Haut-Karabakh : La communauté internationale, témoin aveugle du nettoyage ethnique
Les autorités du Haut-Karabakh ont annoncé le 28 septembre 2023, l'auto-dissolution des institutions de l'enclave après l’agression de l’Azerbaïdjan. L'héritage de Staline, qui a rattaché ce territoire - arménien depuis toujours - à l'Azerbaïdjan, est respecté.
Le panturquisme a gagné et il ne s'arrêtera pas là. Prochaine cible du tandem Erdogan-Aliyev, le Syunik et la jonction de la Turquie à la mer Caspienne sans entrave ; en gros, la continuité territoriale de la Thrace orientale à la Chine et la réalisation (partielle ?) du rêve d’empire du néo-sultan d’Ankara qui est derrière ces événements.
ONU, Union européenne ainsi que nombre d’États « condamnent vigoureusement » et promettent de panser les plaies…
Dans une interview accordée à RFI[1] Tigrane Yegavian, chercheur à l'Université Schiller explique les tenants et les aboutissants de cette guerre qui redistribue les cartes dans le Caucase.
Tigrane Yegavian précise l’histoire : « Le Haut-Karabakh est une région historiquement arménienne depuis toujours. C’est le berceau de la civilisation arménienne, comme l'attestent les monastères et d’autres monuments historiques. Les problèmes commencent en 1921, car nous sommes dans le contexte de la soviétisation du Caucase. Il y a trois entités - Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan - avec des frontières qui ne sont pas très bien définies. Lorsque l'Azerbaïdjan et l'Arménie proclament leur indépendance un petit peu avant, ils n’arrivent pas à délimiter la frontière. Il y avait alors un différend entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie autour des régions comme le Haut-Karabakh, la région de Syunik et le Nakhitchevan. L'Azerbaïdjan a été soviétisé avant l'Arménie et la politique de Moscou à l'époque était une politique qui visait à diviser pour régner. C'est-à-dire que le Kremlin cherchait à affaiblir les nationalismes et ainsi récompenser la Turquie. En 1921, la Turquie était un État anti-impérialiste et pas proche du bloc occidental. Ainsi, la pression turque a fait que les Russes ont donné le Karabakh et le Nakhitchevan à l'Azerbaïdjan avec les garanties de la Turquie. Sauf qu’au Nakhitchevan s’est produit un nettoyage ethnique. Les Arméniens, qui représentaient 50% de la population de cette région, sont partis. Mais dans le Haut-Karabakh, où les Arméniens représentaient 94% de la population totale, ils n’ont jamais accepté ce rattachement à l’Azerbaïdjan et ne l’ont jamais reconnu. En 1923, le Haut-Karabakh est devenu une région autonome dans le cadre de l’Azerbaïdjan. »
Durant la période soviétique le problème était plus ou moins en veille. Cependant, à la chute de cette dernière le conflit éclate. En 1994, éclate une guerre de haute intensité remportée par les Arméniens du Haut-Karabakh. Yegavian poursuit : « L'armée arménienne ne participe pas directement au conflit. L'Arménie ne déclare pas la guerre directement à l'Azerbaïdjan, mais bien sûr, entre-temps, Erevan soutient les Arméniens du Karabakh et on arrive à une situation dans laquelle les Arméniens du Karabakh ont récupéré 80% de l'enclave, mais aussi toute une zone tampon qui entoure cette enclave et qui va se solder par la mise en fuite de 800 000 réfugiés azéris. C'est énorme. Toutes les villes azerbaïdjanaises qui étaient autour sont systématiquement détruites. Un profond traumatisme dans la société azerbaïdjanaise est créé ainsi qu'une profonde soif de revanche et de vengeance. Ce qu'il faut comprendre, c'est l'impact de cette victoire militaire qui se solde par la perte de 14% de territoire azerbaïdjanais. Les Arméniens considèrent que c'est une zone de sécurité, une zone tampon, une profondeur stratégique qui va leur permettre de négocier, en quelque sorte, la paix contre les territoires qui sont autour du Karabakh. Mais le drame, c'est qu'on est tout juste après 1994, donc le gouvernement arménien qui est présidé par Levon Ter-Petrossian, plutôt proche [du président russe de l’époque] Boris Eltsine. Levon Ter-Petrossian est un pragmatique, il considère qu'il est impératif de négocier une paix juste sur la base de concessions mutuelles : on rend tous les territoires, on fait un référendum pour l'autodétermination. Il était persuadé que le statu quo n'était pas tenable et que les Azéris pourraient renverser le rapport de force. Il n’avait pas tort, mais il a été renversé en 1998 par sa garde rapprochée qui était composée en totalité par des gens du Karabakh. Ces derniers étaient des partisans d'une solution « maximaliste ». C'est-à-dire, qu’aux yeux des dirigeants du Karabakh, il n’y avait pas de paix sans leur condition, à savoir la reconnaissance pleine et entière de l'indépendance du Karabakh ou de son rattachement à l'Arménie sans concessions. Cette stratégie, ils l’ont payée très cher : Levon Ter-Petrossian est remplacé par Robert Kotcharian, son Premier ministre, précédemment président du Karabakh. C’est un nationaliste pro-russe qui pensait que tant que l'Arménie serait l'allié de la Russie, cela serait une forme d’assurance-vie, parce que la Russie avait besoin de l’Arménie à l'époque comme seul allié fiable dans la région du Caucase. Le problème, c'est que progressivement, l'Azerbaïdjan est monté en puissance : à partir de 2002, le gazoduc Bakou (en Azerbaïdjan)-Tbilissi (en Géorgie)-Ceyhan (en Turquie) est mis en activité. L'Azerbaïdjan commence à voir son PIB grandir et surtout ses dépenses en armement. Tout au long des années 2000 et 2010, on voit une diplomatie azerbaïdjanaise extrêmement proactive, multilatérale et faisant des alliances avec l'Asie, Israël, l'Angleterre et même avec la Russie. Pendant ce temps, les Arméniens vont confier leur sécurité uniquement à la Russie. Ils vont rater ce qu'ont réussi à faire les Azéris : avoir des alliances avec toutes les grandes puissances, même si elles sont antagonistes (Pakistan et Israël, par exemple). Les Arméniens restent dans l’illusion que les Russes sont là pour toujours. »
Enfin, de 2020 à 2023, l’Azerbaïdjan a mené une guerre hybride contre les Arméniens. Et Yegavian de préciser : « L'Azerbaïdjan a trois objectifs : premièrement, anéantir le Karabakh arménien, ce qui est maintenant réalisé grâce au nettoyage ethnique qui est en cours. Puis le second objectif : mettre en place un corridor extraterritorial dans le sud de l’Arménie qui donne une continuité territoriale avec la Turquie. Ce corridor est important pour les Turcs parce que c'est par cet endroit que vont passer les tuyaux du futur gazoduc. Ils souhaitent l’avoir de gré ou de force. Et le troisième objectif, c’est un accord de paix avec l'Arménie, mais qui est plutôt un accord de capitulation sur la base de nouvelles concessions territoriales. »
En ce début d’octobre 2023 plus de 100 000 Arméniens du Haut-Karabakh ont quitté leurs foyers et leur terre ancestrale sous les regards indifférents de la « communauté internationale ».
Quand des protestations et « condamnations » sont venues, elles étaient de pure forme. Comme l’ONU, ce schmilblick qui n’est là que pour justifier les agissements des puissants, projette d’envoyer une mission humanitaire au Haut-Karabakh prochainement : l’affaire est terminée, que fera la mission humanitaire après le nettoyage ethnique en règle appliqué par l’Azerbaïdjan contre les habitants du Karabakh ? Aliyev et son sultan de maître le « grand-turc » se frottent les mains et projettent déjà la suite : la jonction du Nakhitchevan au reste de l’Azerbaïdjan et la création d’un espace turc jusqu’à la mer Caspienne.
Comme l’Union européenne qui continue à condamner « vigoureusement toute violation des droits de l’homme au Haut-Karabakh » tout en achetant le gaz azerbaïdjanais et russe auprès de Bakou, finançant par la même occasion la dictature azérie.
Comme nombre de pays qui ont annoncé des aides pour les réfugiés, un simple sparadrap…
[1] Interview accordée à Nenad Tomic, RFI, 29 septembre 2023.