mardi 4 octobre 2016 - par Armelle Barguillet Hauteloire

Juste la fin du monde de Xavier Dolan

Je suis allée voir ce film avec quelques à priori. Tout d’abord à cause du battage fait par une certaine presse qui voit en cet opus le chef-d’œuvre absolu et une autre qui pointe du doigt sa totale indigence. Trop de trop ne pouvait manquer d’aiguiser ma curiosité et m’inciter à me forger ma propre opinion. Que Xavier Dolan soit un jeune cinéaste doué, nous le savions depuis ses débuts à l’âge de 20 ans. Il en a aujourd’hui 27 et s’affirme avec plus de maturité, façonnant son style non sans quelques maladresses mais un souci constant d’originalité et une quête soucieuse du dire vrai et de l’image juste.

Cette dernière réalisation, bien qu’inégale, recèle des moments d’une vraie et profonde beauté et une exigence dans l’expression de l’incommunicabilité entre les êtres, les désordres intérieurs, l’incapacité de chacun à vivre une relation, à établir un dialogue, à sortir de son emmurement. Le silence est sans doute la plus grande liberté de l’homme, dont il sait si peu faire bon usage. Les personnages du film apparaissent tous, à l’exception du visiteur, comme les prisonniers d’eux-mêmes, les victimes de leur égo, les invalides de l’existence, partageant un huis clos où ils n’ont pour pires ennemis qu’eux-mêmes. Tous vivent dans une agitation permanente, un onirisme sans consistance ; tous sont les victimes de la dictature du bruit et de l’éphémère, de la fébrilité et de l’inquiétude. Alors ils crient, ils fument, ils s’apostrophent avec violence, chacun est l’ennemi de chacun et pire encore : l’ennemi de lui-même.

Le bruit est le pire fléau de notre actualité. Il nous mutile et nous prive de l’essentiel : notre silence intérieur où s’épanouissent les fleurs de notre pensée, les fruits de notre réflexion. Alors, lorsque le silence survient dans ce désordre et plonge au cœur de ce chaos psychologique, tous les excès sont possibles et la tragédie se joue à coups d'estoc, de mots qui blessent, de formules éculées et misérables. Nous ne sommes plus en quête du mot juste, du mot vrai, mais du mot qui tue, œuvre d’un monde décervelé en totale déliquescence, un monde malade tout simplement. Le film de Dolan, inspiré de la pièce éponyme de Jean-Luc Lagarce, est un concentré de ce vide abyssal dans lequel nous évoluons. Mais ce qui est intéressant, ce qui pose question et fait l’intérêt du film, est Louis, ce fils qui n’a pas revu les siens depuis 12 ans, ce jeune écrivain-dramaturge de 34 ans qui apparaît comme l’ange visiteur, silencieux et souriant, et pose sur eux – sa mère, sa sœur, son frère et sa belle-sœur comme l’écho émouvant de l’expérience du désert, la douceur intérieure de la certitude, le sourire de la grâce. Gaspard Ulliel est magnifique dans ce rôle où tout son jeu se résume à quelques paroles sobres, à cette gravité du regard qui concrétise l’approche du silence éternel. Ce qu’il était venu dire, il ne le dira pas et qu’importe : personne n’était en mesure de l’entendre. A la fin, un oiseau s’envole de la vieille horloge qui sonne encore les heures et se cogne contre les murs avant de trouver l’issu vers la lumière, la porte ouverte vers l’ineffable.

Symphonie des regards, monologues tronqués, jugements hâtifs, mots vains, colères puériles, tout cela est soudainement absorbé par les visages qui disent leur désarroi face au questionnement muet du visiteur dont ils perçoivent vaguement l’exigence et la fatalité. Un film qui pose les questions essentielles, se focalise sur les expressions inquiètes, les met en images de belle façon avec leur plein et leur vide, leurs interrogations et leurs dénis et bénéficie d’une parfaite interprétation de la part des comédiens. A ne pas douter, Dolan n’a pas fini de nous interroger sur nos finitudes.

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE



5 réactions


  • Francis, agnotologue JL 4 octobre 2016 14:54

    Bonjour Armelle Barguillet Hauteloire,

     
    Adapté de la pièce de théâtre ... 

     Ce fait qui a probablement influencé la façon de guider les acteur est probablement ce qui est à l’origine du malaise que j’ai ressenti dès les premières minutes : on n’est ni au théâtre, ni au cinéma ! Il n’y a ni scène, ni spectateurs vivants dans l’écran, et pourtant, les acteurs parlent, articulent, s’expriment comme sur une scène de théâtre : outrageusement, caricaturalement. Au cinéma, ça ne passe pas. Pour comparaison, je citerai ici l’excellente adaptation du « Le Père Noël est une ordure ».
     
     Les acteurs en font des tonnes. notamment Marion Cotillard dans ses mimiques et Vincent Cassel en Bacri puissance 10 !
     
     Tant et si bien que dès la moitié du film, j’avais compris ce qui allait arriver : il ne pouvait en être autrement. Dès lors, on s’ennuie.
     
     Et comme l’intérêt du scénario se situe dans le dénouement, c’est raté.
     
     

  • JMBerniolles 4 octobre 2016 20:22
    On ne va pas assassiner un jeune cinéaste visiblement plein de talent, mais ce film distille l’ennui..

    Par rapport au Théâtre le cinéma permet de fouiller les visages, mais assez systématiquement dans le film les plans sont bien trop longs. Les acteurs sont très bons mais ils sont obligés de nuancer leur expression tout au long de ces gros plans. On voit ainsi que Marion Cotillard ne sait pas trop quoi faire de son rôle.

    Cette introspection ne se marrie pas bien avec ces personnages qui sont superficiels parce qu’enfermés dans leurs problèmes.

    Le personnage de Louis/Gaspard a évidemment cette gravité que confère l’approche de la mort, mais on le voit s’évader continuellement, ce qui naturellement ne favorise pas le dialogue. Il demeure un peu insaisissable pour nous aussi.

    La société, l’extérieur sont complétement absents de ce film, ce sont pourtant des éléments fondamentaux de la question.... Je veux dire qu’à l’époque il y avait une grande culpabilisation des malades... 

    Dans le cadre du festival de Cannes, j’aurais personnellement plutôt voter pour Toni Erdmann, film trop long mais beaucoup plus riche.






  • benyx benyx 5 octobre 2016 13:18

    Excellent résumé de la matérialité des pays occidentaux qui ont laissé de coté le spirituel et se retrouve dans une impasse. Il n’y a plus de chemin, si mauvais soit-il, il n’y a que la fin.


  • izarn izarn 9 octobre 2016 15:44

    Meme à France Culture, Dolan c’est de la merde...
    Alors bon...


  • izarn izarn 9 octobre 2016 15:48

    J’insiste, meme à France Culture, le cinéaste est jugé nul à chier...
    Faut le faire...Mais écoutez donc France Culture à Agoravox, c’est archivé, écoutez !


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