mercredi 6 avril 2011 - par Michel Koutouzis

L’attraction de l’instant ou les dérives de la ville – monde

Il a suffit que le premier ministre français annonce que 20% d’augmentation du prix d’électricité en dix - huit mois était suffisant pour que l’action de EDF décroche de 3,8 %.

Il aura suffit que l’augmentation du prix fixé soit inferieure aux « prévisions » et aux « demandes » de EDF pour que, pour faire simple, l’ « investisseur hongkongais » et le « rentier londonien » retirent leurs biles instantanément et bradent les actions de la dite compagnie. Les aléas de la terre, de son climat, l’explosion imprévue d’un terminal, une bombe mal placée ou un pétrolier attaqué en Mer rouge par des pirates et voilà que les bourses mondiales réagissent, prouvant de la sorte qu’elles ne « prévoient » aucun incident, aussi insignifiant soit-il, qu’elles n’acceptent rien d’autre que le « prix maximum prévu ». L’accident nucléaire de Fukushima, avant même que les travaux commencent pour réparer puis fermer l’usine atomique auront coûté des milliards au gouvernement Japonais, et les fonds prévus pour les victimes du tsunami et la reconstruction sont du menu fretin comparé aux milliards déjà introduits sur les places financières par la banque centrale japonaise pour « sauver » la parité du yen. Qu’un marché soit accordé à une compagnie aéronautique, fusse-t-il sur vingt-cinq ans, et voilà qu’il a déjà gagné en bourse plus d’argent que le contrat lui-même. 

Cette réaction épidermique, primaire et juvénile en dit long sur le hiatus existant entre ceux qui gèrent, avec la lourdeur administrative adéquate, les soit disant destinées de l’économie mondiale et le marché lui-même. Comment peut-on encore croire que un G20 ou un Conseil européen ont encore une prise quelconque sur le fait financier en proposant des fonds, une armature légale et des réformes « moralisant » le marché à long terme, quand celui-ci réagit à la vitesse d’internet, ayant comme seul guide la prédation et seul outil la panique bien entretenue. Lors de la crise du système bancaire américain, le directeur du trésor signait des versements envers les banques en laissant à elles-mêmes le soin de libeller le montant. Ce n’est que six mois après le pic de la crise que le montant (plus ou moins exact) lui a été communiqué. Certes, time is money, mais pour qui ?

Par ailleurs, comme l’indique très justement Paul Virilio, la « ville monde » uniformise et standardise les besoins. La pratique industrielle des « flux tendus » n’est pas due uniquement au besoin de faire des économies et de limiter les stocks. La préoccupation principale étant qu’un produit, quel qu’il soit, doit quotidiennement muter pour être au diapason de la demande mondiale, elle même motivée par la pub mondialisée. Là aussi c’est le détail, l’inattendu, le superflu, qui tue. Peu importe le produit, ne compte que son image. Nous sommes donc arrivés à un point ou la campagne publicitaire détermine le produit et non pas le contraire.

On ne vend pas seulement des produits : les idées font aussi partie du marché. Elles doivent donc être simples, perspicaces, paraître l’évidence même, nier toute contradiction, n’importe quel doute. Et puisque le marché c’est le monde, il faut sélectionner le plus petit dénominateur commun. Ainsi se décident les guerres, les interventions, les choix stratégiques et industriels, instantanément, sur un consentement mou, travaillé par une communication généraliste et simpliste d’autant plus que les sujets sont complexes. Dans cette dérive, cette course de cent mètres (sans haies), le moindre obstacle, le moindre accroc prend les allures d’une catastrophe. Le culture de l’instant ne permet aucun désenchantement, la prépondérance de l’image aucun revers, le discours aucune contradiction. Hier encore, l’ONU déclarait la démission de Gbagbo. Que quelques heures plus tard celui ci n’est toujours pas parti et voilà que s’installe le doute sur l’issue du conflit. La résistance libyenne « avance » (c’est-à-dire quelques dizaines de pick-up) et voilà que la guerre est gagnée. Qu’ils reculent, et le dictateur l’emporte. Que le « front » s’enlise, et il est oublié du monde entier. Comme en Iraq ou en Afghanistan, où il faut un attentat, une exécution spectaculaire et filmée pour qu’on se rappelle qu’ils durent depuis dix ans.

Le citoyen, infantilisé et bombardé « d’images fortes » et de « slogans utilitaristes » supporte de moins en moins des messages complexes, des choix multiples, des utopies anticipatrices. Le rêve soixante-huitard de « ici et maintenant » étant devenu le cauchemar quotidien de notre post modernisme. Il ne supporte pas non plus, plus d’une ou deux (bonnes ou mauvaises) nouvelles : il ne peut plus « gérer » l’Afghanistan, l’Iraq, la Libye, Fukushima, la crise grecque, celle de l’Irlande ou du Portugal, la révolte au Yémen, les pirates de la corne d’Afrique, l’indépendance du sud Soudan, les aléas de la transition Egyptienne et tunisienne en même temps. La presse non - plus : à observer les pics des diagrammes des infos par nom et par intensité, on observe que ceux-ci, au niveau mondial, ne supportent que deux pics au maximum. Deux pics aléatoires dont l’importance sera déterminée par les flux eux-mêmes. Ainsi, le mariage royal, de Londres à Pékin occultera (certes de manière éphémère) guerres et mauvaises nouvelles des fronts, crise financière et tout autre tsunami non prévu. Car l’information instantanée se prépare, on y investit, et il n’est pas question de perdre de l’argent…

Dire que tout cela perturbe l’entendement et neutralise le sens et les sens, serait un euphémisme.



2 réactions


  • Vilain petit canard Vilain petit canard 6 avril 2011 14:19

    Décidément je suis de plus en plus d’accord avec vous ! Je me permets de glisser le blog d’un copain rhétoricien qui dit des choses qui ressemblent.


  • easy easy 6 avril 2011 18:08




    «  »«  »«  »«  » On ne vend pas seulement des produits : les idées font aussi partie du marché. Elles doivent donc être simples, perspicaces, paraître l’évidence même, nier toute contradiction, n’importe quel doute «  »«  »«  »«  »"

    L’impact d’un achat ou d’une vente d’action est important. Mais assez étrangement, l’action d’acheter ou de vendre, n’a généralement pas à être jusfiée. On s’en explique si on en a envie mais la plupart du temps, on opère silencieusement. Non seulement il vaut réellement mieux opérer (dans les deux sens) en toute discrétion pour ne pas faire bouger les cours pendant le temps que ça prend mais de toutes manières, comme tout ça se fait en back office et anonymement, aucune obligation technique, juridique ou éthique n’oblige à se justifier.

    Du coup, on constate que là où l’homme peut inverser très rapidement sa position sans avoir de compte à rendre à quiconque, il ne s’en prive pas.

    Les mouvements sur la bourse traduisent la véritable pensée des gens, en tous cas de ceux qui parmi nous apprécient de gagner de l’argent sans s’échiner.




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