Je hais les vœux
Je hais les vœux solennels, déclamés à la criée, les pontificaux urbi et orbi, les présidentiels à la télé avec emphase sans émotion, volonté sans sincérité, conviction sans bonne foi. Comment croire au souci qu’ils se font de notre avenir dans l’au-delà, dans le près d’ici.
Pétrifiés dans le dogme, la théologie, l’idéologie, le sectarisme, aveugles au spectacle du monde, sourds à la rumeur du monde, incapables d’évoluer, d’inventer, d’oser, prophètes d’évangiles trahis, d’idées reçues, d’utopies mortifères, ils prospèrent, l’ambition repue, dans leurs palais, entourés de courtisans, de courtisanes, de gardes pontificaux, républicains, pondant des bulles, des encycliques, des communiqués, des arrêtés, des sermons, des discours et, une fois par an, nous y voici, des vœux pieux.
Les vœux marketing suscitent le même dégoût. Je ne connais pas Monsieur U, Monsieur Leclerc, Monsieur Leroy-Merlin, Monsieur Darty… Si je les connaissais j’aurais beaucoup à leur dire et ils n’aimeraient pas. Ils veulent que je me sente chez moi chez eux. Pourquoi alors envahissent-ils mon frigidaire, mon atelier, ma boîte à lettres ?
Que dire de ceux des amis, des relations, des connaissances : « Bonne année, bonne santé » ?
Générale, la formule se veut généreuse, compatible à tous, elle n’oublie rien ni personne et surtout le principal, ne pas creuser le trou de la Sécu. C’est un peu court, expéditif comme toutes les corvées.
Vous pouvez faire mieux si vous tenez vraiment à vous rappeler au bon souvenir de quelqu’un dont vous vous souciez un peu, beaucoup. Votre imagination, votre bon goût ne doivent pas s’exprimer seulement dans le choix d’une cravate ou d’une paire de chaussettes. Brisez l’habitude, le conformisme, la paresse, le perroquet qui est en vous et pensez à ce que vous voulez pour l’autre, pour qu’il se sente mieux, soit plus heureux, moins malheureux.
Finis les vœux prêts à poster, a cliquer. Préfabriqués, ils disent rien ou le contraire. Ils font du tort à l’envoyeur.
Le vœu n’est acceptable que s’il traduit un élan du cœur, un engagement de l’âme, une bouffée d’empathie au mieux, de sympathie au moins. C’est le seul moment de l’année où l’on peut s’abandonner à la sincérité, à l’émotion, fendre la cuirasse sans être ridicule, sans craindre d’être indiscret. C’est un moment de réflexion qui permet d’approfondir la relation, de l’évaluer. Le temps n’est jamais perdu et peut en faire gagner. Pour être pertinent et efficace, le contraire du pieux, le vœu doit être le conseil qui montre la bonne direction, corrige une erreur, console d’un malheur, dissipe un doute…
Pour vous aider, quelques exemples :
- à un paresseux, conseillez-lui de travailler davantage : fatigué on dort mieux, on perd de la graisse, on s’endurcit, on gagne plus d’argent, on rembourse ses dettes ; l’esprit plus tranquille, on a meilleur moral, on fait des projets, on voyage, on fait des rencontres, on est plus gai, plus joyeux, la vie est belle ;
- à un frileux, donnez l’adresse d’un pays chaud ;
- à un colonel, faites miroiter 1, 2, 3 étoiles ;
- à un lombalgique, indiquez-lui un bon chiropracteur, le vôtre ;
- à un timide, dites-lui ce qu’il ne voit pas : qu’il est beau, qu’il est fort, qu’il est intelligent ;
- à un pauvre, vantez-lui ses richesses intérieures, la profondeur de sa pensée, la justesse de son jugement, la beauté de sa prose, de sa glose ;
- à un laid complexé, offrez un DVD de la Belle et la Bête, l’intégrale de Woody Allen, Shreck 1, 2, 3,4 …. ;
- à un velléitaire, pressez-le de ne pas remettre au lendemain ce qu’il aurait dû faire hier ;
- à un cœur à prendre, présentez son âme-sœur ;
- à un jeune offrez « la Brièveté de la vie » de Sénèque ;
- à un chat une chatte ;
- à un gourmand une bonne recette ;
- à un croyant une belle prière