalistes décrivent madame Pénélope Fillon comme une femme austère, discrète, voire effacée, signes respectables et communs à de nombreux protestants.
François Fillon aurait-il été l'objet d'un « transfert » ? Chacun sait que la vie commune finit par entrainer un certain mimétisme « caméléonesque » et que l'un des conjoints finit par « déteindre » sur l'autre. Qui a le plus influencé l'autre ? François Fillon serait-il un « catholique hybride », mentalité plus qu'une véritable foi ? Demander à l'autre de se convertir est déjà un signe d'intégrisme et un trait de caractère qui ne connaît pas la tempérance. Pourquoi ne pas avoir consacré un mariage inter-confessionnel catholique/protestant, chacun de vivre sa foi dans le respect de l'autre. Il est vrai que l'on ne sort pas indemne d'une scolarité chez les Jésuites...
D'après Weber, le dogme protestant aurait engendré un nouveau type de personnalité mettant l'accent sur la « vocation » de l'homme et l'obligation d'accomplir tout ce qui est en son pouvoir afin de remplir le rôle que Dieu lui a assigné dans la vie. Cela n'est pas sans nous rappeler la ténacité de Fillon qui se comporte en tous points comme si cela ne faisait aucun doute qu'il sera élu président de la République ! Si Fillon a commis une « erreur »... il n'en éprouve aucun remords, faute avouée n'est-elle pas à moitié pardonnée ? quant aux largesses dont il a été le bénéficiaire, ne lui permettent-elles pas de briguer la magistrature suprême dans l'intérêt de la France et pour le notre ! S'il y parvenait, il éprouverait le sentiment irraisonné du devoir accompli proche de la mégalomanie... Pour le psychologue David Mc Clelland, nous sommes en présence d'un mysticisme positif. Si François le « mystique » échoue, rejoindra-t-il l'ordre des pénitents et portera-t-il le silice tout en égrenant son chapelet ?
Un homme allait marquer son siècle, Jean-Jacques Rousseau, avec Le Contrat social publié en 1762. « L'État et la société ne sont pas des phénomènes naturels mais le résultat d'une création humaine volontaire. Dans un pacte social injuste, les riches ont convaincu les pauvres de s'unir à eux pour instaurer l'ordre. » Rousseau d'opposer une obéissance qui ne soit ni soumission ni servitude, Nicolas Tavaglione de préciser que la souveraineté ne peut être confiée à des représentants, car « la déléguer reviendrait à court-circuiter l'expression de la volonté générale. »
Tous les hommes politiques sont imprégnés du livre écrit par Nicolas Machiavel en 1513, un traité sur l'art de gouverner. Le prince, selon Machiavel, devait allier « la ruse du renard à la force du lion afin d'exercer son pouvoir sans s'encombrer de moralité ». Une saine prise de conscience sera-t-elle suffisante pour engendrer un assainissement moral de la vie politique ? Tous nous avaient promis juré la main sur le cœur après avoir craché par terre, d'être irréprochables, et nous grands couillons, nous les avons crus.