mercredi 12 juin 2013 - par scripta manent

Jean-Claude Juncker entonne des cantiques dans un casino

C’est le Luxembourg qui, avec l’Autriche, a conduit le Sommet européen du 22 mai 2013 à réduire ses ambitions en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Après avoir accepté, le 10 avril, le principe d’un échange automatique d'information à partir du 1er janvier 2015, le Grand-duché conditionne désormais cet accord à l’obtention, par l’Union européenne d’un traitement identique de la part des « paradis » non membres de l'Union (Lichtenstein, Monaco, Suisse, ...). Cette pirouette a valu au Premier ministre luxembourgeois d’être couronné « roi de la manœuvre » par le quotidien web l’Opinion.

Réagissant aux récentes remontrances du FMI quant à la gestion de la crise grecque par l'Union européenne, Jean-Claude Juncker s’est exprimé comme suit, le 10 juin, à Athènes :" Ce n'est pas nous qui avons déclenché la crise, c'est les Etats-Unis, où la crise économique est née de la trahison des principales vertus de l'économie sociale et de marché. Nous avons toujours suivi les gourous et nous sommes dans la situation où nous sommes aujourd'hui.

Il est vrai que la crise des subprimes a été un détonateur emblématique de la crise. Il est vrai aussi que ce sont principalement des économistes des USA qui ont théorisé le dogme « ultralibéral ». Mais on peut se demander si ce défaussage en règle sur les USA n’est pas aussi un moyen commode de se dédouaner de ses propres responsabilités : en quoi les dirigeants européens étaient-ils contraints de " toujours suivre les gourous " d'outre Atlantique ? Pourquoi nos gouvernants ont-ils mis tant d'ardeur à suivre leurs avis, au point de faire inscrire dans le marbre des traités de l'Union les articles de ce nouvel intégrisme (un exemple : « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites », art. 63 du traité de Lisbonne) ? Si tant de nouveaux convertis, en Europe comme ailleurs, ne s’étaient pas employés à déréguler, libéraliser …, le détonateur américain n’aurait pas mis le feu à tant de poudre. 

La réalité est que l'Union européenne, avec le concours des pays membres, a été un disciple soumis et un propagandiste ardent de cette « trahison de l'économie sociale et de marché » que déplore Jean-Claude Juncker. Comment celui-ci pourrait-il l’ignorer alors qu’il aura été à la fois Président de l’Eurogroupe - instance de coordination des ministres des Finances de l’Union - de janvier 2008 à janvier 2013, et ministre des Finances / Premier ministre du Luxembourg depuis respectivement 24 et 18 ans ?

Rappelons que c’est le Luxembourg qui, avec l’Autriche, a conduit le Sommet européen du 22 mai 2013 à réduire ses ambitions en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Après avoir accepté, le 10 avril, le principe d’un échange automatique d'information à partir du 1er janvier 2015, le Grand-duché conditionne désormais cet accord à l’obtention, par l’Union européenne d’un traitement identique de la part des « paradis » non membres de l'Union (Lichtenstein, Monaco, Suisse, ...). Cette pirouette a valu au Premier ministre luxembourgeois d’être couronné « roi de la manœuvre » par le quotidien web l’Opinion.

C’est aussi le Luxembourg qui, en octobre 2008 et toujours aux côtés de la Suisse, avait refusé de participer à une réunion internationale organisée à Paris, à l’initiative de la France et de l’Allemagne, dans le but d’obtenir de l’OCDE un suivi plus rigoureux de la classification des « paradis fiscaux ». Ce même Luxembourg où la « place financière » (46 % du PIB) a détrôné en quelques décennies le charbon et la sidérurgie, et qui figure désormais dans le trio de tête du palmarès mondial du « PIB par habitant », avec un peu plus de 80.000 $ par tête (données 2011, en parité de pouvoir d’achat), soit plus du double de la France, mais aussi de l’Allemagne. Le Luxembourg partage le podium avec le Lichtenstein et le Qatar. Aux uns la manne pétrolière, aux autres la manne financière (c’est d’ailleurs le cas pour toute la tête du classement).
Prêcher le « social » dans ces conditions revient à entonner des cantiques dans un casino.

Dans son audition devant le Parlement européen, le 10 janvier 2013, Jean-Claude Juncker, membre du Parti populaire chrétien social luxembourgeois, avait déclaré : « Je voudrais qu’en Europe on fasse supporter les conséquences de la crise à ceux qui sont les plus forts. C’est ça la solidarité. (…) La dimension sociale est l’enfant pauvre de l’Union économique et monétaire ».

En Grèce, cette semaine, il a placé la barre encore plus haut : « (au sein de l'Union européenne) il faudra que nous réapprenions à nous aimer les uns et les autres. » Vaste programme, à l’accent évangélique. Arrêtons déjà de nous filouter les uns les autres et le reste - peut-être - nous sera donné par surcroît.

www.citoyensunisdeurope.eu



14 réactions


  • ZEN ZEN 12 juin 2013 14:20

    La Grèce est sur le bon chemin...affirme la belle âme luxembourgeoise
    Juste un problème de chômage des jeunes...


    • scripta manent scripta manent 12 juin 2013 18:30

      A ZEN
      Oui, il est plus facile de se donner le beau rôle en prononçant le « sermon sur l’Acropole » que de faire le ménage chez soi.


  • Richard Schneider Richard Schneider 12 juin 2013 16:49

    Le jésuitisme de ce Luxembourgeois démo-chrétien est écœurant ! Celui qui a suivi la courageuse émission d’Élise Lucet sur France 2 hier soir sait (maintenant ?) de quoi est fait la Principauté du Luxembourg : Juncker a été à la tête d’un pays qui a permis aux multi-nationales et à certains patrons « voyous » de frauder le fisc en toute impunité- n’est-ce pas Monsieur Mittal, n’est-ce pas Amazon etc ...

    Je trouve la tonalité de l’article un peu indulgente envers JC Juncker : ce n’est parce qu’il aurait dit en Grèce « ll faudra que nous réapprenions à nous aimer les uns et les autres  », qu’il ne porte aucune responsabilité dans la fuite des capitaux et l’évasion fiscale qui font tant de mal aux finances des autres pays européens. Et surtout ne prend-il pas les peuples qui en prennent plein la tête par les oligarques et les technocrates de Bruxelles pour des c... ? C’est un peu facile de prêcher l’amour du prochain quand ce dernier est déjà à genoux depuis plusieurs années : les peuples n’ont que faire de la charité ; ils veulent la justice.

    • scripta manent scripta manent 12 juin 2013 18:23

      A Richard Schneider
      Il me semble que nous sommes d’accord.
      On ne dira jamais assez à quel point il est difficile de se faire bien comprendre !
      « chanter des cantiques dans un casino », « filouterie » + le rappel des turpitudes luxembourgeoises et des fonctions de Jean-Claude Juncker, il me semblait que tout ceci établissait assez clairement les responsabilités !
      ll faut croire que j’abuse du « second degré ». 


  • Richard Schneider Richard Schneider 12 juin 2013 18:48

    à scripta manent,

    Ce n’était qu’une impression... mais votre message est parfaitement clair : je n’ai pas dit que vous entonniez les louanges de cet hypocrite de Juncker.
    N’ayez aucune crainte. Vous faites bien d’abuser du second degré, ça change un peu des articles didactiques qui fleurissent sur ce site !
    Bonne soirée,
    RS

    • scripta manent scripta manent 12 juin 2013 23:05

      A RS
      Oui, il arrive que le didactique soit pesant mais il y aussi des artistes de la transmission du savoir.
      C"est en tout cas plus supportable que les tombereaux d’invectives et d’imprécations déversés par les meutes de tous bords !


  • pidgin 12 juin 2013 19:00

    Les gouvernants qui ont trouvé normal, pendant 8 ans, de confier les clés de l’Eurogroupe au Premier ministre de ce fleuron de l’optimisation/évasion fiscale ont aussi leur part de responsabilité. Cela en dit long sur leur double langage : en vitrine, les envolées lyriques pour le bon peuple et, en arrière cuisine, les petits arrangements entre « grands » de ce monde.


    • scripta manent scripta manent 13 juin 2013 11:35

      Et devinez qui est le successeur de Jean-Claude Juncker à la tête de l’Eurogroupe depuis le 21 janvier 2013 ?
      Un grec ? Un espagnol ? Un italien ?
      Non, ces questions financières sont trop sérieuses pour être confiées à l’Europe « du sud ».
      Le nouveau Président de l’Eurogroup est un ... hollandais.
      Vous avez aimé l’opacité luxembourgeoise, ? Vous adorerez Joeren Dijsselbloem et le « sandwich hollandais », comme on l’appelle couramment, avec ses activités très peu taxées aux Antilles Néerlandaises !


  • Jason Jason 13 juin 2013 09:46

    Beaucoup de responsables politiques qui disent nous représenter feraient bien de méditer l’émission d’Elise Lucet sur France 2 mardi soir. M. Juncker qui, il n’y a pas si longtemps, donnait des leçons d’économie politique à la France, participe activement à la criminilaté financière qui fait rage en Europe.

    Le moins disant fiscal qui fait du Luxembourg le lieu privilégié des entreprises pratiquant « l’optimisation fiscale » se perpétue grâce aux traités européens. Tout cela est parfaitement légal.

    Beaucoup de leaders européens considéraient que ce pauvre Luxembourg qui avait perdu sa sidérurgie et son charbon méritait que les populations d’Europe travaillent pour lui. Exemple : les sociétés de paiement du genre Paypal ou Qwixgo sont domiciliées au Luxembourg. Sans parler des autres sociétés qui fréquentent ce paradis fiscal. Cela résulte en un transfert financier net de la France ou un autre pays de l’UE, vers ce pays. Et on nous demande de pratiquer l’austérité pour que les luxembourgeois se gobergent et rigolent !

    Interrrogé à ce sujet lors de l’émission ci-dessus, M. Juncker, avec sa malhonnêteté habituelle a répondu que lorsque les autres pays de l’UE (et il en a cité deux ou trois au passage) consentiront à harmoniser leur fiscalité, alors la Luxzmbourg en fera autant. En bonne logique, si mon voisin vole et profite cyniquement des autres, je suis aussi autorisé à le faire. C’est le hiatus habituel entre le droit et la morale !

    J’invite le public à boycotter les sociétés qui ont leur siège au Luxembourg. Cela aurait un effet plus efficace que les ronds de jambe qu’on voit dans les médias.

    Comme toujours, cette émission est une machine à donner des claques, mais sans solutions.


  • scripta manent scripta manent 13 juin 2013 11:02

    A Jason
    Ne pensez-vous pas que ce serait beaucoup demander aux journalistes que d’être experts omniscients, aptes à proposer des solutions dans tous les domaines ?
    Faire de vrais efforts d’investigation et livrer de l’information cueillie sur le terrain n’est déjà pas mal. En l’occurrence, Elise Lucet et son équipe ont fait preuve d’une belle "pugnacité pour mener leur enquête. 


  • Jason Jason 13 juin 2013 12:16

    Je suis d’accord avec vous, c’est un grand pas en avant. Cependant, dans cette émission, comme dans tant d’autres, rien ne fait surface afin de fédérer les citoyens contre les abus scandaleux que les médias nous révèlent.

    Cela résulte en un sentiment d’impuissance et en une désaffection de la chose publique, laissant aux groupes existants libre cours à leurs activités criminelles.

    Quant au Luxembourg, qui a besoin de ce miniétat en perfusion économique aux corchets de l’europe ? Il faudrait l’annexer à un pays voisin, fermer cette éponge néfaste, et on aurait un semblant de paix sur le front fiscal.


    • scripta manent scripta manent 13 juin 2013 12:35

      A Jason
      Si les citoyens (consommateurs, salariés, électeurs ...) ne se fédèrent pas eux-mêmes , personne ne le fera à leur place.
      www.citoyensunisdeurope.eu
      Il y a pléthore de petits mouvements citoyens ayant chacun leur personnalité, mais qui pourraient converger sur une plateforme commune. Nous en sommes au recensement !


  • Jason Jason 13 juin 2013 16:13

    Ben sûr. Je ne veux pas jeter le manche après la cognée. Toutefois, la neutralité affichée par les médias participe d’une acceptation de ce qui est. On en arrive à la question délicate : que doivent dire les médias en terme de suivi de ce qu’ils exposent ?

    Merci pour le lien.


    • scripta manent scripta manent 13 juin 2013 17:30

      Il me semble souhaitable, lorsque l’on enquête sur un sujet, de l’aborder avec le moins de préjugés possibles. Cette « neutralité » de départ ne veut pas dire que l’on accepte ce qui est. Elle est par contre essentielle à la crédibilité du documentaire, qui est d’autant plus convaincant qu’il est honnête.
      Dans le cas présent, on voyait bien que les journalistes s’étaient fait une opinion, qu’ils ont fait passer comme il convient..
      A d’autres de jouer ensuite et de « suivre » comme vous le dîtes.
      Je parle bien sûr ici du vrai journalisme et non des feuilles qui considèrent que la question est réglée avant même d’avoir ouvert les yeux. 


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