jeudi 25 mai - par Desmaretz Gérard

L’assurance : un phénomène de société en évolution

Cinq semaines après l'explosion de la rue de Tivoli (Marseille) dans laquelle huit personnes ont perdu la vie, les sinistrés font état de « la mauvaise volonté de nombreuses compagnies d’assurances » à les indemniser. « Entre les frais d’agence et la caution, j’ai déboursé 2.200 euros juste pour y entrer [NdA : location]  » (...) « Il m’a fallu tout racheter, du moins le strict minimum ». Pour Sophia Seco, directrice de la Fédération Nationale des Victimes d'Attentat & Accidents Collectifs, le constat est : « Des assureurs qui traînent des pieds pour ne pas dire pire. J’ai le sentiment que dès lors qu’ils sont appelés à indemniser de grandes catastrophes, c’est systématique. Nous avons eu la même expérience avec l’explosion de la rue de Trévise à Paris ».

L'assurance des biens remonte à l'Antiquité. Les navigateurs grecs et romains sollicitaient des prêts auprès d'hommes fortunés. Si le bateau faisait naufrage, le marchand n’avait rien à rembourser, sinon, l'investisseur était remboursé et recevait une compensation financière élevée pour sa prise de risque. En 1234 le pape Grégoire IX en condamna la pratique invoquant le prêt usuraire pratiqué. En 1665 Colbert autorise la Compagnie des Assurances de Bordeaux à proposer une assurance maritime et incendie, mais interdit les assurances sur la vie qu'il assimile à un jeu de hasard.

 

Les caisses du Royaume étant dégarnies, Louis XIV demande à son premier ministre d'apporter une solution. Mazarin se tourne vers le banquier Lorenzo Tonti qui va inventer un nouvel emprunt, la tontine. Cette forme de mutualisation propose des versements périodiques aux derniers survivants, forme d'assurance-vie avant l'heure. Les tontines autorisées par Louis XIV seront transformées au siècle suivant en rentes viagères à taux fixe par arrêt du Conseil royal en 1770. Louis XVI autorise les frères Périer à créer une société d'assurance contre l'incendie au mois d'août 1786. Une vague de rumeurs orchestrées par Etienne Clavière et Mirabeau accuse les Périer de spéculation. Le 6 novembre Etienne Clavière et le baron Jean de Batz reçoivent l'autorisation du roi portant la création d'une société anonyme d'assurance contre l'incendie, la Royale. L'année suivante, le monarque l'autorise à pratiquer « l'assurance sur la vie des hommes  ». En 1804 Jean-Etienne-Marie Portalis, un des rédacteurs du Code civil, déclare : «  L'homme est hors de prix ; sa vie ne saurait être un objet de commerce. Sa mort ne peut devenir matière à spéculation ».

 

Au XIX° siècle des bandes d'incendiaires à la solde des sociétés d'assurances écumeraient les régions... Les compagnies d'assurances réagissent en refusant d'assurer les chaumières et les propriétés isolées. « Quiconque aura volontairement mis le feu à des édifices, navires, bateaux, magasins, chantiers, forêts, bois, taillis, récoltes soit sur pied, soit abattues, sera puni de mort ». (Code pénal de 1810). Sous la restauration, le gouvernement de Louis XVIII confie la couverture des bâtiments publics contre l'incendie et la grêle à une société d'assurances. La Compagnie Royale d'Assurances Maritimes est créée par un groupe de banquiers et d'industriels en 1816. Un de ceux-ci, Benjamin Delessert va fonder la Caisse d’Épargne de Paris au mois de novembre 1818. L'année suivante, le Conseil d’État autorise l'assurance-vie. La Compagnie Royale d'Assurances Maritimes est liquidée en 1823 à la suite d'un sinistre qu'elle est incapable de couvrir. Les années 1830 connaissent une vague d'incendies criminels. Les entrepreneurs en difficultés financières boutent le feu volontairement à leur entreprise ou entrepôts.

 

Le calcul des primes repose sur les travaux de John Graunt portant sur l'espérance de vie en Hollande en 1662, mais c'est à Huygens l'on doit la première « table de mortalité » en 1669. Deux années plus tard, Johan de Witt va établir le montant des rentes viagères. Au XIX° siècle, le calcul des versements et des primes reposera sur les tables Deparcieux et Duvillard (1832). En 1862, la «  table d'expérience » tient compte les statistiques françaises et du sexe, les femmes ayant une espérance de vie supérieure à celle des hommes.

 

En 1843 Isidore Alauzet évoque la mauvaise volonté des compagnies privées à payer le montant des sinistres. Il les accuse de spéculation et leur reproche d'offrir des bénéfices trop élevés à leurs actionnaires. Les assurances refusent d'assurer les établissements à risques : feux d'artifices, amidonneries, fabriques d'allumettes, produits inflammables, etc. Les travaux du Baron Hausmann vont permettre aux sociétés d'assurances l'achat de terrain à vil prix et faire pléthore d'acquisitions immobilières à très fortes plus values. En 1848 Louis Blanc propose de transformer toutes les sociétés d'assurances en monopole d’État. L'opposition parle d’État-providence. En 1857 l'assurance mixte offre un double avantage, si le souscripteur décède, les héritiers touchent la prime, si celui-ci est toujours vivant à l'expiration du contrat, il profite de la somme engrangée.

 

Vers 1860, l'article du Code civil portant sur la responsabilité : « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » va être à l'origine des contrats d'assurances à responsabilité civile. En 1861, Hippolyte Marestaing introduit la branche accident du travail. Jusqu'alors c'étaient les chefs d'entreprises qui assuraient leurs employés contre les accidents du travail auprès de sociétés de mutuelles. La prime était prélevée sur le salaire. Le 24 août 1892, la Convention sonne l’hallali par la voix de Cambon : « Il faut les tuer toutes ces associations destructrices du Crédit public, si nous voulons rétablir le règne de la liberté ». Un an plus tard, un décret frappe d'interdiction les compagnies d'assurances.

 

Au XIX° siècle l'assurance renaît de ses cendres sous la houlette des banquiers. L’État n'entend pas laisser le monopole aux seules sociétés privées. La loi du 9 avril 1898 institue la prévoyance sur les accidents du travail. L'assureur se doit de réunir un nombre d'assurés suffisant afin d'être toujours en mesure d'honorer les contrats, c'est la mutualisation du risque. Les compagnies se heurtent à la réticence des Français habitués à la résignation en cas de malheur, et pour lesquels la souscription d'un contrat reste un mauvais présage. Les mutations économiques et la croissance démographique vont être une aubaine pour les assurances ; les maîtres des forges, commerçants, avocats, médecins et propriétaires veulent garantir leur source de revenus, tandis que l'aristocratie et la bourgeoisie cherchent des rentes et la transmission de leur patrimoine à leur progéniture.

 

En 1907 le parti radical-socialiste réclame la reprise par l’État des monopoles des Chemins de fer et des assurances. L'opposition refuse la mise en place d'une nouvelle catégorie de fonctionnaires, l'idée est repoussée par la Commission Couderc. En 1910, le gouvernement établit l'assurance vieillesse. Les grandes compagnies sont florissantes et se livrent une concurrence acharnée. L'assurance-vie est suspendue pendant la Première Guerre mondiale. Le 25 février 1920 l'assurance tous risques est portée sur les fonts baptismaux. Dans les années vingt les assurances sont confrontées à l'inflation, les primes augmentent de façon continue.

 

Le développement de l'automobile, des machines agricoles et la construction va inciter les Français à l'achat à crédit. La Compagnie Nationale d'Assurances Crédit et de Réassurance est créée le 4 février 1924 sous la forme juridique d'une société anonyme. La loi du 5 avril 1928 instituant les assurances sociales ne protège pas les cadres. Ceux-ci vont se tourner vers les assurances privées. Les années trente généralisent la police à risques multiples : ouragans, émeutes, bris de vitres, dégâts des eaux, incendie, vols, etc. Vincent Auriol au Congrès de Toulouse en mai 1934 s'exprime en ces termes : « La nationalisation des industries de base permettra, en outre, de contrôler les prix, celle des assurances rapportera de l'argent à l’État et contribuera à la résorption du déficit budgétaire ».

 

Le 12 juillet 1940, la direction des Assurances est rattachée au ministère des Finances. La Sécurité sociale est instaurée en 1945. On doit l'idée d'une assurance assurée par l’État et financée par les citoyens, selon leur revenu, à Leibniz (1678). L'année 1946 marque la nationalisation partielle de trente-quatre compagnies d'assurances et la création des mutuelles. Le 28 décembre l'affiliation des salariés aux assurances sociales est rendue obligatoire. En 1951 l’État institue un fonds de garantie protégeant les victimes des accidents contre les responsables non assurés. L’assurance automobile est rendue obligatoire par la loi du 27 février 1958. L'Association des Régimes de Retraite Complémentaire (ARCO) est créée en 1962 et peu après l'Association Générale des Institutions de Retraites des Cadres (AGIRC). L'année 1968 voit la concentration des compagnies nationalisées : GAN, UAP, AGF, MGF. Années soixante-dix et quatre-vingts : instauration du bonus-malus (1970), formule Mondial Assistance (1974), SICAV (1981), l'assistance juridique (1982), obligation faite aux locataires de s'assurer. Les contrats sont étendus aux catastrophes naturelles. En 1983 les garanties couvrent les dommages liés aux émeutes et aux actes terroristes. La privatisation des sociétés nationalisées interviendra dans les années 1990.

 

En 2022 la « facture climatique » atteint 10,6 milliards d’euros pour 13,9 millions de sinistres, dont 2.550 liés à des événements sur les habitations (France-Assurance). Les assureurs proposent une augmentation de la surprime « Catastrophe Naturelle » à tous les assurés sans remettre en question les responsabilités des maires, préfets et de l’État qui ont permis la construction dans des zones à risques ou sur des sols impropres à la construction. L’indice Insee des prix de l’assurance a augmenté de +1,6 % sur l'année 2022. Le taux de rendement net pour l'assurance-vie a atteint 2 % (fond en euros), tandis que l'inflation des prix à la consommation a progressé de +5,2 %. Les polices d'assurances les plus souscrites : l'habitation 85 %, l'automobile 75 %, santé 59 %, décès 26 %, scolaires 20 %, matériel informatique 8 %, voyage 6 %, animaux de compagnie 6 %.

 

La bancassurance, les assurances en ligne, les assureurs directs et les acteurs européens concurrencent les compagnies d'assurances confrontées à une clientèle jeune et volatile. De nouveaux marchés assuranciels ne cessent d'émerger : télétravail (l'employeur souscrit une assurance pour son salarié afin que celui-ci bénéficie des mêmes droits qu'un salarié dans les locaux de l'entreprise), colocation, cybercriminalité, risques pays, dépendance liée au grand-age, perte d'exploitation, électroménager, ransomwares, etc. Cinquante pour-cent des Français sont méfiants à l'égard des assurances, et 33 % déclarent avoir connu une déconvenue suite à un sinistre (non prise en charge, indemnités insuffisantes, ou présence d'une franchise).

 

Restons sereins, les assureurs (la branche emploie 154 700 salariés) qui ne veulent que nous être agréables lorgnent sur nos biens présents et ceux à venir : Assurance maternité, assurances extra-scolaires, assurances sportives, Prêts Participatifs Relance, Plan Épargne Retraite, assurance emprunteur, assurance bailleur (loyers impayé 9 %) Assurance contre les dégradations immobilières, assurance usurpation d'identité, assurance obsèques, etc. La mutualisation des risques est-elle vraiment la panacée ? Le budget moyen des assurances en 2021 s'élevait à 1.750 € pour trois postes : automobile, habitation, santé, auxquels d'autres peuvent venir s'y ajouter : assurance-vie, assurance voyage, assurance annulation, assurance emprunteur, assurance de la copropriété. La somme à s'aquitter finit par représenter plus d'un mois d'un salaire moyen ! Une remarque, une correction, une précision...

 

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