samedi 18 janvier 2020 - par VICTOR Ayoli

Grandes voix. Régis Debray sur LA DÉFENSE EUROPÉENNE

LA DÉFENSE EUROPÉENNE. Un entreprenant mais très inexpérimenté Président français (2018) a relancé l’idée, on ne peut plus louable, d’une Armée européenne, en rajoutant un sigle, l’IEI (l’Initiative européenne d’intervention) aux nombreux précédents.

C’est la coutume maison, la preuve managériale du sérieux. Quiconque, suite à la CED (1952), ouvre le dossier PESD (Politique européenne de sécurité et de défense) plonge dans une forêt de sigles ininterrompus (dont seule une trentaine de spécialistes, en France, connaissent la signification) : UEO, HTVP, COPS, GTVE, PSDC, EUFOR. Peu importe si les initiales restent sans contenu, comme les Conventions, sans effet (ainsi de la CSP, ou Coopération structurée permanente, prévue en 2007 par le Traité de Lisbonne). Ce qui compte, c’est le quick de l’abréviation, version techno de l’art oratoire, le parler cash sonnant efficace. On retrouve ici, à la bonne heure, le dédoublement banquet/banquier, prédication/exécution. Le votif d’un côté, source d’espoir, le factuel de l’autre, source d’embarras (le réel, c’est ce qui résiste).

La Belgique venait d’acquérir le F-35 de Lockheed-Martins, en 35 exemplaires, pour équiper son armée de l’air (et non l’Eurofighter ou le Rafale de Dassault, made in Europe), avion de chasse dont les informations en vol remontent en temps réel au fabricant américain, donc au Pentagone, choix qui avait également été celui des Royaume-Uni, Italie, Pays-Bas, Danemark, et serait bientôt celui de la Grèce, Roumanie, Pologne, Finlande, quand il ne fut plus bruit, dans les médias et les hémicycles, que d’une Défense souveraine. L’incantation n’a pas fait mention du coup de Jarnac flamand, sans commentaires en haut lieu. Un expert en armement, laconique, conclut : « Tous les Européens voleront en 2045 sur des avions américains. Le reste, c’est de la philosophie. » Le nom noble du bla-bla en langue militaire.

Mutualiser des services d’intendance ou de logistique reste toujours possible, mais s’il s’agit d’une force opérationnelle, une flopée de questions toutes bêtes vient à l’esprit du pékin. Quelle nationalité, le haut Commandement ? Quelle langue parlera-t-on au mess des officiers entre un Letton, un Espagnol, un Français, un Allemand… ? Et les ordres transmis aux différents échelons, en volapük intégré ? L’esprit de corps laisserait à désirer. Combien de doigts sur le bouton nucléaire ? Quel sanctuaire sera couvert par la dissuasion existante, à quelle ligne rouge franchie se déclencherait « l’ultime avertissement » avant le feu nucléaire ? Mais surtout, comment s’accorder sur une stratégie, un ciblage commun, une même évaluation des menaces, ou, en d’autres termes, comment s’opérera la fusion des intérêts nationaux, des antagonismes historiques, des situations géographiques ? Que faire, pour un déploiement rapide, voire une réaction en quelques minutes, de la règle de l’unanimité requise – notamment en Allemagne, où le statut de protectorat garantit la morale pacifiste, et où l’armée est contrôlée par le Bundestag. Combien de jours l’indispensable concertation, quelle durée la délibération préalable ? Exigera-t-on d’un soldat polonais d’exposer sa vie au Mali, ou d’un Français de se battre à mort en Lettonie ? Mourir pour l’Europe quand mourir pour sa patrie n’est déjà pas une idée très courante ?

Les professionnels ont beau jeu de répondre que l’armée européenne existe déjà, qu’elle s’appelle l’OTAN et que l’interopérable est made in USA. Il s’agit donc en fait de partager le fardeau, non la décision bien sûr, vu que Washington, et on peut le comprendre, trouve injuste de payer 70 % des frais de l’Organisation, et ne voit pas pourquoi 28 pays prospères pourraient se la couler douce avec un budget cumulé de 200 milliards d’euros, quand le sien est de 700 milliards. Le deuxième pilier de l’OTAN, évidemment, nos atlantistes le recherchent depuis un demi-siècle, mais pourquoi une Armée sécessionniste, quand presque tous les systèmes d’armes, d’alerte, de détection et de communication déjà en usage proviennent d’outre-Atlantique ? Le Boss a pu faire cracher au pot, en 2003, la « nouvelle Europe » pour subvenir aux frais d’occupation de l’Irak, mais peut-on envisager que la même accepte de payer pour les interventions de la France en Afrique ? Tout indique qu’il n’est pas dans ses vues de lâcher la proie pour l’ombre – un système établi et fort, pour un autre incertain et faible, risquant, précise-t-on, de saborder la première.

Penser la guerre sur le modèle économique, c’est concevoir l’Armée comme un outil (de défense), quand il s’agit d’une Institution, dont les valeurs ne sont pas celle d’une entreprise (qui peut, contrairement à un pays, disparaître et se remplacer). Un soldat n’est pas un ouvrier spécialisé. Ce qu’une culture du résultat peut demander à des Préfets – « j’attends de vous que vous soyez des entrepreneurs de l’État » –, elle ne peut pas le demander à des combattants qui mettent leur vie en jeu. Le manager veut de l’efficace mais en remplaçant l’illusion lyrique par l’illusion entrepreneuriale, il retombe malgré lui dans de l’inopérant. « La guerre, comme chacun sait depuis Clemenceau, est une chose trop sérieuse pour être laissée aux militaires. » Trop sérieuse aussi pour être laissée à des inspecteurs des finances qui n’ont jamais tiré un coup de fusil. Le fonctionnel, en ces matières comme en d’autres, pour devenir opérationnel, doit inclure l’existentiel. On ne doute pas que notre présent président soit averti de ce porte à faux, envisager les problèmes de l’extérieur, sous l’angle utilitaire, quand la guerre, pour les humains qui doivent la faire, est toujours une question d’expérience, de motivation et de conviction, mais il n’est pas sûr que le public auquel il s’adresse, déshabitué de ces choses, en soit toujours conscient.

défense europeenne jouets us.jpg

 

Régis Debray - Tracts (N°1) - L'Europe fantôme.

 

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8 réactions


  • JP94 18 janvier 2020 16:03

    Louable, une armée d’impérialistes sous la houlette des Américains.

    TCE de 2005, c’était gravé dans le marbre : « les Etats membres s’engagent à augmenter leur potentiel militaire ... » et cette « défense » « européenne » n’a jamais été conçue que comme inféodée aux Etats-Unis.

    Vous avez déjà entendu parler des 116 bases US en Italie, dont une partie secrète ( sans que les Italiens n’y aient accès. Ensuite, il y a des ogives nucléaires US en Italie ... mais pas aux mains des Italiens, aux mains des Américains, mais adaptables aux avions italiens...

    Une Europe qui met le monde à feu et à sang... contrairement à la belle image d’Epinal inséminée aux élèves ... une Europe où la France devrait céder le bouton rouge à l’Allemagne, du jamais vu : une puissance étrangère occupée d’ailleurs par les Etats-Unis qui ait le droit de déclencher votre arme atomique...Il est vrai que comme ils ne occupent pas officiellement, autant passer par leur succursale de l’UE, l’Allemagne. 

    Gehlen ne travaillait pas que pour les Américains, il a travaillé d’abord pour les nazis, où il dirigeait déjà les opérations...

    Bref, cette armée européenne dans une Europe qui réécrit l’Histoire, vu que la vraie n’est pas très honorable, vous la trouvez louable, à l’heure où les fachos y prennent de plus en plus le pouvoir.

    Seriez-vous Münichois ? 


  • velosolex velosolex 18 janvier 2020 16:44

    Je met en copié collé cet écrit, venant de John Le Carré, préfaçant « le tailleur de Panama » datant de 2001, et étrangement prophétique sur la réalité du monde actuel, qui n’est qu’une extension caricaturale de celui d’hier, celui de Bush qu’il critiquait, et de la nécessité de créer un leadership en Europe face aux américains, qui demain, n’hésiteront pas à nous sacrifier. Nous sommes en 36...
    « Je juge l’Amérique inapte à gouverner le monde de l’après guerre froide, et plus tôt l’Europe et l’Angleterre s’en apercevront et mieux ce sera. ….Bush n’est pas plus capable de gouverner l’Amérique que de conduire une trottinette. Le nouveau pragmatisme américain, autrement dit la ploutocratie de la grande industrie, se résume en un seul principe : L’Amérique fera passer l’Amérique avant tout. Au moment où j’écris, le protocole de Kyoto, visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, ont été mis en pièces pour satisfaire le lobby pétrolier, qui infiltre la maisons blanche grâce à Bush et à Baker. L’Amérique a déjà dit qu’elle se dégageait des traités déjà signés jadis sur la non prolifération des armes nucléaires. Ce pays n’a plus d’alliés. Elle ne les mérite pas et ne les veut pas…..Mais un mal terrible ronge ce pays, c’est la conviction, pourtant partagée par beaucoup d’américains cultivés, que si l’Amérique est sauveur du monde, c’est que dieu lui a confié cette mission, idée responsable des pires excès de l’empire britannique et de ceux qui l’ont précédé. L’une des pires ironies de la vieillesse est que l’on met à se passer le même film en boucle, avec la même bande de docteurs Folamour ricanant derrière leur masque de bonne santé mentale. »
    Vingt ans plus tard, le décor est sinistrement exact, encore plus caricaturé, clivé, avec Trump, Bolsonaro et Bejo.... C’est le moment choisi par les abrutis pour voler de leur propres ailes et de remonter le drapeau mité de la vieille Angleterre « rule over the sea… ». 


  • troletbuse troletbuse 18 janvier 2020 17:16

    Micron a voulu essayer la tenue qu’il ne voulait pas mettre dans sa jeunesse en évitant le service militaire. Mais il s’estt trompé de tenue, il aurait du enfiler une tenue de PFAT.

    http://french.presstv.com/Detail/2020/01/17/616418/Macron-partil-en-guerre


  • Arnes Arnes 20 janvier 2020 08:46

    « Quelle langue parlera-t-on au mess des officiers entre un Letton, un Espagnol, un Français, un Allemand »


    La Suisse parle 4 langues officielles (plus l’anglais) et possède néanmoins le meilleur système de défense en Europe : mobilisation immédiate des citoyens soldats ayant à la maison arme et munition, portions d’autoroute rapidement transformées en piste d’aviation,...

    Mais c’est un système de DEFENSE, pas d’attaque ; lorsqu’on parle de défense européenne, il faut d’abord et avant tout en définir l’objet : est ce seulement se protéger d’attaques extérieures ou se permet t on aussi d’intervenir dans d’autres pays:ex : Afghanistan, Libye et maintenant le Sahel avec les « succès » obtenus : morts inutiles et situation pire que celle avant l’intervention avec une détestation durable.




    • lloreen 20 janvier 2020 09:37

      @Arnes
      « Quelle langue parlera-t-on au mess des officiers entre un Letton, un Espagnol, un Français, un Allemand »

      Inutile de parler au futur...On parle déjà partout l’anglais, la langue de l’empire britannique, celle utilisée pour les échanges commerciaux puisque le commerce est régi par les lois de l’amirauté britannique.
      C’est pourtant visible comme le nez au milieu de la figure.

      Quant au rôle de l’armée il est effectivement défensif. Cependant, vous semblez ignorer que le monde est en guerre commerciale continue depuis la création de la compagnie des Indes autrement dit l’Empire britannique dont les propriétaires des banques, des journaux et des industries financent leurs « armée » qui n’en est pas une au sens propre du terme, ce qui est tout aussi visible dans les faits puisqu’il suffit de voir la colonisation latente du monde par les grands actionnaires au moyen de leurs troupes recrutées un peu partout dans le monde.
      https://resistance71.wordpress.com/tag/blackwater-academi-armee-mercenaire-empire/


  • lloreen 20 janvier 2020 09:21

    « mourir pour sa patrie n’est déjà pas une idée très courante ».

    Michel Corday dans son ouvrage Les hauts fourneaux écrivait :« 

     » On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels. Ces maîtres de l’heure possédaient les trois choses nécessaires aux grandes entreprises modernes : des usines, des banques, des journaux.

    « 

    Son livre date de 1922 et a gardé toute son actualité...Les maîtres de 1922 ont eu des héritiers et ceux-ci sont aux commandes et en marche vers le mondialisme.

    Leur but est d’éclater les nations et d’entretenir un mercenariat qui défendra leur tyrannie jusqu’à l’extinction du moindre opposant.

    La France est l’exemple actuel de l’abomination future où pourtant, le peuple est encore dans la rue et le »maître des lieux" sourd comme un pot à sa demande avec pour mission de supprimer tous les droits fondamentaux et tous les acquis sociaux gagnés par de longues luttes par les anciens.

    L’UE n’étant ni une nation ni une fédération mais un ensemble de corporations, le choix du mot armée est une tromperie dans la mesure où une armée est constituée pour défendre une nation des ingérences et des attaques de l’extérieur.

    Dans le cas précis il s’agit non pas d’une armée mais de troupes para-militaires et de mercenaires, chargées de défendre la tyrannie d’oligarques cooptés et autoproclamés, les futurs dictateurs dont Macron est déjà une amorce où le peuple aura perdu tous ses droits et sera ravalé au rang d’esclave.

    Macron s’est déjà imposé par la fraude aux élections de 2017, illégales dans la mesure où le coup d’état du 5 décembre 2016 a mis fin à la séparation des pouvoirs, abolissant de ce fait la constitution selon les termes de l’article 16 de la DDHC de 1789 et que sans constitution, il ne peut y avoir d’élections.

    Macron est donc un usurpateur entouré d’imposteurs et la fraude des élections présidentielles aura été pour lui la première marche sur laquelle il s’appuie pour continuer dans la fraude...

    https://www.youtube.com/watch?v=xGW48as_WIk&feature=youtu.be

    N’étant d’ailleurs pas légitime dans sa fonction, Macron n’est d’ailleurs pas le chef des armées et non seulement il fait appel à des mercenaires étrangers (Eurogendfor) ayant commis les exactions et les agressions envers le peuple français que tout le monde a pu voir sur les vidéos circulant sur internet mais en plus, il continue sans sourciller à nuire en toute impunité aux intérêts des français.


  • Ecureuil66 20 janvier 2020 16:31

    l’OTAN était censée faire contre poids au PACTE DE VARSOVIE....ce dernier ayant disparu avec la fin de l’ URSS je ne vois pas pourquoi l’OTAN existe encore ...la guerre est une saleté , que ceux qui la décident aillent la faire eux-mêmes

    Nos dirigeants n’ont semble-t-il toujours pas tiré les leçons des guerres d’Indochine et d’Algérie et sont en train de nous enliser au Mali....c’est donc bien que certains lobbies (les marchands de canon par exemple...) mais bien d’autres encore en tirent profit...en tant qu’ancien soldat ( qui a réfléchi depuis ! quel crime !).j’adhère tout à fait à ces deux définitions : 

    la guerre est faite par des gens qui ne se connaissent pas pour le compte de gens qui eux se connaissent mais ne se battent pas

    on croit mourir pour la patrie , on meurt pour des industriels


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