L’art et la culture contre le retour de la barbarie
Liège, principale ville francophone de Belgique, et que la France a décoré de la « Légion d'Honneur » pour son héroïque Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, se révèle être, ces jours-ci, une merveilleuse capitale de la culture, au carrefour de l'art et de la pensée, en Europe. Et ce, à double titre, avec deux événements, à la fois liés et distincts, majeurs !
UN PRESTIGIEUX « PRIX LITTERAIRE PARIS-LIEGE »
Il y eut tout d'abord, ce mardi 20 septembre, la remise du prestigieux Prix Littéraire Paris-Liège, dont cette année 2016 marque la cinquième édition, et qui récompense annuellement, avec une somme de 10.000 euros, un essai, écrit en français, de sciences humaines : ce qui en fait, dans sa catégorie, l'un des prix les mieux dotés de la francophonie !
Cette importante manifestation, officiellement parrainée par la mairie de Paris, s'est déroulée, en même temps qu'elle inaugurait ainsi la saison des prix littéraires, dans le cadre de l'Académie Royale des Beaux-Arts de Liège. C'est Corine Pelluchon, jeune mais talentueuse philosophe, qui en est, cette année, la lauréate, avec un livre ayant pour emblématique et surtout très actuel titre « Les Nourritures - Philosophie du corps politique », publié, dans l'historique collection « l'ordre philosophique », aux Éditions du Seuil.
ART, PHILOSOPHIE ET PSYCHANALYSE : DA VINCI FREUD
Ce fut ensuite, juste après cette courte mais significative séance académique, Élisabeth Roudinesco, historienne et psychanalyste, l'une des meilleures exégètes de l’œuvre de Freud, comme en témoigne son dernier ouvrage, « Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre », à avoir auréolé, par une magnifique conférence, aussi lumineuse qu'érudite, cette belle soirée. Le titre de son allocution - « Da Vinci Freud », explicite et amical clin d’œil au célèbre Da Vinci Code - ne pouvait, par ailleurs, laisser planer aucun doute sur sa qualité pédagogique comme sur son intérêt scientifique !
PICASSO, MATISSE, BRAQUE, LEGER ET MARIE LAURENCIN
Et puis, le lendemain, mercredi 21 septembre, dans le superbe écrin du Musée de la Boverie, non loin de l'extraordinaire Gare des Guillemins, conçue par l'architecte Calatrava, il y eut le vernissage, rehaussé par la présence d'Anne Sinclair, plus rayonnante que jamais dans son élégante robe noire, d'une exposition dont on ne dira jamais assez l'importance historique tout autant que la beauté artistique. Son titre est déjà, à lui seul, tout un programme : « 21, rue La Boétie », directement inspiré par le livre éponyme, publié chez Grasset, à Paris, d'Anne Sinclair toujours.
Celle-ci, du reste, ouvrit par la plus belle des manières, lors d'un discours aussi ciselé qu'émouvant, cette exposition, dont elle est l'enthousiaste et généreuse marraine : « ce soir, je suis une femme heureuse », confia-t-elle au public venu, pour l'occasion, en nombre. Normal : c'est à son cher et bien aimé grand-père, Paul Rosenberg, celui-là même qui, incomparable marchand d'art de la première moitié du siècle dernier, l'initia, alors qu'elle était encore une petite fille, aux beautés de la peinture en sa plus noble expression, qu'Anne Sinclair rendit ainsi un très sincère et vibrant hommage.
Et quel hommage, puisque ce sont là, à travers plus de soixante chefs-d’œuvre, dont certains n'ont jamais été exposés en Europe, quelques-uns des noms les plus insignes au sein de l'art moderne, artistes jadis révolutionnaires, parfois incompris, mais aujourd'hui incontournables, qui se donnent là à voir, pour notre plus grand plaisir intellectuel et jugement esthétique, pour la première fois au monde ! Parmi eux, pour ne citer que les plus connus : Pablo Picasso, Henri Matisse, Georges Braque, Fernand Léger et Marie Laurencin, qui fut aussi la fascinante muse, à l'aube du surréalisme, d'un poète, novateur lui aussi, tel que Guillaume Apollinaire.
UN NOUVEAU CONCEPT D'EXPOSITION : ART, HISTOIRE ET CIVILISATION
Cette exposition, qui mêle intelligemment art et civilisation, et qui durera jusqu'au 29 janvier 2017, « Tempora », son excellent maître d’œuvre, représenté là par l'un de ses conseillers scientifiques, Élie Barnavi, qui fut par ailleurs l'ancien mais toujours très estimé ambassadeur d'Israël en France, la synthétise ainsi : « A travers la carrière de cet homme d'exception que fut Paul Rosenberg, marchand avisé et amateur éclairé, l'exposition étudie le double tournant du XXe siècle : l'invention de l'art moderne, et, sous le coup du cataclysme nazi, le déplacement du centre mondial du marché de l'art de Paris à New York. »
Il précise : « c'est une exposition basée sur une histoire vraie, inspirée des souvenirs familiaux d'Anne Sinclair, enrichie de documents inédits, à la valeur souvent exceptionnelle, et de dispositifs multimédia à la fois clairs et innovants »
Bref, conclut-il à juste titre : « un concept d'exposition d'un genre nouveau, mêlant étroitement Histoire et Histoire de l'Art ».
Salutaire, tel le plus efficace des antidotes, cette importante initiative culturelle et artistique en ces dangereux, rétrogrades et obscurs temps d'intolérance quasi médiévale, sinon de retour au totalitarisme idéologique ou, pis encore, à la barbarie pseudo-religieuse !
UN ADMIRABLE GRAND-PERE ET UNE REMARQUABLE PETITE-FILLE
A ne manquer sous aucun prétexte, donc, cette sublime exposition, dont l'originalité conceptuelle n'a d'égale que la rigueur thématique, rendue possible, en effet, grâce à un homme admirable, Paul Rosenberg, et une femme non moins remarquable, Anne Sinclair, sa digne héritière en matière d'art et de culture, de beauté et d'intelligence, de raffinement d'esprit et de sensibilité de cœur.
En signe d'immense gratitude pour cet inestimable et précieux cadeau artistique, hommage, à tous deux, leur soit ici sincèrement, et très chaleureusement, rendu !
On aura également ici une très reconnaissante pensée envers les autorités politiques, culturelles et administratives de la Ville de Liège, en la personne de son bourgmestre Willy Demeyer, qui ont ont eut la bonne idée, en ce 21 septembre 2016 toujours, d'élever Anne Sinclair au rang mérité de « citoyenne d'honneur » de la Cité Ardente. A tout(e) seigneur(e), tout honneur, effectivement !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, délégué général du « Prix Littéraire Paris-Liège » et auteur, notamment, de « La Philosophie d'Emmanuel Levinas » (Presses Universitaires de France), « Lord Byron » (Gallimard - Folio Biographies), « Oscar Wilde - Splendeur et misère d'un dandy » (Éditions de La Martinière), « Du Beau au Sublime dans l'Art - Esquisse d'une Métaesthétique » (Ed. L'Âge d'Homme), « Petit éloge de David Bowie - Le dandy absolu » (Éditions François Bourin).