J’ai testé pour vous : « Faire la manche à Gare Saint-Lazare »
Paris - Jeudi 29 Juillet 2010
Trente ans plus que passés. 10 centimes d’euro sans trou aux poches. Un compte en banque à découvert qui ne laisse plus la possibilité de tirer un seul billet bleu de dépanne.
La peur de perdre des avantages sociaux en travaillant, surtout celui de vivre lentement. Rmiste c’est pas une niche fiscale mirobolante mais quand même la carte Navigo zone 6 est à 100% gratuite, pas remboursée à 50% par l’employeur ! Ne sachant pas chercher je suis une instinctive qui tombe sur les choses par magie. Parait que c’est pas la meilleure méthode. Pas d’opportunité de taf sur le coup.

La dèche, bien sèche quand même, mais avec le sourire parce que j‘en assume la responsabilité. Quand t’es obligé d’atterrir dans la rue pour taxer la tune de ta bouffe, même surentraîné ton ego prend un sacré coup. Bouffer, fumer, j’évalue le besoin du jour à 10€, une fortune en pièces de 20 centimes.
Prendre le même chemin que ces innombrables travailleurs qui se pressent pour ne pas arriver en retard. Mais au lieu d’aller au chomdu après CDI et stages non rémunérés, on s’arrête net à la gare sans chercher. Lentement on observe le mouvement des congénères et bientôt on prend le même œil qu’eux, celui du chasseur cueilleur qui fait du sur-place. Qu’importent les moyens du moment qu’on arrive à destination. L’ambiance de survie est palpable, Rainbow Warrior se met au travail…
Casquette de gavroche à l’africaine, pas de maquillage, mon vieux pantalon tibétain ajusté au tee-shirt « Garella » qu’a fait la Khumb Mela, enveloppée d’un haut de survêt à bandes latérales, noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir. Quand même des tongs blanches pour laisser insidieusement entrevoir avec insolence mes pieds toujours bronzés de néo-hippie.
« Excusez-moi Monsieur, vous n’auriez pas une petite pièce de 20ct à me dépanner ? »
« Pardon Madame de vous importuner, mais auriez-vous une pièce de 20ct à me dépanner ? » . . .
Le peuple donne facilement cette petite pièce quand on lui demande avec respect, politesse et franchise. Si les politiques venaient encore à la rencontre des citoyens ils seraient sûrement à ma place. Je m’efforce de quémander à tout le monde sans préférence ou affinité socioculturelle, en souriant et en posant un œil d’humanité sur chacun d’entre nous. Car pour moi le mot « Peuple » est un terme noble. J’aimerais bien bosser pour le Peuple mais c’est le peuple qui bosse pour moi. Dans ce système de perdants j’ai décidé d’enrayer la machine, pour venger mes prochains.
« Fais attention à la police et tourne, reste pas trop longtemps sur place. » Les habitués viennent te voir, c’est un clan, et ils t’y laissent entrer direct, bienvenue dans la merde ma chérie. Un vieux babouin me conseille de squatter à la sortie de la boulangerie, mais ça ne marche pas pour moi. Mon spot c’est autour de la bulle quand les gens remontent du métro, et tout près du Quick.
C’est incroyable comment les appartenants d’une même classe sociale ne se reconnaissent plus quand l’un d’eux est en galère. Je croise un crevard de la trance avec son horrible chien, il me dépanne même pas de 10 centimes, j’ai failli lui cracher à la gueule…
J’ai noté une solidarité réelle de la part des Antillais qui ne te regardent jamais de haut. J’évalue à 30% de mon butin la contribution antillaise. Des mamans pleine d’humanité, ces antillaises, c’est pas elles qui te laisseraient crever de faim ! Une maman métropolitaine accompagnée de sa fille de 12 ans me donne toute sa monnaie. Un brother quinquagénaire qui prend son temps ;) m’offre un des meilleurs pain au chocolat de ma vie, tiède, croustillant, moelleux, beurré, une balouze de flingue.
Mendier c’est pas de tout repos. Assis tu n’as aucune chance. En demandant petit, parfois on te donne plus gros. Une roumaine d’une vingtaine d’années me demande en anglais ce que je suis en train de faire.
« I’m begging dude, what else ? » Elle me donne 3€ direct.
A côté,assis sur les escaliers qui mènent à la gare St-Lazare, une bande de pochtrons qui font mal quand tu les regarde. Parmi eux un chelou agressif qui m’a prise pour une pute à 20ct, je lui répond « fais gaffe je fais du karaté. Tu m‘touche, j‘t‘éclate. » Y’a rien de pire que de se retrouver à la rue pour une femme. Rien.
Je retourne vers le Quick, un grand mec fier d’origine maghrébine qui fume un bédo tranquille en attendant sa copine me dévisage : « T’es des RG toi, la vérité c’est comme ça qu’ils travaillent. » Mais non mon frère je fais juste la manche. Tous les mignons qui m’auraient plu dans la life m’ont filé une piécette du coup ça me donnait un prétexte de les trouver mignons. Je suis contente. Pas comme la jeunesse prétentieuse déjà vieille avant l’âge, ils en veulent pas de tes pèches à 1€, elles doivent pas être assez bonnes à ce prix là. Une maman antillaise fatiguée par les charges de la vie n’en a pas perdu son sourire pour autant. Elle me donne 1,20€ au lieu de 20 centimes, j’arrête sur cette belle dame.
En 3 heures j’ai gagné 21,15€, acheté des clopes et quelques courses basiques, du pain, des pâtes, du coca, des œufs, du tofu, du café, fromage(s), que des trucs sacrés donnés par un esprit solidaire.
Merci à tous de m‘avoir aidée sans me préjuger.
Peace Love Light from Shanti
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