mercredi 20 avril 2022 - par Jacques-Robert SIMON

L’Homme collectivisé

  Vous rencontrerez l’Homme collectivisé au hasard d’une rencontre avec un militant, un croyant, un adepte, un fan, un membre de l’élite financiarisée : vous constaterez qu’il ne pense pas, il récite.

Il existe deux mondes, l’un individuel l’autre collectif, dans lesquels chacun d’entre nous vit. Ils n’ont ni les mêmes valeurs, ni les mêmes règles. Le premier des mondes est celui de l’intelligence, de la création, de l’être, le second est sous-tendu par la volonté de puissance et de l’avoir, les deux mondes sont incompatibles, lorsque l’un enfle l’autre se rabougrit.

La loi de Mariotte pose que pour un gaz le produit du volume par la pression reste constant à une température donnée. Ceci n’est qu’approximativement vrai et ne fonctionne vraiment que pour des gaz dits parfaits c’est à dire comme un modèle des gaz réels à basse pression. En règle général, un modèle ne reflète qu’une partie, quelquefois infime et approximative, de la réalité. Transposé aux comportements humains, la loi de Mariotte pose que le produit de la Puissance par l’Intelligence reste constant pour tout individu.

Il est nécessaire de décrire plus avant les termes utilisés.

La Puissance représente le pouvoir sur autrui, l’aptitude d’un individu à exercer une pression suffisante sur des proches afin de les conduire mentalement ou physiquement là où il souhaite. Convaincre par des mots sincères ou des ruses de l’esprit représente la partie la plus commune de la Puissance, celle-ci institutionnalisée va de la coercition à la barbarie.

L’Intelligence consiste également à exercer une pression mais sur soi-même pour en extraire non pas le bon mais le meilleur. L’intelligence se ciselle au gré des rencontres, des hasards, des imprévus, des lectures, afin de façonner un être unique, toujours irremplaçable mais quelquefois éteint par les autres dont on sait qu’ils constituent l’enfer. L’intelligence c’est l’accès au beau, à l’harmonieux, à l’unique comme ces pièces de puzzle qui s’assemblent comme par miracle. L’intelligence ne reconnait aucune référence, aucune échelle, chaque individu à la sienne et est indispensable à chacun à condition qu’elle ne se coagule pas en élite qui méprisera alors inévitablement, discrètement ou expressément, tous ceux qui ne lui ressemblent pas.

La loi de Mariotte souligne donc que le produit Puissance x Intelligence est une constante. L’Intelligence ne peut être qu’individuelle et elle diminue jusqu’à devenir nulle lorsque la Puissance du nombre augmente. Cette évidence est obscurcie par le fait qu’une multitude disciplinée est capable d’ériger des temples, de construire des barrages, d’instituer des cours de justice... toutes choses inaccessibles lorsqu’on est seul. Mais le défi c’est de rester soi-même au milieu des autres, c’est à cette condition que la flamme de l’esprit peut rester allumée.

Pour illustrer la loi de Mariotte, on peut se tourner vers l’histoire de la religion catholique qui a connu successivement trois phases : la première baignée d’intelligence, la seconde régie par les Hommes collectivisés, la dernière laissant de nouveau émerger les qualités premières ‘à la faveur’ de la perte de sa toute puissance.

Grégoire VII (1073-1085) est le principal artisan de la réforme grégorienne qui entendait purifier les mœurs du clergé : obligation du célibat des prêtres, interdiction de prêcher la luxure, non-vente des biens spirituels, réglementation du trafic des évêchés, ce qui provoqua un conflit avec l’empereur du Saint-Empire qui considérait qu’il lui revenait de nommer les évêques. Grégoire VII obligera l’empereur excommunié à faire une humiliante démarche de pénitence. La puissance temporelle de l’Église atteignait son paroxysme.

Urbain II sera le successeur (indirect) de Grégoire VII en 1088. Il lancera la première croisade peu d’années après pour rétablir l’accès aux lieux de pèlerinages de la chrétienté en Terre sainte, autorisé jusque-là par les Arabes abbassides, mais interdit par les nouveaux maîtres de Jérusalem. Parmi les autres tumultes ou exploits guerriers, il s’ensuivra de 1562 à 1598 huit guerres civiles dites guerres de religions qui s’éloignaient concrètement de l’esprit du Dieu-Amour recommandé par les textes sacrés.

Les Chrétiens primitifs des premiers siècles n’avaient pas survécu à l’acquisition du pouvoir : l’intelligence créatrice avait fait place à une furie destructrice. Il n’y avait pas de changement de doctrine : on aimait ou on tuait avec le même sens évangélique, mais dans un cas on était seul ou isolé et dans l’autre les croyants s’étaient constitués en masse.

L’Église retrouva de sa pureté originelle non pas par des réformes commanditées par quelque hiérarque mais parce que la puissance tomba de ses mains. Ceci fournit peut-être l’indication qu’il n’existe pas de morale collective, qu’il ne peut exister qu’une morale individuelle.

Alors des textes comme ceux-ci peuvent réapparaître après une longue obscurité : « Une femme était entrée avec un vase d’albâtre rempli d’un parfum très précieux et l’avait versé sur la tête de Jésus. Ce geste avait suscité un grand étonnement. Jésus rappelle [aux convives] que le premier pauvre c’est Lui, le plus pauvre parmi les pauvres parce qu’il les représente tous. Et c’est aussi au nom des pauvres, des personnes seules, marginalisées et discriminées que le Fils de Dieu accepte le geste de cette femme. Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Mc 14, 7) »

Le pape François en rappelant ce texte a certes retrouvé ce que personne n’aurait jamais dû perdre. On peut quelquefois et après beaucoup d’efforts s’éloigner de l’animalité des chasseurs si l’on s’écarte de la meute, jamais si on y reste. Mais être seul ou démuni présente des risques ! L’Église catholique a vu son pouvoir s’effilocher à un point tel que ceux qui se pliaient à ses commandements lorsqu’elle était puissante et dominatrice viennent maintenant la mordre. Une pluie ininterrompue de scandales se déverse sur la tête de ceux qui de nouveau détestent les riches, non pas parce qu’ils sont riches, mais parce qu’ils sont stupides.

On se réfugie alors dans le giron du clan non pas pour y trouver une quelconque vérité mais par peur de l’affronter.



22 réactions


  • Clark Kent Séraphin Lampion 20 avril 2022 11:08

    L’homme reste un simien, un animal social dont la vie collective s’organise autour du copinage, du népotisme, du piston et du commérage comme chez les babouins.

    Ce qui le distingue l’homme de l’animal, c’est l’invention de l’érotisme qui permet de transformer les objets de désir en sujets de conversations. Même les chasseurs fonctionnent comme ça. Leurs groupes sont plus petits, c’est tout. Les seuls qui échappent au troupeau et à la ruche sont les anachorètes et les moines, mais ils ne se reproduisent pas.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 20 avril 2022 11:14

      @Séraphin Lampion

      Effectivement, les moines ne se reproduisent plus.


    • Clocel Clocel 20 avril 2022 11:29

      @Séraphin Lampion

      Il suffit de se retirer en soi, il n’est pas nécessaire de se retrancher de la société, c’est le mode de fonctionnement de la plupart des asiatiques qui peuvent fonctionner à peu près partout d’une humeur égale...


    • Clark Kent Séraphin Lampion 20 avril 2022 13:01

      @Clocel

      Tous les pères de familles nombreuses savent que la technique du retrait n’est pas ce qu’il y a de plus fiable, malgré les injonctions frustrantes et répétées de leurs épouses.


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 20 avril 2022 13:13

      @Séraphin Lampion
      Rhaaa ...le sketch des Monty sur le père de famille irlandais catholique ...


    • Clocel Clocel 20 avril 2022 14:36

      @Séraphin Lampion

      Reste à se déguiser en bousier, c’est très tendance.


  • Decouz 20 avril 2022 11:43

    Trois stades ou strates dans l’homme religieux, mais ça fonctionne aussi avec d’autres organisations, il suffit de remplacer Dieu par un courant idéologique, la relation directe de l’homme avec Dieu, la relation sociale (plus ou moins acceptée, plus ou moins contraignante selon les modes d’organisation), celle de la communauté, et la relation politique, contraignante.

    Mais il y a aussi la notion de modèle ou de forme mentale, le marxiste va tout faire rentrer dans la grille lutte des classes, et selon les écoles il va suivre tel ou tel modèle dérivé, très souvent maintenant c’est l’évolution et la croyance au progrès qui est invoquée pour expliquer tel ou tel phénomène, pour d’autres au contraire le mouvement est inverse, l’histoire est une chute qui s’éloigne de la spiritualité.

    Ambiguïté de l’imitation : le modèle doit être suivi, en même temps il est inimitable, sauf à vouloir le dépasser. Le modèle s’impose et impose, et pourtant c’est dans les marges que l’esprit apparait, d’où la formulation que le vrai Tao n’est jamais nommé, jamais défini, inconnaissable, certes la formulation, le modèle est acceptable, nécessaire, mais il ne représentera jamais la singularité divine (pour le croyant) ou la totalité des connaissances (pour celui qui doute)


  • Tzecoatl Claude Simon 20 avril 2022 11:44

    « On se réfugie alors dans le giron du clan non pas pour y trouver une quelconque vérité mais par peur de l’affronter. »

    Le fait d’être seul en guerre contre tous, ayant 9% de virus dans l’ADN (10% depuis le covidisme ?), est considérécomme élément indésirable.

    Il y a certes des effrontés prêts à moquer la juste nécessité ou l’émotion barbarisée ou brutalisée. L’illusion du sacré, à savoir se différencier de la condition simiesque, est un effet de langage, qui mérite sa place.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 20 avril 2022 12:00

      @Claude Simon

      Le fait de ne pas appartenir aux Hommes collectivisés ne rend pas intelligent mais il donne une chance de l’être.


    • Jean Keim Jean Keim 21 avril 2022 07:43

      @Jacques-Robert SIMON

      L’intelligence n’est pas une faculté du cerveau, de plus elle ne dépend pas de savoirs, soit la pensée est à son service, soit elle la bloque, nous sommes continuellement et de manière fluctuante qq. part entre ces deux extrêmes.

      L’intelligence est d’autant plus présente que nous sommes absents.

      Dans l’acmé de sa présence, nous n’agissons plus nous sommes agis.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 21 avril 2022 10:16

      @Jean Keim

      L’intelligence est difficile à définir, il est plus facile de dire ce qu’elle n’est pas.


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 21 avril 2022 10:49

      @Jean Keim
       
      Votre définition personnelle et implicite de l’intelligence que j’appellerai plutôt conscience vitale, en fait le conatus spinozien est à mettre en parallèle avec ça : Le phénomène de « Singularité » — ce moment où la machine dépasse l’être humain en intelligence et a conscience d’elle même — est annoncé par de nombreux acteurs du monde technologique comme une réalité devant se réaliser pour 2045
       
      La conscience de soi que pourrait avoir une machine, le conatus, serait forcément artificielle. Or la conscience de soi ne peut pas être artificielle puisque on ne sait pas ce que c’est ni où elle est : je pense qu’elle une propriété de l’ADN. Une machine n’a pas d’ADN.
       
      Le transhumanisme est une folie raisonnante, autrement dit, un délire collectif.
       


    • Jean Keim Jean Keim 21 avril 2022 20:48

      @Jacques-Robert SIMON

      Oui c’est exactement cela.


    • Jean Keim Jean Keim 21 avril 2022 21:09

      @Francis, agnotologue

      L’I.A. obéit à des algorithmes, même si le programme prévoit un auto-apprentissage, elle sera toujours confinée dans un espace-temps, pas l’intelligence ; pour l’ADN je ne sais pas.

      Il n’est pas indispensable que l’intelligence soit localisée qq. part, en fait cela me paraît impossible.


    • Jean Keim Jean Keim 24 avril 2022 06:31

      La pensée également obéit à un schéma, elle est itérative, récurrente et récursive, elle est un processus, elle peut donc être imitée par une machine, peut-on dire du concepteur de la machine qu’il est intelligent ? Il fait preuve indubitablement d’une ingéniosité.

      Le maître d’œuvre qui a conçu la bombe atomique a-t-il fait preuve d’intelligence ou plus prosaïquement d’un ingéniosité sans âme ? Entre son projet et l’intelligence s’est intercalé la pensée raisonnante.


  • sylvain sylvain 20 avril 2022 13:14

    comme beaucoup de choses, c’est une question d’équilibre .L’homme est un animal intermédiaire, ni totalement collectivisé ni totalement individuel .

    Dans nos sociétés ou l’interdépendance s’est développée a un stade jamais atteint, garder son individualité sera, contrairement aux apparences, de plus en plus compliqué


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 20 avril 2022 13:53

      @sylvain

      C’est vrai il faut un équilibre, il peut être difficile de le trouver actuellement car les moyens technologiques tendent tous à la collectivisation.


  • Jean Keim Jean Keim 21 avril 2022 07:30

    J’aime bien cette citation tirée je crois des Évangiles : « Être dans le monde sans être du monde. »


  • christophe nicolas christophe nicolas 21 avril 2022 11:27

    La croyance n’a rien a voir avec le collectif, c’est tout le contraire, elle a voir avec l’aspect mystique de la réalité que la hiérarchie de l’Eglise combat 

    Le Pape François a négocié ses voix avec Mgr Bertone, un des comploteurs contre le Saint-Pape de plus de 100 prophéties attendu par tous les chrétiens, un curé de Rome nommé Évêque de Rome par Dieu (définition de Pape) :

    Le complot :

    Le vrai 3ème secret de Fatima :

    Le syndrome dans l’Eglise est à l’oeuvre dans le monde et les académies de sciences dont les incrédules sont si fiers sont juste des assemblées de singes menteurs qui n’hésitent pas à se parjurer pour se donner raison sans rapport avec la réalité.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 21 avril 2022 13:16

      @christophe nicolas

      Par définition un croyant doit croire en quelque chose. Si c’est un livre même sacré partagé par beaucoup, ceci dépend du nombre.


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