mercredi 12 janvier 2011 - par Paul Villach

« Je fais la victime ? » demande Georges Frêche, en bon disciple de Machiavel

Ne devrait-on pas remercier Georges Frêche pour service rendu à la démocratie ? Le cynisme dont il a ouvertement fait profession n’est-il pas salutaire ? N’est-ce pas l’occasion pour les uns d’un réveil et pour les autres d’une prise de conscience quand ils ont en face d’eux un animal politique qui cumule les mandats depuis longtemps ? Georges Frêche ne les fait-il pas entrer utilement dans les coulisses du théâtre politique ? 

Nicolas Machiavel et Georges Frêche
 
Machiavel n’a pas pensé autrement. « Le Prince  », manuel d’une conquête et d’une conservation du pouvoir par tous les moyens, part d’une représentation aussi cynique sinon fidèle des hommes dont il écrit au chapitre 17 qu’ils sont « ingrats, inconstants, simulateurs, et dissimulateurs, fuyards devant les périls, avides de gains… »
 
Georges Frêche ne dit rien d’autre : l’électorat est composé, selon lui, de « 5 à 6 % de gens intelligents  », 3 avec lui et 3 contre. « Les cons sont (donc) majoritaires, observe-t-il, et moi j’ai toujours été élu par une majorité de cons et ça continue parce que je sais comment les engraner ». « J’engrane les cons avec ma bonne tête, je raconte des histoires de cul, etc. (…) Je fais donc campagne auprès des cons.  » (2)
 
L’exemple du rôle de la victime
 
La bande annonce, le film d’Yves Jeuland, « Le Président  » , sorti le 15 décembre 2010, qui suit Georges Frêche dans sa dernière campagne des élections régionales en mars 2010, offre un exemple de la stratégie mise en œuvre pour « engraner les cons  » : jouer le rôle de la victime.
 
On voit Georges Frêche derrière son bureau écouter attentivement son conseiller en communication lui dicter la conduite à tenir : « Et vous jouez la victime, lui prescrit-il. Vous ne faites pas le coup de menton. Y a des gens qui en ont plein le cul à vous voir traîné dans la boue en permanence. Vous êtes la victime. Il faut le jouer à mort ! »
 
Puis, avant une interview par Guillaume Durand dans son émission matinale sur Radio Classique, c’est autour de Georges Frêche, rigolard, d’interpeller son entourage : « Alors qu’est-ce qu’on fait pour Guillaume Durand, demande-t-il. Je fais la victime ?  » Tous s’esclaffent et Georges Frêche avec eux ! (Voir la photo ci-contre) Vu sous cet angle - le sait-il ? - le journaliste qui, dans une interview, ne recueille qu’une information donnée volontairement , n’est jamais qu’un pantin dans les mains de celui qu’il croit interroger.
 
Le leurre d’appel humanitaire, comme farce désopilante
 
Pour les cyniques, le leurre d’appel humanitaire est, en effet, une farce désopilante. « C’est un jeu  », dit Georges Frêche (2), qu’un homme politique n’hésite pas à pratiquer parce que ce leurre est efficace : il s’adresse, en effet, au réflexe le plus humain qui soit, profondément ancré dans l’individu par l’éducation reçue du groupe social où il est né et a grandi : très tôt, l’enfant apprend, parfois à ses dépens, à ne pas faire souffrir un plus petit que soi et à secourir les faibles. Cette règle de vie prescrite par le groupe est commandée par l’instinct collectif de conservation. Quel avenir, en effet, aurait un groupe social éliminant systématiquement ses plus faibles ?
 
Il peut donc être tentant de « faire la victime  », comme le dit Georges Frêche, pour tromper ses électeurs qui ne manqueront pas de se laisser prendre.
 
Le détournement de la puissance du réflexe de compassion
 
Ainsi le leurre d’appel humanitaire ne doit-il pas être confondu avec l’appel humanitaire légitime que lance à son semblable toute personne faible en détresse pour être secourue en s’adressant en lui à cette compassion agissante dont le groupe social lui a fait un devoir. Par réciprocité, celui qui porte secours est en droit d'attendre à son tour la même assistance le jour où il connaîtra un état de faiblesse.
 
Le réflexe socioculturel conditionné de compassion et d’assistance à personne en danger est donc si puissant qu’il est apparu comme un procédé efficace pour faire adhérer un récepteur à une idée ou à une personne, ou encore pour susciter de sa part une pulsion de don. Il a suffi de dénaturer l’appel humanitaire légitime en leurre d’appel humanitaire qui fait référence à deux notions :
 
- l’une est la notion d’appel que l’on retrouve dansla stratégie du « produit d’appel » : les entreprises de distribution, on le sait, attirent le client au milieu de leurs rayons en l’appâtant par un produit au prix très attrayant : une fois sur place, celui-ci est amené à acheter d’autres produits.
 
- L’autre notion est celle de simulacre. À l’instar du leurre d’appel sexuel qui exhibe un simulacre du plaisir d’autrui pour stimuler le réflexe inné d’attirance dans l’exaspération du voyeurisme, le leurre d’appel humanitaire étale devant les yeux le malheur d’autrui ou son simulacre : toute personne en détresse ou feignant de l’être peut ainsi jouer le rôle d’appât auprès du récepteur dont on attend l’adhésion ou la pulsion de don.
 
Georges Frêche connaît bien le mécanisme : les attaques dont il a fait l’objet après ses déclarations controversées, ont été si excessives le plus souvent qu’il peut prendre la pose de la victime outragée pour déclencher la compassion et donc la prise de parti en sa faveur. Il faut croire que ça a marché, puisqu’il a été réélu en mars 2010 confortablement.
 
Le professeur Georges Frêche n’a-t-il pas contribué à sa manière à éduquer ses concitoyens ? Il leur a offert par sa conduite un cas pratique contemporain qui devrait les inviter à la prudence quand un appel humanitaire est lancé, surtout par un politique habitué des mandats à répétition. Le doute méthodique invite, en effet, à se poser la question de savoir s’il ne s’agit pas d’un leurre d’appel humanitaire. Mais il est vrai que la perversité de ce leurre est d’exposer sa victime à toujours se laisser prendre. Car soupçonner un leurre dans chaque appel humanitaire revient à professer le même cynisme que ceux qui en font si sordidement usage. Et plutôt que d’y succomber, entre deux maux, on préfère souvent prendre le risque de se faire rouler plutôt que manquer à ce devoir où l'on puise aux sources de son humanité. C’est bien ce qui rend le leurre d’appel humanitaire si répugnant ! Paul Villach 
 
(1) Extrait de la bande annonce du film de Yves Jeuland, « Le président », sur Georges Frêche, paru le 15 décembre 2010
(…)
- Le conseiller en communication à Georges Frêche qui l’écoute derrière son bureau.- Et vous jouez la victime. Vous ne faites pas le coup de menton. Y a des gens qui en ont plein le cul à vous voir traîné dans la boue en permanence. Vous êtes la victime. Il faut le jouer à mort !
(…)
- Georges Frêche au micro de Radio Classique avant son interview par Guillaume Durand .- Alors qu’est-ce qu’on fait pour Guillaume Durand. Je fais la victime ? (rires aux éclats des personnes présentes puis de Georges Frêche lui-même.)
 
Bande annonce du film de Yves Jeuland :

 
(2) Causerie publique de G. Frêche, publiée sur DailyMotion, le 27 janvier 2009 :
 « J’ai toujours été élu par une majorité de cons  »
 
« Ah si les gens fonctionnaient avec leur tête, ils fonctionnent pas avec leur tête, ils fonctionnent avec leurs tripes. La politique, c’est une affaire de tripes, c’est pas une affaire de tête. C’est pour ça que quand je fais une campagne, je ne la fais jamais pour les gens intelligents. Des gens intelligents, il y en a 5 à 6 %. Il y en a 3 % avec moi et 3 % contre. Je change rien du tout. Donc, je fais campagne auprès des cons et là, je ramasse des voix en masse. Et jamais sur des sujets…
 
Enfin, aujourd’hui je fais ce qui m’intéresse, comme Président de région, j’aide les lycées, j’aide la recherche et quand je ferai campagne, dans deux ans pour être de nouveau élu, je ferai campagne sur des conneries populaires, pas sur des trucs intelligents que j’aurai fait.
 
Qu’est-ce que les gens en ont à foutre que je remonte les digues ? Les gens s’occupent des digues quand elles débordent, après ils oublient, ça les intéresse pas, les digues du Rhône. Les gens ils s’en foutent ! Ah ! à la prochaine inondation, ils gueuleront qu’on n’a rien fait.
 
Alors moi, je mets beaucoup d’argent sur les digues du Rhône, mais ça ne me rapporte pas une voix, par contre si je distribue des boîtes de chocolat à Noël à tous les petits vieux de Montpellier, je ramasse un gros paquet de voix.
 
Je donne des livres gratuits dans les lycées. Vous croyez que les connards me disent merci, ils disent ; non, ils arrivent en retard ! Comme si c’était ma faute parce que l’appel d’offres n’avait pas marché et que donc il y avait quinze jours de retard dans la livraison.
 
Les gens, ils disent pas merci, d’ailleurs les gens, ils disent jamais merci. Les cons ne disent jamais merci. Les cons sont majoritaires et moi j’ai toujours été élu par une majorité de cons et ça continue parce que je sais comment les « engraner ». « J’engrane » les cons avec ma bonne tête, je raconte des histoires de cul, etc
 
Ça a un succès fou, ça a un succès fou. Ils disent merde, il est marrant, c’est un intellectuel mais il est comme nous, quand les gens disent « Il est comme nous », c’est gagné, ils votent pour vous. Parce que les gens, ils votent pour ceux qui sont comme eux. Donc il faut essayer d’être comme eux.
 
Là, les Catalans me font chier, mais je leur tape dessus parce qu’ils m’emmerdent, mais dans deux ans, je vais me mettre à les aimer, je vais y revenir je vais leur dire, mon Dieu, je me suis trompé, je vous demande pardon, ils diront : qu’il est intelligent ! Ils me pardonneront (rire), ils en reprendront pour 6 ans.
 
 C’est un jeu, qu’est-ce que vous voulez ? Il faut bien en rire. Avant je faisais ça sérieusement, maintenant j’ai tellement l’habitude de la manœuvre que ça me fait marrer.
 
Les cons sont cons et en plus ils sont bien dans leur connerie. Pourquoi les changer, pourquoi voulez-vous les changer ? Si vous arrivez à faire en sorte que les gens intelligents passent de 6 à 9 % voire à 11, vous ne pourrez pas aller au-delà.
 
Mais les cons sont souvent sympathiques. Moi je suis bien avec les cons, je joue à la belote, je joue aux boules. Je suis bien avec les cons, parce que je les aime, mais ça ne m’empêche pas de les juger. Mais après, quand vous avez raison, après il vous donnent raison, mais toujours 3 à 4 ans après.
Ils disent : mais il est pas si con parce que après tout ce qu’il a fait, ça marche. Donc vous faites des trucs, vous vous faites élire 6 ans. Les deux premières années vous devenez maximum impopulaire, vous leur tapez sur le claque-bec, etc. Ah, salaud ! Le peuple aura ta peau ! On t’aura ! Moi, je dis cause toujours ! Je vous emmerde ! Ensuite, 2 ans, vous laissez reposer le flan, vous faites des trucs plus calmes. Et les deux dernières années, plus rien du tout, des fontaines, des fleurs et des bonnes paroles : je vous aime, ô Catalans ! Je vous aime, ô Occitans, mes frères, je vous aime ! Vous faites un petit institut, une merde pour propager le catalan auprès de 4 guguss. Tout le monde est content. Évidemment, ils parlent catalan, comme ça personne les comprend à 3 kms de chez eux. Mais ça leur fait plaisir. »


3 réactions


  • Bug Cafard Bug Cafard 12 janvier 2011 12:42

    Quoi de neuf que l’on ne sache déjà ? C’est du réchauffé, Frêche était un salaud de politicard, l’archétype du politicard français qui méprise le peuple et qui reste en poste des décennies.
    Comment est-ce possible ? Frêche donne des éléments de réponse peut-être n’avait-il pas tout à fait tord ...

    Bug


  • zelectron zelectron 12 janvier 2011 14:34

    Paul,
    comment ose-tu attaquer ce bon Monsieur Frêche lui si sincère, si généreux, si honnête, si compatissant et j’en oublie ! Mais bon il faut bien qu’il ait eu ses détracteurs cet homme si dévoué, si respectueux, si ...


  • L'enfoiré L’enfoiré 12 janvier 2011 21:18

    11X le mot « leurre » = 110 euros
     smiley


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