jeudi 13 octobre 2016 - par Franck ABED

Jacques Sapir par Franck ABED

Jacques SAPIR qui est un économiste français. Il a enseigné à l'université de Paris X Nanterre, puis est devenu directeur d'études à l'EHESS en 1996. Il dirige depuis 1996 le Centre d'études des modes d'industrialisation (CEMI-EHESS). 

Dans le cadre de mes investigations intellectuelles, je l’avais déjà interrogé en janvier 2016 sur des thèmes aussi divers que passionnants : l’économie, l’euro, la souveraineté, la gauche… Aujourd’hui je lui soumets d’autres questions suite à la publication de son livre : Souveraineté Démocratie Laïcité. Merci à lui d’avoir une nouvelle fois accepté de se prêter à l’exercice difficile de l’entretien écrit.

Franck ABED : En page neuf de votre ouvrage, vous expliquez que « la souveraineté fait clivage ». De nos jours, n’existe-t-il pas de débats plus importants que celui-ci, ou plus exactement des débats plus clivants ? A mon sens le débat le plus important pour notre société reste la définition des rapports entre le temporel et le spirituel. Voulons-nous que les lois de Dieu soient au-dessus de la loi des hommes ou désirons-nous le contraire ? Qu’en pensez-vous ?

Jacques SAPIR : Un débat fait clivage quand il oppose deux fractions importantes de la société. Or, la question de la définition des rapports entre le temporel et le spirituel est une question réglée avec les principales religions en France, sauf avec les fractions salafistes et les Frères Musulmans. Mais, ces derniers ne représentent qu’une faible fraction des musulmans. La question de la souveraineté oppose deux fractions qui représentent chacune à peu près la moitié de corps électoral (même si on peut penser que les « souverainistes » sont désormais majoritaires) ; elle est donc autrement plus clivante que la définition du rapport entre temporel et spirituel. D’ailleurs, on peut soutenir que cette définition des rapports entre le temporal et le spirituel est en réalité induite par la souveraineté, et qu’elle lui est subordonnée.

D’un point de vue historique, mais aussi théorique, il est cependant indiscutable que la définition du rapport entre le temporel et le spirituel a occupé une place importante dans les débats, et les confrontations publiques. Mais, il en fut ainsi parce que dans le même temps se (re)constituait et s’affirmait l’Etat avec la théorie de la souveraineté. On retrouve, sous des formes différentes, l’héritage antique. Mais, la relation entre les pouvoirs spirituel et temporel connaît un changement de signification considérable avec l’arrivée de la religion chrétienne au sein du monde antique. Il est clair que ce dernier a imprégné de ses réflexions la religion chrétienne. La philosophie grecque et la religio romana ont constitué deux facteurs déterminants pour l’émergence et la constitution de la notion de médiation chrétienne, ce que l’on a parfois tendance à oublier. On comprend alors l’importance de l'héritage augustinien avec son intégration d’une large part de la philosophie grecque et romaine, mais aussi les débats postérieurs, où s’affronteront deux conceptions, celle de Tomas d’Aquin et celle de Marsile de Padoue. C’est cet héritage augustinien qui ressurgit d’ailleurs avec la doctrine luthérienne des deux règnes, et sous une autre forme avec Calvin. Les deux réformateurs, en privilégiant l'invisibilité de l'Eglise, ont déplacé la visibilité de l'institution en direction du pouvoir temporel. Cet accent mis sur l'invisibilité de l'Eglise, qui draine avec elle l'individualisation du salut, est fondamental. C’est ce qui permet de comprendre la philosophie classique-moderne (XVIIè et XVIIIè siècles : Hobbes, Spinoza, Locke et Rousseau) et de celle du XIXè siècle (Constant et Hegel). C’est ce qui nous permet de comprendre la vision moderne (au sens historique du terme) du rapport entre le temporel et le spirituel.

En effet, deux visions s’affrontent dans l’espace chrétien. Pour Thomas d’Aquin, La rationalité politique ne saurait être autonome par rapport à la loi éternelle de Dieu. On reconnaîtra ici la définition polysémique de la loi par Thomas d'Aquin : « ...il est nécessaire que la raison humaine, partant des préceptes de la loi naturelle qui sont comme des principes généraux et indémontrables, aboutissent à certaines dispositions particulières [1] ». Thomas d'Aquin développe cette idée dans plusieurs chapitres. Il explique que la royauté, de meilleur de tous les gouvernements en raison de son principe d'unité, peut dégénérer en tyrannie, le pire des gouvernements en raison de sa conception dévoyée de l'unité. On le voit, le théologien scolastique ne conçoit le meilleur des gouvernements que selon le schéma métaphysique d'une unité hiérarchique de l'établissement politique qui va de la royauté (principe d'unité) à la multitude (le peuple)[2]. Mais une autre tradition existe, qui va progressivement l’emporter. Dès le XIVè siècle, Marsile de Padoue[3] a pensé, à partir du concept aristotélicien de nature, la communauté politique comme se suffisant à elle-même. C’est une véritable révolution. Cela a affranchi la sphère publique politique du pouvoir pontifical. Les guerres de religion ont constitué aussi un autre facteur d’affranchissement, comme en témoigne la théorie de la souveraineté de Bodin[4], et c’est pourquoi je disais plus haut que cette question du rapport entre le temporel et le spirituel n’est posé de manière qui nous soit compréhensible que par l’irruption de la notion de souveraineté. Est contemporaine l’idée de liberté de conscience associée avec la loyauté au pouvoir temporel[5], ce qui revient à dire qu’il ne peut y avoir de supériorité en politique des « lois de Dieu ».

C’est en réalité avec le nominalisme, et la pensée de Guillaume d’Ockham, que la rupture avec le concept aristotélicien de nature a été rendue possible. C’est avec cette rupture que les réformateurs de la Renaissance (Luther et Calvin) ont réinterprété la dualité augustinienne des deux pouvoirs. L’ordre objectif et réel de la nature (celle que l’on constate) a été substitué à la fiction de « l’état de nature », à partir duquel se sont élaborées les théories du contrat ou du pacte avec Hobbes, Spinoza, Locke et Rousseau. C’est donc du Moyen-Âge tardif que date l’émergence (ou la ré-émergence) d’une véritable théorie de l’Etat qui va donc affirmer à la fois la séparation entre le temporel et le spirituel et les modalités de cette séparation, comme l’indique mon collègue de l’EHESS et grand historien Alain Boureau[6]. En cela déjà, la religion est toujours et partout une affaire d'Etat même si Etat et religion doivent être séparés : elle concerne la politique. Guislain Waterlot précise ainsi : « Liée à l'événement historique de l'incarnation, la religion chrétienne apporte la vérité salvatrice et dépasse de ce point de vue le politique. N'en tirons pas pour autant la conclusion que les disciples du Christ doivent dominer ici-bas les politiques. En ce monde, la loi humaine, sanctionnée par le prince, prévaut sur la loi divine, sanctionnée par Dieu seulement dans l'autre monde  »[7].

Dans un dialogue que j’ai eu à la fin du printemps avec le juriste et théologien Bernard Bourdin, dialogue qui sera édité au Cerf au début de 2017, Bernard Bourdin, auquel je reconnais ma dette quant à la compréhension de l’opposition entre Thomas d’Aquin et Marsile de Padoue, fait cette remarque : « il n’y a pas de parti politique du royaume de Dieu ». Nous voyons bien à quel point c’est aujourd’hui une idée essentielle et même fondamentale. Elle signifie à la fois que l’on ne peut prétendre fonder un projet politique sur une religion, et que la démarche du croyant, quel qu’il soit, est une démarche individuelle, et de ce point de vue elle doit être impérativement respectée, mais qu’elle ne s’inscrit pas dans le monde de l’action politique qui est celui de l’action collective. C’est ici un des fondements de la laïcité. Cependant, comment devons-nous réagir face à des gens qui, eux, ne pensent pas cela, soit qu’ils considèrent que le « royaume de Dieu » peut avoir un parti politique (et on l’observe des intégristes chrétiens aux Etats-Unis aux Frères Musulmans) soit qu’ils considèrent que les deux cités, pour reprendre Augustin, sont sur le point de fusionner, comme c’est le cas de courants messianiques et millénaristes comme les salafistes ? On voit bien ici le problème. Ces courants, pour des raisons différentes, contestent – par des méthodes elles aussi différentes – l’idée même de laïcité. Or, cette idée est essentielle à la formation d’un espace politique, certes traversé d’intérêts et de conflits, mais néanmoins gouverné par des formes de raison, espace politique indispensable à la construction de la souveraineté et de la nation. Et c’est donc pour cela que je dis que la question de la souveraineté, parce que c’est autour d’elle que s’organisent et les relations entre le temporel et le spirituel, et la séparation entre la sphère publique et la sphère privée, est l’objet d’un clivage majeur dans notre société.

Franck ABED : En page 11 vous écrivez : « Se référer à la notion de souveraineté nécessite donc de dépasser l’idée d’un peuple constitué sur des bases ethniques ou par une communauté de croyants … » Le souverainisme est-il une philosophie ou un mode de pensée relatif selon le territoire sur lequel on se trouve ? En effet est-ce que des peuples constitués exclusivement de la même ethnie peuvent-ils se reconnaître dans votre définition de la souveraineté ? D’une manière générale, si vous deviez vivre (pour différentes raisons) en Chine, au Pérou ou au Mali est-ce que vous pourriez vous reconnaître dans le souverainisme chinois, péruvien ou malien ?

Jacques SAPIR : Vous posez ici plusieurs questions, qui sont toutes importantes, mais qui doivent être désemboitées si l’on veut y répondre clairement. On ne peut parler de souveraineté hors d’un cadre institutionnel, et de souveraineté nationale hors du cadre de la Nation et de l’Etat, que celle-ci soit la Cité-Etat du monde antique, le royaume, ou la forme évoluée que représente l’Etat-Nation moderne. C’est pourquoi la notion de souveraineté est générale, elle n’est pas spécifique à un territoire, même si les traductions concrètes qu’elle a, et qu’elle a eu, sont – elles – spécifiques. Ainsi, la notion de souveraineté s’applique que l’on soit français, allemands, italiens ou chinois. Mais, la conception de l’Etat n’est pas la même entre la France, l’Allemagne, l’Italie ou la Chine, et l’accent mis sur la souveraineté sera bien entendu lui aussi différent, du fait de l’histoire particulière de chacun de ces pays. Mais, cela ne fait que répéter la dialectique entre l’universel et le particulier. Pour en finir sur ce point précis, si je devais vivre dans un autre pays que le mien (ce qui est arrivé à mon père, parti de Russie pour la Pologne, et de la Pologne pour la France) j’établirai une distinction essentielle entre le cas ou je ne serai que résident temporaire dans l’un de ces pays, et le cas ou je déciderai de m’y établir. En temps que résident temporaire (ou « travailleur expatrié » comme l’on dit), je respecterai la souveraineté du pays m’accueillant, mais je continuerai à défendre la souveraineté de la France. Admettons que, contraint par un destin contraire, je doive fuir la France et m’installer à titre définitif dans un autre pays, j’appliquerai alors l’adage antique « à Rome, fait comme les romains », et je m’intègrerai pleinement au pays qui aurait bien voulu m’accueillir, c’est à dire que je défendrai, alors, sa souveraineté.

Il faut maintenant ici revenir sur la notion d’ethnie. Le grand anthropologue, Maurice Godelier, dans son étude sur les Baruya[8], insiste sur l’origine historique des clans et des ethnies. La définition ethnique n’est donc pas la solution à la constitution de la société comme il le dit dans un de ses articles, que j’ai cité dans mon ouvrage Souveraineté, Démocratie Laïcité. Je reprends ici cette citation qui me semble importante : « L'ethnie constitue un cadre général d'organisation de la société, le domaine des principes, mais la mise en acte de ces principes se fait dans une forme sociale qu'on reproduit et qui vous reproduit, qui est la forme tribale  »[9]. La distinction entre « tribu » et « ethnie » est cependant essentielle si l’on veut comprendre comment se constituent les peuples. Avec la tribu nous sommes de plein pied dans des formes politiques d’organisations de la société. La notion d’ethnie se situe à un niveau supérieur ; plusieurs tribus peuvent faire partie d’une même ethnie. Mais, même la notion d’ethnie s’avère être culturelle, et en même temps politique. C’est le concept de culture politique, de formation de représentations communes, qui doit ici nous guider. Si l’on reprend la polémique déclenchée par Nicolas Sarkozy sur les « gaulois », il faut bien constater que, génétiquement, les gaulois et les germains sont identiques. Mais, ce qui constitue la spécificité des « gaulois », et qui fait que l’on peut parler d’ethnie à leur propos, c’est l’adoption d’une culture politique largement influencée par les grecs (l’oppidum des gaulois correspondant à la Cité-Etat des grecs) [10], avec lesquels ils avaient – l’archéologie en témoigne – de très nombreux contacts.

Quand j’ai employé la formule que vous citez, c’est bien à cela que je pensais. La constitution d’un « peuple » est, par ailleurs, l’exact symétrique de la construction de la Nation. Le « peuple » s’est construit, sans avoir conscience de cette construction, en même temps que s’affirmait le pouvoir du souverain et l’émergence d’une bureaucratie royale[11]. La construction politique du « peuple » et celle de l’Etat sont les deux faces d’une même pièce de monnaie. Ce qui permet de comprendre pourquoi, en ce moment historique où l’Etat se défait, où l’on abandonne la souveraineté, la question de « ce qui fait peuple » ressurgisse avec autant de violence, mais aussi autant d’incompréhensions.

Franck ABED : En page 25 nous lisons : « On l’a dit, il n’est pas de souveraineté sans un souverain  ». La souveraineté peut-elle s’incarner dans une masse constituée d’individus aux intérêts divers, à des formations et des envies différentes ?

Jacques SAPIR : Cette question est en fait très ancienne. C’est celle de la démocratie. Sur la question de la souveraineté, il est important de revenir à l’exemple romain, de la Rome républicaine comme de la Rome impériale. La structure du pouvoir législatif et judiciaire y est complexe. S’y articulent tant des formes populaires, les Comices centuriates et tributes, le concile de la Plèbe, que des formes aristocratiques comme le Sénat[12]. La complexité de ces formes a tendu à en obscurcir la logique. Cependant, il convient de distinguer l’exercice de la souveraineté, qui se fait dans des articulations susceptibles d’évoluer, de l’origine de cette souveraineté. Mario Bretone, dans un ouvrage de référence qui a été récemment traduit de l’italien, cite le principe : « la Loi est le décret général du peuple ou de la plèbe sur la demande d’un magistrat » [13]. On retrouve cette idée sous l’empire. Dans la loi d’investiture de Vespasien (69-79 de notre ère), la fameuse « Lex de imperio Vespasiani  », la ratification des actes de l’empereur avant son investiture formelle est dite « comme si tout avait été accompli au nom du peuple » [14]. On perçoit que l’origine de la souveraineté réside dans le peuple, même si ce dernier en a délégué l’exercice à l’empereur. Ainsi, le principe de souveraineté populaire était déjà connu il y a 2000 ans.

La distinction entre l’exercice concret de la souveraineté et son origine est mise en lumière par le fait suivant. On peut opposer à cette vision de la souveraineté du peuple la présence dans cette même loi d’investiture d’une clause discrétionnaire, qui autorise l’empereur à agir « hors des lois » dans l’intérêt et pour la majesté de l’Etat. Mais on peut aussi considérer cela comme une première formulation de l’état d’exception. D’ailleurs Paolo Frezza parle de la « potestas nouvelle et extraordinaire  » de l’empereur[15]. Bretone, avec d’autres, lui oppose cependant le sens profond de cette clause discrétionnaire, qui peut être l’origine d’un pouvoir autocratique[16], et conclut : « la subordination du souverain à l’ordre légal est volontaire, seule sa ‘majesté’ pouvant lui faire ressentir comme une obligation un tel choix, qui demeure libre » [17]. De fait, l’empereur il est indubitable que l’empereur réunit dans ses mains tant la potestas que l’auctoritas. Il s’y ajoute l’imperium, que détenaient avant lui les magistrats républicains. On pourrait croire que ceci clôt le débat car une subordination volontaire n’est pas une subordination. Mais, dans le même temps, la phrase de Bretone ouvre une piste que cet auteur n’explore pas. Quand il écrit, « seule sa ‘majesté’ pouvant lui faire ressentir comme une obligation » cela peut signifier qu’un empereur qui violerait les lois existantes pour son seul « bon plaisir » et non dans l’intérêt de l’Etat, perdrait alors sa « majesté » qui accompagne l’imperium. Dans ce cas son assassinat deviendrait licite car le « dictateur » se serait mué en « tyran ». Et l’on sait que nombre d’empereurs sont mort assassinés, ou ont été contraints de se suicider. On pense à Néron ou à Caligula entre autres. Il est donc intéressant de constater la persistance du vocabulaire et des catégories républicaines au sein même de l’empire[18]. C’est pourquoi je pense que même sous l’empire, c’est bien le peuple qui détient la souveraineté. L’empereur bénéficie d’une délégation, certes extensive, mais qui ne vaut pas cession. C’est un point fondamental que de nombreux auteurs d’aujourd’hui oublient. Le fait de déléguer n’est pas le fait de céder.

L’empereur est donc un dictateur, au sens romain du terme, qui peut s’affranchir de la légalité si nécessaire pour le bien de l’Etat et du « peuple » dans ce que l’on appelle des cas d’« extremus necesitatis  » [19], mais il ne dispose pas de ce pouvoir de manière « libre » comme le dit Bretone. Il doit en justifier l’usage, quitte à se faire assassiner. On est en réalité face à une problématique très moderne, celle de l’état d’exception[20]. Il est aussi vrai que l’on aura une dérive vers l’autocratie dans l’empire tardif, sous Dioclétien et encore plus avec Constantin[21]. Le poids de la religion chrétienne est à évaluer ici, car le monothéisme peut être congruent à l’autocratie. Mais, il faut aussi dire que cette évolution a commencée avant la conversion de Constantin.

Revenons à la dernière partie de votre question. Assurément le peuple est traversé d’aspirations qui peuvent être contradictoires, d’intérêts qui sont nécessairement différents. Mais, le peuple n’est jamais une « masse » pour reprendre le terme que vous employez. Ou, plus précisément, c’est ce qui fait la différence entre une présentation statique d’une population, celle que peut faire un démographe ou un sociologue, présentation qui a bien entendu son intérêt et la vision du politique ou de l’homme d’Etat (et je ne parle pas ici du politicien vulgaire) qui va regarder le « peuple pour soi »[22], soit le peuple dans sa dynamique. Pour ce dernier, les conflits sont légitimes à condition qu’ils puissent déboucher sur des compromis permettant de les dépasser. On retrouve ici le sens de la fameuse remarque faite par Guizot sur l’histoire des institutions qui caractérisait la « civilisation européenne » en 1828[23]. Les intérêts divergents sont légitimes et peuvent être bénéfiques s’ils donnent naissance à des institutions. Et l’on va, oh surprise, retrouver sur ce point la notion de souveraineté. Telle est, en effent, la leçon que l’on peut faut tirer de l’ouvrage classique de François Guizot sur la « civilisation européenne ». Dans sa septième leçon, il analyse le processus d’affranchissement des communes, ce qui le conduit d’ailleurs à la célèbre conclusion que voici :

« (…) la lutte, au lieu de devenir un principe d’immobilité, a été une cause de progrès ; les rapports des diverses classes entre elles, la nécessité où elles se sont trouvées de se combattre et de se céder tour à tour, la variété de leurs intérêts et de leurs passions, le besoin de se vaincre sans pouvoir en venir à bout, de là est sorti peut être le plus énergique, le plus fécond principe de développement de la civilisation européenne[24] »

L’analyse de Guizot a des implications qui n’ont pas été d’ailleurs pas toujours pleinement comprises. Ce que Guizot affirme, c’est non seulement la nécessité de la lutte comme principe d’engendrement des institutions, mais aussi un lien circulaire, ou plus précisément en spirale, où l’on repasse régulièrement au même point mais pas à la même hauteur, entre une institution de souveraineté, la commune bourgeoise par exemple, et le principe de la lutte des classes. La première partie de la citation doit alors être comprise de la manière suivante : sans les garanties que leur donnait la commune, jamais les bourgeois n’auraient osé franchir le seuil qualitatif de la lutte pour les institutions de la société dans son ensemble. Guizot, par ailleurs, analysait très justement la frilosité politique de ces bourgeois et montrait tout ce que leur force devait à une démarche collective :

« Le bourgeois d’une ville, se comparant au petit seigneur qui habitait près de lui et qui venait d’être vaincu, n’en sentait pas moins son extrême infériorité […] il tenait sa part de liberté non de lui seul mais de son association avec d’autres, secours difficile et précaire[25] »

La lutte des bourgeois d’une ville pour leurs franchises et celle qui emplit le xviiie siècle et qui se déroule à l’échelle nationale appartiennent l’une et l’autre à la « lutte des classes » pour Guizot ; pour autant, il ne s’agit pas de la même chose si on l’envisage sous l’angle de la dynamique de la société. La victoire dans le premier stade fait subir à cette lutte un changement qualitatif, parce qu’elle dote la classe en question d’une institution lui permettant d’acquérir une conscience différente de ses intérêts et de ses besoins, et lui offrant des moyens nouveaux. En d’autres termes, il n’est de possibilité d’expression de ses intérêts que par la conquête d’espaces de souveraineté. Mais, celle-ci implique alors l’action collective. C’est pourquoi les différentes formes d’organisations, ligues, associations, syndicats, sont non seulement légitimes mais encore elles sont absolument nécessaires au fonctionnement d’une société qui est hétérogène. L’existence d’un intérêt commun n’efface pas ces conflits, mais doit s’enraciner dans la compatibilité de leurs modes de gestion. Cependant, une fois ces espaces acquis, ils ont tendance à influencer largement sur les représentations de ceux qui y vivent. De fait, l’intérêt commun ne préexiste pas, il n’est pas un « surplomb » aux luttes sociales. L’intérêt commun se construit dans la confrontation de nos divergences comme la meilleure des solutions à ces divergences.

Franck ABED : Il me semble que la souveraineté à laquelle vous faites référence est liée de manière consubstantielle à la démocratie et donc à une certaine idée de la République dite Française. Dans Les Suppliantes d’Euripide, le Héraut Thébain dénonce, selon moi, de manière magistrale le gouvernement de la multitude : « La ville d'où je viens est gouvernée par un seul, et non par la multitude : on n'y voit pas un orateur agiter les têtes par de vains discours, ni tourner les esprits de côté et d'autre, au gré de son intérêt particulier ; l'on n'y voit point le même homme, d'abord chéri et jouissant d'une haute faveur, encourir bientôt la haine, puis, couvrant ses fautes passées sous le voile de la calomnie, se dérober au châtiment. Et comment le peuple, incapable de suivre un raisonnement avec rectitude, pourrait-il régler sagement l'Etat ? Car le temps, bien plus qu'une ambition hâtive, donne le savoir. L'ouvrier, le pauvre qui vit de son travail, et dont les occupations grossières entretiennent l'ignorance, serait incapable de s'occuper des affaires publiques. Et n'est-il pas odieux pour les hommes supérieurs, de voir un vaurien, revêtu des plus hautes dignités, gouverner le peuple par sa parole, lui qui naguère n'était rien ? » Qu’en pensez-vous ? Ne vivons-nous pas actuellement, mais déjà hier, cette situation décrite dans ce court passage ?

Jacques SAPIR : La question de la relation du peuple, communauté politique organisée, avec la « multitude » ou la « masse », est une question ancienne, et je renvoie ici à Thomas d’Aquin cité plus haut qui ne pense la politique que dans la relation du roi et de la « multitude », et qui a hanté les philosophes du politique depuis la fin du XIXe siècle. En fait, cette question fut déjà posée par Benjamin Constant, à partir d’un lecture conservatrice (en non réactionnaire) de la Révolution française[26]. Mais, c’est avec le développement de l’industrie qu’il se produit une évolution vers la « massification ». Cette évolution, repérée par de nombreux auteurs, va donner lieux à un débat important. Dans « Les Religions politiques », ouvrage écrit par Eric Vœgelin[27], la montée en puissance des mouvements de masses totalitaires dans l’entre-deux guerres, est analysée à partir de leur noyau religieux et métaphysique : les idéologies modernes sont des immanentismes religieux[28]. Pour Hannah Arendt, au contraire, c’est dans une nouvelle vision de la sécularisation qu’il faut chercher non l’origine mais le contexte de ces mouvements de la masse[29]. Hannah Arendt conteste précisément cette thèse dans une conférence donnée en 1953, intitulée Religion and politics[30]. Hannah Arendt définit alors les idéologies de ces mouvements de la façon suivante[31] : « Une idéologie est très littéralement ce que son nom indique : elle est la logique d'une idée. Son objet est l'histoire, à quoi « l'idée » est appliquée […]. L'idéologie traite l'enchaînement des événements comme s'il obéissait à la même « loi » que l'exposition logique de son « idée » […] »[32]. Elle dit aussi, avec une pensée largement influencée par la montée du nazisme : « La chute des murs protecteurs des classes transforma les majorités qui somnolaient à l’abri de tous les partis en une seule grande masse informe d’individus furieux[33] ». C’est cette masse d’individus atomisés et sans repères qui a engendré le totalitarisme. Il exprime, par sa démesure, deux problèmes majeurs au sein de l’histoire européenne et occidentale : d’une part, la suppression de la distinction entre le travail et l’activité productive (un problème fort bien vu par Marx est qui est à la base de sa théorie de l’aliénation et du fétichisme), et d’autre part, la dégradation de l’action. Carl Schmitt va aussi s’attaquer à ce problème, et il est intéressant de constater que ce penseur catholique et réactionnaire va trouver dans l’opposition que Marx et Engels font entre le prolétariat et le lumpenprolétariat, littéralement le « prolétariat en haillons », un objet positif pour sa réflexion. Il écrit, et il est important de savoir que ce texte date de 1923, et qu’il est donc antérieur au rapprochement de Schmitt avec les nazis : « En veillant à distinguer leur vrai prolétariat de cette racaille « pourrie », Marx et Engels laissaient voir à quel point les représentations traditionnelles culturelles et morales de l’Europe de l’Ouest les influençaient encore. Ils voulaient donner à leur prolétariat une dignité sociale, ce qu’on ne peut jamais faire qu’avec des concepts moraux[34]. »

La question de la « multitude » ou de la « masse » pose en réalité celle de l’existence, plus ou moins fragiles, des médiations politiques et sociales. Les médiations sociales et politiques sont ce qui empêche la constitution de groupes sociaux, bien identifiés par leurs activités et leurs intérêts, en une « multitude » indifférenciée. Il faut ici savoir que la question de la médiation est au cœur de la réflexion chrétienne[35], mais que cela ne veut pas dire qu’il ne puisse y avoir de compréhension de l’importance de la médiation que par des chrétiens. Il y a une autre médiation qui s’oppose pas nécessairement à la première (du moins pour les croyants) mais qui existe à côté d’elle : c’est la question de la médiation des intérêts divergents au sein d’une société, d’un Etat, d’une nation. De ce point de vue, il y a un besoin de médiation quand bien même nous ne mobiliserions pas l’ensemble chrétien. Pourtant, l’idée d’une complexité induite par les entrelacs des médiations est largement refusée par des courants de pensée, soit d’origine religieuse, soit parfaitement sécularisés. C’est en particulier l’idée de la « main invisible » qui a une telle force chez les économistes que certains veulent voir un « négationnisme » chez qui la conteste. Mais, l'affirmation de la traduction socialement harmonieuse et automatique des désirs privés en un bien collectif n'est en réalité rien d'autre chez Adam Smith qu'un postulat métaphysique qui n’ose pas dire son nom. Il reprend, en en modifiant le sens, les thèses des jansénistes dont il tire, par un long cheminement des sources que décrypte admirablement Jean-Claude Perrot[36], cette idée de main invisible. Ainsi, l'image de Dieu perdure pour hanter certains hommes. L'économie politique classique se révèle comme une construction profondément métaphysique à la fois quant à la nature humaine et quant aux modes d'interaction. Cette image de Dieu prend alors deux formes distinctes dans la pensée économique : elle induit le modèle déterministe et mécaniste de l'École de Lausanne (Walras et Pareto) et sa forme moderne du modèle Arrow-Debreu. Les édits divins nous sont lisibles par les succès ou les échecs des acteurs. Cette lisibilité justifie l'hypothèse d'information parfaite et complète.

Oui, nous devons penser non pas la traduction nécessairement harmonieuse de ces intérêts mais au contraire le conflit, la revendication, la lutte gréviste, qui conduisent à des formes particulières de médiation et qui les construisent à travers les institutions. Il faut donc reprendre ici la question de la construction des institutions qui est centrale dans la constitution du « peuple » face à la « multitude », et l’on va y retrouver la souveraineté. En effet, l’extension des domaines de souveraineté a été la forme prise par les luttes sociales qui, au fil du temps, ont construit les institutions. Telle est la leçon qu’il faut tirer de l’ouvrage classique de François Guizot sur la « civilisation européenne » [37]. Ses implications n’en n’ont pas été d’ailleurs pas toujours pleinement comprises. Ce que Guizot affirme, c’est non seulement la nécessité de la lutte comme principe d’engendrement des institutions, mais aussi un lien circulaire, ou plus précisément en spirale, où l’on repasse régulièrement au même point mais pas à la même hauteur, entre une institution de souveraineté, la commune bourgeoise par exemple, et le principe de la lutte des classes. En d’autres termes, il n’est de possibilité d’expression de ses intérêts collectifs que par la conquête d’espaces de souveraineté. Mais, celle-ci implique alors l’action collective. C’est pourquoi les différentes formes d’organisations, ligues, associations, syndicats, sont non seulement légitimes mais encore absolument nécessaires au fonctionnement d’une société hétérogène. L’existence d’un intérêt commun n’efface pas ces conflits, mais doit s’enraciner dans la compatibilité de leurs modes de gestion. Cependant, une fois ces espaces acquis, ils ont tendance à influencer largement sur les représentations de ceux qui y vivent.

Mais, il est aussi clair qu’une partie de la gauche, et en particulier la gauche révolutionnaire, qui ici se réfère plus à Bakounine qu’à Marx, tend à refuser le principe de la médiation, à le considérer comme intrinsèquement pervers. Cela n’aurait pas dû être, mais cela fut, et cela le reste encore dans une frange groupusculaire mais aussi au-delà. Il nous faut tirer les leçons de cette bifurcation qui a entraîné une pensée construite en Raison sur des chemins dont la raison était absente. Dans cette interprétation elle devient un millénarisme, et c’est ce qui explique pourquoi cette frange, et au-delà une partie de la gauche radicale dans laquelle je peux me reconnaître, a de tels problèmes avec la notion de souveraineté ! Un des exemples de cette pensée est Yann Moulier-Boutang et bien sur sa revue intitulée, comme par hasard, « Multitudes »[38]. On trouve aussi dans ce courant Toni Negri. Les marxistes révolutionnaires attendent la révolution qui donnera naissance à la société sans classes. Il faut savoir que si Marx ne récuse pas la lutte politique pour la démocratie, cette dernière pourtant ne vise que les formes institutionnelles, ce qu’il appelle la "communauté illusoire". Mais, il soumet cette lutte à l'émancipation générale des travailleurs, qui seule lui donne sens et à laquelle elle doit donc être entièrement subordonnée. Dans une société sans classes, les acteurs ayant un accès direct, non médiatisé, avec la réalité, le besoin en organisations séparées de la société disparaît. On connaît la formule : dès lors, l'État dépérit. C’est pourquoi un des rares auteurs marxistes à s'être spécialisé sur le droit, Pachukanis, pouvait affirmer que, sous le communisme, il n'y aurait plus de réglementations légales mais uniquement des réglementations techniques[39]. C’est très exactement ce que dit Carl Schmitt sur la démocratie parlementaire libérale, sauf qu’il voit aussi que ce sont des réglementations politiques qui se donnent pour des réglementations techniques. On peut aussi trouver chez Engels une critique virulente des nationalisations, opposées à la socialisation des moyens de production avec une critique qui, en réalité, fait l’impasse sur la démocratie[40]. Cette société idéale n’est donc plus un Etat puisqu’il y a dépérissement de l’Etat après la révolution. Dans la période transitoire du socialisme, - « à chacun selon son travail » - il ne peut plus y avoir de partis politiques mais seulement des « partis techniques » comme le dit Trotski dans « Leur morale et la nôtre » [41]. Nous ne sommes donc plus dans le politique mais dans la technicisation des choix sociétaux.

Il faut alors discuter la logique de l'argumentation, considérer que c'est par un pur artifice rhétorique (la négation de la négation) que Marx se débarrasse du capitalisme et du problème du fétichisme, mais on ne peut nier le biais à la fois libertaire et libéral que l'on trouve chez Marx. Ce biais est, d’ailleurs, loin d'être pleinement cohérent avec les autres dimensions de son analyse. Henri Maler, dans un ouvrage publié en 1995, montre qu'il y a chez Marx une multiplicité de modèles du dépérissement de l'État, au fur et à mesure de l'approfondissement de son analyse ; ces modèles sont constamment rectifiés, amendés et modifiés, mais sans qu'il soit possible de les débarrasser de leurs ambiguïtés initiales[42]. Très concrètement, d'ailleurs, quand des marxistes, ou des courants inspirés par certaines lectures du marxisme, sont arrivés au pouvoir, ils n'ont pas su penser la construction et la modernisation de l'État. Lénine lui-même, à la veille de prendre le pouvoir, croyait qu'il était possible de passer du gouvernement des hommes à l'administration des choses[43]. L'utopisme de Marx, aggravé par le scientisme de Engels, conduit à penser le passage de la nécessité à la liberté comme une simple application de lois de la société qui pourraient être consciemment mises en œuvre[44]. La question fondamentale que cette démarche n'est pas la critique des illusions de la neutralité de l'État, ou du caractère illusoire de la représentation d'une communauté nationale qui serait dépourvue de conflits, visions qui sont celles des courants démocratiques de la première moitié du XIXème siècle contre lesquels il propose sa théorie du communisme[45]. Cette critique est juste, et reste largement opératoire. Ce qui pose problème est qu'elle nous propose aussi une critique de l'État à partir d'une utopie, celle de la société sans classe, dénuée de fétichisme car dénuée d’aliénation. Cette utopie, elle, est parfaitement congruente avec l'utopie libérale issue de la tradition néoclassique. Ceci conduit, si on n'y prend garde, à une naturalisation de fait de l'économie et de la société (avec la notion des fameuses « lois objectives », certes plus présentes chez les marxistes que chez Marx par ailleurs), qui aboutit alors à une dépolitisation du politique. Bien entendu le niveau politique reste important, la question du pouvoir domine toutes les autres, comme disent les bolchéviques, mais c'est pour appliquer une politique qui ne serait que l'expression d'une compréhension consciente de ces lois. La politique, perçue comme l'espace à la fois d'expression et de constitutions de représentations collectives, la notion de l'espace de controverse et de médiation, disparaît alors.

Pour conclure sur votre question, et revenir à la Grèce antique, il importe de se souvenir qu’Athènes et sa démocratie continue de resplendir dans notre culture alors qu’il n’est rien resté de Sparte.

Franck ABED : Dans votre ouvrage vous opérez une distinction entre le plébiscite et le référendum. Pourriez-vous rappeler rapidement les spécificités de l’un et de l’autre ?

Jacques SAPIR : Un référendum pose une question d’ordre politique et juridique : approuvez vous une constitution, approuvez-vous tel ou tel traité, approuvez-vous tel ou tel changement dans la constitution. Le plébiscite, lui, pose la question d’un homme (ou éventuellement une femme). Voulez vous que untel ou untelle exerce le pouvoir. Autant le référendum me semble une forme éminemment démocratique, contrairement à ce que disent les thuriféraires de l’Union européenne, autant la plébiscite, qui sépare le pouvoir de sa responsabilité, n’est pas démocratique. Si un plébiscite est bien un instrument non-démocratique, tout référendum n’est pas un plébiscite. La confusion établie entre les deux notions par les partisans de l’UE est très dangereuse et pour tout dire malhonnête[46]. La pratique qui consiste à assimiler référendum et plébiscite, car c’est de cela dont il est question, est une erreur logique.

Franck ABED : En page 162 de votre livre, vous évoquez le départ de la Guerre de Cent Ans sous l’angle juridique en opposant le droit privé et le droit public. Vous continuez en développant l’idée que la « loi salique est une pure invention trouvée du côté français  » pour justifier l’idée selon laquelle la Couronne doit revenir à un Français et non au Roi d’Angleterre. Ecrire que la loi salique est une pure invention ne revient-il pas à tomber dans un excès intellectuel dont vous n’êtes guère coutumier ? En effet, dire qu’elle fut invoquée de manière opportune peut éventuelle se concevoir, encore que, mais dire qu’elle fut inventée… Ceci étant dit, indépendamment de cette question juridique importante, comprenez-vous que les grands du Royaume, dans une optique de défense de la souveraineté, à laquelle vous semblez attacher, aient préféré et soutenu Philippe VI de Valois à Edouard III d’Angleterre ?

Jacques SAPIR : La position prise par les « Grands » du Royaume traduit à la fois la constitution d’une culture politique spécifique, dont la construction est cependant encore incomplète, et des intérêts particuliers. Cette culture politique se constitue depuis Philippe-Auguste. C’est elle qui différencie progressivement la France, en train de se constituer en Etat-Nation des autres Etat limitrophes.

La constitution progressive du « peuple français » est un processus politique qui s’est affirmé à partir de Philippe Auguste[47], autour de ce moment historique qu’a représenté la bataille de Bouvines[48]. De là vient aussi, à travers le processus de construction de l’Etat qui acte la différence entre le Royaume, comme institution politique et la propriété personnelle du Roy, la différenciation progressive avec nos voisins, dont bien entendu le Royaume d’Angleterre. Ce qui importe ici c’est que l’on passe du droit privé (avec le notion de famille, voire de lignage, dans les héritages) à la notion de droit public. C’est cela le fond de la réaction des « Grands » du Royaume à la prétention anglaise, qui est entièrement fondée en droit privé, et entièrement infondé en droit public, voire en droit constitutionnel balbutiant.

Or, l’épisode de Bouvines, c’est le moment où s’affirme la souveraineté royale, car le Roy est dit « empereur en son royaume » à la suite de cette victoire. Le « peuple », quant à lui, et comme je l’ai dit, se constitue en parallèle à l’Etat. Mais, il est bien constitué au moment de l’aventure de Jeanne d’Arc qui représente un moment important dans l’histoire symbolique (et réelle) des français. Cet épisode est ici capital. Si le mouvement de différenciation n’avait concerné que la haute élite nobiliaire, il est probable que les défaites successives des armées du Roy de France et la déréliction de l’Etat à laquelle on assiste auraient fini par faire régresser, dans les représentations, l’idée de l’Etat vars l’idée de la propriété personnelle du Roy. D’ailleurs, un certain nombre de nobles ont changé d’allégeance… Car, qu’est-ce qui sépare les « français » des « anglais » à cette époque ? Des deux côtés on est chrétien ; l’élite politique parle la même langue ; les formes du pouvoir politique sont très proches. Pourtant, il est clair que la culture politique n’est plus la même, ce qui fait que le sentiment de la différence n’est pas seulement ressenti par l’élite mais bien par la population. Mais, c’est la chevauchée de Jeanne d’Arc qui montre que c’est constitué un peuple. Jeanne d’Arc, sans le savoir, est une révolutionnaire : elle conteste le vieil ordre féodal des relations personnelles sur lesquelles était fondé le pouvoir pour affirmer la présence d’un nouvel acteur, le peuple. Elle conteste aussi l’ordre ecclésiastique en s’affirmant porteuse d’un message qui n’est passé par les voies hiérarchiques de l’église. C’est tout cela qu’on lui fera payer, très cruellement, par le bûcher de Rouen[49]. Sa chevauchée change la donne ; elle ressert les liens entre la noblesse de la Dauphin, ce qui lui donne la force de se remettre à avancer[50]. Un point ici doit attirer notre attention. Un des conseillers du Dauphin lui demande lors d’une entrevue en quelle langue lui parlaient ses voix. Elle répond, et c’est une phrase magnifique, « dans un meilleur français que toi ». Comment ne pas y voir, rétrospectivement, l’affirmation de ce sentiment national qui anime la petite noblesse et le peuple et qui, par cette phrase, s’affirme l’égal des nobles proches du Roy. De tout cela, même un marxiste révolutionnaire, le philosophe et militant trotskiste (il fut un des dirigeants historiques de la LCR) Daniel Bensaïd, l’avait compris[51]. C’est pourquoi Jeanne d’Arc appartient à TOUS les français et ne peut être l’otage d’un quelconque parti.

Je vous dirai donc, pour conclure, que je retiens deux moments symétriques, le refus des « Grands » qui, à mon sens, signe le passage du droit privé au droit public et marque donc de ce fait la spécificité de la France comme entité politique, et la chevauchée de Jeanne d’Arc qui, elle, vient signifier que le peuple français s’est constitué et qui vient renforcer de manière décisive le refus des « Grands » du Royaume. Je veux aussi signaler que la chevauchée de Jeanne d’Arc n’est pas unique historiquement. Au Viet Nam nous avons, au premier siècle de notre ère l’épopée des Sœurs Trung contre l’envahisseur chinois, qui montre la force d’un sentiment national en constitution[52]. Nous avons aussi le mythe, un peu plus tardif, de Triệu Thị Trinh, une femme vietnamienne ayant dirigé victorieusement un mouvement de résistance contre les Chinois, et qui est souvent présentée comme la « Jeanne d’Arc vietnamienne »[53]. Nous retrouvons donc cette configuration, le sursaut populaire venant au secours de la défense d’un Etat- Nation défendu par une caste nobiliaire défaillante, bien loin de la France et de la culture chrétienne.

Franck ABED : La fonction présidentielle place l’homme ou la femme dans une dimension qui le sort de la normalité du commun des mortels. François Hollande en déclarant qu’il serait un « président normal » n’avait-il pas décrédibilisé cette fonction avant même de l’occuper ? De même le fait qu’en théorie tout citoyen peut accéder à la magistrature suprême de Président de la République, ne décrédibilise-t-il pas la première place de l’Etat ? En effet, si « tout le monde » peut y prétendre, ne perd-elle pas à la fois et sans mauvais jeu de mots, de sa majesté voire du sacré ?

Jacques SAPIR : Ce n’est pas tant le fait que tout citoyen puisse, en théorie, accéder à la magistrature suprême qui décrédibilise cette dernière que le comportement, assez indigne il faut le dire, des deux derniers présidents, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Sous la monarchie, aussi, on a eu des rois qui se sont comportés de manière indigne. L’histoire de l’empire romain retient le nom de quelques empereurs qui se sont comportés de manière indigne, et qui l’ont d’ailleurs payé de leur vie, Néron et Caligula, entre autres.

Ce qui est important ici c’est que François Hollande a tenté de théoriser l’idée d’un président « normal ». On voit bien ce qu’il avait à l’esprit, le fonctionnement des démocraties scandinaves ou il y a une simplicité évidente dans le comportement des dirigeants. Seulement, il a confondu « normalité » et simplicité. Ce ne sont pas du tout les mêmes notions. S’il avait parlé d’une présidence simple, alors se serait imposé à lui l’exemple de Charles de Gaulle, qui n’usait du faste et de l’apparat que quand c’était politiquement nécessaire et jamais à des fins personnelles. Les témoignages sur ce point abondent. La simplicité me semble une valeur personnelle importante pour toute personne aspirant à la magistrature suprême, c’est une « vertu » dans le sens ancien qu’avait ce mot. Mais, cela n’implique pas la « normalité », qui est impossible dans cette fonction hautement anormale qu’est la Présidence de la République. Pour ne pas l’avoir compris, François Hollande va sombrer comme le président le plus détesté de la Ve République.

Ce qu’il y a de beau, de magnifique, dans cette idée que tous nous pouvons aspirer à la fonction suprême, n’est pas que n’importe qui pourrait exercer cette fonction. Cela, c’est une idée anarchiste, reprise par Lénine dans l’Etat et la Révolution, et dont il a du rapidement constater la fausseté. Non, c’est au contraire l’idée que ce but, si c’en est un, est possible à tous, moyennant que l’on s’en donne la force morale, que l’on se construise les vertus nécessaires pour exercer au mieux cette fonction. On se souvient de ce qu’Athos dit, lors de ses retrouvailles avec d’Artagnan dans Vingt ans après  : « Les vices que j’avais, je m’en suis corrigé ; les vertus que je n’avais pas, j’ai feint de les avoir  »[54]. C’est ce travail sur soi qu’il faut commencer à faire. Croit-on que le Lieutenant Charles de Gaulle avait déjà acquis tout ce qui fit de de Gaulle un grand président. Non, cette idée que tous nous pouvons aspirer à la fonction suprême, et pour cela nous hisser au-dessus de nous même, cela porte un nom : c’est la méritocratie, cet terme aujourd’hui si méprisé, et c’est la méritocratie républicaine.

Franck ABED : En page 174 vous écrivez « Le peuple, conçu comme une communauté politique, n’a pas d’existence concrète en dehors de l’état et de la nation, même s’il peut consciemment, mais aussi inconsciemment, transformer l’un et l’autre. » Comment définir « le peuple » juif avant l’existence de l’Etat Hébreu ? Devons-nous lui refuser intellectuellement la notion de peuple ? Même question pour les Chaldéens qui eux, à ce jour, n’ont toujours pas de pays et donc d’état.

Jacques SAPIR : C’est une très ancienne question, sur laquelle de nombreux auteurs se sont penchés. Les marxistes issus de l’empire austo-hongrois ont apporté leur contribution à ce débat[55]. Certains peuples comme certaines nations n’ont pu finir de se constituer. Leur construction demeure incomplète. Dans le cas du peuple juif, avant 1939, ce n’est pas d’UN peuple qu’il faut parler mais DE peuples, car les différentes communautés juives s’étaient différenciées suivant leurs pays d’adoption. Suivant les règles de ces pays, ils s’étaient intégrés politiquement et certains avec passion. D’ailleurs, à cette époque, le sionisme ne touche qu’une infime fraction des juifs. Il a fallu le génocide hitlérien pour que le sionisme gagne en puissance. Mais, dans de nombreux pays, les juifs sont intégrés et assimilés, et sont des citoyens comme les autres. La création de l’Etat d’Israël a constitué un peuple israélien qui tend à se différencier maintenant très vite, et qui doit affronter, du fait de la « loi du retour » la question de l’intégration des « immigrés », comme dans le cas des juifs éthiopiens, et le moins que l’on puisse en dire est que cela ne se passe pas bien. Certains disent aujourd’hui que les juifs russes qui ont massivement émigré vers Israël au début des années 1990, forment en réalité une communauté spécifique qui a du mal à s’intégrer. Autre exemple, les kurdes. En dépit d’un discours qui prétend à « l’unité » d’une nation kurde, on voit bien que les institutions, les règles politiques, opposent de plus en plus les kurdes d’Irak, qui probablement vont pouvoir se constituer autour d’un Etat, des kurdes syro-turques. Actuellement il y a des combats sporadiques ENTRE les kurdes. Troisième exemple, celui des québécois. L’autonomie dont ils jouissent est subtilement mise en cause par les « fédéralistes » canadiens et si le mouvement indépendantiste, souverainiste, au Québec échoue une troisième fois dans sa marche vers l’indépendance, il est probable que le « peuple » se décomposera.

A contrario, c’est aussi un problème pour la France. Pourquoi aujourd’hui l’identité est-elle devenue un problème politique dans notre pays ? En raison de la déconstruction de l’Etat-Nation par Bruxelles et l’UE, la communauté politique qui est le peuple tant à se défaire, ce qui est d’ailleurs exactement le but recherché par les « fédéralistes » européens. Le peuple et l’Etat-Nation entretiennent des liens étroits ; c’est une construction dialectique.

Franck ABED : En page 177 de votre livre vous expliquez que « le souverainisme est insupportable à tous les fanatismes, que ce soit celui des fous de Dieu ou celui des fous du marché  ». A l’heure des réseaux sociaux, du village global et des autoroutes de l’information (chères à Al Gore), l’heure n’est-il pas à l’internationalisme qu’il soit religieux, du marché, ou tout simplement humain ? Le souverainisme n’apparaît-il pas aujourd’hui comme un principe rétrograde voire passéiste ?

Jacques SAPIR : Je ne crois pas que vous posiez sérieusement cette question. La technique et les technologies (qui sont l’art d’utiliser les techniques et ainsi différentes de ces dernières) ont constamment évolué depuis cinq à six millénaires. La question de la souveraineté a toujours été posée. Elle à même émergé dans les premières sociétés pré-humaine, dont l’homme est en réalité issu. Par contre, ce qui est vrai, c’est que les formes d’application de ce principe ont évolué.

On voit bien qu’existent des problèmes qui touchent aujourd’hui plusieurs Etats. C’est un phénomène ancien, que l’on pense à la gestion des fleuves, mais qui prend, en particulier à cause des problèmes de pollution, une nouvelle importance. Mais, cela n’implique nulle autorité supra-nationale. La notion d’internationalisme permet de traiter ce problème dans le respect des Etats. Il faut ici rappeler que l’internationalisme n’est pas un a-nationalisme. L’internationalisme prend acte du fait que tous les hommes peuvent être concernés par certains problèmes, et appelle à la coopération, ou à la coordination, des Nations pour traiter ce problème. Cette coordination doit se faire dans le respect des institutions politiques et sociales de chaque pays. C’est aujourd’hui une question importante, car on prétend que le Droit international serait un droit supérieur à celui des Etats. Mais, le Droit International découle au contraire du Droit de chaque État, il est un Droit de coordination[56]. C’est la logique développée par Simone Goyard-Fabre[57]. Un auteur, que j’ai cité en réponse à une de vos autres questions, et qui est un des idéologues de l’Union européenne, Andras Jakab, se voit d’ailleurs obligé de reconnaître que : « malheureusement, du point de vue de la définition de la notion, la souveraineté comme telle n’est définie dans aucun traité international (peut-être parce qu’un accord sur cette question serait impossible  »[58]. Il ajoute quelques lignes plus loin : « Mais l’acceptation totale du premier droit du souverain, c’est-à-dire l’exclusivité, n’est pas satisfaisante vu les défis nouveaux, notamment la mondialisation  »[59]. C’est là, en réalité, un argument très faible, comme je l’ai montré dans mon livre Souveraineté, Démocratie, Laïcité. Par l’usage de cet argument, il glisse, dans le même mouvement, d’une position de principe à une position déterminée par l’interprétation qu’il fait - et que l’on peut réfuter - d’un contexte. On comprend bien, alors, que cette démarche a pour objet, consciemment ou inconsciemment, de nous présenter le contexte comme déterminant par rapport aux principes. La confusion entre les niveaux d’analyse atteint alors son comble. Il y a ici une consternante absence de dialectique dans la pensée de Jakab, qui se révèle alors très frustre sous les atours d’une présentation savante. D’ailleurs, cette démarche a été critiquée bien avant que Jakab n’écrive son premier article par Simone Goyard-Fabre qu’il convient ici de citer à nouveau : "Que l'exercice de la souveraineté ne puisse se faire qu'au moyen d'organes différenciés, aux compétences spécifiques et travaillant indépendamment les uns des autres, n'implique rien quant à la nature de la puissance souveraine de l'État. Le pluralisme organique (...) ne divise pas l'essence ou la forme de l'État ; la souveraineté est une et indivisible"[60]. L'argument qui entend fonder sur la limitation pratique de la souveraineté une limitation du principe de celle-ci est en réalité d'une grande faiblesse. Les États n'ont jamais prétendu pouvoir tout contrôler matériellement, même et y compris sur le territoire qui est le leur. Le despote le plus puissant et le plus absolu était sans effet devant l'orage ou la sécheresse. Il ne faut donc pas confondre les limites liées au domaine de la nature et la question des limites de la compétence du Souverain. Mais, ces limites issues de la nature, ou des transformations que nous lui faisons subir, peuvent nécessiter de nouvelles coopérations et coordinations entre Etat.

La confusion que l’on trouve dans les thèses de Jakab, et de quelques autres, a naturellement pour objet de faire passer pour logique ce qui ne l’est pas : la subordination de la Souveraineté. Or, cette subordination est contraire aux principes du droit. On comprend mieux alors toutes les distinctions qu’il a reçues des institutions de l’Union européenne, car il se révèle, au sens marxien du terme, un « idéologue », soit quelqu’un qui tend un rideau de fumée pour tenter de masquer un rapport de domination.

Franck ABED : Dans votre livre vous définissez trois principes de l’ordre démocratique, le principe de responsabilité, principe de la liberté d’organisation, principe d’égalité d’accès à la décision. Depuis la mise en place de la démocratie et de la république en France, ces principes n’ont jamais été mis en place. Ne poursuivez-vous pas une chimère ? Comprenez-vous qu’on puisse vous définir comme un utopiste républicain ?

Jacques SAPIR : Le terme d’utopie, et d’utopiste, ne me gêne pas. Encore faut-il savoir de quelles utopies parle-t-on. Il y a des utopies qui sont mortifères, et d’autres qui peuvent être libératrices. Il en est ainsi des religions. A vouloir construire à tous prix le « royaume de Dieu » sur terre, on aboutit à faire de cette terre un enfer. C’est une tendance qui a existé dans TOUTES les religions révélées. De même, à vouloir nier les différences sociales et construire à tous prix la « société sans classe », on aboutit aussi à construire un enfer sur terre. Ma génération ne peut pas penser l’utopie en dehors d’une critique de certaines utopies. Mais, cela ne veut pas dire renoncer à toute utopie.

Peut-être que l’ordre démocratique est une utopie, mais peut-être peut-il connaître des éléments d’application dans notre société. Ce qui est important, c’est que les trois principes que vous citez, le principe de responsabilité, principe de la liberté d’organisation, principe d’égalité d’accès à la décision, sont des principes fondés en raison, en cela qu’ils ne nécessitent pas une transformation de l’homme pour pouvoir s’appliquer. Ce sont aussi des principes réalistes, en cela qu’ils prennent en compte les apports de la théorie cognitive, et en particulier des travaux d’Herbert Simon[61], mais aussi les résultats des travaux de psychologie expérimentale de chercheurs comme Amos Tversky et Daniel Kahneman[62]. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si j’ai commencé à développer cette notion d’ordre démocratique dans un livre de 2002, Les économistes contre la démocratie[63], et si j’ai continué dans cette voie dans un autre ouvrage d’économie publié en 2005[64]. Cette notion découle de mes travaux théoriques sur l’économie, que j’ai toujours considéré comme une science sociale et politique. Je pense avoir établi des liens logiques forts entre les éléments que l’on peut considérer comme scientifiques, et que j’ai développé dans ces livres, et la notion – qui est quant à elle politique – d’ordre démocratique. C’est aussi une notion qui ne nécessite aucun choix idéologique préalable, et certainement pas un choix religieux. De ce point de vue, la notion d’ordre démocratique est largement transparente et peut être mise en place par un incroyant, comme moi, comme par un catholique, un protestant, un orthodoxe, un musulman, un juif, ou un croyant dans toute autre religion. Il y a donc une dimension a-utopique dans la notion d’ordre démocratique.

Que la notion d’ordre démocratique contienne aussi une partie utopique, ou qu’elle puisse avoir une dimension utopique, cela je n’en disconviens pas. Mais, je pense qu’il s’agit là d’une utopie positive. Car, il est aujourd’hui très clair que les autres ordres, qu’il s’agisse de l’ordre pré-moderne ou qu’il s’agisse de l’ordre marchand, ont échoué pour l’organisation politique de notre société.

 

Propos recueillis le 10 octobre 2016

 

[1] Saint Thomas d'Aquin, Somme théologique, Paris, Editions du Cerf, 1984, T.2, I – IIae, qu. 91, « Les diverses espèces de lois »

[2] Saint Thomas d'Aquin, Du Royaume. De Regno, Texte traduit et présenté par Marie-Martin Cottier, Paris, Egloff, 1946, Chap II, III, V.

[3] Marsile de Padoue, Le Défenseur de la paix, Trad. et intro. et Commentaire par Jeannine Quillet, Paris, Vrin, 1968.

[4] Bodin J., Les Six Livres de la République, (1575), Librairie générale française, Paris, Le livre de poche, LP17, n° 4619. Classiques de la philosophie, 1993

[5] Bourdin B., La Genèse théologico-politique de l'Etat moderne (sous-titre : La controverse de Jacques Ier d'Angleterre avec le cardinal Bellarmin), Paris, Puf, coll. "Fondements de la politique", 2004

[6] Alain Boureau, La Religion de l'Etat. La construction de la République étatique dans le discours théologique de l’Occident médiéval (1250-1350), Paris, Les Belles-Lettres, 2006

[7] Cité d’après B. Bourdin, Waterlot G., « Soumettre l'Eglise à l'Etat : Marsile de Padoue et la querelle de la pauvreté », dans Marie-Fr. Renoux-Zagamé, Bernard Bourdin, Jean-P. Durand (dir.), Droit divin de l'Etat. Genèse de la modernité politique, Revue d'Ethique et de théologie morale, 227, Paris, Ed. du Cerf, 2003, pp.179-206

[8] Godelier M., « Ethnie-tribu-nation chez les Baruya de Nouvelle-Guinée », in Journal de la Société des océanistes, N°81, Tome 41, 1985. pp. 159-168. Idem, La production des grands hommes : pouvoir et domination masculine chez les Baruya de Nouvelle-Guinée, Paris, Fayard, 1982.

[9] Godelier M., « Ethnie-tribu-nation chez les Baruya de Nouvelle-Guinée », op.cit., p. 163.

[10] Wierner K-F, Histoire de France. Tome 1, Les Origines, Avant l'an mil, Paris, Fayard, 1984.

[11] Favier J., Les légistes et le gouvernement de Philippe le Bel », in Journal des savants, no 2, 1969, p. 92-108. Idem, Un Conseiller de Philippe le Bel : Enguerran de Marigny, Paris, Presses universitaires de France, (Mémoires et documents publiés par la Société de l'École des chartes), 1963.

[12] Voire Nicollet C., « Polybe et la ‘constitution’ de Rome » in C. Nicollet (dir), Demokratia et Aritokratia. A propos de Caius Gracchus : mots grecs et réalités romaines, Paris, Presse de la Sorbonne, 1983.

[13] Bretone M., Histoire du droit romain, Paris, Editions Delga, 2016, p.216..

[14] Idem, p. 215.

[15] Frezza P., Corso di storia del diritto romano, Rome, Laterza, p. 440.

[16] Brunt P.A., « Lex de imperio Vespasiani » in The Journal of Roman Studies, vol. 67, 1977, pp. 95-116.ss

[17] Bretone M., Histoire du droit romain, op.cit., p.216.

[18] Bretone M., Histoire du droit romain, op.cit., p.215. Brunt P.A., « Princeps et Equites », in The Journal of Roman Studies, vol 73, 1983, pp. 42-75.

[19] Schmitt C., Théologie Politique, traduction française de J.-L. Schlegel, Paris, Gallimard, 1988 ; édition originelle en allemand 1922, pp. 8-10

[20] Saint-Bonnet F., L’état d’exception, Paris, PUF, 2001.

[21] Jones A.H.M., The Later Roman Empire 284-602, t. I-III, Oxford University Press, Oxford, 1964.

[22] Voir Lukacs G., Histoire et conscience de classe. Essais de dialectique marxiste. Paris, Les Éditions de Minuit, 1960, 383 pages. Collection « Arguments ».

[23] F. Guizot, Histoire de la civilisation en France depuis la chute de l'Empire Romain, Didier, Paris, 1869. Texte tiré de la 7ème leçon, de 1828.

[24]. F. Guizot, Histoire de la civilisation en Europe, rééd. du texte de 1828 avec une présentation de P. Rosanvallon, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1985, p. 182.

[25]. Ibid., p. 184.

[26] Voir Pierre Manent, Les libéraux, Paris, Gallimard, coll. « tel  », 2001

[27] Eric Vœgelin, Les religions politiques, Paris, Editions du Cerf, coll. “Humanités”, 1994.

[28] Eric Vœgelin, La nouvelle science du politique Une introduction, Traduction, préface et notes par Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Editions du Seuil, 2000

[29] Hannah Arendt, La crise de la culture, traduction française, P. Lévy, Paris, Gallimard, coll. « folio essais »,1972.

[30] Hannah Arendt, « Religion and politics », in Confluence, An International Forum, Cambridge, Massachussets, II, 1953, vol.2, 3, pp.105-126

[31] Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem, traduction principalement de l'anglais révisée par H. Frappat et M. Leibovici, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2002

[32] Idem, p. 825.

[33]Hannah Arendt, Le Système totalitaire, Traduit de l'américain par Jean-Louis Bourget, Robert Davreu et Patrick Lévy, Paris, Editions du Seuil, coll. « Points », 1972., p.37.

[34]Carl Schmitt ,La visibilité de l’Eglise, Catholicisme romain et forme politique, Donoso Cortés interprété à travers le prisme paneuropéen., Paris, Editions du Cerf, coll. « La nuit surveillée », 2011, p.184.

[35] Voir Bourdin B., La médiation chrétienne en question : les jeux de Léviathan, Paris, Le Cerf, 2009.

[36] J-C Perrot, "La Main invisible et le Dieu caché" in J-C Galley, ed., Différences, valeurs, hiérachie. Textes offerts à Louis Dumont, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1984, pp. 157-181.

[37] F. Guizot, Histoire de la civilisation en Europe, rééd. du texte de 1828 avec une présentation de P. Rosanvallon, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1985, p. 182-184.

[39] E.B. Pashukanis, Law and Marxism, a General Theory, Ink Links, Londres, 1978.

[40] F. Engels, Anti-Dühring, Éditions Sociales, Paris, 1971, p. 314, note 1.

[41] Trotky L., Leur morale et la notre, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1966. 

[42] Maler H., Convoiter l'Impossible, Albin Michel, Paris, 1995.

[43] Lenine V.I., L’Etat et la Révolution, (1917), Paris, La Fabrique, 2012.

[44] Maler H., Convoiter l'Impossible , op.cit..

[45] Voir Torrance J., Karl Marx's Theory of Ideas , Cambridge University Press et Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, Cambridge-Paris, 1995.

[46] Jakab A., « La neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans l’argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l’intégration européenne », in Jus Politicum, n°1, p.4, URL : http://www.juspoliticum.com/La-neutralisation-de-la-question,28.html

[47] Flori J., Philippe Auguste - La naissance de l'État monarchique, éditions Taillandier, Paris, 2002 ; Baldwin J.W., (trad. Béatrice Bonne, préf. Jacques Le Goff), Philippe Auguste et son gouvernement. Les fondations du pouvoir royal en France au Moyen Âge, Paris, Fayard,‎ Paris,1991.

[48] Duby G., Le Dimanche de Bouvines, Gallimard,‎ Paris, 1973

[49] Tremolet de Villers J. Jeanne d'Arc : Le procès de Rouen (21 février-30 mai 1431), Paris, Les Belles Lettres, 2016.

[50] Pernoud R., Réhabilitation de Jeanne d'Arc, reconquête de la France, Monaco, Editions du Rocher, 1995.

[51] Bensaïd D., Jeanne de guerre lasse, Paris, Gallimard, « Au vif du sujet », 1991. Voir aussi http://www.danielbensaid.org/Il-y-a-un-mystere-Jeanne-d-Arc

[52] Schweyer A-V., Le Viêtnam ancien, Paris, Les Belles lettres, 2005

[53] Taylor K.W., The birth of Viet Nam, Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1983.

[54] Dumas A., Vingt ans après, édition électronique, p. 324, https://beq.ebooksgratuits.com/vents/Dumas-20ans-1.pdf

[55] Georges Haupt, Michaël Löwy, Claudie Weill (eds), Les Marxistes et la Question Nationale 1848-1914, Paris, L’Harmattan, 1997, 396 p.

[56] Dupuy R.J., Le Droit International, PUF, Paris, 1963

[57] Goyard-Fabre S., "Y-a-t-il une crise de la souveraineté ?", in Revue Internationale de Philosophie, Vol. 45, n°4/1991, pp. 459-498.

[58] Jakab A., « La neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans l’argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l’intégration européenne », op.cit., p. 11.

[59] Jakab A., « La neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans l’argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l’intégration européenne », op.cit., p. 12.

[60] S. Goyard-Fabre, "Y-a-t-il une crise de la souveraineté ?", op.cit., p. 480-1.

[61] Voir par exemple Simon H.A., "Rationality as a process and as a Product of thought" in American Economic Review, vol. 68, n°2, 1978, pp. 1-16 ; Idem, , "From Substantive to Procedural Rationality", in S.J. Latsis, (ed.), Method ans Appraisal in Economics, Cambridge University Press, Cambridge, 1976, pp. 129-148.

[62] Voir, A. Tversky, "Rational Theory and Constructive Choice", in K.J. Arrow, E. Colombatto, M. Perlman et C. Schmidt (edits.), The Rational Foundations of Economic Behaviour, Basingstoke - New York, Macmillan et St. Martin's Press, 1996, p. 185-197 ; Kahneman D., "New Challenges to the Rationality Assumption" in K.J. Arrow, E. Colombatto, M. Perlman et C. Schmidt (edits.), The Rational Foundations of Economic Behaviour, New York, St. Martin's Press, 1996, p. 203-219.

[63] Sapir J., Les économistes contre la démocratie - Les économistes et la politique économique entre pouvoir, mondialisation et démocratie, Albin Michel, Paris, 2002.

[64] Sapir J., Quelle économie pour le XXIè siècle ?, Odile Jacob, Paris, 2005.



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