François Hadji-Lazaro s’en est allé...

Triste nouvelle que le départ vers un monde meilleur de François Hadji-Lazaro, le gros gaillard multi-instrumentiste à la gouaille de titi parisien qui a sévi durant quatre décennies avec Les garçons bouchers puis Pigalle, au nom improbable comme sa dégaine de faux-skinhead patron de bar. A l'époque, c'était un rock dit alternatif, à contre-courant, qui ne passait pas ou peu à la télévision. C'était le siècle dernier, sans internet, déjà loin.
Cet article va peut-être surprendre certains habitués d'Agoravox. Car votre narrateur ne partage plus les prises de position politique de ce génial musicien, auteur aussi de textes pour enfants, d'une courte histoire des instuments de musique, producteur avec Boucheries production de quelques bons groupes ignorés par les circuits commerciaux. Pour tout vous dire, les clivages politiques m'ennuient (pour rester poli), les gens clivants aussi. Quelle bêtise, quel manque d'intelligence et d'esprit que de censurer ou ignorer un artiste pour une chanson mal placée, un texte discutable, une parole en l'air.
François Hadji-Lazaro n'était pas Dieudonné. Ancré très à gauche, celle des ouvriers et du petit peuple, il militait pour le vivre-ensemble, et ne se prononçait ni sur l'islamisme ni sur l'antisionisme. Fils de déporté, instituteur durant un temps puis musicien du métro parisien, il s'est lancé dans la chanson en autodidacte. Je l'ai rencontré une fois lors d'une fête de l'huma vers 1992 : un gars ouvert, sympa, souriant, qui ne faisait aucune distinction entre un prolo et un bourgeois. D'ailleurs, il a vécu au Pré St Gervais, à côté de Pantin (93) et il vivait comme il pensait, en scolarisant ses enfants à l'école publique. Loin des donneurs de leçons, des casseroles du show-business, des bobos de gauche.
Je me souviendrai longtemps de cette école publique (Jean Jaurès) où je remplaçais une collègue de CM1. Un élève, Pierre, était très cultivé, bavard, un peu leader de la classe. Il répondait un peu trop à mon goût, au point de lui lancer qu'il devrait s'inscrire à la chorale et se lancer dans la chanson : éclats de rire dans la salle, car je n'avais pas remarqué le nom de famille sur le registre d'appel... Et pourtant j'écoutais déjà les CD de son papa depuis quelques années. Ils étaient deux jumeaux, son frère Paul était dans l'autre classe.
C'était aussi l'époque d'un fanzine très sympa, l'écho des côtelettes, proche des lecteurs, qui faisait la promotion avec humour des groupes de boucherie production (label qui a coulé vers 2001).
Pour en revenir à son oeuvre, il s'agit de chansons inspirées autant par le punk que le folk, la variété voire le slam avant la lettre. Les Garçons bouchers ont aussi parodié le rap dans une diatribe qui passerait pour de la provocation aujourd'hui. Ainsi que le top 50 et sa fameuse Lambada. Notons que François n'a pas inventé son look, repris du groupe anglais Bad manners et son leader punk-skin Buster Bloodvessel. Il laisse derrière lui une oeuvre originale, variée, faite de bons textes corrosifs, avec d'excellents musiciens en accompagnement. Autant je n'ai pas aimé les Béruriers noirs, mauvais musiciens faux-prolos aux textes d'adolescents attardés, autant je regrette les groupes de François Hadji-Lazaro. Le leader des uns est devenu universitaire à lunettes, celui des autres est resté de qu'il a toujours été, je pense ne pas m'être trompé dans mes choix musicaux de l'époque. Ajoutons que notre gaillard fut aussi acteur de cinéma à l'occasion.
Terrassé par une septicémie sans doute liée à sa séroposivité au VIH, il est parti vers le paradis des bons musiciens, ignorés de leur vivant par les médias dominants puis vénérés ensuite. Espérons qu'il pourra y trinquer avec ses vieux camarades partis trop tôt, de cette Bière qui fut un de ses succès, loin de la salle du bar-tabac de la rue des martyrs.