mercredi 2 décembre 2020 - par François Fagus

Image power ! Une civilisation mondialisée dessine sa nouvelle écriture

 

Au-delà des violences "révélées", des "coups de gueule", des mises en scène de tous genres, une nouvelle écriture se dessine. Par l'utilisation des images, les prémices d'une civilisation mondialisée perdant la précision des événements et se livrant à la tyrannie de l'impulsivité émotionnelle s'annoncent-ils ? 

JPEG A l'heure où il devient de plus en plus simple de produire, monter, et transmettre des images, tant les outils numériques banalisent cette action, il est remarquable de constater que la communication entre les êtres humains est en train de changer irrémédiablement de nature.

L'avénement d'Internet a modifié puis bouleversé le rapport des hommes et des femmes vis-à-vis de l'écriture. Les claviers et maintenant les écrans tactiles ont représenté un facteur important de cet éloignement à l'acte d'écrire manuellement. Le rapport au temps a également largement influé sur les habitudes passant de la lettre manuscrite expédiée par la poste que l'on attendait patiemment à l'inflation démesurée des courriels puis des messageries instantanées avec lesquels les communications sont devenues des échanges en temps réel. La vitesse fournie par ces technologies numériques correspondait pleinement à quelques unes de nos dérives fonctionnelles, l'impatience, l'ingérence, la connivence ou encore une certaine manière de dominer, contrôler, orienter une situation

Cette accélération dans les échanges s'est poursuivie en même temps qu'une inflation du nombre d'informations de tous styles transmises. Taper un texte sur un Blackberry fut dépassé car consommant encore trop de temps. Des techniques pour retranscrire la parole furent aussi vite abandonnées. L'évolution des messageries élimina le texte pour privilégier le contenu visuel, photos et vidéos. La génération dite des Milléniums (nés à partir de 2000) plongée dès leur petite enfance intégralement dans ce mode de communication digitale provoqua une fracture avec celles d'avant faisant encore perdurer l'écriture, le texte, le papier mais sans moyen de peser sur un impératif : posséder la force de communication la plus puissante. 

A ce jeu là, la politique, la publicité, le marketing et tous les égos quels que soient leurs champs d'action ne purent résister longtemps à cette révolution. L'image devenait donc bien l'aboutissement de cette course impitoyable non seulement à la visibilité mais de plus à la capacité d'impacter le plus lourdement possible la ou les cibles. 

Image power ! , la puissance par l'image telle est la nouvelle technique de communiquer qui semble nous attendre. C'est une forme de boucle surprenante à laquelle le genre humain procède, lui qui était passé il y a plus de 1000 ans du rébus à l'alphabet, le voici prêt à remplacer ses alphabets par de l'image s'exprimant si possible d'elle-même. Le graal à l'état pur étant de produire une seule image sans texte ni légende capable à elle seule de générer la communication visée. 

Ce que nous a appris l'histoire de l'écriture, c'est que depuis 4000 ans, elle a continuellement façonné les sociétés humaines. Ce passage au "tout-image" est finalement le résultat logique d'une harmonisation globale permise par l'invention du réseau Internet. De nouveau, comme au tout début de la création des alphabets, ce qui pousse inexorablement ce tout-image est la volonté insatiable des grandes entreprises à faire du commerce et la nécessité impérieuse pour chaque pays de les laisser prospérer afin qu'elles générerent la croissance économique nécessaires pour maintenir les organisations sociales actuelles.

Pour servir ces enjeux, les images éliminent les freins et les incompréhensions entre les langues et les cultures. De plus, l'image est le stimuli cognitif à la fois le plus prégnant chez l'être humain et le plus efficace au vu des technologies numériques.

Tout laisse donc à penser que l'écriture va s'effacer au risque de laisser des contenus vidéo, essaimant en un temps record la planète entière, guider les opinions publiques et influer sur nos modes sociétaux. Les démonstrations actuelles faites autour de vidéos forcément tapageuses doivent nous interroger. Les images demeurent en partie ou totalement une autre forme d'écriture et ne tombent jamais en aucun cas du ciel. 

En s'appuyant sur notre Histoire, il est indéniable que cet Image Power est le signe d'une évolution des sociétés humaines de la planète. Serons-nous une société globalisée interagissant selon une langue commune élaborée par l'image ? Les garde-fous n'ont en tout cas pas encore été établis et la loi de la piraterie sans foi ni loi prolifère dans les mains de bon nombre d'apprentis sorciers qu'ils soient politiques ou affairistes.

A nous de conserver l'écrit, temps long et explicatif, pour prémunir nos enfants et les guider vers une science de l'image objective au-delà du piège émotionnel et de la malhonnêteté intellectuelle. 



4 réactions


  • Laconique Laconique 2 décembre 2020 17:21

    Lire Jacques Ellul, La Parole humiliée, sur les conséquences désastreuses de la substitution du texte par l’image dans la communication humaine.


  • Albert123 3 décembre 2020 10:50

    « A nous de conserver l’écrit, temps long et explicatif, pour prémunir nos enfants et les guider vers une science de l’image objective au-delà du piège émotionnel et de la malhonnêteté intellectuelle. »


    ce nous ne concerne même pas 5 % de la population, les autres sont déjà conquis à ce diktat de la pensée simpliste par l’image et l’émotion primaire qui en est la conséquence. 

    Vous parlez d’un future qui est déjà notre présent.


  • zygzornifle zygzornifle 3 décembre 2020 12:49
    “Je crains le jour où la technologie dépassera les capacités humaines. Le monde risque alors de voir une génération de parfaits imbéciles.”
    ― Albert Einstein

  • rogal 3 décembre 2020 14:10

    L’invasion par l’image (le cinéma qui montre le ’’réel’’) a aussi quelque chose d’un retour au passé, celui d’avant l’écriture.

    Le citoyen romain ne lisait pas un journal (la prière de l’homme moderne (dixit Hegel). Il allait sur le Forum écouter les orateurs et partager, peut-on imaginer, les émotions de la foule.


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