jeudi 6 octobre 2016 - par Daniel Salvatore Schiffer

L’affaire Wesphael : du doute à la liberté !

Je crois avoir été un des premiers intellectuels à avoir défendu publiquement, dans un article de presse publié dès le 6 novembre 2013, soit six jours seulement après son arrestation puis son incarcération dans une prison de Bruges, Bernard Wesphael, homme politique belge et ex député « écolo », accusé d'avoir assassiné, lors d'une dramatique soirée, son épouse, Véronique Pirotton, dans un hôtel d'Ostende.

Cette tribune libre, au ton certes critique mais à la teneur néanmoins argumentée sur le plan rationnel, si ce n'est juridique, avait pour explicite titre « Le cas Bernard Wesphael : la justice en question  ». En voici le lien électronique : http://www.rtbf.be/info/opinions/detail_le-cas-bernard-wesphael-la-justice-en-question?id=8129517

Je tiens à le souligner d'emblée en cette nouvelle tribune que je propose aujourd'hui au regard du public comme à la conscience des magistrats : je ne connais pas personnellement, ni n'ai jamais rencontré, Wesphael, pas plus que je n'ai de lien avec un quelconque de ses amis ou de ses proches, a fortiori avec un membre de sa famille ou de son parti politique. Je ne nourris donc pour lui, a priori, ni sympathie ni antipathie, ni aversion ou empathie. Aussi mon jugement, en ce tragique dossier qui semble l'accabler aux yeux de ses juges, s'en trouve-t-il, de la sorte, totalement neutre et indépendant, sinon, oserais-je dire, objectif et impartial.

 

LA DEFENSE D'UN PRINCIPE : LA PRESOMPTION D'INNOCENCE

De fait, ce n'est pas tant l'homme que je défendais alors, mais bien un principe, sacro-saint pour toute justice correctement entendue et donc théoriquement inaliénable à l'aune du Droit, du moins lorsqu'il se veut équitable et démocratique : la présomption d'innocence. Ainsi y dénonçais-je également le très regrettable fait que celle-ci, manifestement, avait été là, circonstance aggravante, outrageusement bafouée !

Que l'on envoie aussi précipitamment en prison, manu militari et comme jeté aussitôt en pâture à la face du monde, un être humain avant qu'il ne soit jugé en bonne et due forme par un tribunal compétent, et sans qu'aucune preuve formelle ne soit même établie pour étayer le crime dont il se voit ainsi sommairement, sinon arbitrairement, accusé, ne me semble pas, en effet, un procédé digne d'un pays dit « démocratique » et, comme tel, soucieux de respecter les lois qu'il a pourtant lui-même édictées. C'est là, au contraire, un déni de justice et même pire : une entorse aussi flagrante qu'inacceptable aux droits, ici les plus élémentaires, de l'homme !

Faut-il donc revenir ici sur les nombreuses zones d'ombre, et autres graves vices de procédure, qui parsemant, dès le départ, ce lamentable dossier juridique : de mauvaises traductions, truffées d'approximations linguistiques et emplies de contre-sens, du français au néerlandais dans les divers témoignages et, au premier chef, de l'accusé lui-même ; des analyses médico-légistes, pratiquées sur base de prélèvements effectués sur le corps de la victime, contradictoires selon les parties en cause dont elles proviennent ; le fait que Véronique Pirotton, pour laquelle nous redisons certes ici toute notre compassion humaine et sans que l'on veuille bien sûr atteindre le moins du monde à sa défunte mémoire, souffrait à l'évidence de troubles psychologiques la rendant dangereusement instable, lorsqu'elle mélangeait inconsidérément médicaments et alcool, au niveau comportemental ; le rôle malsain et ambigu, retors et pervers, sinon quasi « diabolique » à en croire ce qui a pu filtrer de ces débats parfois houleux mais souvent nécessaires, qu'a joué, dans ce cauchemardesque drame conjugal, l'amant, dont je tairai par pudeur tout autant que discrétion le nom, de la malheureuse victime ; la possibilité enfin, non exclue par les médecins légistes l'ayant autopsiée, que celle-ci se soit suicidée.

 

JUSTICE, VERITE ET HUMANISME

Bref : c'est le dossier du juge d'instruction lui-même, dont on n'a encore dévoilé ici que quelques-unes seulement, bien que déjà graves en soi, des énormes lacunes et autres carences déontologiques, qui semble là ne pas pouvoir résister, en toute honnêteté intellectuelle, au sérieux d'une critique avisée ! Si bien que, face à pareil naufrage éthique et manquement professionnel, il ne me vient ici à l'esprit, pour qualifier cette inqualifiable procédure juridique, qu'une phrase, qui fut par ailleurs écrite par le grand Émile Zola, dans son célèbre « J'accuse  », lors de l'historique affaire Dreyfus, autre illustre victime, sans certes vouloir comparer ici l'incomparable, d'un non moins inique procès : «  Cette vérité, cette justice, que nous avons si passionnément voulues, quelle détresse à les voir ainsi souffletées, plus méconnues et plus obscurcies ! ».

Zola, au faîte de cette indignation en tout point justifiée, y conclut, brandissant là en guise de loi, tel le seul impératif catégorique qui vaille, son indépassable humanisme : « Je n'ai qu'une passion, celle de la lumière, au nom de l'humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n'est que le cri de mon âme. » Admirable !

Certes, ne suis-je pas Zola, et Wesphael, dont je ne sais toujours pas s'il est innocent ou coupable du meurtre dont il est accusé, n'est pas Dreyfus. Mais il y a une chose, en revanche, que je sais, et que je défends ici de toutes mes forces philosophiques : c'est que le doute, à ne considérer que les multiples incertitudes et nombreuses failles dont ce dossier juridique se voit émaillé de bout en bout, est à ce point important, dans cette tragique et sordide affaire Wesphael, que l'on ne peut pas, raisonnablement, le condamner. Le doute, comme le stipule le code pénal lui-même, doit bénéficier à l'accusé : l'acquittement donc, en ces pénibles circonstances, pour Bernard Wesphael !

Quel tribunal, quel procureur et quel juge, pourra encore ainsi, face à un aussi évident manque de preuves concrètes et définitives, prendre la responsabilité morale d'envoyer derrière les barreaux, en âme et conscience, un homme qui, en plus du chagrin qui à l'évidence l'étreint encore au douloureux souvenir de cette femme qu'il dit avoir sincèrement aimée, en plus même des calomnies qui auront ainsi définitivement détruit sa réputation, ne cesse de clamer, en outre, son innocence ?

 

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

 

* Philosophe, auteur de « Les Intellos ou la Dérive d'une caste - De Dreyfus à Sarajevo (Éditions L'Âge d'Homme), « La Philosophie d'Emmanuel Levinas - Métaphysique, esthétique, éthique » (Presses Universitaires de France), « Oscar Wilde  » (Gallimard - Folio Biographies), « Métaphysique du dandysme  » (Académie Royale de Belgique), « Le Testament du Kosovo - Journal de guerre (Éditions du Rocher).  



2 réactions


  • L'enfoiré L’enfoiré 6 octobre 2016 19:09

    Comme je viens de le dire à la suite d’un autre billet 

    Trois semaines après et cinq heures pour prendre une décision : Acquitté.

    Le film « 12 Hommes en Colère » a probablement changé beaucoup de choses en justice.

    Un juge qui a mis sur la sellette les témoins avec humour et des avocats de haut vol.

    Etre juré est peut-être quelque chose du plus difficile.
    Dans le film, la sentence était la chaise électrique.Dans ce cas des années de prison. 

  • Pierre Pierre 6 octobre 2016 20:38

    C’est un beau billet sur les errances de la justice et l’auteur à du talent pour défendre la présomption d’innocence, un principe de plus en plus souvent remis en question.

    L’enfoiré dit avec raison que le film « Douze hommes en colère » nous a tous interpellés sur la condamnation hâtive d’un accusé.
    De mon côté, ce genre d’instruction judiciaire me fait aussi penser à l’affaire d’Outreau où des vies ont aussi été gâchées à cause de défaillances de la justice.
    La justice a été rendue et Bernard Wesphael a été acquitté. Il lui sera difficile de retrouver sa place dans la société parce que à cause d’une instruction orientée, il devra toujours affronter les regards suspicieux de ses compatriotes.
     

Réagir