mercredi 31 mai 2017 - par Taverne

« Je suis Cinna ! » Mais pas Siné...

Ils ont tué Cinna, mais ils n'ont pas tué Siné ! Jouant sur la similarité sonore de ces deux noms, j'ai composé ce poème à la mémoire d'un poète massacré par la foule romaine ainsi qu'à celle du dessinateur Siné qui mourut en faisant un pied de nez à la Grande Faucheuse. Cette proximité des sons des patronymes de ces deux personnages évoque l'histoire tragique d'une méprise (un Cinna pris pour un autre Cinna) qui donna à la foule aveugle et haineuse l'occasion d'un lynchage en règle.

Avertissement sur les dangers du populisme, ce poème est aussi un cri lancé face à la lâcheté misérable des assassins qui tuent au nom de la foi mais qui n'ont en réalité aucune foi !

Je suis Cinna ! (mais pas Siné...)

Je suis Cinna, poète qu’on assassina.
Je suis Charlie mais pas Siné
Parce qu’on l’a pas assassiné.
La foule avait tué Cinna…

César n’était pas refroidi
Que la plèbe soudain se dit :
« il faut tuer le conjuré ! »
De sa mort ils avaient juré.

Le premier Cinna qu’ils trouvèrent
Qui composait de simples vers,
Fut massacré pour ce seul crime.
Il paya pour son homonyme.

Il plut à Dieu que bien plus tard,
L’auteur dramatique Plutarque
Dans ses Histoires le dessina,
Ce martyre qu’on hallucina.

Le poète Caïus Helvius Cinna
Revint sous la plume de Shakespeare.
Son destin n’y fut pas moins pire.
La foule encore l’assassina !

Ils ont eu la peau de Cinna,
Mais ils n’ont pas tué Siné.
C’est leur ciné, leur cinéma,
Leur rôle, il est d’assassiner !

Jadis aux mots d’un démagogue,
La foule a massacré Cinna.


Aujourd’hui dans les synagogues,
On commet des assassinats…

Siné est mort le

Caius Helvius Cinna était un poète latin et un homme politique de la fin de la République romaine. Il mourut en bouc émissaire environ 44 ans avant la naissance d'un autre bouc émissaire : Jésus-Christ. Ses œuvres ont aujourd'hui disparu. De Cinna, il ne reste ainsi rien ! Il est mort par la faute des mots du grand orateur Marc Antoine (voir "qu'est-ce qu'un bon orateur ? de "Theathrencours"). Il était tribun de la plèbe et sa mort est liée à l’aveuglement de la foule excitée par Marc Antoine à la suite de l’assassinat de César. Il fut victime de son homonymie avec Lucius Cornelius Cinna, le conjuré qui avait approuvé le meurtre de Jules César et dont Pierre Corneille fit le sujet de sa pièce "Cinna".

Quant à Siné, on peut le ranger avec Cinna parce qu’il était à sa façon un tribun de la plèbe lui aussi. Ses œuvres à lui n’ont pas disparu. Il n'a pas connu la mort violente de Cinna ni celle de ses amis de Charlie. Il a fait écrire sur sa tombe « Mourir ? Plutôt crever ! » et l'a ornée d'un cactus en bronze en forme d’un doigt d’honneur.

Extrait de Jules César de Shakespeare

CINNA

J’ai rêvé cette nuit que je banquetais avec César, et des idées sinistres obsèdent mon imagination. Je n’ai aucune envie d’errer dehors ; pourtant quelque chose m’entraîne.
Entrent des citoyens.

PREMIER CITOYEN, à Cinna.

Quel est votre nom ?

DEUXIÈME CITOYEN

Où allez-vous ?

TROISIÈME CITOYEN

Où demeurez-vous ?

QUATRIÈME CITOYEN

Êtes vous marié ou garçon ?

DEUXIÈME CITOYEN

Répondez à chacun directement.

PREMIER CITOYEN

Oui, et brièvement.

QUATRIÈME CITOYEN

Oui, et sensément.

TROISIÈME CITOYEN

Oui, et franchement… Vous ferez bien.

CINNA

Quel est mon nom ? où je vais ? où je demeure ? si je suis marié ou garçon ? Et répondre à chacun directement, et brièvement, et sensément, et franchement. Je dis sensément que je suis garçon.

DEUXIÈME CITOYEN

Autant dire que ceux qui se marient sont des idiots. Ce mot-là vous vaudra quelque horion, j’en ai peur… Poursuivez ; directement !

CINNA

Directement, je vais aux funérailles de César.

PREMIER CITOYEN

Comme ami ou comme ennemi ?

CINNA

Comme ami.

DEUXIÈME CITOYEN

Voilà qui est répondu directement.

QUATRIÈME CITOYEN

Votre demeure ! brièvement !

CINNA

Brièvement, je demeure près du Capitole.

TROISIÈME CITOYEN

Votre nom, messire ! franchement.

CINNA

Franchement, mon nom est Cinna.

PREMIER CITOYEN

Mettons-le en pièces : c’est un conspirateur.

CINNA

Je suis Cinna le poète ! je suis Cinna le poète.

QUATRIÈME CITOYEN

Mettons-le en pièces pour ses mauvais vers, mettons-le en pièces pour ses mauvais vers.

CINNA

Je ne suis pas Cinna le conspirateur.

DEUXIÈME CITOYEN

N’importe, il a nom Cinna, arrachons-lui seulement son nom du cœur, et chassons-le ensuite.

TROISIÈME CITOYEN

Mettons-le en pièces ! mettons-le en pièces ! Holà ! des brandons ! des brandons enflammés ! Chez Brutus, chez Cassius ! Brûlons tout ! Les uns chez Décius, d’autres chez Casca, d’autres chez Ligarius. En marche ! partons !
Ils sortent.

 



9 réactions


  • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 31 mai 2017 11:09

    « les dangers du populisme »


    dormez tranquille, Alain Duhamel a écrit le 10 mai 2017 un article intitulé : « Macron : première victoire contre le populisme »

    Vous pouvez être fier de vivre dans un pays dont les habitants ne se laissent pas influencer par la presse ni manipuler par les lobbies et les réseaux. Ce n’est pas comme aux USA où les pauvres électeurs saturés de Coca-Cola et de hamburgers, devenus inaptes à l’activité intellectuelle se sont fait rouler dans la farine par le populiste Tump alors que madame Clinton était prête à faire leur bonheur. Tant pis pour eux. Nous on a échappé à la populiste MLP et au populiste JLM parce que nos médias sont bien plus honnêtes qu’aux USA et que nous n’avons pas de lobbies ! 

    Et maintenant, on a pour président un jeune homme élégant, cultivé, très poli avec madame Merkel, qui remet Poutine à sa place et joue à « écrase-moi les phalanges que je rigole » avec le croquemitaine. Nouilly et Le Touquet peuvent dormir tranquilles, comme vous : à par l’élégance et la séduction des personnages, rien ne changera.

    Mais ça ne fait rien !
    Un petit poème, ça mange pas de pain, même si le « populisme » rôde et nous tente à travers le diable, Satan et Lucifer !

    • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 31 mai 2017 11:20

      @oncle archibald

      moi non plus !

    • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 31 mai 2017 11:35

      @Jeussey de Sourcesûre

      Remplacer les mots « facho » ou « coco » par « populiste » permet d’utiliser un seul sac poubelle pour deux choses qui dérangent. Le seul populisme organisé était un mouvement politique russe de la fin du XIXe siècle qui luttait contre le tsarisme en s’appuyant sur le peuple et en prônant la transformation des communautés agraires traditionnelles.

      Aujourd’hui on utilise ce terme pour stigmatiser les mouvements qui se réfèrent au peuple pour l’opposer à l’élite des gouvernants, au grand capital, aux privilégiés ou à toute minorité ayant « accaparé » le pouvoir... accusés de trahir égoïstement les intérêts du plus grand nombre.

      Pour les utilisateurs de ce vocable, les « populistes seraient des démagogues prônant une démocratie plus directe, ayant pour objectif de »rendre le pouvoir au peuple« mais seraient animés d’un désir secret de remettre en question les formes habituelles de la démocratie au profit d’un autoritarisme s’appuyant sur des institutions censées être authentiquement au service du peuple.

      Le terme populisme est en général utilisé dans un sens péjoratif par les classes dirigeantes ou les politiciens au pouvoir, pour amalgamer et critiquer tous les »archaïsmes« qu’ils pensent détecter chez le »peuple« , et les freins au développement de leur politique 

      C’est un peu le »complotisme« ou le »conspirationnisme" des riches !

    • Taverne Taverne 1er juin 2017 10:19

      @Jeussey de Sourcesûre

      Chacun dira ce qu’il voudra : le populisme existe. Le déni est souvent très révélateur de la personnalité qui le porte. Pour certains, le lynchage par une foule, qui plus est d’un innocent, c’est très normal et le danger populiste n’existe pas pour autant. Autrefois cela s’appelait autrement mais aujourd’hui on édulcore. Appelons donc un chat un chat : la barbarie des foules, l’abjection populaire, cela existe.

      Donc, je suis d’accord avec vous ne disons plus « populisme », c’est un euphémisme qui arrange trop les dangereux démagogues et les partisans de la terreur populaire.


  • Lonzine 31 mai 2017 11:11

    Merci Taverne, cela marche aussi avec Ferrand.


    • Taverne Taverne 31 mai 2017 16:11

      @Lonzine

      On dit, paraît-il chez lui, « mieux vaut Ferrand vie que pitié ». Mais l’envie anime quelquefois le peuple à juste raison. Et le peuple ne doit pas être trop déférent à l’endroit des Ferrand. Les Ferrand ne sont pas différents.

      De bonnes lois fondées sur la probité et l’honnêteté éloignent la vindicte populaire.


  • L'enfoiré L’enfoiré 31 mai 2017 19:22

    Bonjour Taverne des Poètes (et oui, je reprends l’ancien pseudo),

    Il y a aussi : Cinna (ou la Clémence d’Auguste), une tragédie de Pierre Corneille créée au Théâtre du Marais en 1641 et publiée en 1643 chez Toussaint Quinet.
     Située à l’époque de la Rome antique, l’action témoigne de préoccupations plus contemporaines, et développe une méditation sur la mise au pas de la noblesse sous le règne de Louis XIII et le gouvernement de Richelieu.
    Hanté par la question de la grâce, Corneille ne cesse de se demander comment mettre fin à la spirale de la violence.
    Sa réponse est une apologie du pouvoir fort, dont la magnanimité est précisément l’un des attribut

    Cette tragédie, n’est-elle pas tout aussi actuelle ?


    • Taverne Taverne 31 mai 2017 19:48

      @L’enfoiré

      C’est une excellente pièce. Je suis justement en train de la lire, dans la suite de Jules César de Shakespeare. On y voit aussi comment Cinna se fait manipuler par sa maîtresse Emilie qui veut l’obliger à assassiner Auguste. Des thèmes profonds et fertiles en réflexion en effet.

      Mon article a pour point de départ une inspiration poétique. Puis je me suis aperçu que la violence du peuple pouvait être aussi cruelle et insupportable que celle des terroristes. Les abominations que les terroristes n’ont pas commises, la foule, elle, pourrait encore les commettre. La sauvagerie n’est pas éradiquée. Ni la bêtise.


  • francesca2 francesca2 31 mai 2017 20:21

    Ohmondieu                 


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