mardi 31 juillet 2007 - par Olivier Perriet

L’impasse européenne

Depuis l’effondrement du bloc de l’Est il y a quinze ans, l’Union européenne maintient avec constance une politique de fuite en avant qui l’exonère de toute analyse (géo)politique.

Les 23 et 24 juin derniers, les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’Union européenne (le Conseil européen) ont négocié d’arrache-pied une alternative au "traité constitutionnel" rejeté en 2005 par les Français et les Hollandais. Un week-end entier consacré au Meccano institutionnel, pour des résultats évidemment inégaux : voilà qui illustre parfaitement l’impasse dans laquelle s’est enfoncée une Europe à 27 réduite à l’impuissance. Ce qui définit en creux la nature actuelle du projet européen : privilégier une organisation interne complexe au détriment des motivations politiques et géopolitiques profondes.

Qu’était à l’origine l’Union sinon une coopération économique entre les pays de l’Europe de l’Ouest membres du bloc occidental, élargie géographiquement dans les années 1970 et 1980 aux pays d’Europe du Sud ayant adopté la démocratie (Espagne, Grèce, Portugal), et vouée, dès le départ, à devenir un super-État, plus centralisé que fédéral, par glissements insensibles de la gouvernance économique à la gouvernance politique (ce qui, entre parenthèses, est attentatoire à la vraie démocratie dont l’Europe se réclame [1]) ?

Cette définition, forgée durant la guerre froide, n’a semble-t-il pas été remise en cause jusqu’ici :

Pourquoi l’élargissement vers l’Est a-t-il été présenté comme "la réunification de l’Europe" si ce n’était pour concrétiser le triomphe du camp occidental sur l’ex-bloc de l’Est et rejeter dans les poubelles de l’histoire un passé honteux, dans une démarche revancharde et réactionnaire au sens premier du terme [2] ? Pourquoi les débats sur l’intégration de la Turquie ne se sont-ils pas conclus depuis longtemps par une fin de non-recevoir (comme ce fut le cas avec le Maroc dans les années 1970) si ce n’est parce que le périmètre de l’UE doit implicitement se calquer sur celui de l’OTAN en Europe ? À quel titre, sinon, la Turquie est-elle plus européenne que l’Algérie ou la Tunisie ? Est-ce un héritage du temps où l’Empire ottoman s’étendait jusqu’aux portes de Vienne ?

Depuis les années 1950, l’Europe ne semble pas avoir bougé, quand tout ou presque a changé : l’URSS n’existe plus, le pacte de Varsovie et le Comecon se sont dissous ; leurs alter ego, l’OTAN et l’Union européenne, eux, sont toujours là. Symboliquement, au moment où l’URSS disparaissait, les pays membres de la CEE adoptaient le traité de Maastricht qui transformait celle-ci en une union économique et politique de plus en plus étroite. Une fuite en avant, absorbant les énergies et dispensant de toute réflexion nouvelle, qui s’est poursuivie avec l’élargissement à l’est et l’intégration récente de la Bulgarie et de la Roumanie. Au moins imagine-t-on que l’OTAN et sa direction américaine poursuivent des buts plus en phase avec le monde actuel, même si c’est au service premier des USA.

L’UE ressemble ainsi à la caricature que dressait de Gaulle de la IIIe République, assemblée de notables sans cesse agitée des éclats de querelles byzantines tandis que les nuages menaçants du fascisme et du nazisme s’accumulaient à l’horizon. En s’inspirant de la métaphore de Jacques Chirac à propos de la protection de l’environnement, on pourrait dire que le monde brûle tandis que l’Union européenne discute... de son "traité constitutionnel".

Traitée avec condescendance par nos médias moutonniers, les propositions réitérées de Vladimir Poutine visant à associer la Russie à l’OTAN sont pourtant loin d’être insensées, si toutefois on veut bien admettre qu’il n’y a pas de guerre froide bis entre l’Ouest et la Russie. Vu les incidents quasi mensuels entre les deux ("révolutions" ukrainiennes et géorgiennes, affaire Litvinenko, bouclier antimissile...) on pourrait, il est vrai, en douter. De ce climat rappelant la guerre froide, les Européens sont donc eux aussi partie prenante. Il serait peut-être opportun de se rendre compte que les temps ont changé...



[1] Pour un historique complet de cette évolution et de cette méthode, voir J-P Chevènement, La Faute de M. Monnet, Fayard, 2006.

[2] Le mot "réactionnaire" est le plus souvent utilisé pour désigner le courant monarchiste hostile à la Révolution française, voulant revenir en bloc sur les acquis révolutionnaires en faisant comme s’il ne s’était rien passé du tout.



15 réactions


  • judel.66 31 juillet 2007 16:44

    article remarquable .je retiens surtout votre phrase :«  »« le périmetre de l’union européenne doit se calquer sur celui de l’otan  »«  »et ce souhait US montre bien qu’en fait, sinon en droit,les EU sont tout puissants a bruxelles où dans tous les couloirs et les cafet. on se fait interpeler par son prénom par un «  »agent«  »US au courant de tout ce qui se discute entre européens en principe «  »en secret«  »....quels sont les judas a bruxelles ???...

    bien sur , vous avez raison de poser le problème de l’entrée de la russie bien plus européenne que la turquie...«  »« de l’atlantique a l’oural »«  »avait dit DE GAULLE....


  • melanie 31 juillet 2007 17:05

    Article assez interessant .

    Toutefois pas tout à fait assez fouillé selon moi quant à la preéminence persistante de l’économie de marché comme épine dorsale de ce melting pot culturel hétérogène .

    Et puis pourquoi la « civilisation slave » devrait-elle avec ses particularismes séculaires et son économie rurale médiévale rentrer dans le bloc européen plus que la Turquie possédant le même profil ???

    Je crois utile de rappeler que les plus ardents promoteurs de l’entrée de la Turquie dans l’Europe sont les USA, qui préfèrent un gigantesque marché décérébré et affaibli par l’aide à fournir à ce géant otoman qu’une Europe forte et contre proposition à l’hégémonie état-uniènne . Ce raisonnement vaut pour la Turquie comme pour la Russie.

    A noter que la cohérence acquise lors de l’entrée de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal est depuis constamment battue en brêche depuis l’entrée des pays de l’ancien Bloc de l’Est .

    Commercer avec - la Turquie, la Russie- est une chose, les faire brouter à un gâteau à la croissance peu vaillante est une ineptie.


    • Olivier Perriet Olivier Pierret 1er août 2007 11:20

      « Et puis pourquoi la »civilisation slave « devrait-elle avec ses particularismes séculaires et son économie rurale médiévale rentrer dans le bloc européen plus que la Turquie possédant le même profil ??? »

      Je n’ai pas dit que la Russie devrait intégrer l’UE actuelle : moins il y a de fous, mieux c’est. Et c’est pareil pour la Turquie, avec l’argument supplémentaire que ce n’est pas un pays européen.


  • judel.66 31 juillet 2007 17:51

    Melanie....O P ecrit :«  »a quel titre la turquie est elle plus européenne que l’algérie ou la tunisie.«  »qu’en pensez vous ???


    • judel.66 31 juillet 2007 18:08

      Mélanie ...poutine voulait entrer dans eurotunnel et dans eads ..il y a eu des barrages ... ! ! il n’y a plus que 30% d’actions détenues par des Français dans le cac 40 ... croyez vous que ce soit mieux que les USA gouvernent l’économie Française et occidentale .la russie a des sous a placer pourquoi ne pas lui ouvrir la porte et ainsi l’interesser a nos exportations et cultiver un equilibre economique conduisant a un equilibre politique ....


    • melanie 31 juillet 2007 18:50

      En rien : Au nom d’une histoire -rappelons-le martiale et non pacifiée- , la Turquie trafiquante d’organes, plate-forme de la maltraitance des femmes - cf manifestation féministe écrasée sous le feu des armes - , trafficante de drogue et plus récemment infiltrée par l’Islam radical en Anatolie ....

      Est-ce assez ??????

      Pourquoi pas l’Iran en Europe ?????


    • melanie 31 juillet 2007 19:02

      Quant à la Russie, étouffant dans le sang la tentative de reconnaissance autonome des Tchétchènes, n’hésitant à manipuler l’opinion en prétendant les « rebelles » Tchetchènes instigateurs du meurtre de Beslan alors même que l’armée a été l’instigatrice de l’explosion .

      Meurte de la journaliste indépendante - dont je ne retrouve plus le nom - et limitatin de la liberté de la presse.

      Pas joli, joli ....

      A quoi peut-ressembler une Europe construire à marche forcée ?. A qui profite l’extension ??? Qui a gagné à l’entré de la Roumanie ou de la Bulgarie ????

      Que la Russie ne rentre pas dans l’Europe ne gène en rien les accords commerciaux .... !!!!

      Quant à savoir combien de parts les sociétés françaises possèdent à l’étranger , les chiffres exacts sont sur Alternatives Economiques : Vous serez surpris ...


  • Céline Ertalif Céline Ertalif 1er août 2007 00:19

    Bonjour,

    Comme je suis totalement hostile aux thèses du MRC, difficile ne pas être contre cet article. Et, je dois dire que je l’ai trouvé gratiné...

    Personnellement, je pense que la raison la plus fondamentale de nos difficultés européennes actuelles, c’est l’absence de solidarité passée des européens de l’ouest vis-à-vis des européens de l’est qui, dois-je le rappeler, ont été abandonnés à la dictature de Moscou pendant 45 ans. S’il y avait une seule raison claire de faire l’Europe, c’est bien toujours celle-là : l’Europe s’étend de Brest à Brest.

    Sur l’OTAN, quel délire ! Je rappellerais simplement et brièvement que Chevènement n’a pas dénoncé le discours de Mitterrand au Bundestag. Quelle terrible erreur d’avoir soutenu les euromissiles ! C’était à contretemps, c’était la marque d’une incompréhension de ce qui se passait à l’est, et surtout c’était une faute vis-à-vis de tout dessein européen.


    • dom y loulou dom 1er août 2007 00:42

      je suis d’accord avec toi Céline, comme le sont les nouveaux missiles américains en Pologne contre lesquels personne en Europe ne semble s’élever, malgré le fait qu’ils rendent caduques quarante ans d’efforts de désarmement avec les russes.


    • Olivier Perriet Olivier Pierret 1er août 2007 11:18

      « l’Europe s’étend de Brest à Brest » : vous voulez parler de Brest (en France) et de Brest-Litovsk (c’est en Pologne maintenant ?) j’imagine ?

      De toutes façons je ne vous convaincrai pas des bienfaits des nations existantes contre une UE qui prétend se construire en l’absence d’un peuple européen et donc de la démocratie ; la démarche réactionnaire qui a dirigé l’élargissement/réunification est semble-t-il perceptible dans vos propos (« l’Europe de l’ouest a abandonné l’Europe de l’est », et cette faute doit être gommée au plus vite). Une divergence d’analyse historique mais là non plus je ne vous convaincrai pas smiley Une réflexion d’une autre envergure que celle-ci, sur le nouveau rôle de l’UE, sur ses relations avec les anciens pays de l’Est... aurait dû être menée dès la chute du communisme et du bloc de l’Est. Mais je ne vous convaincrai pas non plus...


    • Darwa 3 août 2007 14:56

      Tous les spécialistes savent que si les Etats-Unis soutiennent l’entrée de la Turquie en europe c bien pour faire concorder le territoire de l’OTAN et de l’UE. Et cpas mois qui le dit mais les ricains eux mêmes. Puis-je vous rappeller que Zbigniew Brzezinski à ecrit : « l’Europe de l’Ouest reste dans une large mesure un protectorat américain et ses Etats rappellent ce qu’étaient jadis les vassaux et les tributaires des anciens empires »


  • dom y loulou dom 1er août 2007 00:38

    (en suite aux commentaires)

    hum... vous semblez oublier que dans chaque pays il y a des conservateurs et d’autres qui oeuvrent à des conditions plus humaines et pour l’expression de la liberté. Aucun pays n’a vraiment de leçons à donner à ce propos et les statistiques n’aident en rien pour un constat aussi basique.

    Mais ce qu’on ne peut pas c’est interdire l’entrée « par principe » à la Turquie pendant qu’elle fait tout pour devenir euro-compatible, le discrédit médiatique projeté sur M.Erdogan n’a apparemment pas vraiment ébranlé les turcs majoritairement acquis à la cause européenne, mais interdire la Turquie pour des motifs militaro-géopolitiques qui nous échappent de toute façon, ne fait que renforcer les forces rétrogrades turques comme il en existe partout et si on lui enlevait la perspective européenne on déploierait donc juste un nouveau risque d’un état plus dirigé vers la radicalisation (quelle qu’elle soit, même islamiste), mais cette fois, aux portes de l’Europe.

    Donc, je simplifie à l’extrême... donc, on ne peut pas refuser l’entrée aux turcs si tel est LEUR voeux, si la Turquie remplit toutes les conditions posées et qui amènent son adhésion de toute façon à dix ans d’ici, on ne peut le refuser aux million de turcs vivant déjà dans les frontières de la communauté et qui oeuvrent aussi à l’évolution de la démocratie, notamment en Allemagne et ce ne sont pas des réfugiés, mais des citoyens. L’Europe n’a pas le droit de les laisser tomber. Voilà tout, si à force d’entendre des propos racistes en France ils pourraient bien trouver alors leurs racines religieuses plus importantes que nos bien défaillantes démocraties. smiley


  • melanie 1er août 2007 20:58

    @ dom

    Nous n’avons pas vocation à ...être la mère poule de tous les peuples qui du fond de leur médiévalisme - pour ne pas dire plus - « oeuvrent à la démocratie » .

    Arrêtez de taxer de racisme toute refléxion qui met l’accent sur la diférence de culture des peuples : ça n’a rien d’indécent ... !!!!

    Nous sommes aussi éloignés de la civilisation otomane « aspirant » à .. que de la culture ancestrale de mongolie intérieure.

    Ils font des efforts , dites-vous , attendons qu’il en fassent suffisamment pour rentrer de façon démocratique en Europe. Pourquoi ne pas poser la questions aux peuples europérns concernés ???

    Avec votre raisonnement, pour parer à toute réaction d’islamisme radical faisons rentrer le Maroc,l’ Algérie en Europe.

    Sérieusement, où est passé le projet d’une europe forte politiquement - et non un gigantesque marché fourre-tout - ?????


  • stradiuvarius 2 septembre 2007 21:00

    Cet article est effectivement remarquable !


  • Yannick Harrel Yannick Harrel 3 novembre 2007 17:55

    Bonjour,

    Dommage que l’article soit un peu court mais au moins les idées maîtresses sont là smiley

    Union Européenne : où comment une bonne idée finira tôt ou tard en eau de boudin.

    Cordialement


Réagir