samedi 12 décembre 2009 - par Eric Kaminski

Identité nationale : réponse au Président de la République

Dans un pays où la liberté d’expression est protégée, il est impossible de refuser qu’une question politique soit posée. La démocratie se nourrit de la liberté d’expression. La question de l’identité nationale peut être posée, mais il n’est pas interdit non plus, pour apporter un élément de réponse, de préciser les limites de cette interrogation, voire de souligner son manque de pertinence dans le débat politique contemporain. Ce texte est une réponse à la tribune, étonnamment faible, du Président de la République publiée dans l’édition du Monde en date du 9 décembre.

Pour revenir dans un premier temps sur un thème traité dans de précédents articles (cf. http://ekaminski.blog.lemonde.fr/), le concept d’identité présente l’inconvénient d’orienter la discussion doublement vers le passé et de faire oublier l’avenir. La question de l’identité nationale renvoie en effet au XIXème siècle et à la construction historiquement datée de la nation. Cette problématique et les excès auxquels la mise en exergue de la nation a mené sont connus. Rappelons simplement que si la mise en valeur par un individu ou un pays de ses caractéristiques propres ne pose pas de problème en soi, une insistance démesurée ne peut que mener à une course à la justification de soi et à la dépréciation de l’autre.

Le deuxième aspect passéiste du concept d’identité est la fixation, sur le fondement de l’Histoire, de traits immuables. Croire en l’existence de ces traits, c’est figer une réalité en mouvement et se priver de moyens de l’appréhender dans sa complexité dynamique ; et c’est surtout compliquer singulièrement l’élaboration d’un projet politique d’avenir. Le concept d’identité doit rester ce qu’il est : un erreur-utile, un instrument pour aider à comprendre certains phénomènes actuels, mais en rien le fondement d’un projet politique. Or, dans le texte du Président, de la République, aucune trace d’un quelqu’autre fondement...

Ces idées, simples à condition d’être énoncées clairement, devraient pouvoir être entendues dans le débat public : « le peuple » est capable de les comprendre. Malheureusement, quand le peuple se réduit, comme semble le considérer le Président de la République, à un ramassis d’individus soumis à l’emprise de leurs « sentiments », de leur « souffrance » incontrôlable, il est difficile d’établir un dialogue constructif. Dans un régime démocratique représentatif, n’attend-on pas de « l’élu », à qui l’on attribue certaines qualités, d’éclairer et d’élever les débats. Faut-il, pour respecter « le peuple », flatter ses bas instincts ?

Tenter de comprendre la source des souffrances (exprimées, selon le Président, par le résultat de la votation suisse comme par le refus de la Constitution européenne !) du peuple est une étape préalable nécessaire à l’élaboration d’un projet politique en mesure d’y répondre. Mais que penser de la mise en avant, comme unique cause de la souffrance du peuple, de la perte d’identité, illustrée par la « dénaturation du cadre de vie, du mode de pensée et des relations sociales » ? Le courage aurait voulu que l’absence de vision et de projet communs d’avenir face à la crise du système capitaliste dans la forme qu’il a prise ces trente dernières années soient pointées du doigt. Ces questions doivent être, pour le Président, un peu trop compliquées à aborder, à moins que « le peuple » ne soit pas en mesure de comprendre. Dont acte : parlons aussi de la crise du système d’enseignement en France et de l’abandon des cours obligatoires d’histoire-géographie en terminale !

Les choses deviennent particulièrement graves quand la réalité et, pire encore, le langage dont on use pour l’exprimer, sont tordus pour correspondre aux idées que l’ont souhaite promouvoir, au risque de rendre absolument impossible toute discussion. Des idéologies s’y sont risquées au siècle passées qui n’ont pas réussi à l’Homme. Ainsi le Président redéfinit le terme de métissage à sa convenance : « ce n’est pas la négation des identités, c’est […] la reconnaissance, la compréhension, le respect [...] ». Pardon, mais, Monsieur le Président, vous parlez ici d’autre chose, de quelque chose de nécessaire au vivre ensemble, mais très différent du métissage. Peut-être trouvez-vous ce terme assez « tendance » pour être inséré dans votre texte. Le métissage, c’est le mélange, c’est l’abandon de son identité dans l’acceptation, plus ou moins consciente, de la fusion avec l’autre ; et la création de quelque chose de nouveau (pensons à la langue créole). Il y a donc ici un contre-sens. C’est regrettable qu’il soit fait par le premier personnage de l’Etat.

Mais au moins, à la fin de la lecture de la tribune, tout devient clair, l’opinion simple de notre bon Président apparaît dans toute sa cohérence : "musulmans, vous êtes la cause de la souffrance du peuple parce que vous ne vous sentez pas citoyens ; respectez l’identité nationale (en abandonnant ce qui fait de vous des musulmans ? le musulman ne peut-il jamais être totalement français) et nous vivrons tous heureux". Si cela ne fleurait pas un type d’intolérance très diffus qui rappelle des évènements tragiques, si cela ne masquait pas les vrais enjeux d’un système d’intégration en manque d’un projet politique fédérateur, nous aurions presque pu penser que les choses étaient finalement évidentes... 

Monsieur le Président, c’est peut-être cela le populisme : la simplification à outrance d’une situation par mépris d’un peuple que l’on pense trop stupide pour comprendre ; une simplification rendue nécessaire par l’absence de courage, je n’ose pas dire de compétence, pour penser autrement un avenir commun à inventer. Arrêtez de jouer avec « le peuple », Monsieur le Président, même si la France n’est pas la Suisse, les choses pourraient mal tourner plus vite qu’on ne le croit...


 



8 réactions


  • emmanuel muller emmanuel muller 12 décembre 2009 11:47

    Comment aller chercher les voies à tendances xénophobe en ayant l’air de ne pas y toucher ?

    Il suffit de poser une question qui viens chercher les passions en mélangeant l’identité (mot lié a l’individualité) et le rôle national (mot lié au collectif).

    On arrive ainsi a laisser présupposer que le collectif ne peut qu’être unitaire.

    Le hic c’est qu’au delà des manœuvres politiciennes, cette méthhode est unanimement utilisé par toutes les dictatures ..


  • moebius 12 décembre 2009 21:23

    je me demande qui peut bien se poser une telle question à la veille des fétes


  • xray 12 décembre 2009 21:28


    L’identité nationale 
    (Le débat) 

    Politiques, Syndicalistes, Associatifs,  Patrons,  « Intellectuels »,  etc. 
    Encore un débat qui va réunir que des serviteurs du capital de la Dette publique. (Beaucoup de gens grassement financés avec du bon argent publique.) 

    Naturellement, les mesures qui en résulteront bénéficieront à ce même capital.  C’est évident. 

    On nous expliquera encore que tous ces asservis au fric, qui s’autorisent à parler au nom du plus grand nombre, étaient d’accord. Bien évidemment. 


    Ce faux débat est une énième provocation. 
    Naturellement, n’auront droit de participer au débat que les discours autorisés.  Le capital de la Dette publique gagne à pourrir la vie du plus grand nombre. 

    L’identité nationale (le débat) 
    http://mondehypocrite.midiblogs.com/archive/2009/06/21/l-identite-nationale.html 


    De quoi se plaint-on ? 
    Tout va bien ! 
    http://mondehypocrite.midiblogs.com/media/02/00/1193171025.wmv 



  • Big Mac 12 décembre 2009 21:42

    Résumons : les passéistes laïcs ne doivent plus se souvenir de leur identité passée, mais les passéistes non laïcs peuvent remonter jusqu’à 14 siècles en arrière.

    Et pourquoi pas la sharia et un tapis avec ?


  • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 13 décembre 2009 09:07

    "musulmans, vous êtes la cause de la souffrance du peuple parce que vous ne vous sentez pas citoyens ; respectez l’identité nationale (en abandonnant ce qui fait de vous des musulmans ? le musulman ne peut-il jamais être totalement français) et nous vivrons tous heureux".

    D’où sort cette phrase ? Vous mettez entre guillemets une affirmation de votre crû ; on peut penser ce que l’on veut du discours de NS, mais on n’a pas le droit de lui prêter des propos qu’il n’ a pas tenus pour en faire la critique. Ne confondez pas commentaire et texte commenté !

    PS : je suis assez d’accord avec votre interprétation mais ne forcez pas le propos de NS très ambigus, vous décrédibilisez votre critique. Il faut au contraire signaler cette ambigüité pour en dégagez le sens politique


  • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 13 décembre 2009 09:45

    Je donne donc la passage du texte de NS concerné dont la critique principale que l’on doit en faire est qu’il mélange et/ou met sur le même plan, en une confusion qui met en cause la laïcité, l’héritage chrétien et le valeurs (ou principes) de la république qui, c’est le moins que l’on puisse dire, n’ont pas toujours été compatibles...Et qui ne le paraissent aujourd’hui que par l’effet d’un recul de la religion hors de la sphère politique grâce, justement, au développement de la laïcité.

    "Je m’adresse à mes compatriotes musulmans pour leur dire que je ferai tout pour qu’ils se sentent des citoyens comme les autres, jouissant des mêmes droits que tous les autres à vivre leur foi, à pratiquer leur religion avec la même liberté et la même dignité. Je combattrai toute forme de discrimination.

    Mais je veux leur dire aussi que, dans notre pays, où la civilisation chrétienne a laissé une trace aussi profonde, où les valeurs de la République sont partie intégrante de notre identité nationale, tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ces valeurs condamnerait à l’échec l’instauration si nécessaire d’un islam de France qui, sans rien renier de ce qui le fonde, aura su trouver en lui-même les voies par lesquelles il s’inclura sans heurt dans notre pacte social et notre pacte civique."


  • Francois_21 14 décembre 2009 05:20

    Bonjour,

    Et si on faisait preuve d’intelligence ? Et si comme des crocodiles on ne sautait pas sur tout ce que NS nous jette en pâture pour nous distraire de la sinistre réalité qu’il a provoqué en partie depuis deux ans. Et si on évitait ces écrans de fumées répétitifs pour nous empêcher de voir la réalité. Et si on refusait de dialoguer avec un homme qui nous méprise en nous considérant comme des imbéciles (je n’ai pas la patience d’énumérer la longue liste de preuves). Et si nous utilisions ces propres mots en lui disant : « casse .... ». Je n’ose pas aller plus loin car lui a le droit de les employer, moi je n’en suis pas sûr..


  • Rv Pan 15 décembre 2009 10:31

    Bonjour,

     

    A l’heure ou le gouvernement agite le chiffon rouge du grand débat sur  « l’identité nationale », une partie de la population se voit retirer ses droits civiques dans le feutré, voyez plutôt…

     

    Je vis depuis 2 ans et travaille sur la commune du Grau du Roi, dirigée par le député maire UMP Etienne Mourrut.

     

    Sans domicile stable, puisque vivant sur un bateau, personne n’est parfait ; j’ai fait en septembre une demande de Carte Nationale d’Identité et les élections approchant, ma demande de carte électorale.

     

    Si je n’ai eu aucun problème pour obtenir la CNI, ayant élu domicile au CCAS de la commune, comme tous les va-nu-pieds de mon espèce ; il en va tout autrement pour mon inscription sur les listes électorales, qui vient au bout de 2 longs mois, de m’être refusée par le député maire UMP, Etienne Mourrut.

     

    Pourtant, je ne suis sous le joug infamant d’aucune condamnation, j’ai un peu plus de 18 ans, puisque j’en compte, avec angoisse, 46 et ne suis inscrit sur aucune autre commune. Qui plus est, ma carte d’identité porte l’adresse du Grau du Roi et l’attestation de domicile du CCAS la mention « permet … l’inscription sur les listes électorales … ».

     

    Maintenant, place à la magie !

    J’ai fait un petit tour sur le site du ministère de l’intérieur, car celui ci comportait un chapitre « inscription des personnes sans domicile stable ». J’y ai posté ma question, afin de connaître mes voies de recours, mais bien avant d’avoir la réponse, le chapitre en question (j’en ai gardé une copie) à disparu ! Etonnant non…

     

    Difficile de savoir combien nous sommes, ainsi privés de nos droits civiques de façon écœurante et lamentable. Quelques milliers ? Dizaines de milliers ? plus ?

     

    Peut être est-ce une conséquence du réchauffement climatique ? Très tendance actuellement avec « l’identité nationale », car je commence à voir pousser des bananiers, pas des minarets, sur les rivages méditerranéens de la République.

     

    La citoyenneté et la liberté de la presse on ceci en commun, ils ne s’usent que si l’on ne s’en sert pas.

     

    Aux urnes citoyens ! Faut-il encore le pouvoir…


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