jeudi 5 octobre 2017 - par

L’âge d’or

Qui sait ? Peut-être que nous vivions l'âge d'or et que nous ne le savions pas ? Que nous ne voulions pas le savoir ? Comme des enfants gâtés, nous voulions toujours plus. Nous trouvions insuffisantes nos libertés d'expression. Nous pleurnichions sur d'illusoires lendemains qui auraient chanté plus fort et mieux que les beaux jours que nous vivions. Nous fantasmions beaucoup sur notre propre destruction, pour nous rassurer, nous aimions bien imaginer toutes nos façons de mourir ou de nous détruire.

Bien sûr, ce n'était pas l'âge d'or pour tout le monde. Il y a toujours eu des pauvres dans ce monde, il en existera hélas toujours à moins que la nature humaine ne se transforme d'un seul coup, que l'être humain ne le soit plus, humain, qu'il soit moins avide, moins égoïste.

Mais il y avait de plus en plus de bibliothèques, des lieux de culture un peu partout. L'ignorance paraissait reculer. Dans les écoles, dans les collèges, il n'y avait pas d'arabes, de noirs, d'asiatiques, il y avait juste des copains, des camarades. Bien entendu, ce n'était pas parfait, loin de là. Mais les filles n'étaient pas obligées de se vêtir d'une certaine manière pour plaire aux grands frères, ou à leurs pères, ou être comme les médias le leur imposaient plus ou moins. Il y avait des pièces de théâtres en début de soirée à la télévision. Et il n'y avait pas que les bourgeois éclairés ou réputés l'être pour parler de culture...

C'était l'âge d'or et nous ne le savions pas. A l'époque, nous rêvions d'un monde où les voitures voleraient, où les hommes iraient sur Mars comme ils vont en banlieue. Ils ne se soucieraient plus de leur survie mais surtout de leur savoir. Ils se seraient unis sans pour autant perdre leur identité, leur histoire. Nous cauchemardions aussi parfois le futur, pour se faire peur. Les conclusions du "Club de Rome" avaient inspiré de nombreuses dystopies pour avertir ce qui arriverait si nous ne prenions pas garde. Dans certaines, on évoquait de ces sociétés d'êtres humains tous soumis à leurs écrans, tous plus consuméristes, tous plus grégaires, un troupeau aveugle. Ce troupeau se donnerait comme dirigeants des opportunistes inféodés à l'argent, au pouvoir, aux grands de ce monde, ce qui n'est pas grand chose.

Mais en les lisant, en allant les voir au cinéma, nous croyions savoir que cela n'arriverait jamais, ce n'était pas possible, l'humanité n'était pas bête à ce point. En tout cas elle aurait été prévenue.

On nous avait dit à nous, la dernière génération de l'âge d'or, que tout était possible, tout était envisageable. Avoir un destin professionnel quel ennui ! S'occuper de banalités ! C'était bon pour les laborieux, tous ces "gagne-petit" que nous méprisions, ceux qui étaient dans leur coin, bourrés de complexes culturels, soucieux d'avoir une belle mobylette puis une belle voiture, puis une vie bien réglée, docile et paisible autant que celle d'un animal de labour.

Nous ne savions pas trop quoi faire de nos études, car contrairement à ce que l'on nous avait dit, elles ne donnèrent pas de métier glorieux, de vie sans détours. Si nous mangions un peu de vache enragée, ce ne serait pas si grave. Dans nos vies personnelles nos parcours étaient également chaotiques, caillouteux. La liberté, ça ne se décrète pas. Ce n'est pas facile.

Cela ne fait pas si longtemps que cela que l'âge d'or est fini, il ne l'est pas encore tout à fait d'ailleurs. Si nous trouvons le temps de nous échauffer sur autant de points aussi négligeables c'est que nous n'allons pas si mal au fond. Bientôt il n'y aura plus que la haine, la sottise et le ressentiment, l'utopie, les belles idées et l'affirmation de l'amour universel n'y changeront strictement rien. Il faudra choisir, il n'y aura plus de nuances. Ou s'enfermer dans sa bibliothèque comme Montaigne, si les bibliothèques existent encore bien entendu....

 

Sic Transit Gloria Mundi, Amen

Amaury - Grandgil

illustration empruntée ici




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