vendredi 15 mai 2009 - par Emile Red

Justice, informatique et Sarkozyté

La France entière s’accorde à dire que notre justice fonctionne mal. Depuis le passage au nouveau siècle tous les intervenants s’accordent dans le constat d’une saturation de systèmes devenus obsolètes.

Un nouveau logiciel informatique permettant le regroupement et la mise en commun des informations paraissait donc salutaire, après cahier des charges et appels d’offre, de 2001 à 2004, le ministère décida de la mise en test courrant 2007 de Cassiopée. Quelques Tribunaux de Grande Instance furent mis à l’épreuve puis le logiciel fut installé à Bordeaux pour essai de grande envergure avant une généralisation nationale. Mercredi 13 mai, le ministère a conclu la phase d’expérimentation en décidant d’étendre l’installation du système Cassiopée aux 175 TGI avant fin 2010. 

En cette semaine de visite papale au Moyen-Orient, de multiples mouvements sociaux, d’adoption de l’Hadopi, l’information a été reléguée au tréfonds des feuilles régionales. Pourtant, si l’évènement semble peu relayé dans la presse, le geste politique est conséquent et pose d’innombrables questions.

Quand Edvige sort par la porte, Cassiopée entre par la fenêtre.

Le quotidien Sud-Ouest nous apprend, ce Vendredi, que le décret de mise en place est paru au JO sans l’avis fortement réservé de la CNIL émis le 26 mars dernier, contrairement à ce que prévoit l’article 26 de la loi. Ce nouveau logiciel accouple une mise en réseau des différents acteurs judiciaires, police, gendarmerie, parquet, instruction etc..., et une base de données aux contours des plus flous, chaque procédure pénale pourra être consultée par toutes parties sans aucune protection légale inscrite dans le marbre des données sensibles.

Quand Cassiopée déguise un tortillard en TGV.

Le gouvernement nous a habitué depuis quelques mois à sa spécialité qu’est l’usine à gaz, ici encore la règle semble de rigueur. Le système adopté mêlent plaintes aux parquets ou aux juges, suites aux plaintes, déroulements d’enquêtes, personnes en causes, témoins, pedigrees et Cv, concomitances de faits, et autres comptes bancaires. Y sont adjoints l’ensemble du déroulement des procédures des différentes suites et des archives.

A la suite des essais effectués au tribunal de Bordeaux, les agents du greffe ainsi que tout le personnel judiciaire se lamente de ce système lent, complexe et incroyablement inadapté. Si l’idée de départ se voulait être une amélioration et une accélération du travail, ce qui en résulte est un bourbier sans nom, dénoncé par chaque corps de métier à différents titres. Toutes les organisations professionnelles y trouvent davantage d’inconvénients que de progrès, au meilleur des cas les procédures sont multipliées par deux en travail et en temps.

Quand Cassiopée plus pour gagner plus.

Il est des entreprises qui nous font bomber le torse national. Atos Origin n’est pas de celle-là, matrice de Cassiopée, inconnue du grand public, nom sans référence, cette entreprise navigue sur la vague du consulting et du développements des nouvelles technologies des systèmes d’information, entre partenariat, joint venture et partage des risques elle se plait à affirmer son positionnement parmi les leaders mondiaux du conseil, de l’intégration de systèmes et de l’infogérance (?). Mais l’intérêt à porter à ce groupe réside ailleurs, alors qu’on sait les amitiés que nos politiques aiment à entretenir envers le monde de la finance et des pouvoirs monétaires, nous connaissons moins les entremises qui existent entre ces différents acteurs, pourtant, quelques épisodes récents, affaire Pérol - Caisse d’épargne, Richard - France Télécom, nous rappellent combien sont discrets les échanges de bon procédé du public vers le privé, Atos Origin est une de ces firmes qui profite des atermoiements issus de remaniements ministériels.

Un coup d’oeil au conseil d’administration et au comité exécutif de ce groupe ne manque pas de saveur quant aux rapports perceptibles entre le gouvernement et ces managers. Le PDG, Thierry BRETON, successeur de Sarkozy au ministère des finances, est celui qui s’opposa aux class action, l’initiateur de la fusion GDF Suez ainsi que de la privatisation des autoroutes est aussi le géniteur du paquet fiscal. S’en suivent les multi cumulards du petit monde des CA, qui ex-PPR, qui ex-LVMH, qui ex-Bouygues, qui ex-SUEZ, mêlant les amis des amis et les anciens fonctionnaires ou assimilés de Safran ou Thomson, les noms s’égrènent et reviennent toujours les mêmes origines industrielles proche du pouvoir, un autre pantouflard du nom de Grapinet.

Quand Cassiopée flaire bon subornation, accommodement et corruption.

La loi Hadopi nous a montré combien le pouvoir sait se montrer arrangeant avec ses amis, ici encore l’interrogation est de rigueur. Comment une administration ministérielle, aussi pointilleuse avec le citoyen, peut-elle se montrer aussi magnanime avec ses fournisseurs ? Comment un appel d’offre peut-il ouvrir ses portes à une société si impliquée politiquement ? Comment un ministère peut-il avaliser un système au mépris de toute attente ? Y a-t-il des postes à pourvoir chez Atos Origin qui ne déplairaient pas à quelques pensionnaires du cabinet Dati ? 

Encore beaucoup d’énigmes se profilent à l’horizon d’un possible remaniement ministériel, les joueurs semblent placer leurs pions, qu’importe la justice, les sièges sont confortables, l’argent coule à flot et les prisons attendront bien, il est d’importance que la technologie entre au palais de justice, pour 35 millions d’euros, n’attendons pas une entrée fracassante, le pouvoir adore les portes dérobées quand les intérêts particuliers priment.

 

 



10 réactions


  • L'enfoiré L’enfoiré 15 mai 2009 16:41

    @L’auteur,
     Je n’ai pas tout à fait saisi la finalité de l’informatique dans votre article.
     Comme le sujet m’intéresse, la question est : « y a-t-il un système informatique qui gestionne votre justice en France ? »
     Chez nous, il y a eu un essais mais cela a capotté. L’affaire est actuellement en ... justice entre le fournisseur et la Justice.
     Si jamais, la réponse est « oui », pourriez-vous m’en donner plus de précision sur ce qui a ou non été implémenté avec succès ?
     Merci.


    • Emile Red Emile Red 16 mai 2009 11:51

      Salut l’Enfoiré
      Concernant la finalité informatique, je voulais démontrer que le gouvernement est tellement pressé de tout changer, de faire profiter ses amis de la mane publique, de tout contrôler, qu’il se jette à corps perdu dans des implantations non seulement onéreuses mais inadéquates pour ne pas dire inoperantes. L’impression laissée est que les cabinets ministériels ont des lubies qu’ils mènent à bien, envers et contre tout et tous, même à l’encontre de la plus simple logique de compétence.

      Le problème résidant en France pour nos politiques est le manque de cohésion et d’architecture intégrée et intégrale, ils veulent une opérabilité totale sur tout le territoire et choisissent les systèmes proposés au jugé et surement d’abord par copinage.

      Ce système Cassiopée était à l’essai dans de petites juridictions qui déjà le trouvaient fort peu ergonomique et même plutôt archaïque, l’essai à grande échelle sur un très gros tribunal comme Bordeaux a démontré les lacunes et la totale inadéquation du logiciel, cependant contre avis et toute attente le ministre a décidé son installation au niveau national.

      Chose que je n’ai pas dit pour ne pas m’étendre est que ce système est consultable par toutes les parties du système judiciaire à volonté, mais pire il est aussi apparement modifiable par quiconque y a accés. Volonté ou incompétence, la CNIL a levé le lièvre sans être écoutée ni entendue.


  • Jojo 15 mai 2009 16:55

    Bonjour Emile Red et merci,

    Je relève deux déclarations qui m’interpellent :

    D’abord celle d’une magistrate pourtant favorable à Cassiopée :

    Une magistrate de Caen, l’une des juridictions qui ont testé Cassiopée, a expliqué à l’AFP que Cassiopée était "un système très intéressant mais qui ne fonctionne pas. C’est un peu comme si on vendait une voiture neuve dont on sait déjà qu’elle a beaucoup de défauts".

    Mais surtout, une carence grave dans la conception même, relevée par la CNIL :

    La commission regrette en outre que des dispositifs de sécurité, comme un « chiffrement » ou cryptage des données enregistrées, "n’aient pas été envisagés, compte tenu de la sensibilité« des informations recueillies »et du grand nombre d’agents habilités à y accéder".

    http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5gb-trjWi02GblEldtUAhbxrJJ-_Q

     

    Votre article s’imposait donc. Et même si je n’ai aucun moyen de savoir si vos soupçons sont fondés ou pas, force est d’admettre que des soupçons, tout est fait pour en éveiller… Cordialement.


    • franck2009 15 mai 2009 19:29

      Une magistrate de Caen, l’une des juridictions qui ont testé Cassiopée, a expliqué à l’AFP que Cassiopée était "un système très intéressant mais qui ne fonctionne pas. C’est un peu comme si on vendait une voiture neuve dont on sait déjà qu’elle a beaucoup de défauts".

      On ne reprochera pas au système qui veut notre sécurité d’être liberticide dans quelques années, mais d’être inefficace...Le dernier des voleurs d’orange ayant échappé à la police, et mettant le système tout entier en péril.


    • Emile Red Emile Red 16 mai 2009 12:02

      Jojo, il est clair que l’ensemble de la magistrature et de l’administration judiciaire est favorable a un système plus moderne, plus rapide et interconnecté, comment pourrait il en être autrement quand on voit les vieilleries qu’ils utilisent encore dans certains endroits.
      Maintenant, si ce système offre plus d’ouverture mais qu’il est inutilisable et plus lent qu’un escargot et truffé d’erreurs, je conçois la deception générale, si en plus il est manifestement faillible et accessible sans grand effort, il y a de quoi s’inquiéter et se révolter. Cassiopée semble plus un fichier personnel qu’une aide à la gestion. 


  • Üriniglirimirnäglü Üriniglirimirnäglü 16 mai 2009 01:05

    Pour être instruits sur ce qui semble pouvoir s’apparenter à d’autres fiascos publics du même type en cours et à venir dans l’hexagone, tapez leur nom dans votre moteur de recherche préféré, surfez sur les sites des syndicats de la fonction publique qui les dénoncent ou les dénonceront bientôt ou prononcez leur nom devant des voisins, amis ou parents fonctionnaires (s’ils font partie des chanceux qui expérimentent ces usines à gaz, vous devriez déclencher de belles réactions outrifiées) :

    - CHORUS (nouveau système de traitement des factures, de la comptabilité et d’information financière des services de l’Etat ; tellement complexe et tellement onéreux que finalement il ne prendrait pas toutes les dépenses en compte la même année, obligeant deux systèmes totalement différents dans leur architecture et leur découpage fonctionnel à coexister durant des années - un à deux ans au moins - bonjour les organigrammes compliqués et les déséconomies d’échelle ! Là où il fallait trois minutes à un agent pour demander le paiement d’une facture ou d’une subvention, on parlerait actuellement de 25 minutes sur ce nouveau système...à voir en vrai, à partir de 2010)

    - SIV (le nouveau logiciel d’immatriculation des véhicules, qui fonctionne depuis le 15 avril, mais bien moins bien que l’ancien et qui, au lieu de diminuer la taille des files d’attente dans les préfecture est trés clairement en train de les faire exploser, à tel point qu’on n’est peut-être pas prêt de lâcher l’ancien système, le doublon actuel - deux logiciels totalement différents pour gérer la même base de données - étant bien entendu en lui-même déjà générateur de surcoûts directs et indirects, de retards, de complexification inutile et de risques d’erreurs !)

    - PHAETON (la refonte du système d’enregistrement des permis de conduire est en cours depuis des années, le projet avait du retard, mais il se pourrait que ça ait fini par avancer, on va certainement entendre parler de lui lorsqu’il entrera en phase de test, sera-ce en bien, il faut l’espérer, car les sommes investies ne doivent pas être minces, vu la taille du système et de la base)

    - pour la bonne bouche : la gestion (confiée à une société privée) des confirmations de presence par les invités de l’Elysée aux meetings... euh, pardon, aux réunions républicaines voulues par le Président de la République en province n’est pas non plus au top : les cartons ont beau mentionner qu’il est possible de répondre par téléphone ou par messagerie électronique, la seconde option n’aurait vraisemblablement jamais été activée, en tout cas il paraît que c’est ce qui s’est produit le 5 mai à Nîmes lors du déplacement de Nicolas Sarkozy ayant pour thème l’Europe : aucune des personnes ayant confirmé sa présence par e-mail n’était, parait-il, inscrite sur les listes, d’où a priori un grand moment de solitude pour les fonctionnaires réquisitionnés pour assurer le filtrage des invités ce soir là...


  • mahikeulbody 16 mai 2009 14:32

    Comment un appel d’offre peut-il ouvrir ses portes à une société si impliquée politiquement ?

    Un peu de rigueur (d’honnêteté ?) intellectuel(le) ne peut pas faire de mal : Thierry Breton et Grapinet sont arrivés chez Atos il y a quelques mois alors que l’appel d’offres Cassiopé a été gagné par Atos en 2004...


    • Emile Red Emile Red 16 mai 2009 15:08

      Où est le problème ? D’une part ne sont pas seuls ces deux là, mais le sens de l’échange, si il y a, n’est pas défini dans l’article, juste l’étrange confusion d’intérêt.

      Ils ont peut-être gagné l’appel d’offres si.... comme d’autres peuvent gagner un appel d’offres parceque.


  • mahikeulbody 16 mai 2009 17:36

    De quelle étrange confusion d’intérêt parlez-vous ???
    Une partie de l’article parle de l’inadéquation de Cassiopé avec le besoin des acteurs de la justice. Soit, c’est un vrai sujet même si ce n’est pas à proprement parler un scoop. Là où ça se gâte c’est quand l’article bascule sur comment l’Etat peut-il avoir le culot de passer un marché à Atos Origin, présenté comme une société de l’ombre lié au pouvoir, preuve à l’appui : Breton et Grapinet sont aux commandes. Manque de bol, en 2004 ni l’un ni l’autre ne faisaient partie de Atos et j’attends qu’on me montre que ceux qui dirigeaient la société à cette époque avait un quelconque lien avec le pouvoir (autre que celui d’une affinité avec les idées de droite que la plupart des dirigeants ont).
    Raconter n’importe quoi sur un sujet ponctuel nuit à la crédibilité de ce qu’on raconte sur le reste et c’est sans doute dommage.


    • Emile Red Emile Red 18 mai 2009 08:32

      Il ne vous vient pas à l’idée que le marché peut être offert à une entreprise à condition que celle-ci s’engage à intégrer des personnalités proches des donneurs d’ordre ?

      Là est le double sens possible d’un échange, ou on offre un marché à des amis, ou on demande l’intégration d’amis pour obtenir un marché...
      D’autre part, je souligne les liens privilégiés, non directement politiques, qu’entretient le pouvoir avec certaines entreprises privées et dont certains dirigeants se retrouvent étonnament au sein du directoire de Atos. Ce n’est qu’une constatation, on en tire les conclusions qu’on veut, en attendant les faits sont tétus.


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