jeudi 24 octobre 2013 - par Emmanuel Glais

Georges Ibrahim Abdallah : 29 ans dans les geôles... et quelques autres exemples de l’état de l’injustice en France (Yvan Colonna, Hector Loubota, Saïd Bourarach)

Après Inès Del Rio Prada, l'Espagne pourrait (devoir) libérer des dizaines de membres de l'ETA emprisonnés (et d'autres prisonniers dont un violeur au palmarès impressionnant) après que la Cour Européenne des Droits de l'Homme ait invalidé une jurisprudence qui évitait le « cumul » des remises de peine.

Et nos prisonniers politiques, nos procès foireux ? Qu'en est-il ?

Assurément, le sujet mériterait un livre. On devrait recenser toutes les personnes persécutées et inquiétées par l'Etat, depuis, disons, 1945. Le tome 2 serait pour ceux - morts ou vivants blessés - à qui la justice n'a pas été rendue. Un tome 3 ? Pour toutes ceux qui, comme aujourd'hui Denis Gautier-Sauvagnac, se sont illustrés par des faits très graves sans jamais risquer grand chose. Le gus, accusé d'avoir détourné 16,5 millions, refuse de dire où a été l'argent (voir la défense hallucinante de son avocat) et le parquet requiert seulement 250 000 euros d'amende ! Le délibéré aura lieu le 10 février prochain. 

Inutile d'évoquer les figures les plus connues de notre oligarchie bien-aimée pour qui les non-lieux se répètent... 

Évidemment, la justice des hommes ne sera jamais satisfaisante, et c'est bien pour cela, avant tout, que la peine de mort est une ignominie. Il y aura toujours des bévues judiciaires. Les juges humains ne peuvent pas prononcer des peines irréversibles. Même condamné, un homme reste toujours hypothétiquement innocent, possible victime d'un imbroglio ayant confondu ses semblables.

Mais ce qu'il faut remettre en cause, c'est ce qui ne va pas et qui saute aux yeux pour qui veut voir ! La justice, c'est clair, est aujourd'hui bien peu séparée du « pouvoir ». Reste à savoir où celui-ci se trouve. Pour répondre, on peut regarder quelques exemples de plus près.

On pourrait commencer par critiquer le principe des lois mémorielles. Cette immixtion des législateurs et des juristes dans la vérité historique qui a conduit à la condamnation de l'historien israélo-américain Bernard Lewis en 1995 pour avoir dit ce qu'il pensait d'un "génocide" (100% garanti par loi) survenu quatre-vingt ans plus tôt dans le Monde... 

Où est le pouvoir ? Du côté des lobbystes, des organisations communautaires bien organisées ? 

Dieudonné, « l'ex-humoriste » pour les médias mainstream (qui préfèrent taper sur les vrais comiques et les bons footballeurs plutôt que sur les vrais dégueulasses), Dieudonné donc (qui a d'ailleurs bêtement soutenu en 2001 la loi Taubira, mais il est revenu plus tard sur cette position), Dieudonné risque vingt jours de gnouf  !! 

S'il va au trou, "Dieudo" risque de devenir un symbole de cette France persécutée par l'alliance de la bien-pensance et des communautaristes qui demandent à faire la loi (au sens propre) au nom de la souffrance subie par leurs aïeux. 

Mais il y a bien pire, en France.

Georges Ibrahim Abdallah : pressions étrangères (contre souveraineté)

Georges Ibrahim Abdallah a été arrêté le 24 octobre 1984. Il entame donc sa trentième année en captivité. Pourtant, cela fait quatorze ans, depuis 1999, que le citoyen libanais a accompli sa peine de sureté. Il a été condamné a perpétuité par les jurés en 1987. Aujourd'hui, ce serait Valls et le Crif les responsables de cette détention exceptionnelle, pour Chloé Delaume et Daniel Schneidermann qui viennent de sortir un livre sur le sujet (elle est la nièce du prisonnier). Feu Jacques Verges, son avocat, accusait plus volontier les Etats-Unis... ll est vrai le Congrès a encore fait ce qu'il a pu cette année pour garder Georges Abdallah derrière les verrous... 

D'autres pensent que si Abdallah répudiait sa conscience en prononçant un mot à trois lettres : en disant "oui" à la question « regrettez-vous ? », il serait dehors. Au Liban, son pays, qui le soutient, et où il souhaiterait reprendre son métier d'enseignant.

Même Yves Bonnet, patron de la DST (Direction de la Sureté Nationale) au moment de son arrestation, lui reconnaît aussi le droit de se considérer comme un résistant. Et on ne renie pas d'avoir voulu résister, par définition, à l'inacceptable. Il y a trente ans, le Liban était un pays occupé... et Georges Abdallah un simple patriote doté de courage. 

"Je considère qu'il avait le droit de revendiquer les actes commis par les FARL comme des actes de résistance. Après on peut ne pas être d'accord, c'est un autre débat. Mais il faut se souvenir du contexte, aussi, des massacres de Sabra et Chatilah dont les coupables n'ont jamais été punis. Et aujourd'hui, la France garde cet homme derrière les barreaux alors qu'elle a libéré Maurice Papon ? J'aimerais rappeler aussi qu'on a remis en liberté l'assassin de Chapour Baktiar, qui lui, sur ordre de l'Iran, avait décapité l'ancien Premier ministre au couteau et lui avait coupé les mains. Ce type-là, qui a commis un crime atroce, a été libéré moins de 20 après les faits. Georges Ibrahim Abdallah, lui, est plus mal traité qu'un serial killer alors qu'il a commis des actes politiques." Yves Bonnet

L'année dernière, le Tribunal d'Application des Peines s'était déclaré favorable à la libération conditionnelle, mais pour des raisons que ma méconnaissance de l'institution judiciaire rend obscures, il ne pouvait rester en France. Pour être libéré, le ministre de l'Intérieur devait signer dans un certain délai son avis d'expulsion. Maintenant c'est trop tard, M. Abdallah devra demander une neuvième fois la libération conditionnelle. 

Yvan Colonna : raison d'Etat (contre démocratie)

Le Corse Yvan Colonna, condamné a perpétuité , a été récemment éloigné de sa famille sur la base de témoignages dans le sens d'un projet d'évasion. L'éleveur de chèvres, alors emprisonné à Arles, voulait être transféré à Borgo en Corse, plus près des siens. Il est maintenant en Seine-et-Marne. Il a un môme qu'a pas deux ans et on parle de créer un statut de beau-parent ! Que fait Dominique Bertinotti ? Qui ça ? Si si, tu sais, la ministre de la famille ! 

Taubira, l'omnipotente, est intervenue directement dans cette décision – au mépris de la séparation des pouvoirs (voir ici comment en d'autres occasions Taubira piétine allègrement la Constitution) pour appuyer le transfert de Colonna en région parisienne. Le Corse a été débouté de son recours au tribunal administratif le 27 septembre. 

Rappelons que le meurtre de l'avocat de Colonna l'an passé reste non élucidé. Rappelons aussi les liens indirects mais étranges de Sarkozy et Colonna. 

Avec le peu d'éléments dont on dispose sur l'affaire Colonna, je rejoins le commentaire suivant d'un internaute  :

"Je n'ai aucune sympathie particulière pour le berger corse. Toutefois, je demeure persuadé qu'un procès tenu devant une cour constituée de jurés populaires aurait conclu à son acquittement tant les preuves font défaut dans ce dossier. Condamné un homme à la réclusion à perpétuité sur la base d'intimes convictions alors que la présence de l'individu sur les lieux du crime n'est nullement avérée est fort critiquable. Mieux vaudrait en la circonstance voir un prétendu coupable en liberté plutôt qu'un innocent en prison."

Pourquoi interdire le peuple d' émettre son avis en ce qui concerne le « terrorisme » ? L'avocat Gilles Devers montre bien l'histoire de ces juridictions spéciales depuis Vichy. En 1981, les socialistes avaient éliminé la Cour de Sûreté de l'Etat, née en 1963. Le peuple n'était plus exclu d'aucun procès. Les jurés étaient tirés au sort depuis 1978. Mais dès 1982 apparaît « une Cour d’Assises composée uniquement de magistrats et siégeant à Paris [pour] les affaires touchant à la sécurité extérieure de l’Etat, notamment s’agissant de la trahison et de l’espionnage. ».

Cette innovation a été élargie en 1986 aux affaires de terrorisme de l'intérieur, après notamment les menaces de Régis Schleicher, membre d'Action Directe, contre des jurés.

On comprend d'où vient ce traitement « exceptionnel », mais on peut se demander si les jurés ne pourraient pas être protégés de l'Etat, voir leur anonymat garanti, et pouvoir refuser la charge, pour éviter cette distortion problématique du droit. En tout cas, comme le note Gilles Devers « Juger Yvan Colonna devant une Cour d’Assises, statuant en Corse, avec un jury populaire, ou à Paris par la Cour d’Assises Spéciale composée de magistrats professionnels, ce sont deux procès distincts, et sans doute, des résultats différents. ».

Et un internaute dans un commentaire de préciser qu'un jury « professionnel » ne requiert que la majorité absolue (5 sur 7) alors qu'il est demandé une majorité aux jurés populaires pour condamner un homme (8 sur 12 en Cour d'Assise)... La propension d'un jury pro a prononcer une condamnation pourrait donc être plus forte. 

Ailleurs un blogueur soulève un argument tout à fait convaincant pour ceux comme moi qui se méfient toujours avec une certaine obsession de l'Etat ou du pouvoir : « Certes, l’on dit que dans les procédures concernant les actes terroristes, les jurés pourraient être soumis à des pressions, voire des menaces qui mettraient leur vie en péril. Soit. Mais prouvez-moi que les magistrats ne subissent pas une extraordinaire pression venant du sommet de l’Etat ! Sinon, les jurés me semblent tout à fait capables d’évaluer – en leur âme et conscience - la culpabilité ou l’innocence des terroristes présumés." 

Hector : les "mécanismes inconscients" (François Ruffin) qui alimentent l'injustice

Hector Loubota est mort le 22 février 2002 dans un étrange accident du travail, mais le jugement qui devait éclaircir les responsabilités n'a eu lieu qu'en 2009 ! Hector Loubota est mort en démontant un mur par le bas (c'était la consigne)... Le mur a fini par lui tomber dessus, fatalement. Les lois de la gravité ne pardonnent pas. 

Hector Loubota, restaurait la citadelle d'Amiens dans le cadre d'un chantier d'insertion que la mairie voulait modèle. Le maire d'Amiens, Gilles de Robien, avait refusé "une proposition d'étude-diagnostic des remparts de la citadelle" proposée par "Vincent Brunelle "architecte en chef des monuments historiques"" (Hector est mort, Fakir éditions, Amiens, 2013, p.67). C'est ce qu'on lit dans le petit livre-enquête de François Ruffin publié récemment. Or, Gilles de Robien n'a jamais été inquiété (ni même interrogé avant cette année) et le sous-fifre qui a paru à sa place a été mis hors de cause... en délivrant dans un coup de théâtre le jour de procès une pièce montrant justement ce refus de De Robien à la proposition de l'architecte en chef des monuments historiques. Le sous-fifre n'était donc pas coupable. Alors le tribunal l'a relaxé.

Mais ni la municipalité ni aucun autre responsable ne sont inquiétés, pour des raisons en partie techniques... De toute façon l'enquête est restée longtemps minimale : la mairie n'ayant jamais été perquisitionné. Mais un avocat plus farouche et un peu de bruit permet au procès en appel de se prolonger indéfiniment. Comme l'enquête a été baclée, la justice ne dispose que de très peu d'éléments. Pourquoi la justice n'a t-elle pas cherché à faire la lumière ?

François Ruffin, dans l'entretion final avec le procureur d'alors (Patrick Beau) n'accuse personne en particulier. Il met en cause un "fonctionnement social, presque sociologique" aux " mécanismes inconscients (...) les plus difficiles à mettre en cause." (p.107). Une culpabilité collective qui comprend les médias locaux, qui ne se sont jamais interrogés sur un malheureux accident ayant supprimé un jeune homme qu'on voulait insérer quelque part en lui faisant démonter un mur par le bas un jour de pluie !

Ironie du sort, Gilles de Robien est désormais délégué du Gouvernement français au conseil d'administration du Bureau international du Travail. Il a finalement été entendu par la justice peu après la publication du bouquin. Mediapart raconte le dernier procès. Le procureur, consterné par les manques du dossier ; finit par demander le report du jugement en appel pour un supplément d'information. Prochaine audience le 16 janvier 2014.

Saïd Bourarach : des mécanismes tout à fait identifiables

Il y a de grandes différences avec l'affaire précédente. Mais sur un point, ce que François Ruffin et son canard Fakir ont fait pour Hector Loubota, Alain Soral et Dieudonné l'ont fait pour Saïd Bourarach. C'est-à-dire avant tout aider la famille à panser une perte aggravée par les inconséquences de la justice et des médias mainstream.

Ce n'est pas un mur qui a tué Saïd Bourarach le 30 mars 2010 à Bobigny, mais cinq ou six assassins.

La veuve, Nathalie Bourarach, a vu sa porte défoncée à son retour du Maroc où son mari avait été inhumé.

Le fait divers n'a intéressé la presse que quand il était encore chaud. Quand le temps de la justice est venu, toutes les bouches se sont closes, les rédactions, à l'unisson, ont zappé. 

Notre principale source : la veuve. Grace à la tribune  qu'elle reçut en 2012 de Dieudonné M'Bala M'Bala et Alain Soral. D'après elle, les assassins auraient passé seulement un mois et demi en prison. Son mari aurait été retrouvé avec près d'un litre de gaz dans les poumons... le gaz de sa bombe lacrymogène qui aurait été retourné contre lui, avant qu'il ne soit jeté dans le canal de l'Ourcq.

Les médias qui ne se sont pas entièrement tus, parlent d'une autopsie révélant une mort par noyade précédée de coups "non-significatifs". Mais d'après ses proches, Saïd Bourarach savait parfaitement nager. Sans avoir été sérieusement molesté par la bande de criminels, il s'en serait certainement sorti dans un canal de 5 mètres de large. Les poumons plein de gaz, c'est plus difficile de nager, je suppose...

Un mois et demi... pour des gars qui étaient connus pour leur violence et qui peuvent être soupçonnés de crime raciste d'après le déroulement de la scène dont on dispose, et d'après ce qui a filtré du profil des énergumènes.

 Un mois et demi de prison pour des assassins qui attaquent en meute...

On a trouvé un passeport israélien dans une de leurs voitures. La LDJ (Ligue de Défense Juive), autorisée en France et considérée comme une organisation terroriste aux Etats-Unis, a très vite pris ses distances avec les assassins qui auraient pu la fréquenter. 

Mécanismes inconscients ou tout à fait conscients et identifiables, pressions extérieures ou raison d'Etat, les obstacles sont nombreux à affronter avant que l'on puisse parler, un jour, qui sait, de justice en France. Mais la justice, ce me semble, est intimement liée à la démocratie. Et il faut d'abord que le peuple prenne le pouvoir avant d'espérer pouvoir faire valoir les beaux principes de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Ciroyen. Hélas, aujourd'hui cette phrase reste chez nous pour l'homme éveillé une cruelle utopie : « Tous les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». 



4 réactions


  • jaja jaja 24 octobre 2013 11:06

    J’en profite pour dire que :

    Samedi 26 Octobre 2013 

    Manifestation à Lannemezan (65) pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah . Rendez-vous à 14H devant la gare de Lannemezan.

    Jusqu’à la prison où est enfermé Georges...

    Georges Abdallah est un résistant qui s’est battu contre l’invasion israélienne du Liban en 1978. Il a combattu, notamment comme membre du Front populaire de libération de la Palestine, contre l’occupation de la Palestine.
    Il a terminé sa peine de sûreté depuis 1999. Son maintien en captivité est un choix politique de l’État français appuyé par Israël et les États-Unis. À ce sujet, la DST (service secret français) a déclaré en 2007  : «  Personnalité emblématique de la lutte anti-sioniste, la libération de Georges Abdallah constituerait sans nul doute, au Liban, un événement. Il sera probablement fêté comme un héros à son retour dans son pays, mais aussi par différentes mouvances engagées dans la lutte révolutionnaire  ».

    Rassemblement national
    Le rejet de sa huitième demande de libération conditionnelle en avril 2013, après de nombreuses manœuvres politico-judiciaires, montre bien la volonté de ne pas le libérer. Ce qui lui vaut cet acharnement, c’est de rester un militant anti-impérialiste et pro-palestinien implacable et de n’avoir jamais renié ses opinions.
    Au Liban, dans le monde arabe, mais aussi en Europe et dans le reste du monde, la lutte pour sa libération s’amplifie. Car seule une forte mobilisation populaire fera sortir Georges Abdallah de prison. Nous appelons à un rassemblement national le plus large possible le samedi 26 octobre à Lannemezan devant la prison où il est enfermé. Pour reprendre ses mots «   Ensemble, camarades, nous vaincrons et ce n’est qu’ensemble que nous vaincrons  ».

    Palestine vivra, Palestine vaincra  ! Libérez Georges Abdallah  !

    Collectif pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah
    http://www.npa2009.org/node/39236


  • Kern Kern 24 octobre 2013 12:44
    J’ai la solusse 

    Il faut faire signer une pétition


    A déposer chez Mme Taubira sans faute : elle y souscrira : les prisons sont pleines





  • Coeur de la Beauce Fabien Marcel Bonaparte 24 octobre 2013 22:50

    Il a tué et pratiqué le terrorisme ; la seule sentence juste à son encontre était la peine du mort : le coran le proclame.


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