L’âge des fossiles
On connaît le charbon depuis le XI ème siècle, on l'exploite industriellement depuis le XVI ème, il est devenu impérieux de le dénicher partout depuis la révolution industrielle du XIX ème.
Le pétrole, lui, est utilisé depuis l'antiquité mais il faut attendre le XIX ème siècle pour qu'il devienne le socle de nos civilisations modernes.
Entre temps, Denis Papin. Le grand virage a moins de deux siècles, il fallait du temps au temps à l'époque, presque deux siècles pour avoir les idées larges ! Mais dès qu'on a élargi les idées, il y a un tas de gens qui s'y sont engouffrés ; celles-ci n'étaient plus la curiosité, l'ingéniosité, pour un mieux être, mais ce que l'on pouvait tirer comme intérêt matériel de tout ça.
Le nucléaire, lui a à peine cent ans.
Tout cela s'appuie sur les richesses fossiles de la planète que l'intelligence humaine a mises au service de l'humain, confort accru, facilités, expansion... on aurait pu attendre sagement, équitablement, la fin de ces richesses pour passer à d'autres énergies, elles, renouvelables. Mais l'humain ne sait pas faire bien les choses, il faut toujours qu'il crée l'enfer comme si le bien-être, le « paradis » lui était intolérable. Freud a parlé de pulsion de mort, nous aurions bien fait de poursuivre sur sa lancée et en comprendre les mécanismes. Ceci dit, comprendre, n'a jamais révolutionné le monde, c'est pourquoi les orientaux, dans leur sagesse, se foutent comme d'une guigne de la compréhension, mieux la loge dans les bas fonds de la psyché humaine. Je parle de cette compréhension qui décortique et qui, au final, ne satisfait que le mental. Bon.
L'homme adore se regarder le nombril ; il trouve un os, une pierre gravée d'un hiéroglyphe, un dessin... et il en fait toute une histoire. Notre histoire. On y croit dur comme fer, ou comme bronze, mais on n'a pas idée de s'y situer, aussi infime et approximatif, pour nos lointains descendants. Ceux-ci trouveront une pierre de cathédrale volatilisée sous l'atome mais pas un papier, brûlé, ni un logiciel pour reconstituer le drame ; ils le reconstitueront à leur gré. Les dinosaures sont venus, sont partis, on date leur arrivée, leur départ, mais on ne sait ni pourquoi ni comment ils sont venus et partis ; on subodore et ça nous suffit. Ils subodoreront et ça leur suffira ! C'est tout ce que l'on peut imaginer de cet inconnu.
Nous sortirons de l'âge des fossiles comme on est sorti des autres et tout cela n'aura plus aucune importance ; toutes les fracturations, tous les viols commis sur notre sous-sol nous retomberont dessus sous formes de divers éboulements mais nous ferons avec, et si nous existons encore assez longtemps, ce qu'on vit aujourd'hui tiendra trois pages au plus dans des livres d'Histoire ! La Nature n'est qu'un immense gaspillage ! Trois millions de graines pour un seul arbre, trois millions de spermatozoïdes pour une seule fécondation, trois millions de morts pour une seule guerre, trois millions de mots pour faire du vent ! Sans doute que chaque changement d'âge est initiatique.
L'homme a inventé dieu, puis le rationnel pour contrer dieu ; si dieu est l'irrationnel, alors, c'est lui qui gagne, nous n'avons jamais vu la raison être ne serait-ce qu'une soupape aux folies humaines. Car ce qui fait désobéir un chef d'armée – et cela est arrivé maintes fois, qui a sauvé des vies-, ce n'est pas la raison, mais son émotion, sa sensibilité. On dit la raison froide, mais où a-t-on vu que la froideur est maîtresse du monde ? Le froid tempère, au mieux. Je ne sais pas ce qu'est sensée faire la raison, depuis toujours je m'en méfie, en tout cas elle n'apporte pas des connaissances sur soi-même, de celles, utiles qui nous feraient avancer, et quand je dis « avancer », c'est que je ne trouve pas d'autres mots qui n'auraient pas été dévoyés.
L'existence toute faite d'études, par des millions d'hommes, sur une plante, un caillou, une étoile, un poisson, un gaz, un autre homme et son œuvre, m'apparaît comme un surgeon (de cerveau ?) auquel on donne toute l'importance, comme si, dans des milliards de détails on pouvait faire un tout. Peut-être ce tout est-il conçu, mais à portée d'aucun cerveau. Parfaitement inutiles pour notre condition, ces études, ces mesures, ces datations ne servent, oui, qu'à remplir des existences. Pendant ce temps on laisse tomber... la vie. Comme elles ne recèlent aucune nuisance, puisque personne n'en tire ni leçons ni profits, elles sont de l'ordre du jeu, qui se prend au sérieux, mais n'a guère d'incidence . Il n'en est pas de même pour tous ces ignorants qui surgeonnent comme un cancer de délires d'irraison, comme des drogues : le pouvoir. Je ne vais pas revenir sur le fait que tout pouvoir, tout désir de pouvoir est une pathologie, souvent létale mais après avoir fait beaucoup de mal. Mais je voudrais insister sur celui que toute action est une pulsion, que toute pulsion saine n'est pas forcément tendre - la violence, le conflit en font partie-, et nous ne risquons pas d'avancer si notre quête première n'est pas la santé. La santé tout court, qui englobe tout notre être.
Ce que nous vivons aujourd'hui est littéralement l'aboutissement de cette pathologie, mais ce « nous » concerne principalement ce que j'appelle occident, et je crois que tout le monde comprend. Notre société, gouvernée par la folie des grandeurs et tout ce qui la sert, vénalité, avidité, trahisons, mensonges, loin de dieu ou des Lumières, arrive au bout de sa course ; aujourd'hui, les Hommes Blancs, les Grands Forts, sont littéralement achetés par ceux-là mêmes qu'ils voulaient piller, utiliser. Le hasard a mis le pétrole chez les Arabes et ceux qu'ils prirent comme alliés, Qatar, Arabie saoudite, les meilleurs d'entre eux n'est-ce-pas, achètent nos biens, viennent ou viendront à la rescousse de nos banques ; par l'argent nous leur seront soumis. Pendant que notre quiétude de dominants privilégiés, due à l'appropriation violente des richesses du monde dont nous savions que faire, est mise à mal par les pauvres de ces pays, puis des nôtres, dans une violence que jusqu'ici nous avions réservée aux leurs, chez eux. Retour de bâtons, retour du boomerang, là aussi, une loi empirique. La classe dominante est apatride, bien plus proche de n'importe quel roi Abdallah que du premier ingénieur de l'aéronautique venu, et bien sûr, du dernier gueux sans abri, sur le trottoir des rues qu'elle n'emprunte pas.
Tout le monde n'est pas malade en occident, quoique(!), mais beaucoup ailleurs rêvent de pouvoir « se lâcher », vivre ses perversions et en faire des normes, ce qui fait qu'il y a beaucoup de relais, beaucoup de collaborateurs, et des traîtres. Il n'y a pas que les oligarques qui soient atteints, et si on ne peut pas dire qu'ils nous gouvernent, qu'ils nous dirigent, qu'ils gèrent, ou qu'ils nous guident, toute qualité pour ce faire leur faisant défaut, on peut juste constater qu'ils nous oppressent et que nous sommes victimes de leur pouvoir, mais nous en sommes victimes grâce à ses relais. Regardons notre réception des choses, événements, lois, normes... regardons nos actions, intimes, professionnelles, sociales, par ce prisme, et posons-nous la question : à quel endroit suis-je le relais du pouvoir ? Cela se situe principalement, pour ne pas dire exclusivement, dans un très fort besoin de sécurité, être conforté, et cela va du désir de voir des flics partout à tolérer d'être fouillé, en passant par toutes les appartenances, les cartes de visite, les identités. L'échelle du pathologique au sain offre d'infinies nuances.
Une pathologie qu'on ignore (superbement) et qu'on ne soigne pas (pourquoi le faire ?) est fatale. À ce degré nous pouvons penser que nous sommes.
On nous amène, petit à petit, à nous faire à l'idée d'une guerre , enfin, mais inédite, entre les US et la Russie ; cet « enfin » n'est pas un soulagement mais bien l'aboutissement d'une rivalité bien particulière, puisqu'elle n'est vécue que par l'un des deux protagonistes. Complexe non assumé d'une aculturation totale de l'un face à la sobre fierté historique et territoriale de l'autre ; sobre parce que encore prête au sacrifice. Force d'une pathologie aggravée, qui n'a que l'esbroufe et les armes, face à une force réelle, et ses armes. Est-ce un hasard si aujourd'hui apparaît, partout, les drames et les méfaits du harcèlement moral, nommé ainsi dans la personnalisation de ses effets mais qui veut simplement dire : le pouvoir est au faible, au malade, en position usurpée de force ( supériorité hiérarchique) mais rien à l'intérieur qui puisse assurer la puissance, et cela face à une puissance réelle qui ne se soumet pas malgré sa position inférieure. D'avoir bâti tout notre empire sur l'artifice, le barbare ne se contentant pas de piller, encore lui faut-il régner, vient toujours le moment où l'artifice s'écroule face au réel. Ce moment vient toujours, toujours les empires ont péri.
Alors, remerciant le destin de m'avoir fait vivre cette époque, - c'est un moment rare car si, entre deux personnes, cela peut durer des années, quand il s'agit d'empires, cela peut durer des siècles -, j'imagine moi aussi les scénarios possibles.
Je n'imagine pas la destruction planétaire par cet olibrius qu'est l'homme occidental ; d'un autre côté je sais notre destin bien précaire et notre importance bien minime ; mais justement, comment cet agrégat de cellules malades pourrait-il détruire ce qui le dépasse à ce point ? Il ne le pourra pas, et pour plusieurs raisons.
D'abord, tout le monde n'est pas atteint et, nous l'avons vu, les désobéissances ne sont pas rares.
Mais imaginons qu'une bombe soit lancée, où ? Si on imagine bien que les Russes sauront cibler, on imagine mal les Américains en avoir la moindre idée, un Hiroshima russe ? (Tu as vu mes gros bras ?) Au maximum deux équivalents Hiroshima dans chaque camp, -sauf que dans l'un ce ne sera sûrement pas une ville- ; ceci n'est pas rien, ce n'est pas ce que je veux dire, mais nous aurons peut-être le temps d'envoyer une ambulance et enfiler la camisole aux coupables d'agression, car soixante dix ans plus tard, les sauveurs du nouveau monde ont pris un coup de vieux. Inutile de dire qu'il nous faudra enfiler la camisole aux nôtres avant qu'ils s'imaginent avoir un rôle à jouer.
La guéguerre, pour l'instant, entre les US et la Russie n'a aucune légitimité ; en réalité on devrait plutôt parler de Poutine, et ce n'est pas un hasard si on parle toujours de lui, car la Russie avec un Eltsine, ce n'était pas le même topo. Et quand c'était l'Empire, ils crachouillaient bien dans les micros chez eux, et y chassaient le rouge mais ne s'avisaient pas d'encercler l'ennemi. Mais Poutine n'a pas pris sa femme à Obama, il ne s'est pas approprié des terres américaines, il n'impose pas la vodka ni les blinis , il ne pille pas les sols, il ne s'agit donc pas d'une guerre « légitime » ; il ne demande qu'à commercer gentiment, c'est-à-dire équitablement. Certes il a des amis des alliés et il y tient. Et c'est cela qu'on nous fait passer pour impardonnable. Les Américains aiment à dominer, s'assujettir les faibles, ils ont foncé dans la brèche post perestroïka et ont fait pas mal de dégâts, mais la Russie était faible alors. Ne leur est jamais venu à l'idée de se l'assujettir, la Russie, ils se sont contentés de la guerre froide. Cela fait presque un siècle qu'ils satanisent le communisme, et quand ce n'est plus lui, c'est satan quand même ; les voilà prêts, au pied du mur du plus gros défi jamais entrepris, ils ont la trouille, ils font des moulinets avec leurs bras, mais cet attrait est la plus violente des drogues, ils y céderont si on les laisse faire ; le joueur ne s'arrête pas de jouer avant qu'on le vire du casino et le mégalo n'est vaincu que démasqué.
Il s'agit d'un combat de Titans, le tout pour le tout, le dernier désir, la dernière preuve, mais surtout le jamais vu jamais tenté. La première guerre, vraie, qui ne se cache pas derrière son petit doigt, une guerre d'égal à égal, pas d'un genre connu là-bas. Et la faille est là, en sont-ils capables ?
Qui sait, peut-être quelqu'un sait-il là-bas que ce type de combat est perdu d'avance ? Peut-être ce quelqu'un a-t-il quelque influence en haut lieu ? Pour la vie de milliers de gens, je le souhaite mais pour satisfaire un désir de vengeance, je les voudrais à terre noyés dans leur vomis. Ici, j'ai l'image de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi.
Ces gens-là sont capables de faire ça, et le monde, dont nous sommes, capable de l'accepter. Il y a donc quelque chose de logique dans ce déroulement des faits et cela n'aura rien d'une justice divine, c'est juste une loi, naturelle, universelle, inéluctable.
Oui, bien sûr que les États-Unis vont y péter. Ce n'est pas seulement une question de puissance d'armée, c'est juste qu'ils sont lâches et qu'ils n'ont aucun motif à vendre à leurs soldats, parce qu'ils sont bravounets les Américains, ils veulent bien risquer leur peau pour apporter le bonheur démocrate au monde entier, mais là.
Sauf s'ils ont un sursaut de conscience, d'instinct de survie. Je ne suis pas sûre de le souhaiter. Ce serait reculer pour mieux sauter.. mais nous pourrions peut-être essayer une autre chute, écrouler le château de cartes qu'est désormais la belle ordonnance de notre monde, les peuples..., européens..., nous..., une vague..., un raz-de-marée qui les emporterait, eux et leurs milliards toc, dans des déferlantes qui n'en finiraient pas. Ah si j'étais peintre, il y aurait beaucoup de noir, et des grimaces de terreur tout masques tombés...