samedi 3 mars 2018 - par Desmaretz Gérard

L’anthropologie judiciaire

Le samedi 24 février 2018, un groupe de passionnés par le mystère Seznec participe à des fouilles privées dans un cellier adjacent à l'ancienne maison des Seznec sise à Morlaix (Finistère). Guillaume Seznec a été condamné en 1924, au bagne à perpétuité sans preuves et sans aveu, pour le meurtre de Pierre Quémeneur, conseiller général du Finistère, son associé en affaires. Il est 14 h 47 quand un des participants découvre une tête de fémur et un fourneau de pipe à un mètre de profondeur ! S'agit-il d'un os de Pierre Quémeneur disparu en 1923 dont le corps n'a jamais été retrouvé ?

L'« inventeur », un passionné d'archéologie, nettoie l'os avec d'infinies précautions avant de le glisser dans un sachet en plastique transparent et d'en noter l'emplacement et la disposition. La police judiciaire aussitôt alertée ordonne l'arrêt immédiat des fouilles et consulte un médecin légiste, celui-ci pense qu'il s'agit d'une tête de fémur humain. A 17 h, le procureur de la République décide d'ouvrir une enquête pour « recherche sur les causes de la mort ». Les fouilles reprennent le lendemain, un deuxième os est découvert. Me Denis Langlois, un des initiateurs des recherches, ne voit pas : « comment une révision du procès ne pourrait pas désormais être engagée ». Mercredi tout le monde déchante, l'os découvert provient d'un bovidé..., tout comme le second ! Les adeptes de la série américaine Bones seront déçus et les autorités de constater le manque d'anthropologues judiciaires... (DIU d'anthropologie cursus de 116 heures, coût de 1.111 euros).

L'anthropologie judiciaire est une branche de l'ethnologie qui étudie les caractères anatomiques et biologiques de l'homme. Le but de l'anthropologie légale consiste à confronter les données recueillies avec des données fiables appartenant à un individu. La première étape de l'identification vise à dresser un profil biologique : l’âge, le sexe, la taille (plus l'os est long, meilleure est l'estimation, la plupart des hommes mesurent 2,6 fois la longueur de leur fémur), l’origine ethnique : leucoderme (Caucasien), xanthoderme (mongoloïde), et mélanoderme (négroïde), et toutes les caractéristiques particulières permettant : d'identifier les éléments du squelette - la cause et les raisons du décès - estimer la durée de l'inhumation - de l'exposition aux éléments - déterminer s'il y a eu déplacement de restes humains (érosion, animaux fouisseurs, travaux, etc.), et l'identification de l'individu.

Un organisme vivant et ses tissus se développent à partir d'une cellule souche. A l'intérieur de la cellule se trouvent des organelles (ou organites) constituées de protéines et lipides qui permettent le confinement des processus biochimiques, et qui se renouvellent régulièrement. A chaque fois qu'une cellule se divise, on obtient deux cellules, l'une active, l'autre au repos, et l'assemblage des cellules forment le tissu. Notre masse corporelle est constituée de cellules cartilagineuses, le cartilage se minéralise pour se transformer en os. Des parties cartilagineuses persistent dans : les articulations, l'oreille, le nez et le larynx.

Les os peuvent se conserver pendant des siècles et leur état de conservation dépend largement : de la composition chimique du sol, de sa consistance, du temps écoulé, de la profondeur d'enfouissement, du pH du sol (en Bretagne les sols sont acides), de l'humidité, des eaux de ruissellement, de l'action du gel et du dégel, des fluctuations saisonnières, de l'érosion, du taux d'oxygène, et du remaniement des sols. La destruction du collagène augmente la porosité de l'os, et dans les sols riches en minéraux, les os deviennent « semblables » à des minéraux et leur coloration se modifie (grisâtre en présence d'oxyde métallique, jaunâtre en présence de sels ferreux), et leur datation peut être estimée par le taux de fluor propre à chaque sol et en fonction de la durée d'enfouissement.

En examinant la taille, la forme et la structure d’un os, l’anthropologue peut déterminer s’il s’agit ou non d’un os humain. La forme des os ainsi que la manière dont ils sont reliés entre eux diffèrent d’une espèce à l’autre. Parmi les mammifères, l'homme est celui qui possède le squelette le plus mobile. Cette mobilité à se courber, à pivoter, à s'étirer est rendue possible grâce à la mobilisation d'une centaine d'articulations mue par les muscles reliés à un axe osseux à l'aide de tendons et mis en action par le système nerveux.

Le squelette est composé de 206 os (350 chez le nouveau-né) de trois types : les os longs comme le fémur, les os courts comme les vertèbres, et les os plats comme l'omoplate. Le crâne est constitué de 8 os qui couvrent le cerveau, et de 14 os pour la partie antérieure du crâne et le visage. Le squelette est constitué : d'eau pour 50 %, d'une substance minérale à base de calcium pour 25 %, et une trame protéique pour 25 % élaborée par les cellules du tissu osseux. La première partie de l'os (le périoste) forme une fine couche de peau blanchâtre sillonnée de vaisseaux sanguins et de nerfs, il nourrit les cellules qui constituent l'os dur situé dessous. Cet os dense contient des milliers de petits alvéoles et vaisseaux sillonnés de nerfs approvisionnant l'os en oxygène et en nutriments. Au centre se trouve la moelle osseuse.

Lors de la découverte d'ossements humains, ceux-ci sont photographiés dans leur environnement, leur orientation et position relevées avant d'être regroupés afin d'en dresser l'inventaire et ainsi savoir quels sont ceux qui restent à découvrir. L'absence de certains os peut livrer des informations en rapport avec la taphonomie post-morten (voir article l'entomologie légale), les actes du criminel (démembrement par exemple), et le nombre d'individus. L'anthropologue peut dire si les restes humains découverts sont anciens ou contemporains à partir : de leur emplacement, de l'état de conservation, de leur couleur, de la présence d'objets, des actes de dentisterie ou chirurgicaux, etc. Les prothèses, pacemakers, les plaques pour fractures, implants, etc., possèdent un numéro de série qui peut permettre de remonter au fabriquant, à l'hôpital et au patient.

À la naissance, nos os sont principalement composés de cartilage souple, au fur et à mesure que nous grandissons, ce cartilage est remplacé par de l’os solide. L'âge de la victime est déterminé en examinant le degré de croissance et le vieillissement de 800 points d'ossification. Au cours de l’enfance et de l’adolescence, les épiphyses ( extrémités) vont se fusionner aux diaphyses (parties moyennes situées entre les deux extrémités de l'os long). Chez les jeunes, les sutures crâniennes ne sont pas « soudées » totalement, vers l'âge de six ans, deux excroissances se forment sur le radius. L'apparition des dents de lait et leur chute renseignent sur l'âge entre 3 mois et 16 ans (domaine de l'ontologie légale). Entre 17 et 20 ans, l'épiphyse de la clavicule est la dernière à achever sa croissance, jusqu'à 28 ans. La quatrième côte peut livrer une indication, car son extrémité la reliant au sternum s’ossifie en continu avec l’âge, tout comme la symphyse (adhérence) pubienne. La croissance des os s'acheve vers la trentaine. La différence sexuelle (dimorphisme) est surtout observable sur : l'occiput, l'arcade sourcilière, un os sous l'oreille, et le bassin. Si le squelette est dépourvu du crâne et du bassin, l'anthropologue se base sur les points d'attache des muscles. L'homme a un développement musculaire plus important, ce qui implique des attaches musculaires plus accentuées que chez la femme. Sur le squelette de personnes âgées, l'anthropologue va rechercher des signes de dégénérescence (modification pathologique).

L’observation détaillée de chaque os peut révéler des pathologies : carences en fer, en vitamines C (scorbut), D (rachitisme) responsables d'une mauvaise minéralisation des os, la tuberculose, la syphilis, la maladie de Hansen, la lèpre, le cancer, le spina-bifida, la poliomyélite, l'arthrose, etc. Chaque traumatisme du squelette peut apporter des informations sur la nature d'une blessure causée par un objet contondant ou un choc (chute, projection), une arme blanche (couteau, épée, pic à glace, etc.) dont l'emplacement pourra laisser supposer un geste de défense. L'orifice d'entrée ou de sortie d'un projectile (balle), d'une arme de jet (lance, arc, arbalète, fusil harpon, etc.) permettra de déterminer une direction et de contribuer à la reconstitution des événements, mais le but de l'anthropologie reste la confirmation d’une identification. Si les radiographies ou éléments matériels ante-morten d'une personne connue et identifiée formellement coïncident avec les observations faites sur le squelette, l'identification est présomptive, les enquêteurs recherchent des preuves supplémentaires (ADN mitochondrial) afin d'en obtenir la certitude.accentuées

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°



3 réactions


  • Alren Alren 3 mars 2018 15:41

    À la différence du malheureux adolescent Patrick Dills harcelé, moralement torturé même, par des policiers bornés, Guillaume Seznec n’a jamais avoué et le corps de la victime n’a pas été retrouvé.

    Pourtant il a été condamné par un jury sur le dangereux principe qu’on lui impose comme référence pour décider l’indécidable : « Avez-vous une intime conviction ? » sans rappeler celui qui lui est supérieur : « Le doute doit bénéficier à l’accusé ».

    L’obstination ultérieure de juges à ne pas vouloir réviser ce procès est un second scandale.
    Il y aura des choses à réformer dans la justice pénale qui ne doit pas être ainsi entre les mains d’une caste fermée.


    • Le421... Refuznik !! Le421 4 mars 2018 12:13

      @Alren
      Avec le principe « il n’y a pas de fumée sans feu », la justice est parfois tombée bien bas.
      Et ce n’est pas propre à la France.
      La justice des hommes est parfois incompréhensible.
      Celle de Jean De La Fontaine par contre...
      Suivant que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour...etc, etc.


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 3 mars 2018 20:44

    Bonsoir. Continuez vos articles. Pour cette affaire il me semble que la police vegane devrait prendre la suite.


Réagir