lundi 4 juin 2007 - par L’enfoiré

L’enseignement par l’autre bout

Dans toutes les écoles, on se cherche. Pourtant, dans le passé, certains se sont trouvés. Ils ont pensé qu’enseigner n’était pas seulement partager un savoir mais une manière de partager ce savoir. Ovide Decroly (1871-1932) est de ceux-là.

Dans la Grèce antique, il y a eu ce philosophe, Socrate, qui a prononcé la phrase célèbre « Connais-toi toi-même  ». Principe qui a perdu de l’actualité dans les paroles mais n’a pas perdu une ride dans l’utilité d’y recourir.

Trop souvent, on s’accroche aux programmes des cours comme seul lien avec la réalité nécessaire à la création d’un être prêt à vivre sa vie. J’ai eu l’occasion ici de relever l’importance de la lecture dans « Eloge de la lecture  ». Le Soir remarquait que les élèves ne progressaient pas assez vite. Les tests prouvent que les facilités de lecture décroissent drastiquement entre la deuxième primaire et la fin du secondaire. Comprendre ce qu’on lit est devenu un problème pour les jeunes.

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Ovide Decroly, médecin et psychologue, et aussi d’autres ont manifesté l’envie de sortir des chemins battus par l’habitude. Il a réformé profonde de l’enseignement par une méthode globale d’apprentissage et de la lecture. Aujourd’hui encore, l’éducation n’a toujours pas trouvé son chemin qui pourrait satisfaire tous les élèves de la terre. Si ce n’était pas le cas, tous les enfants se retrouveraient avec les mêmes chances pour s’engager dans la vie et le travail. Tout est une question au cas par cas, en fonction des affinités des intéressés.

Ce pédagogue a fondé une école à Bruxelles à son nom, on vient de fêter, le 12 mai dernier, son centième anniversaire.

Soigner des enfants troublés de la parole était son souci initial. Une méthode de pédagogie tout à fait originale en a été le prolongement. Elle séduit toujours par ce qui pour certains reste une nouveauté.

Jeune, il était tellement doué qu’il n’aimait pas les études et se sentait perdre son temps. Alors, il transita par de multiples disciplines : médecine, anatomie pathologique, neuropsychiatrie. Passionné de sciences naturelles et surtout humaines. Les enfants présentant des troubles de la parole ou anormaux ont eu son attention à la polyclinique de Bruxelles. Visionnaire, il étudie les comportements des enfants et imagine une technique d’apprentissage révolutionnaire pour l’époque, toujours en application à Uccle. Cette technique forme aujourd’hui des dizaines de jeunes qui font partie souvent de l’élite.

De l’école expérimentale pour enfants « irréguliers » il est passé à l’extension de sa pédagogie à ceux que l’on dit « normaux ».

L’enseignement, en ce début du XXe siècle, n’est pas encore obligatoire, mais cela ne tardera plus et il vallait mieux s’y préparer de la manière la plus efficace.

Son système éducatif va y arriver même si le scandale tente de lui barrer le chemin. La mixité, instaurée en 1907, personne n’en comprend la finalité trente ans avant son instauration dans l’enseignement traditionnel. Ses filles vont servir de cobaye à sa méthode durant leur prime jeunesse.

Cette méthode est loin d’être gagnée d’avance et relève plus de l’œuf de Colomb à mettre en concurrence avec l’ornière des programmes. Difficile dans sa mise en œuvre, elle constitue en résumé une méthode de construction de la vie par l’observation de l’enseignant et l’expérience apportée par la vie.

Originale et tellement actuelle, elle est en continuelle évolution. Les choses changent vite, la méthode s’adapte aussi vite que possible. Pas de temps mort.

Des travaux de groupes ou personnels sont à la base de cet enseignement. Les résultats sont analysés et font corriger l’enseignement en fonction. La remise en question permanente du corps enseignant accentue la difficulté de l’enseignement. Les personnalités naissantes sont repérées et jouent le jeu pour construire l’apprentissage des autres moins « fortunés » dans les initiatives et la création. Une seule orientation des enseignants est ajoutée à cet exercice d’équilibre entre « roue libre » et « enseignement programmé ». Les fondements sont :

  • Education guidée par les centres d’intérêts de l’enfant ;

  • Apprentissage sans ordre prédéfini et vu dans sa globalisation ;

  • Réactivité voulue de l’enfant tous azimuts dans le pratique et dans le temps et l’espace ;

  • Découverte des choses de la vie par l’enfant en cadrant au mieux avec la matière à enseigner.

Cet équilibre hasardeux, parfois risqué car très dépendant de l’aptitude de l’élève, doit être accepté de fait par les parents. Retourner au traditionnel est un exercice dangereux.

Cette école souffre d’une réputation d’élitiste et réservée à une élite financièrement forte. Elle n’a pas d’équivalent ailleurs qu’à Bruxelles.

La rue Haute, au centre du Bruxelles populaire, a pourtant eu la chance de voir cet enseignement pratiqué dans une école. Au Niger, à Niamey, une autre école s’enorgueillit d’en faire partie.

L’élève doit coller à cette voie qui est certainement difficile. Pas de talent qui reste caché. Oser l’exprimer est la règle du jeu. Taiseux s’abstenir. L’intérêt des enfants dans les connaissances du monde est la condition sine qua non. Son développement restera entre ses propres mains. Sa croissance dépendra de son degré d’implication. Encore faut-il générer son intérêt au moment opportun. L’ouverture par la communication dans les deux sens est aussi une manière moderne de dialoguer dans la vie de travail. Les relations de haut en bas ne sont plus la règle même pendant cette partie jeune de la vie. Internet ne reconnaît plus les hiérarchies surannées. Il suffit d’écouter les jeunes dans « Quand les jeunes s’en mêlent ». Dans le passé, il faut bien l’avouer, écouter les jeunes n’a vraiment pas été le préoccupation majeure. Le programme et rien que le programme.

Et l’école, elle-même, comment se porte-t-elle ?

Les inscriptions à Uccle sont naturellement limitées et on se dispute les places disponibles. Mille élèves ont la chance de trouver une occasion d’expérimenter la méthode et le contingent est complet. École libre subventionnée sans rapport, sans confession. Donc, des subventions pour l’enseignement mais pas pour le bâtiment lui-même, pris en charge par une ASBL des parents.

Alors, pour départager les méthodologies, il faudra se retourner sur l’expérience et les résultats d’exploitation de manière objective et drastique. Quels sont ceux qui ont réussi après un passage dans l’école ? La théorie n’a de sens que si la pratique la confirme.

Personnellement, je n’ai pas fait partie de cet enseignement ancien et nouveau la fois. Je peux seulement donner une expérience sur une méthode qui semblait suivre le même cheminement.

Je n’aimais pas les mathématiques, et cela jusqu’à l’âge de quinze ans. Un professeur dont je me suis rappelé le nom sans difficulté, un professeur de maths, a éveillé mon intérêt en parlant de mathématiques en sortant du carcan des programmes et en parlant du tangible de la vie pratique. Étudiants, nous savions comment l’orienter vers des sujets de traverses qu’il aimait et que nous aimions tout autant. Si ce n’est pas un partage profitable bien compris, comment appellerait-on cela ?

Mes résultats aux examens ont été différents et donnent la preuve par la pratique de l’intérêt de ce qui n’est pas inscrit dans les programmes de formation des professeurs de demain.

De l’audace pour tous les acteurs en communion d’envies est une méthode efficace. Voilà l’exigence d’un enseignement différent de l’habitude mais tellement demandée par la vie moderne préconisée par les entreprises. Celle-ci désirent de plus en plus des initiatives et des prises de positions de son personnel.

Mais cela aussi est un problème humain et de pluralisme d’idées et de possibilités qui est aussi une chance pour notre planète. La tolérance, le respect et la solidarité sont les dernières pierres angulaires de cet enseignement. Pourquoi ne pas trouver son chemin en se débrouillant par soi même ?

"Pour la vie, par la vie", comme on dit chez les élèves de l’école Decroly.

  • "Un professeur devrait avoir toute autorité et peu de pouvoir.", Thomas Szasz

  • "La jeunesse ressent un plaisir incroyable lorsqu’on commence à se lier à elle", Fénelon

  • "Education - Ce qui manque à l’ignorant pour reconnaître qu’il ne sait rien.", Albert Brie



8 réactions


  • Marie Pierre 4 juin 2007 22:02

    Merci l’Enfoiré de rendre cet hommage à l’Ecole Decroly. En France, école publique


    • L'enfoiré L’enfoiré 4 juin 2007 22:13

      @Marie Pierre,

      Et merci, de m’apprendre qu’il existe au moins une école en France qui suit les mêmes principes.


  • herbe herbe 4 juin 2007 22:12

    Encore merci pour l’article et pour les excellentes citations.

    Il risque de ne pas avoir beaucoup de commentaires mais ne vous en faites pas. Comme cela a déjà été noté cela peut justement être un gage de qualité smiley


  • ZEN ZEN 4 juin 2007 22:31

    Jeune prof stagiaire à Paris , j’ai été amené, au cours de stages obligatoires, à assister à des cours à l’école Decroly de St Mandé pendant une matinée. J’ai gardé le souvenir d’une pratique vivante et intelligente de la pédagogie.


    • L'enfoiré L’enfoiré 5 juin 2007 08:17

      @Zen,

      Merci pour ce témoignage qui apporte de l’eau à mon moulin. J’aimerais bien en avoir de quelques étudiants qui sont passés par là. Que sont-ils devenus après une telle expérience ? Mon témoignage en parallèle n’est pas de la frime. J’aimerais beaucoup savoir ce qu’est devenu ce professeur de mathématique. Sur mon site, j’ai donné ses références. J’attends. smiley


    • L'enfoiré L’enfoiré 5 juin 2007 18:28

      @Léon,

      Merci, pour ce témoignage. C’est ce que j’attendais, bien sûr. L’enseignement est quelque chose qui se digère à sa manière, à son rythme, avec une méthode adaptée. A mon avis, toutes les méthodes sont bonnes, mais, elles doivent être ajustées à l’élève et non pas au professeur, ni au programme dans le rayon tout fait. C’est un voeux pieux, mais on n’a pas le temps de passer par cette étape. L’individu doit faire partie d’un moule préfabriqué ou s’effacer.

      Le malheur, en effet, c’est qu’il n’y a aucune aide, aucun dépistage du genre d’adulte en formation, que l’élève sera. Et cela à tous les stades des grandes décisions : à la sortie du primaire, du secondaire et à l’entrée de l’universitaire. On choisit une profession comme papa, parce qu’il a dit que c’était bien, que la télé a véhiculé avec grand renfort de pub car on veut gagner de l’argent parce que c’est comme ça qu’on existera qu’on dit et répète.

      Si ce n’est plus vrai, n’hésite pas à me corriger. J’ai quelques années de vol depuis.

      Le bonheur d’avoir découvert sa voie, j’avais presque envie d’écrire sa « voix », c’est un « coup de bol » avec la motivation ou le « raz le bol » et l’attente de 16:30.

      En fait, ça passe ou ça casse. Et on s’étonne après qu’il y au moins 50% d’échec dans la vie (si pas plus). Les affinités, je suis persuadé, qu’elles existent en chacun. Le pognon n’est pas la panacée. De nos jours la complexité est telle qu’il faut se spécialiser très vite. Hors, en même temps, il y a la culture générale, qui est ce qui reste quand on a tout oublié. Mais on doit avoir des points là aussi.

      « J’aurais voulu être un artiste », chantait Nicole Croisile.

      Un peu de philosophie tout azimut, ça ne fait pas de mal. Decroly ou non. smiley


    • ekarine 5 juin 2007 23:29

      Je note de votre témoignage qu’ils en ont gardé un excellent souvenir. Qu’ils aient des lacunes dans quelques domaines signifie quoi à vos yeux ? Des enfants très intelligents sortent de l’école dite classique avec de grosses lacunes aussi. Quand aux filières que vous qualifiez de « nobles », une société de cadres supérieurs c’est le rêve de certains mais pas de tous, heureusement ! Imaginons un monde durant un mois sans agriculteur, sans boulanger ou même sans éboueur... ce sont de professions bien plus nécessaires à notre survie que celles que vous trouvez plus « nobles ». Drôle de mentalité !


  • ekarine 5 juin 2007 23:32

    Merci pour cet article, C’est une école qui mérite d’être connue. Un même modèle pédagogique ne peut convenir à tous et ce serait merveilleux que l’on puisse tous avoir le choix de ce qui convient à nos enfants.


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