lundi 2 octobre 2023 - par PETINOS

Haut-Karabakh : La communauté internationale, témoin aveugle du nettoyage ethnique

Les autorités du Haut-Karabakh ont annoncé le 28 septembre 2023, l'auto-dissolution des institutions de l'enclave après l’agression de l’Azerbaïdjan. L'héritage de Staline, qui a rattaché ce territoire - arménien depuis toujours - à l'Azerbaïdjan, est respecté.

Le panturquisme a gagné et il ne s'arrêtera pas là. Prochaine cible du tandem Erdogan-Aliyev, le Syunik et la jonction de la Turquie à la mer Caspienne sans entrave ; en gros, la continuité territoriale de la Thrace orientale à la Chine et la réalisation (partielle ?) du rêve d’empire du néo-sultan d’Ankara qui est derrière ces événements.

ONU, Union européenne ainsi que nombre d’États « condamnent vigoureusement » et promettent de panser les plaies…

Dans une interview accordée à RFI[1] Tigrane Yegavian, chercheur à l'Université Schiller explique les tenants et les aboutissants de cette guerre qui redistribue les cartes dans le Caucase.

 

  Carte : Situation actuelle dans le Caucase sud avec des troupes azerbaïdjanaises amassées aux frontières avec l'Arménie

 

 

Tigrane Yegavian précise l’histoire : « Le Haut-Karabakh est une région historiquement arménienne depuis toujours. C’est le berceau de la civilisation arménienne, comme l'attestent les monastères et d’autres monuments historiques. Les problèmes commencent en 1921, car nous sommes dans le contexte de la soviétisation du Caucase. Il y a trois entités - Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan - avec des frontières qui ne sont pas très bien définies. Lorsque l'Azerbaïdjan et l'Arménie proclament leur indépendance un petit peu avant, ils n’arrivent pas à délimiter la frontière. Il y avait alors un différend entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie autour des régions comme le Haut-Karabakh, la région de Syunik et le Nakhitchevan. L'Azerbaïdjan a été soviétisé avant l'Arménie et la politique de Moscou à l'époque était une politique qui visait à diviser pour régner. C'est-à-dire que le Kremlin cherchait à affaiblir les nationalismes et ainsi récompenser la Turquie. En 1921, la Turquie était un État anti-impérialiste et pas proche du bloc occidental. Ainsi, la pression turque a fait que les Russes ont donné le Karabakh et le Nakhitchevan à l'Azerbaïdjan avec les garanties de la Turquie. Sauf qu’au Nakhitchevan s’est produit un nettoyage ethnique. Les Arméniens, qui représentaient 50% de la population de cette région, sont partis. Mais dans le Haut-Karabakh, où les Arméniens représentaient 94% de la population totale, ils n’ont jamais accepté ce rattachement à l’Azerbaïdjan et ne l’ont jamais reconnu. En 1923, le Haut-Karabakh est devenu une région autonome dans le cadre de l’Azerbaïdjan. »

Durant la période soviétique le problème était plus ou moins en veille. Cependant, à la chute de cette dernière le conflit éclate. En 1994, éclate une guerre de haute intensité remportée par les Arméniens du Haut-Karabakh. Yegavian poursuit : « L'armée arménienne ne participe pas directement au conflit. L'Arménie ne déclare pas la guerre directement à l'Azerbaïdjan, mais bien sûr, entre-temps, Erevan soutient les Arméniens du Karabakh et on arrive à une situation dans laquelle les Arméniens du Karabakh ont récupéré 80% de l'enclave, mais aussi toute une zone tampon qui entoure cette enclave et qui va se solder par la mise en fuite de 800 000 réfugiés azéris. C'est énorme. Toutes les villes azerbaïdjanaises qui étaient autour sont systématiquement détruites. Un profond traumatisme dans la société azerbaïdjanaise est créé ainsi qu'une profonde soif de revanche et de vengeance. Ce qu'il faut comprendre, c'est l'impact de cette victoire militaire qui se solde par la perte de 14% de territoire azerbaïdjanais. Les Arméniens considèrent que c'est une zone de sécurité, une zone tampon, une profondeur stratégique qui va leur permettre de négocier, en quelque sorte, la paix contre les territoires qui sont autour du Karabakh. Mais le drame, c'est qu'on est tout juste après 1994, donc le gouvernement arménien qui est présidé par Levon Ter-Petrossian, plutôt proche [du président russe de l’époque] Boris Eltsine. Levon Ter-Petrossian est un pragmatique, il considère qu'il est impératif de négocier une paix juste sur la base de concessions mutuelles : on rend tous les territoires, on fait un référendum pour l'autodétermination. Il était persuadé que le statu quo n'était pas tenable et que les Azéris pourraient renverser le rapport de force. Il n’avait pas tort, mais il a été renversé en 1998 par sa garde rapprochée qui était composée en totalité par des gens du Karabakh. Ces derniers étaient des partisans d'une solution « maximaliste ». C'est-à-dire, qu’aux yeux des dirigeants du Karabakh, il n’y avait pas de paix sans leur condition, à savoir la reconnaissance pleine et entière de l'indépendance du Karabakh ou de son rattachement à l'Arménie sans concessions. Cette stratégie, ils l’ont payée très cher : Levon Ter-Petrossian est remplacé par Robert Kotcharian, son Premier ministre, précédemment président du Karabakh. C’est un nationaliste pro-russe qui pensait que tant que l'Arménie serait l'allié de la Russie, cela serait une forme d’assurance-vie, parce que la Russie avait besoin de l’Arménie à l'époque comme seul allié fiable dans la région du Caucase. Le problème, c'est que progressivement, l'Azerbaïdjan est monté en puissance : à partir de 2002, le gazoduc Bakou (en Azerbaïdjan)-Tbilissi (en Géorgie)-Ceyhan (en Turquie) est mis en activité. L'Azerbaïdjan commence à voir son PIB grandir et surtout ses dépenses en armement. Tout au long des années 2000 et 2010, on voit une diplomatie azerbaïdjanaise extrêmement proactive, multilatérale et faisant des alliances avec l'Asie, Israël, l'Angleterre et même avec la Russie. Pendant ce temps, les Arméniens vont confier leur sécurité uniquement à la Russie. Ils vont rater ce qu'ont réussi à faire les Azéris : avoir des alliances avec toutes les grandes puissances, même si elles sont antagonistes (Pakistan et Israël, par exemple). Les Arméniens restent dans l’illusion que les Russes sont là pour toujours. »

Enfin, de 2020 à 2023, l’Azerbaïdjan a mené une guerre hybride contre les Arméniens. Et Yegavian de préciser : « L'Azerbaïdjan a trois objectifs : premièrement, anéantir le Karabakh arménien, ce qui est maintenant réalisé grâce au nettoyage ethnique qui est en cours. Puis le second objectif : mettre en place un corridor extraterritorial dans le sud de l’Arménie qui donne une continuité territoriale avec la Turquie. Ce corridor est important pour les Turcs parce que c'est par cet endroit que vont passer les tuyaux du futur gazoduc. Ils souhaitent l’avoir de gré ou de force. Et le troisième objectif, c’est un accord de paix avec l'Arménie, mais qui est plutôt un accord de capitulation sur la base de nouvelles concessions territoriales. »

En ce début d’octobre 2023 plus de 100 000 Arméniens du Haut-Karabakh ont quitté leurs foyers et leur terre ancestrale sous les regards indifférents de la « communauté internationale ».

Quand des protestations et « condamnations » sont venues, elles étaient de pure forme. Comme l’ONU, ce schmilblick qui n’est là que pour justifier les agissements des puissants, projette d’envoyer une mission humanitaire au Haut-Karabakh prochainement : l’affaire est terminée, que fera la mission humanitaire après le nettoyage ethnique en règle appliqué par l’Azerbaïdjan contre les habitants du Karabakh ? Aliyev et son sultan de maître le « grand-turc » se frottent les mains et projettent déjà la suite : la jonction du Nakhitchevan au reste de l’Azerbaïdjan et la création d’un espace turc jusqu’à la mer Caspienne.

Comme l’Union européenne qui continue à condamner « vigoureusement toute violation des droits de l’homme au Haut-Karabakh » tout en achetant le gaz azerbaïdjanais et russe auprès de Bakou, finançant par la même occasion la dictature azérie.

Comme nombre de pays qui ont annoncé des aides pour les réfugiés, un simple sparadrap…

 

 

[1] Interview accordée à Nenad Tomic, RFI, 29 septembre 2023.



15 réactions


  • Sirius Grincheux 2 octobre 2023 08:15

    Il étaient tellement tranquilles, en Union Soviétique !


    • Gégène Gégène 2 octobre 2023 09:14

      @Grincheux

      Quel salaud ce Staline, les cinglés communautaristes ne pouvaient même pas s’étriper en paix  smiley


  • Gégène Gégène 2 octobre 2023 09:11

    Comment on fait, pour en même temps avoir des frontières intangibles, comme en Ukraine, et des droits sacrés des peuples, comme en Azerbaidjan ?

    En plus, le Pachinian qui a fait des risettes à Biden et der Leyen, il pouvait toujours se brosser pour avoir le soutien de Poutine smiley


    • Ouam (Paria statutaire non vacciné) Ouam (Paria statutaire non vacciné) 2 octobre 2023 09:52

      @Gégène
      De plus,
      Il ne me semble pas que dans ce cas la il y ait mosaiques de peuples
      pensant l’inverse ou d’un coté (ouest) c’est plutot occidental
      et de l’autre (est) russophone

      Merci de faire voir les deux poids deux mesures et la seul celui qui ne veut pas le voir ne le voit pas ...


  • ZenZoe ZenZoe 2 octobre 2023 09:21

    Comme le dit l’auteur, l’Europe a signé un accord d’approvisionnement en gaz avec l’Azerbaïdjan, alors même qu’il était évident que ce pays avait des projets belliqueux envers son voisin. Se lamenter aujourd’hui est une hypocrisie pure, c’était écrit. Il n’y a pas grand chose à faire à vrai dire.

    Ce genre de conflit se reproduit sans cesse et devrait être retenu comme une leçon (mais ne l’est pas) : malgré toutes les instances internationales censées garantir la paix : une loi d’airain reste. Point n°1, le monde reste une jungle gouvernée par la loi du plus fort ou du plus malin. Point n°2, il est de la responsabilité de chaque pays de tout faire pour ne pas se retrouver en position de faiblesse, soit garder sa souveraineté en tout et se ménager des pare-feu pour parer à toute attaque.

    PS : les gouvernants français, imbéciles ou corrompus, font tout le contraire..


  • Eric F Eric F 2 octobre 2023 09:30

    C’est toujours la même chose, on est tenu responsable de ce qui se passe à des milliers de kilomètres de nos frontières, et dans le cas présent dans une enclave dont l’indépendance n’était reconnue par aucun pays, et dont le protecteur était la Russie orthodoxe.
    Or il y a récupération par le pays dont la souveraineté est légalement reconnue, et exode spontané de la population (les chiffres sont questionnables, il est peu probable que 80% aient fuit). Cela ressemble à l’inverse de ce qui s’est passé au Kosovo, où on avait eu tort d’intervenir.

    L’Europe est donc sommée, en rétorsion, de se priver de gaz naturel, puisqu’après la Russie, il faut boycotter l’Azerbaïdjan. Ceci dit, ce dernier pays est effectivement une dictature, or von der Layen lui avait donné un brevet d’honorabilité appuyé, confondant le réalisme économique avec la vertu.


    • Ouam (Paria statutaire non vacciné) Ouam (Paria statutaire non vacciné) 2 octobre 2023 09:46

      @Eric F
      Salut
      Ne pourrai pas parler de responsabilté car les peuples ne sont pas les dirigeants
      Mais derux génoocides coup sur coup ca ne dois pas non plus etre facile à avaler comme couleuvre poiur ces gens, a lzur place ? qu’en penses tu ?
      On file des tonnes d’armes a l’Ukraine ou le oins que l’on puisse dire leurs dirigeants (et pas son peuple) est loin d’etre exemplaire, et je suis soft la ...
      Et de l’autre on laisse des gens se fare massacrer et pas qu’un peu ce qui explique cette fuite généralisée ou quazi, la les derners chiffres c’est superieur a 90%, enfin 120.000 sur 130.000 c’est a peu pres ca non ?
      vu que le 100% est impossible et jamais vu pour foultitudes de raisons

      Qd au gaz elle est bien bonne celle la (pas de toi mais de l’europe v d layen & co) tous savent que c’est les Ukrainens qui ont fait sauter les deux Northsreams avec l’aide des Ricains et on continue a envoyer et a soutenir l’Ukraine, la par contre c’est du délire, un truc de fous, un hp a ciel ouvert.


    • Eric F Eric F 2 octobre 2023 13:22

      @Ouam (Paria statutaire non vacciné)
      Le génocide des Arméniens en 1915 est un fait historique documenté, mais y a t il vraiment des massacres actuellement au Haut Karabagh ? Il n’y a pas d’information en ce sens. Le nombre de déplacés qui est annoncé dans les média correspond-il à la réalité, ou est-il amplifié ? Plus de cent milles en trois jours, cela parait disproportionné.
      On en parle beaucoup car il y a un fort groupe d’influence arménien en France, mais quelle influence avons-nous dans la région, entre la Turquie et la Russie ?
      L’action relève de l’ONU pour veiller à l’intégrité et la sécurité de l’Arménie dans ses frontières, la France a eu des initiatives en ce sens dans cet organisme.

      Notre problème n’est pas de nous mêler insuffisamment des affaires lointaines, mais de le faire trop, et presque toujours à notre détriment.


  • amiaplacidus amiaplacidus 2 octobre 2023 11:03

    Personne pour condamner l’invasion brutale d’une partie de l’Arménie par l’Azerbaïdjan ?

    Personne pour le nettoyage ethnique d’une partie de l’Arménie par l’Azerbaïdjan ?

    Personne pour voter des sanctions contre l’Azerbaïdjan ?

    Personne pour fournir rapidement et en masse des armes pour permettre à l’Arménie de reprendre une de son territoire envahi par l’Azerbaïdjan ?

    .

    Je n’ose pas penser qu’il y a deux poids, deux mesures.


    • mmbbb 2 octobre 2023 11:46

      @amiaplacidus le droit d ingérence si cher à nos intellos comme le droit international ne s applique pas uniformément .

      Il me semble que nous ayons fait une guerre « juste » contre Khadafi .

      Quant a Ursula Von Leyen, c est elle qui a signe un nouveau contrat de gaz avec notre ami Aliyev .

      Nous nous étonnions que « nos valeurs occidentales » ne soient plus apprécient dans le reste du monde ! 


    • Gégène Gégène 2 octobre 2023 11:58

      @amiaplacidus

      Le Karabakh serait une partie de l’Arménie ???
      On nous cache de ces choses . . .


    • Eric F Eric F 2 octobre 2023 13:35

      @Gégène

      ’’Le Karabakh serait une partie de l’Arménie ??’’

      C’est en effet la question. C’est un territoire peuplé majoritairement d’Arméniens enclavé dans l’Azerbaïdjan ; mais pour autant faut-il morceler l’ensemble des pays en territoires indépendants selon le peuplement ? Cela deviendrait un patchwork de micro états hostiles entre eux.
      Ce qui doit prévaloir, c’est le respect des droits des minorités historiques récemment rattachées au pays.

      Çà vaut pour les Corses (qui ont déjà une assemblée territoriale et des avantages spécifiques), ça aurait du valoir en Ukraine pour les régions russophones.


  • zygzornifle zygzornifle 2 octobre 2023 16:41

    Déjà personne ne parle des 11 millions de pauvres en fRance alors les autres ....


  • Emmanuel Aguéra Emmanuel Aguéra 2 octobre 2023 18:03
    Qarabağ, c’est un pas un nom azéri ?

  • zygzornifle zygzornifle 3 octobre 2023 08:55

    Le gouvernement nous fait bien un nettoyage bancaire .... 


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