vendredi 4 mai 2007 - par Tahar Hamadache

« L’affaire Mécili » de nouveau en campagne en France

La 20e commémoration de l’assassinat de maître Ali Mécili, né André, s’est déroulée, cette année en deux temps : le 7 puis le 20 suivant. Cette vingtième commémoration est porteuse de significations importantes, à mettre en exergue.

Le 7, il y eut comme chaque année à cette date un recueillement sur sa tombe[1]. A la différence toutefois des fois précédentes, l’événement a été précédé par deux faits majeurs relatifs à l’affaire Mécili. Il s’agit d’abord, en ordre chronologique, de la réédition du livre « L’Affaire Mécili » par Hocine Ait-Ahmed, figure historique de la révolution algérienne et, dans l’opposition au pouvoir établi à Alger après l’indépendance, compagnon d’Ali Mécili, lui-même maquisard pendant la guerre de libération.

Annie Mécili, veuve d’Ali, a, quant à elle, adressé dans cette foulée une « lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle française sur l’assassinat d’Ali Mecili », le 3 avril dernier. Annie leur y demande : « Seriez-vous celle ou celui qui saura mettre un terme au scandale que demeure l’affaire Mécili, serez-vous celle ou celui qui saura garantir le triomphe de l’Etat de droit sur la raison des Etats quels qu’ils soient et forcer le respect ? ». Une déclaration du FFS-Ile de France, datée du 20 mars 2007, observait déjà que : « En pleine campagne des présidentielles, cette vingtième commémoration de l’assassinat d’Ali doit être l’occasion d’interpeller les différents candidats sur cette « Affaire Mécili ».[2]

Avant de formuler sa question, Annie a pris le soin de rappeler ainsi l’identité de son défunt époux ainsi que les circonstances de son décès en ces quelques mots : « Le 7 avril 2007, il y a aura vingt ans que l’avocat Ali Mécili, né André, compagnon de Hocine Ait-Ahmed, a été exécuté à Paris où il a choisi de vivre et d’exercer son métier. Il était français et algérien à la fois par l’effet d’une histoire douloureuse liant nos deux pays. Et de cette double appartenance, il avait fait une force vive au service du combat qu’il a livré toute sa vie pour la justice et la liberté, pour le respect des droits de l’homme et pour l’instauration de la démocratie en Algérie. Son assassin présumé, rapidement interpellé et trouvé porteur d’un ordre de mission de la Sécurité militaire algérienne, a aussitôt été soustrait à la justice française et expulsé en Algérie, en urgence absolue, ainsi rendu à ses commanditaires par décision de Robert Pandraud, alors ministre délégué chargé de la Sécurité. Depuis, sa famille, ses amis, tous ceux qui portent en eux les valeurs qui furent les siennes attendent que justice lui soit rendue ».

Pour sa part et dans la préface de la nouvelle édition de son livre, Hocine Ait-Ahmed écrit : « vingt ans après, ne pas oublier Ali Mécili et combattre l’omerta qui, à Alger comme à Paris, s’acharne depuis vingt ans à effacer jusqu’à son existence, c’est donc évidemment un devoir de mémoire. C’est une fidélité à un homme qui fut un ami très cher, irremplaçable, à un militant et à un cadre politique d’exception. Mais c’est aussi remonter aux origines de l’impunité dont la police politique algérienne se sent investie depuis cette année 1987 et qu’elle a interprétée depuis comme il se devait : la possibilité de tout se permettre, partout et en toutes circonstances »[3].

Le texte de la préface de cette nouvelle édition ainsi que la lettre aux candidats à l’élection présidentielle française ont été diffusé dès le 09 avril. S’il est difficile de savoir si Annie Mécili a obtenu réponse à sa lettre ouverte aux candidats, la seconde cérémonie, celle du 20 avril, constitue en elle-même une importante avancée vers la vérité sur l’assassinat de Me Mécili. Par le fait que cette cérémonie se passait dans l’Hôtel de Ville de Paris, l’un des hauts lieux symboliques de la République française, (sur invitation de la Maire adjointe, responsable de l’émigration, selon certaines sources), l’un des présents à cette cérémonie estime que : « l’histoire retiendra que c’était là, le début du commencement de la reconnaissance officielle par la France de son rôle dans ce crime d’Etats (Etats, au pluriel) ». Un autre présent témoigne pour sa part qu’Annie a « quasiment tout orchestré, avec une grande énergie ». L’événement a été annoncé par le site web de la Mairie de Paris, à la différence des journaux.

Parmi les intervenants prévus, seule la députée européenne, Hélène Flautre, a dû se faire représenter par l’un de ses collaborateurs pour lire son message à l’assistance. Hocine Ait-Ahmed et ses co-intervenants ont chacun abordé l’événement d’un point de vue différent. Ainsi, Patrick Baudouin a abordé le volet judiciaire en décortiquant toutes les étapes du dossier « Mécili » et Bernard Kouchner a parlé de l’Affaire Mécili en inscrivant son intervention dans un cadre plus large des violations des droits de l’homme et en citant de nombreux cas d’assassinats politiques. Des lectures de textes ont relaté la vie d’Ali. Des lettres d’Ali, lues avec talent, ont été autant de témoignages sur les événements et la vie de notre pays, vus par Ali. Ceci rejoint une phrase incluse dans le texte rédigé par un ami, M. Abbès Hamadène, à l’occasion du recueillement du 07 avril au cimétière « Père La Chaise » : « Tu as réussi à mettre ta vocation rentrée de poète dans ton engagement politique... Tu as réussi à produire une dynamique de reconnaissance mutuelle entre des Algériens de sensibilités opposées, à provoquer un travail d’élucidation des peurs, de confrontation des idées et d’élaboration collective d’alternatives démocratiques »[4].

Comme si cela ne suffisait pas, des témoignages, des photos esquissaient pas à pas les contours et la personnalité d’Ali et rendaient cette commémoration émouvante jusqu’aux larmes, surtout avec la prestation de Léa et Yalhan, les deux enfants du couple Mécili. L’une a mis autant de poésie que possible dans une danse mime, contemporaine frisant la transe, exprimant l’annonce de la nouvelle, la douleur de la mort ; le second a déclamé un texte en mettant autant de danse (plutôt slam que rap) dans sa poésie que possible. Un ami de la famille commente : « la virtuosité du mouvement qui vaut de longs poèmes d’un côté, et des mots ailés aux pulsions dansantes, de l’autre. L’émotion en art : quel bel hommage ! » Des amis et des militants de tous âges, tendances et nationalités s’y sont rencontrés, démultipliant l’émotion par des retrouvailles et le plaisir par de nouvelles connaissances faites en si bon terreau mental et affectif pour les amitiés et solidarités à venir. Et, afin que l’histoire continue jusqu’au rétablissement public, de la vérité, en France comme en Algérie, Hocine Ait-Ahmed, le fidèle compagnon d’Ali a, à la fin de la cérémonie, dédicacé son livre : « L’Affaire Mécili ».

Homme d’éthique, d’ouverture, de dialogue et de clairvoyance de l’avis de ceux qui l’ont connu, Mecili demeure le modèle du militant plein d’engagement mais libre de toute compromission, aliénation et inféodation. Militant à la vision stratégique et au sens aigu de l’intérêt général, devenu symbole après son assassinat, quelques sections du Front des forces socialistes (FFS) ont été baptisées de son nom depuis quelques années. Son souvenir ne continue-t-il pas de convoquer l’assainissement des pratiques et de l’action politiques tant en Algérie et en France que dans les relations internationales ? Gageons que, en ces temps de dilution des valeurs militantes, ceux qui perpétuent sa mémoire comme ceux qui découvrent son parcours s’en imprègnent profondément : à suivre l’exemple d’un homme généreux, juste et libre, on ne perd pas son âme !

Tahar Hamadache.




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