lundi 3 janvier 2022 - par Daniel Salvatore Schiffer

Grichka Bogdanoff, mon frère d’âme par une nuit étoilée de décembre

GRICHKA BOGDANOF,

MON FRERE D'ÂME PAR UNE NUIT ETOILE DE DECEMBRE

© Nadine Dewit {JPEG}

Il aimait les étoiles. Il était lui-même un astre. La lumière brillait toujours, irradiante, précieuse comme une gemme, dans ses yeux restés toujours ouverts, loin de toute banalité comme de toute médiocrité, sur l’ineffable mais puissant, inépuisable mais fécond imaginaire de l’enfance : une innocence en quête de rêve, d’au-delà, d’infini, d’absolu, d’immensité et de beauté, d’autres dimensions, y compris métaphysiques. Il me disait d’ailleurs toujours, ce prince d’un autre temps, ce seigneur d’un autre espace, cet incomparable enchanteur du réel, que c’est là, dans la profondeur illuminée de cet arrière-monde, à la surface de ces planètes lointaines, que se dessinait, sous son regard émerveillé, ce qu’il appelait le « visage de Dieu ». Une intarissable soif de connaissance était, de fait, son impérieux viatique existentiel !

SOUS L’ETOILE DE RAPHAËL : LA GRÂCE DE L’ART

J’ai du mal à croire que jamais plus je n’entendrai son harmonieuse voix, toujours aimable, bienveillante et chaleureuse. Il m’est difficile de penser, en mon indicible peine, que jamais plus il ne me gratifiera, comme lorsque nous discutions en de longues mais passionnantes réflexions philosophiques, de son amicale et généreuse présence. La dernière fois que je l’ai vu, il n’y a guère si longtemps, chez lui, dans le modeste mais charmant hôtel particulier, au centre de Paris, de son frère Igor, c’était encore pour parler, du reste, de l’une de nos figures de prédilection en matière d’art, d’histoire, d’humanisme et de civilisation : le peintre Raphaël, l’un des trois grands génies (aux côtés de Léonard de Vinci et de Michel-Ange) de la Renaissance, auquel j’ai consacré l’année dernière, en 2020, pour commémorer dignement les 500 ans de sa mort, un livre, « Gratia Mundi – Raphaël, la Grâce de l’Art » (Editions Erick Bonnier), mais que, surtout, Grichka lui-même, secondé en cela par Igor, son inséparable frère jumeau, enrichit gratuitement, sans jamais demander à être rémunéré pour cet important travail, d’un magnifique, subtil et émouvant avant-propos, sorte de testament spirituel avant la lettre, puisqu’il eut l’extrême bonté, encore, d’accepter que l’authentique et somptueuse tapisserie, œuvre inestimable de ce même Raphaël, qu’il possédait, à titre d’héritage de sa grand-mère châtelaine, serve à illustrer la couverture de mon ouvrage précisément.

Gratia Mundi – Raphaël, la Grâce de l'Art

Nous avions d’ailleurs aussi, à ce propos, le projet d’écrire ensemble, avec Igor, un livre portant sur une double mais majeure thématique : ce qu’il appelait le « métaréalisme » et ce que je qualifie, quant à moi, dans le sillage de l’un de mes essais précédents, de « métaesthétique » !

UN IDEALISTE PLATONICIEN

Oui : mon frère d’âme, Grichka Bogdanoff, âge de 72 ans (mais avait-il réellement un âge, lui qui, fervent amant des deux infinis pascaliens, transcendait toute limite spatio-temporelle) s’en est allé rejoindre pour toujours, emporté par la maladie en ce fatal jour du 28 décembre 2021, béni par l’extrême-onction d’un prêtre accouru sur les lieux de son ultime soupir, cet immatériel ciel des étoiles éternelles qui plaisait tant à son cœur épris d’idéalisme platonicien.

C’est dire si ma peine, aujourd’hui, en cette aube triste où j’écris ces lignes, est immense, infinie comme cet infini, justement, qu’il aimait tant, en ses heures éperdues, contempler. Les mots me manquent pour dire mon chagrin ! J’aimais Grichka, profondément. J’avais pour lui une affection, doublée de tendresse, toute particulière : celle que l’on éprouve, venant du fin fond de son cœur comme du tréfonds de son âme, pour un frère, plus encore qu’un ami !

ARISTOCRATE DANS L’ESPRIT PLUS QUE PAR NAISSANCE

Grichka, outre son raffinement naturel, tant dans la gestuelle de son attitude que dans la richesse de sa personne, était, en effet, un être exquis, d’une prodigieuse intelligence et vaste culture : son élégance intérieure, qualité que seuls de rares esprits possèdent réellement, valait beaucoup mieux, dans sa véritable substance humaine et pour qui eut le privilège de le connaître en profondeur, par-delà de trompeuses apparences ou dérisoires faux-semblants, que ce que certains médias, que je ne nommerais pas ici tant par charité chrétienne que par respect de sa mémoire, ont pu donner trop souvent, et futilement, à voir.

Car, oui, Grichka, animé par une infatigable quête de savoir, était, par-delà même son affable simplicité, d’une rare noblesse d’âme, infailliblement parée d’une admirable honnêteté intellectuelle et intégrité morale tout à la fois : un vrai aristocrate, plus encore par son esprit que par sa naissance, d’ascendance princière russe (par son père) et austro-hongroise (par sa mère).

Mais, au fond, que dire donc, encore, pour lui rendre justice, et le restituer, ainsi, à son authentique grandeur ? Le réveil est dur, en ce matin où, vers 7 heures, son imminente mort me fut, à moi qui le veilla en pensée et prière tout au long de cette tragique nuit, annoncée ! Paix à ton âme, mon cher, mon très cher Grichka ! Aujourd’hui, je te pleure comme j’ai rarement pleuré, et mes larmes ont la douce et pourtant cruelle saveur d’un adieu – que je ne voudrais toutefois pas définitif – fraternel !

TEMPS X : VOYAGE VERS D’AUTRES CIEUX, D’AUTRES GALAXIES

A toi donc, mon beau et illustre frère d’âme, je dédie ces mots certes douloureux mais néanmoins sublimes, particulièrement de circonstance, d’Alfred de Musset, romantique parmi les Romantiques, extraits de sa poétique Nuit de Décembre… ce même mois de décembre où, toi aussi habillé souvent de noir, tu es parti, intact dans ton intangible mystère, vers d’autres cieux, d’autres univers et d’autres galaxies (semblables, peut-être, à celles et à ceux de ce mythique « Temps X » qui firent jadis tant rêver et voyager, lors de tes mémorables émissions télévisées en costume de cosmonaute, d’entières générations d’adolescents et même de moins jeunes), me laissant ainsi, désarmé, à mon deuil autant qu’à ma silencieuse solitude :

« Du temps où j’étais écolier,

 Je restais un soir à veiller

 Dans notre salle solitaire.

 Devant ma table vint s’asseoir

 Un pauvre enfant vêtu de noir,

 Qui me ressemblait comme un frère.

 

 Son visage était triste et beau :

 A la lueur de mon flambeau,

 Dans mon livre ouvert il vint lire.

 Il pencha son front sur sa main,

 Et resta jusqu’au lendemain,

 Pensif, avec un doux sourire.

 

 (…)

 

 Je m’en suis si bien souvenu,

 Que je l’ai toujours reconnu

 A tous les instants de ma vie.

 C’est une étrange vision,

 Et cependant, ange ou démon,

 J’ai vu partout cette ombre amie.

 

 (…)

 

 Partout où j’ai voulu dormir,

 Partout où j’ai voulu mourir,

 Partout où j’ai touché la terre,

 Sur ma route est venu s’asseoir

 Un malheureux vêtu de noir,

 Qui me ressemblait comme un frère.

 

 (…)

 

 Ce soir encore je t’ai vu m’apparaître.

 C’était par une triste nuit.

 L’aile des vents battait à ma fenêtre ;

 J’étais seul, courbé sur mon lit.

 J’y regardais une place chérie,

 Tiède encor d’un baiser brûlant ;

 Et je songeais comme la femme oublie,

 Et je sentais un lambeau de ma vie

 Qui se déchirait lentement.

 

 (…)

 

 Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse,

 Pèlerin que rien n’a lassé ?

 Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse

 Assis dans l’ombre où j’ai passé.

 Qui donc es-tu, visiteur solitaire,

 Hôte assidu de mes douleurs ?

 Qu’as-tu donc fait pour me suivre sur terre ?

 Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère,

 Qui n’apparais qu’au jour des pleurs ? »

 

FRATERNITE SIDERALE, AFFINITES ELECTIVES ET SINGULARITE

Adieu donc, cher, très cher Grichka, mon frère d’âme : puisses-tu reposer, au firmament de cet éternel ciel que tu as tant cherché, dans l’étincelante paix de ta divine étoile ! Je t’aimais, de cette « fraternité sidérale » dont parla si bien notre immortel Nietzsche et dont Goethe en personne fit, dans sa glorieuse quoiqu’humble sagesse, le plus haut et immémorial degré de ses « affinités électives ».

 

Ta remarquable singularité, nimbée d’une indéfectible distinction, très personnelle incarnation de ce dandysme qui m’est si cher et si proche à la fois, me manquera assurément !

 

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

 

*Philosophe, écrivain, auteur, notamment de « Divin Vinci – Léonard de Vinci, l’Ange incarné », « Gratia Mundi – Raphaël, la Grâce de l’Art » (avant-propos d’Igor et Grichka Bogdanoff), « La constellation Dante – Le chant du Sublime » (enrichi d’illustrations de Gustave Doré), publiés tous trois aux Editions Erick Bonnier (Paris).



19 réactions


  • Lynwec 3 janvier 2022 10:03

    Article dans lequel l’auteur semble découvrir que la mort est un épisode de la vie.

    Il n’est pas dans ma philosophie personnelle d’établir une hiérarchie de valeur entre les disparus, même si on peut avoir son propre jugement sur ce qu’ils ont pu apporter en existant. Un mort est un mort, de même qu’un vivant est un vivant, ni plus, ni moins.

    La démarche visant à établir des hiérarchies est bien souvent le signe d’une recherche de pouvoir personnel.


  • ZenZoe ZenZoe 3 janvier 2022 10:40

    Les mots me manquent pour dire mon chagrin !

    Je n’ose imaginer la longueur de l’article si les mots ne vous avaient pas manqué ! smiley

    Allez, perdre un ami est bien triste, mes plus sincères condoléances et bonne année, on n’est pas des brutes ici quand même !


    • Fergus Fergus 3 janvier 2022 14:05

      Bonjour, ZenZoe

      « Je n’ose imaginer la longueur de l’article si les mots ne vous avaient pas manqué ! » 
       smiley

      On n’est pas que des brutes ici ! smiley


    • velosolex velosolex 3 janvier 2022 21:41

      @ZenZoe
      Ce ne sont pas les mots qui ont manqué, mais simplement deux vaccins contre le covid. 
      Un peu con quand on se fait disciples de la science, de se perdre dans un trou noir. 
      Deux vaccins. L’un pour l’un, l’autre pour l’autre. 
      Rien que pour rester sur terre.
      Les étoiles auraient pu attendre. 
      « Je dirais même plus, ! » comme disait Dupont T


  • zygzornifle zygzornifle 3 janvier 2022 15:13

    Il va enfin pouvoir prendre des cours auprès d’Einstein et de Hawking ....


  • amiaplacidus amiaplacidus 3 janvier 2022 19:16

    Igor vient de décéder à son tour.

    Les Bogdanoff n’étaient pas vraiment ma tasse de thé.

    Mais je suis humain et je pense que le décès d’Igor est une bonne chose pour lui. Imaginez qu’il s’en tire et qu’à son réveil il apprenne la mort de son frère. Pour des jumeaux, ce doit être terrible.


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 3 janvier 2022 20:10

      @amiaplacidus
       
       ’’Pour des jumeaux, ce doit être terrible.’’
       
      Il faut demander à Jaroslaw Kaczynski, qui a perdu son frère Lech dans un curieux accident.
       
      « Pour ce qui concerne les affaires de H1N1, et plus généralement de pandémies et vaccins, je voudrais dire que dans l’avenir, il ne faudra jamais oublier que l’équipe dirigeante polonaise dans son ensemble, celle qui a péri dans ce stupide accident d’avion, savait probablement sur ce sujet, plus de choses qu’on en a dit. » (notes prises à l’époque)


    • Lynwec 3 janvier 2022 21:10

      @Francis, agnotologue
      Les gens qui savent,donc dérangent,ont une fâcheuse tendance à avoir des accidents étranges ou des tendances suicidaires spontanées et incompréhensibles, le poids de la connaissance, probablement...


    • velosolex velosolex 3 janvier 2022 21:48

      @Lynwec

      « Les jumeaux, âgés de plus de 70 ans, n’étaient pas vaccinés contre le Covid-19. Igor est décédé lundi 3 janvier, six jours après son frère Grichka. »Le point"

      Rien d’incompréhensible, cependant. La science fournit toujours des explications. 


    • troletbuse troletbuse 3 janvier 2022 22:50

      @amiaplacidus

      Conclusion ; ils se sont fait vaxxinés tous les deux.


    • velosolex velosolex 3 janvier 2022 23:17

      @troletbuse
      Ils ont passé l’année. C’est bien pour les droits d’auteur, des ayant droits.
      70 ans après la mort, le premier jour commençant le premier janvier de l’année d’après. 


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 4 janvier 2022 07:50

      @velosolex
       
       Les jumeaux, âgés de plus de 70 ans, n’étaient pas vaccinés récemment contre le Covid-19.
       
      Nuance.


    • velosolex velosolex 4 janvier 2022 08:48

      @Francis, agnotologue
      « Mais pourquoi donc les frères Bogdanoff ont-ils refusé de se faire vacciner ? Une position militante revendiquée ? Une trop grande confiance dans leur système immunitaire ? Leur ami Luc Ferry, qui les connaissait bien, a avancé un début de réponse dans Le Parisien. « Grichka, comme Igor, n’était pas antivax, il était antivax pour lui-même, affirme l’ancien ministre de l’Éducation nationale, qui passait parfois des vacances avec eux. On en a encore parlé au téléphone il y a moins de trois semaines, quand tout allait bien pour eux. »
      Journal »Le point« (Covid 19 : Mais pourquoi les frères Bogdanoff ont-ils refusé de se faire vacciner »)


    • pemile pemile 4 janvier 2022 08:57

      @velosolex « Mais pourquoi donc les frères Bogdanoff ont-ils refusé de se faire vacciner ? »

      Dans leur interview du 6 décembre sur France Bleu, ils déclaraient faire confiance à Raoult quand il disait "’Écoutez, moi, je fais davantage confiance au vaccin des générations qui vont suivre, en particulier de ce qui seront basés sur les technologies qu’on connaît bien, qu’on a expérimenté à la faveur de toutes les vaccinations, de la grippe banale"


    • velosolex velosolex 4 janvier 2022 09:28

      @pemile
      Le professeur Raoult s’en lavera les mains.
      Se faisant il ne transmettra pas le virus et en fera davantage ainsi qu’en professant des conneries. 


    • velosolex velosolex 4 janvier 2022 09:32

      @velosolex
      Sinon, allez y avec vos étoiles négatives si ça vous soulage.
      Ca fera pas avancer le schmilblick pour autant, et ça musclera votre pouce préempteur.
      Et moi ça me fait l’effet d’une chatouille, 
      Les étoiles, maintenant les frangins ont en plein les yeux. A moins que ça soit un trou noir, qu’ils ont devant eux
      Mais il ne sera jamais aussi profond que celui des complotistes, atteint du « complexe Bogdanoff » ont creusé ici. 


  • zygzornifle zygzornifle 4 janvier 2022 03:29

    Il aimait les étoiles,

    mais avant tout le pognon ....


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