lundi 24 février 2020 - par Bertrand Loubard

Kagamé : de Jeffrey Epstein († 10/08/2019) à Kizito Mihigo († 17/02/2020)

On connaît la saga américaine du « suicide » de Jeffrey Epstein dans sa prison de New York. Richissime homme d’affaire, proche du monde politique (Clinton), sulfureux gestionnaire de fortunes. Il a beaucoup été question de ses frasques sexuelles. Beaucoup moins de son rôle comme agent « secret » au service de la cybercriminalité et de ses technologies de pointe dont les experts israéliens sont des maîtres en la matière. Donc, son suicide ? Pas beaucoup de monde n’y croit. Alors, a-t-on voulu le faire taire ?... Si oui, qui et pourquoi, et que devait-il savoir ? En fait, tous, aussi pervertis les uns que les autres, ont sans doute simplement éliminé l’un des leurs devenu, pour eux tous, assez gênant.... ( ?)

 

Semblablement, que Kizito Mihigo[1] soit mort, suicidé, est « envisagé » par tous comme fort improbable. Le camouflage en suicide soulève évidemment des questions inévitables compte tenu du « background » socio-culturel de cet homme : Tutsi rwandais, survivant du Génocide des Tutsis du Rwanda de 1994, chrétien convaincu, artiste accompli, pacifiste engagé, optimiste et confiant en l’avenir, auteur compositeur interprète de gospel, respecté par un large public, en parfaite santé physique et mentale ....... mais encore .... A 32 ans, il avait déjà été arrêté, en 2014, jugé et condamné en 2015 à 10 ans d’emprisonnement pour toutes sortes de chefs d’accusation, allant même jusqu’au complot en vue d’assassiner le Chef d’Etat, Kagamé en personne, pas moins !. Etonnamment, il avait été gracié avec un certain nombre d’autres prisonniers (politiques ?) dont Victoire Ingabire en 2018[2]. Comme on le sait la peine de mort au Rwanda a été abolie, il ne reste que la joie de vivre en résidence surveillée .... certains parlent d’une « armée qui a un pays » qui, lui-même, est une « prison à ciel ouvert ». Mais, ce sont-là que des méchantes langues, des négationnistes, des divisionnistes, des révisionnistes.

 

Bien entendu, les réactions à l’annonce du suicide de Kizito Mihigo s’accumulent de jours en jours et toutes pointent du doigt Kagamé et son régime à Kigali :

En Afrique :

« Mon cher Kizito, ils t'ont insulté, ils t'ont humilié, ils t'ont incarcéré, ils t'ont maltraité et ils t'ont tué...... » (Charles Onana[3])

"La mort de Kizito, comme celle des autres qu’on a assassiné, ne nous fera jamais reculer parce que nous avons une cause noble qui a un intérêt pour les Rwandais »[4]. (Victoire Ingabire)[5]

« Le Rwanda pleure un fils, et le Congo pleure un frère » (Patrick Mbeko)[6]

Etc., etc.

Au Canada :

« The shocking death of Rwandan gospel singer and dissident Kizito Mihigo. His courage was enormous and he paid for it with his life”. (Judi Rever)[7]

“La mort choquante du chanteur de gospel et dissident rwandais Kizito Mihigo. Son courage était énorme et il l’a payé de sa vie »

Aux USA :

I would like to say that President Kagamé has finally gone too far, that the powerful industrial nations will finally stop running cover for his crimes, but that would greatly surprise me.” (Ann Garrison)[8]

« Je voudrais dire que le Président Kagamé a finalement été trop loin, que les nations, puissances industrielles arrêteront finalement de couvrir ses crime, mais cela me surprendrait grandement ». (traduction personnelle)

En Europe en général ; les chaînes :

https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/rwanda/rwanda-kizito-mihigo-artiste-critique-du-regime-de-paul-kagame-se-serait-suicide-dans-sa-cellule_3829927.html

https://www.france24.com/fr/20200217-rwanda-le-chanteur-engag%C3%A9-kizito-mihigo-s-est-suicid%C3%A9-en-prison

entre autres mentionnent le drame.

HCR  :

« À l’approche de la réunion du Commonwealth, ses membres devraient exiger que les responsabilités pour la mort de Mihigo soient établies. Ils devraient exprimer fermement et publiquement, y compris à Kigali, leur désapprobation, si le Rwanda continue de bafouer les valeurs du Commonwealth. » Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch.[9]

En Belgique où, des deux thuriféraires les plus référencées de Kagamé et de son régime, à savoir Colette Braeckman et Marie France Cros, je pointerai une réaction étonnante de cette dernière dans la Libre Afrique[10] du 19/02/2020. Car, en effet, son article[11] est le premier où on a pu voir, très tôt, une photo d’un cadavre présenté comme ressemblant à celui du chanteur, menotté ( ?), ligoté les bras derrière le dos et baignant dans une mare de sang.

Or les services officiels rwandais parlent de suicide par pendaison et il y aura vraisemblablement une autopsie qui sera annoncée (aux résultats de laquelle on devrait, évidemment, s’attendre !). Faut-il supposer que Marie-France Cros n’a pas de droit de regard sur l’iconographie des articles qu’elle produit ? Il faut, aussi, supposer, bien qu’il n’y ait pas de « sources », de « références » de Copyrights à cette image, qu’au moins les services de mise en ligne de celle-ci en connaissent l’origine. Une politique éditoriale ne doit-elle pas être basée sur l’identification des sources et la prudence dans la diffusion (sans tomber dans l’autocensure) ?. En effet il s’agirait, en l’occurrence, d’une photo d’un supplice connu au Rwanda dans la panoplie des méthodes d’exécution des « ennemis[12] » de la classe socio-culturelle auquel appartient le Président : l’effroyable technique de l’akandoya. Ne peut-on se demander s’il n’y a pas eu manipulation concernant la naïveté de l’experte des Grands Lacs ? Il y aurait-il eu un message, au « second degré », via les réseaux sociaux ? En effet dans le même URL de la « Libre Afrique » de ce 22/02/2020, la photo du cadavre est supprimée, remplacée par une image officielle mais avec le commentaire original : « Une version contredite par la diffusion sur les réseaux sociaux d’une photo d’un homme lui ressemblant beaucoup, baignant dans son sang sur un sol en mauvais ciment et les bras ligotés derrière le dos ». (Sic). Et explicitement, la « Libre Afrique, de ce 21/02/2020 sous :

https://afrique.lalibre.be/47002/rwanda-mort-de-kizito-muhiro-la-fausse-image-qui-suscite-le-trouble/ (dans Société - 21 février 2020 - Hubert Leclercq - 1226 Vues) avance : « Il apparaît aujourd’hui que cette photo n’est pas celle de Kizito Muhigo. Elle aurait été prise il y a quelques semaines en République centrafricaine »

Cependant cette « image », sa publication et son retrait, rappelle étrangement l’incident « burundais » de la « fausse-vraie vidéo » : un des avocats de Kagamé (dans l’affaire de l’attentat du 06 avril 1994, sur le Falcon 50 d’Habyarimana, à savoir, le Belge Bernard Maingain) a « fait » diffuser, sur France 3, un film amateur, en vidéo, d’une tuerie de soi-disant opposants au Président Burundais qui se serait produite, le 15/02/2016 à Karuzi (Nord - Ets de Bujumbura, Burundi) dans une parcelle du parti du président[13]. Les faits se seraient, en réalité, passés en Afrique de l’Ouest, compte tenu des langues parlées et entendues dans la bande sonore ! Là aussi, il semble qu’il y ait eu un problème de propagande et/ou de manipulation ...... Il faudrait garder à l’esprit que c’est le même bureau d’avocats de Paul Kagamé (Maingain et Léon-Lef Forster) qui a transmis aux services secrets rwandais les informations permettant de localiser le dernier des témoins du Juge Trévidic, Emile Gafirita. Ce témoin a disparu, le 12/11/2014, les résultats des investigations des Juges Jean-Marc Herbaut et Nathalie Poux, qui avaient repris l’enquête de Trévidic, ont débouché sur une ordonnance de non-lieu en septembre 2018. Il faut également remarquer qu’un appel aurait été introduit ce mois de février 2020 contre ce non -lieu, par Philippe Meilhac, avocat des parties civiles.

Pour en revenir à Kizito Mihigo, alors même que si une « enquête » est ouverte, que peut-on en attendre .... comme dans le cas d’Epstein ? Même Victoire Ingabire constate : « Le secrétaire général du RIB, le colonel Jeannot, m’a dit que même dans les pays développés comme les Etats-Unis, il y a des enquêtes qu’on fait mais qui n’aboutissent à rien. Donc je crois que les enquêtes pour les gens qui sont opposés au régime du FPR resteront toujours sans réponse. Donc, moi, je n’y crois plus »[14].

 

Ceci dit, je crois qu’il faut éviter de formuler trop rapidement des réponses simplificatrices dans ce cas de mort suspecte, telles que : « A qui profiterait le crime ? » .... Bien entendu le principe du « Rasoir d’Ockham » pousse à ne pas faire dans le compliqué quand on peut faire dans la simplicité. ..... Mais depuis la « La guerre du faux [15] ». ...... c’est une des nombreuses facettes de l’Ubengwe, qu’il faut « actualiser » et toujours garder à l’esprit quand on pense au Rwanda et à la manière de s’exprimer des différentes composantes socio-culturelles de son pouvoir actuel.

Il est évident que la mort de Kizito n’apporte rien à Kagamé, au contraire et même son « Akazu » pourrait en être ébranlée. Car il faut rappeler qu’en 1998, déjà, Kagamé aurait déclaré qu’il ne « craignait rien des Hutus incapables de mener « quelque chose » contre lui. Mais si, cependant, quelque chose devait lui arriver, ce serait de la part de sa propre classe socio-culturelle que cela viendrait ». Mais, si l’« Akazu Kagamé » avait voulu tuer Kizito, il aurait agi comme avec ses autres victimes. Et n’y a-t-il pas, peut-être, beaucoup d’« autres » qui auraient bien voulu la mort de Kizito, ne fut-ce que pour mettre le premier cercle de Kagamé en difficulté non seulement à l’intérieur du « Rugo » mais aussi dans la nébuleuse qui orbite dans le champ de gravitation du pouvoir. Comme dans le cas d’Epstein, il y a indécidabilité .... Cependant, dans le cas précis d’Epstein, il y aurait convergence d’intérêt entre tous les auteurs putatifs. La disparition de l’aura d’Epstein n’en ombrage aucun.

Par contre dans le cas Kizito, il y a, outre le premier cercle dont question ci-dessus, les FDLR, le RNC, les Verts et FDU-Ikingi, où des infiltrés pourraient sévir sous fausse bannière. Pour les FDLR (Force démocratique de Libération du Rwanda) on peut en revenir à l’appréciation de Kagamé sur l’efficacité de ce groupe appartenant majoritairement à la classe socio-culturelle opposée à celle détenant le pouvoir au Rwanda[16]. Pour le RNC (Rwandan National Congress) il faut bien se rendre compte que, d’une part, il n’est pas plus uni que les autres groupements de partis politiques d’opposition (y compris les « Verts » et « FDU – Ikingi » de Victoire Ingabire) et que, d’autres parts, tous ses membres fondateurs ont tous étés, plus ou moins, des bras droits de Kagamé. Ils devaient, tous, être au fait de ce qui se passait avant, pendant et après le génocide, au Rwanda au Zaïre et en RDC. Kayumba Nyamwasa, Théogène Rudasingwa, Jonathan Musonera, Joseph Ngarambe, Gerald Gahima et consorts ont probablement été “complices” durant plus de 30 ans, du Ceausescu des Virunga.

Alors comment croire que Kizito Mihigo puisse avoir tenté de rejoindre ce groupe (ou d’autres) d’opposition. A-t-on voulu le faire taire. Si oui, qui et pourquoi et que devait-il savoir ? A qui la résistible ascension de Kizito Mihigo pouvait-elle faire ombrage ? Tous ne voudraient-ils pas se prévaloir d’être du côté avantageux d’un martyr ?. Il faut souhaiter que l’icône du héros Kizito Mihigo ne devienne une « Trade mark de service » ..........

23/02/2020

 

[2] Présidente fondatrice du parti d’opposition interdit. Forces démocratiques unifiées (FDU) Ikingi

[3] Auteur de « La Vérité sur l’Opération Turquoise"

http://www.france-rwanda.info/2020/02/lettre-de-charles-onana-a-ses-lecteurs.html

[5] Opposante politique rwandaise en liberté surveillée.

[6] Activiste congolais, défenseur des droits de l’homme.

[7] Auteur de “In Praise of blood. The Crimes of the RPF”

[8] An independent journalist based in the San Francisco Bay Area.

[12] Pierre Péan :« Les techniques d'exécution ....... l'akandoya, qui consiste à lier de façon très serrée les coudes derrière le dos, poitrine saillante, les jambes également liées, au niveau des chevilles, et pliées vers l'arrière en faisant correspondre les deux ligatures derrière le dos, de sorte que le malheureux devient comme un arc »  https://www.globaltradexchange.com/blog.html?pstid=7b70a548204658c221c95fc9df8a7105

[13] Les images concernées qui correspondaient à une vidéo fournie par l’avocat belge Me Maingain, s’étaient par ailleurs révélées erronées, poussant France 3 à retirer le reportage de son site en invoquant des « erreurs factuelles » https://afrique.lalibre.be/45613/le-president-du-burundi-a-nouveau-deboute-dans-sa-procedure-contre-france-3-et-me-maingain/

Et

https://www.youtube.com/watch?v=3oLcIt—DHI

[15] « Dans ce recueil, Umberto Eco, nous livre un exercice de flair sémiologique, comme disait Roland Barthes, cette faculté de voir du sens là où on serait tenté de voir des faits, afin de dénoncer, d'une part les choses sous les discours, d'autre part les discours sous les choses  »

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Guerre_du_faux

[16] Cela semble bien évident, car le comble de l’oxymore n’est-il pas : « des Hutus planificateurs » ?



3 réactions


  • Baron de Risitas Jean Guillot 24 février 2020 13:20

    Epstein pourquoi le suicider une simple castration aurait fait de lui un agneau .

     smiley


    • Bertrand Loubard 24 février 2020 15:44

      @Jean Guillot
      Merci de votre commentaire. Je pense qu’Epstein gênait moins pas ses frasques sexuelles (cfr. toutes celles de toutes les vedettes du showbiz, et celles qui émaillent les campagnes électorales partout dans le monde) que par ses accointances avec les services secrets américano-israéliens. Je pense aussi que le cas de Kizito est bien plus complexe compte tenu de son parcours et des enjeux pour les uns comme pour les autres des deux groupes socio-culturels en opposition politique au Rwanda. La pratique rwandaise de l’ubwenge connaît ici un sommet, tenant au fait que cette technique originellement intellectuelle est passée, par le biais de la cyber – criminalité, de l’art au marketing. Bien à vous.


  • Bertrand Loubard 10 mars 2020 10:19

    Erratum Troisième paragraphe, dernier sous titre lire HRW au lieu de HCR (évident ?)

    Excuses.


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