mardi 11 octobre 2005 - par Didier Vincent

Information & Démocratie - Blog & Conseil de quartier

Le combat politique pour l’instauration de la démocratie dans notre pays au cours du XIXe siècle a été constamment accompagné par le combat pour la liberté de la presse. Chacun a en tête la fameuse phrase de Beaumarchais qui a longtemps servi au Figaro, et il est incontestable que nos choix démocratiques ne peuvent se faire que dans le cadre d’une information complète et libre. Nos pères se sont battus pour cela, et quelques événements hautement symboliques comme l’affaire Dreyfus ont balisé le chemin qui lie liberté de la presse, démocratie et justice. La démocratie représentative et la liberté de la presse sont aujourd’hui bien installées dans notre pays, et, malgré quelques écueils, on peut affirmer que ce sont des acquis probablement irréversibles. Malgré ces progrès incontestables, l’évolution des choses aidant, nous assistons à l’émergence d’un problème. La multiplication de sources d’informations alternatives d’une part, la soif d’une participation plus active des citoyens aux décisions d’autre part, phénomènes concomitants, doivent être analysées avec attention.

Sans remettre en cause les grands principes - démocratie représentative avec élections au suffrage universel, et liberté de la presse - nous devons constater une perversion du système, qui semble être à l’origine du problème. Les pratiques politiques actuelles, tout comme les comportements de la presse, ne correspondent plus aux attentes des citoyens, qui dénoncent l’accaparement du pouvoir que celles-ci comme ceux-là ont pratiqué depuis quelques décennies.

Coupée de la réalité du pays, ne représentant dans bien des cas plus qu’elle-même, cumulant les postes et les rendant inaccessibles par la création d’une « caste » de privilégiés, la classe politique a dévoyé les pratiques démocratiques, et, ce faisant, a largement perdu la confiance du peuple. Ne jouant plus son rôle de guide, mais gérant au jour le jour, au gré des sondages, les problèmes qui nous assaillent, elle fait l’objet d’un désamour compréhensible et persistant des citoyens.

N’ayant pas su trouver le bon équilibre entre sa vocation première, qui est d’informer, et sa nécessaire intégration dans le jeu économique, qui fait d’un journal un produit, s’érigeant - au nom de quoi ? - en contre-pouvoir, la presse a quitté le chemin de l’information pour celui de la création d’événements. Les Français qui, en vérité, n’ont jamais été de grands lecteurs de journaux, comme peuvent l’être les Anglo-saxons par exemple, se sont détournés de la presse qui se trouve aujourd’hui dans l’état périlleux que l’on connaît : peu de lecteurs, peu de confiance des citoyens dans l’information publiée, mainmise de grands groupes industriels et financiers sans garantie d’impartialité, c’est le moins que l’on puisse dire.

Notons, au passage, que l’alliance objective, et si on voulait être plus dur nous pourrions parler de connivence, entre la classe politique et la presse ne fait qu’amplifier le désamour des Français envers l’une comme envers l’autre.

Se sentant prisonniers, dans cette espèce de cul-de-sac qu’est la situation actuelle, certains se tournent vers d’autres modes d’expression. C’est l’émergence d’un souhait de démocratie participative, et le développement des sources d’informations informelles, permises aujourd’hui par le développement des technologies. Cette émergence est devenue possible, d’abord et avant tout, grâce aux formidables progrès dans l’éducation de chaque citoyen. L’accès facile à l’information, l’ouverture au monde, sont à la base du comportement actuel de certains, qui ont non seulement appris à ne pas prendre pour argent comptant ce que les politiques ou la presse leur disaient, mais ont aussi acquis la capacité de se faire leur propre opinion et de contester ce que, bien souvent, on veut leur présenter comme une fatalité. Il y a quelque chose de sain dans cette réaction.

Les prémices d’un développement de nouvelles pratiques démocratiques, et ceux de l’apparition d’une information « décentralisée », sont encourageants mais restent très fragiles. Le microcosme politique emploie aujourd’hui à tort et à travers le mot « rupture », aidé en cela par la presse, qui, elle aussi, a perdu le sens des mots. Pour les citoyens que nous sommes, frustrés d’une vie démocratique correspondant aux exigences du temps, et d’une presse qui a perdu sa capacité d’informer, le mot de rupture prend tout son sens, et nous devons nous réapproprier et l’un et l’autre pour sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes actuellement. C’est là l’enjeu des blogs citoyens, c’est là l’enjeu des conseils de quartier. Nos pères ont rêvé au niveau national, il nous faut revenir au niveau local.



1 réactions


  • Yuca de Taillefer (---.---.152.115) 11 octobre 2005 12:14

    La « grande » presse connaît des temps difficile, contrairement à de plus modestes journaux qui marchent bien proportionnellement parlant et comme le journal, c’est un produit mais pas seulement, la « grande presse » tente bien sûr d’informer et de créer de l’événement. Ce qui marche : la grande presse est fort rarement distanciée de ces appréciations officielles (sauf bien heureusement dans les blogs). Certains même vont jusqu’à affirmer que la presse se perd dans des batailles de survie, et serait prête à faire n’importe quoi pour vendre (ce qui arrive dans les émissions polémiques à la télévision : même « On ne peut plaire à tout le monde » rédige des SMS pour faire monter la sauce !). Je n’irais pas jusque là : le journal apporte une profondeur et une tribune officielle (débats, opinions, rebonds...), différente de la télévision, de la radio, ou des écrits de blogs, où la parole peu se libérer et où le ton généralement est plus de proximité.

    Il est donc normal qu’il y a une volonté vraiment citoyenne de libérer l’information, pas forcément de jouer au reporter ou de livrer des scoops, mais d’apporter un éclairage nouveau et de l’aborder sous un jour différent : étant déjà paru dans un journal, je comprend le comportement d’écriture, ce qui paraît sur un blog ou sur Agoravox ne peut pas toujours être repris dans la presse (enfin tout dépend de la ligne éditoriale, comme on dit).

    Il est clair que la presse ou les politiques peuvent de moins en moins dire : « nous avons raisons ». Notre pays a besoin de « respirer » et le citoyen qui veut participer soit au débat politique (et pas seulement participer aux meetings unilatéraux, c’est à dire uniquement composés de monologues et de slogans...). De plus, je vois bien que certains journaux régionaux, appartenant à de grands groupes, ont renoncé à écrire de l’opinion ou à trop parler de politique.

    Plutôt que de rupture, je parlerais aussi plutôt d’une évolution : non une mode, une évolution de fond ! Mais il est légitime de se poser la question : trop d’informations ou de messages, de billets, de blogs, tue-t-il l’information, celle-ci n’est elle pas en même temps désacralisée et dévalorisée ? La « grande presse » est peut-être en passe de céder à ce processus d’ouverture (même si il y a encore beaucoup de journaux censurant certaines prises de positions dans le courrier des lecteurs ou plutôt en ne retenant ce qui leur plait...) et à ce processus de relativisation voir à ce processus de dévalorisation. Et même si l’information fait sens, fait sens à la vie, l’information est aussi une marchandise et se commercialise, car elle fait vivre.

    Mais si des combats de liberté d’opinions, et de liberté de la presse ont été gagné au niveau national, il est clair qu’au niveau local, régional, beaucoup de chemin reste à faire. C’est aussi ce que j’essaye, à mon modeste niveau, de faire bouger... http://normandie.canalblog.com


Réagir