lundi 3 décembre 2018 - par Renaud Bouchard

L’inéluctable démission du Président Macron. Colère et Temps. Rupture ou dialogue dans le changement démocratique ?

 

« Comment avez-vous fait faillite ? De deux façons, d’abord progressivement puis subitement. »

E. Hemingway, « Le Soleil se lève aussi ». The Sun Also Rises, Book II, Chapter 13, Quote Page 136, Charles Scribner’s Sons, New York. 1926

« Le troisième mandat avait été le plus terrible… Après ça, tout était allé de soi. Il était devenu dictateur. » 

Bogdan Teodorescu, « Le Dictateur qui ne voulait pas mourir ». Agullo, 2018

« - Do you hear that, Mr. Anderson ? It’s the sound of inevitability. It is the sound of your death. Goodbye, Mr. Anderson.

- My name is Neo. »

The Matrix, Agent Smith et Neo (1999)

 

PNG Pour le philosophe et essayiste Peter Sloterdijk, de même qu’il existe des banques qui transforment en capital le trésor des particuliers, il existe des « banques de colère ». Est-ce ce que veut le Président ?

L'équation est très simple : retour immédiat de la paix civile et solides perspectives de prospérité ou démission.

M. Macron n'a pas simplement perdu pied. Il a ouvert la porte au "populisme" qu'il méprise et dit vouloir combattre, se trompant d'adversaire, méprisant son peuple et nourrissant le ressentiment et le désordre.

« 200 manifestants pacifiques sur les Champs-Élysées.1500 perturbateurs à l’extérieur du périmètre venus pour en découdre.Nos forces de l'ordre répondent présent et repoussent les casseurs : déjà 39 interpellations. #1erDécembre — Christophe Castaner (@CCastaner) December 1, 2018 »

 

I- Aveu d'impuissance

…et une simple question : comment 6000 policiers n’ont-ils pu venir à bout de 1500 casseurs ?

Comment le ministre de l'Intérieur ne s'est-il pas rendu compte de l’inanité de son propos en déclarant publiquement comme il l’a fait que « tous les moyens avaient été mobilisés », sinon pour avouer l’étendue d’un immense échec, d'un immense aveu d'impuissance et surtout d’une incroyable incapacité professionnelle ?

https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/chistrophe-castaner-assure-que-tous-les-moyens-de-la-police-de-la-gendarmerie-et-de-la-securite-civile-etaient-mobilises-aujourd-hui-1121951.html

https://www.dailymotion.com/video/x6y6q5s

Voici un chef de l'Etat en retrait, silencieux, qui tente de sauver sa "ligne économique" alors que l'urgence est ailleurs, espérant désolidariser les Gilets jaunes en cherchant des gens raisonnables avec qui discuter.

L'Elysée se défausse et renvoie la réponse politique à Matignon, comme si la gestion de cette crise permettait encore au chef de l'Etat de faire l'économie d'une réponse politique face à des violences qui le dépassent, comme si les lacunes des dispositifs sécuritaires ne révélaient pas les faiblesses d'un Exécutif devenu inaudible, dépassé par les événements dont il ne peut permettre une troisième réédition sous la forme d'un autre "samedi noir".

On retiendra que le Macronisme est mort le 1er décembre 2018 et qu'il faut désormais passer à autre chose.

Le choix d'un camp s'impose, avec d'un côté celui de l'insurrection aveugle contre des institutions et des personnages politiques et de l'autre celui de l'ordre légitime de la République qui ne peut accepter que des lieux d'histoire, de mémoire, de pouvoir, symboles d'institutions qui ne sauraient être attaquées se trouvent précisément vandalisés alors que parallèlement les magasins, les citoyens, les policiers, les pompiers sont pillés, volés, agressés et gravement blessés.

Vient un moment - et ce moment est arrivé - où ce qui doit être défendu est bien l'Etat plutôt que son chef qui ne le représente plus et se trouve contesté dans sa propre légitimité personnelle, politique, nationale, avec une image chaque jour plus dégradée et désastreuse pour la France, tant sur le plan national qu'international.

Allons-nous laisser se développer une situation insurrectionnelle, une guérilla urbaine qui pourrait se traduire par un embrasement général et une déstabilisation du pays ?

Ambulanciers lors d'une manifestation surprise à paris, devant l'Assemblée nationale ce lundi 3 décembre 2018 :

https://francais.rt.com/france/56190-paris-centaines-dambulanciers-bloquent-place-concorde-video?fbclid=IwAR0xco-30NAyQFn1um_IXyzsHeyYdgRONtUJik2TFfEUZutjw63LD5o4b6g

Installations portuaires bloquées :

https://www.midilibre.fr/2018/12/03/sete-lacces-au-port-bloque-par-les-gilets-jaunes,4996541.php?fbclid=IwAR0h2_lwqZ9OQRJfgRPDF15gK6ZKVD3T4jEpOM5oC4vhseiia9j7l1c7unI

Raffineries :

http://www.leparisien.fr/economie/blocage-de-raffineries-et-de-depots-de-carburant-deja-des-restrictions-en-bretagne-03-12-2018-7959450.php

Lycées :

https://www.bfmtv.com/police-justice/aubervilliers-incidents-aux-abords-d-un-lycee-1580251.html#content/contribution/edit

Un pays comme la France se mérite. Il se mérite parce que vivre en France demeure un privilège. Il se mérite parce que nous avons une histoire, des lois, des règles, des usages, une organisation politique économique et sociale qui sont le résultat d'efforts constants accomplis au travers de difficultés, d'épreuves et de succès. Et voilà qu'une poignée de dirigeants mal élus, tare fondamentale dont on mesure aujourd'hui les faiblesses, persuadés de détenir une sorte de vérité et inspirés par la volonté de dicter et imposer aux Français ce qui serait "bon" pour eux est en train de dérégler systématiquement le pays en faisant n'importe quoi et en méprisant ceux auxquels ils s'adressent.

http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2018/11/29/31001-20181129ARTFIG00361—macron-redoute-davantage-les-amendes-de-bruxelles-que-la-colere-de-son-peuple.php

Gouverner un pays comme la France se mérite car c’est là aussi et par-dessus tout un privilège qui ne saurait échoir à une équipe arrivée en bout de course après seulement 18 mois d’activité

Les institutions politiques, aussi solides qu’elles puissent être ou paraître, ne valent que par ceux qui les incarnent, les défendent et les font fonctionner au nom de l’Etat et des citoyens.

Cette fonction incombe en premier lieu à celui qui en est constitutionnellement le chef. Si celui-ci n'est pas ou n'est plus en mesure de l'exercer, il doit s'en aller.

II-Un constat sans appel.

Or le constat est simple. Le temps est venu de passer la main. Le "Mai 68" de la classe moyenne a commencé et ne s'arrêtera pas tant que l'ordre ne sera pas rétabli sur la base et la condition d'un véritable dialogue apaisé sur les origines profondes de cette révolte et les moyens adéquats d'y remédier avec un pouvoir politique digne de ce nom.

Le problème tient malheureusement au fait que si d'un côté il va bien falloir que la France qui dit son malaise trouve une représentativité pour s'exprimer, il va aussi falloir que se détache un interlocuteur valable, légitime, reconnu et accepté, suffisamment puissant pour écouter, être écouté et accepté dans les décisions et remèdes qu'il doit prendre et offrir pour répondre intelligemment aux urgences qui travaillent le pays en profondeur.

Cet interlocuteur ne s'étant pas encore fait connaître et l'actuel chef constitutionnel n'étant plus à la hauteur de la situation parce que désormais considéré comme le Grand Désordonnateur, même si toutes les responsabilités ne peuvent lui être imputées, il devient évident que Monsieur E. Macron risque fort, d’une manière ou d’une autre, d'être obligé de démissionner de ses fonctions de président de la République et de chef de l’Etat.

Il s’agit d’une démission qui interviendra volontairement ou sous la contrainte. Nul ne peut dire quand, mais elle aura lieu et le plus tôt sera le mieux.

La survenance inéluctable de l’événement pouvant être rapide ou plus lente, elle se produira après une phase de rigidité et de tentative de reprise en main de la situation, habile ou malhabile.

Ce sera alors-là une manière de procéder que la France ne supportera pas de la part d’un personnage désormais perçu comme un petit cheffaillon ayant perdu toute crédibilité et toute légitimité et dont tout le comportement montre qu’il cherche déjà à se cramponner au pouvoir en mobilisant tout l’appareil d’Etat contre son peuple, quoi qu’il en coûte.

Etat d’urgence, loi martiale, la Constitution a prévu un bloc de mesures exceptionnelles qui n’attendent que d’être réalisées. Encore faudrait-il qu'elles soient mises en œuvre à bon escient. Voit-on bien la situation nouvelle qu’elles pourraient générer ?

Pareil comportement qui traduit plus que jamais une fin de règne prématurée est d’autant plus dangereux pour l’intéressé et ses fidèles que, s’agissant de la France et des Français, le risque d’un retour de flamme devient réalité lorsque le pays profond décide depuis trois semaines que la mesure est comble et que les limites de la patience longue ont été dépassées.

Pour ne pas l’avoir compris dans d'autres circonstances, d’autres ont eu à subir de sérieuses déconvenues dans le passé et il devient chaque jour manifeste que l’expérience des uns n’instruit pas le comportement des autres alors que chacun sait que toute partie a une fin et que l’on peut être…chassé du Pouvoir.

Paris vient de connaître une éruption, une « journée parisienne » qui n’a rien d’un accès de fièvre. L'étincelle pourrait bien avoir mis le feu à la plaine. Le malaise et le ressentiment sont en effet profonds, anciens, contagieux, dangereux, susceptibles de toucher tout un chacun avec des débordements d’autant plus inadmissibles qu’ils pouvaient être largement prévus et qu’ils touchent le pays tout entier.

http://www.lefigaro.fr/culture/2018/12/02/03004-20181202ARTFIG00038-gilets-jaunes-les-images-de-l-arc-de-triomphe-saccage.php

Un président de la République qui a perdu toute légitimité, toute possibilité de se maintenir au pouvoir pour la durée légale du mandat qui lui reste à courir, ne peut plus valablement exercer ses fonctions. Il en va de même de l’autre acteur de cette dyarchie propre à la Vè République que représente le Premier ministre, même s’il détermine et conduit la politique de la nation aux termes de l’art. 21 de la Constitution.

Aller au contact et réagir comme le fait M. Macron dans un cadre de réaction violente est une mauvaise solution. Distinguer entre "bons" Français et "mauvais" Français est une grave erreur. Le cap et le programme sont les mêmes et plus personne n’en veut. M. Macron s’est rêvé comme LE président de la Vè République. Il a commis une grave erreur d’appréciation et de comportement, tant sur la forme que sur le fond.

Le processus de sa mort politique est donc enclenché et ira à son terme.

III- Désordre et dérives

Pour autant voici que l'on voit naître des réactions qui concrétisent un véritable désaveu du Pouvoir. Ainsi en est-il d’un ralliement des forces de police avec les Gilets jaunes, hypothèse qui n’a rien d'impossible. Qu’un commandant de police  puisse en énoncer clairement les termes et raisons sur TV Libertés résume la situation :

"Sur le plan humain, il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de policiers qui sont derrière les Gilets jaunes, qui soutiennent les Gilets jaunes, déclare-t-il. Pour l'instant, ça ne se voit pas trop, heureusement, parce qu'on est le dernier rempart. J'ai l'impression qu'il ne reste plus que la police, les pompiers, un peu l'armée... Si ça fait tomber les casques et que la police dépose les armes, attention, très, très gros danger. Qui peut prédire l'avenir actuellement ? On est dans une période très difficile, très dangereuse. Je ne suis pas devin, je ne peux pas vous dire si la police va rejoindre les Gilets jaunes à un moment ou à un autre."

Que dans un autre communiqué le syndicat de police Alliance ait pu demander l'instauration de l'état d'urgence, réclamer le "renfort de l'armée pour garder les lieux institutionnels et dégager ainsi les forces mobiles d'intervention", est encore révélateur d’un cran au-dessus du simple climat de guérilla urbaine. "On est dans un climat insurrectionnel", a en effet déclaré M. Frédéric Lagache, le numéro 2 d’Alliance, premier syndicat de gardiens de la paix.

https://twitter.com/alliancepolice/status/1068962529752289281

IV- Solution

Une autre solution pourrait intervenir, qui passerait par la déposition pure et simple, en douceur, de celui dont un collaborateur actuel n’hésitait pas à dire, avant de se rallier à lui, que "Loin d’être le remède d’un pays malade, il [M. Macron] sera au contraire son poison définitif. Son élection, ce qu’au diable ne plaise, précipiterait la France dans l’instabilité institutionnelle et conduira à l’éclatement de notre vie politique."

Qui se souvient que ces propos prémonitoires sont ceux que M. Gérald Darmanin tenait le 25 janvier 2017 dans le quotidien L'Opinion ?

 

Il faut savoir siffler les fins de partie tant qu’il en est encore temps.

Les déclarations de M. Macron tenues en Argentine, loin de la France, sont devenues inaudibles, chacun ayant compris, d’une manière certaine, que le problème c’était lui et qu’en aucun cas il ne saurait donc faire partie de la solution sauf à remettre les compteurs à zéro en donnant sa démission et en permettant à la France de se retrouver avec de nouvelles élections nationales, tant présidentielles que législatives.

Pareilles élections ne pourront se tenir avec les formations partisanes actuelles, obsolètes, démonétisées, qui n'ont plus rien à proposer et dont la disparition est elle aussi inéluctable.

Quelque chose doit donc naître, de nouveau, proposé par quelqu'un de courageux et de déterminé, prêt à écouter, juger, peser, décider.

Ce personnage fera appel précisément à tous ceux qui ne se reconnaissent pas ou plus dans les structures politiques et partisanes actuelles et qui aspirent à un véritable renouveau, soucieux de rétablir l'harmonie, la prospérité et la puissance de la France.

Pour ma part, je suis prêt.

 

 

Sources et références :

 

E. Hemingway, « Le Soleil se lève aussi ». The Sun Also Rises , Book II, Chapter 13, Quote Page 136, Charles Scribner’s Sons, New York.

“How did you go bankrupt ?” Bill asked.“Two ways,” Mike said. “Gradually and then suddenly.” “What brought it on ?” “Friends,” said Mike. “I had a lot of friends. False friends. Then I had creditors, too. Probably had more creditors than anybody in England.”

Ernest Hemingway, “The Sun Also Rises”, 1954 (1926 Copyright), The Sun Also Rises by Ernest Hemingway, Book II, Chapter 13, Quote Page 136, Charles Scribner’s Sons, New York.

Bogdan Teodorescu, « Le Dictateur qui ne voulait pas mourir ». Agullo, 2018

Peter Sloterdijk, Colère et Temps - Essai politico-psychologique, Olivier Mannoni (Traducteur) Ed. Libella-Maren Sell, 2007

https://www.nonfiction.fr/article-711-la-colere-comme-moteur-de-laction-politique.htm

 

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103 réactions


  • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 10 décembre 2018 20:44

    Aux Lecteurs.

    Un petit délinquant qu’il faudra bien attraper un jour prochain.

    Parions qu’il n’y aura pas d’appel du Parquet. Lâcheté à tous les niveaux.

    Voilà bien un individu qui aurait dû écoper d’une arrestation à l’audience.

    https://www.huffingtonpost.fr/2018/12/10/lauteur-de-lappel-a-la-purge-a-halloween-condamne_a_23614173/?utm_hp_ref=fr-actualites

    L’auteur de l’appel à la « purge » à Halloween condamné 4 mois de sursis pour l’adolescent qui avait appelé à la purge le 31 octobre.
    PURGE - Une « blague » qui lui coûte 4 mois de prison avec sursis. L’étudiant de 19 ans, qui avait appelé fin octobre à une « purge », a été condamné ce lundi 10 décembre par le tribunal correctionnel de Grenoble à quatre mois de prison avec sursis et 70 heures de travail d’intérêt général.

    Le jeune homme a été reconnu coupable de "provocation non suivie d’effet au crime ou au délit par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique". Sa peine est conforme aux réquisitions du procureur Boris Duffau, prononcées lors de l’audience du 28 novembre.

    Fin octobre, sur le réseau social Snapchat, l’étudiant avait appelé à la « purge » dans les rues de Grenoble, à l’occasion d’Halloween.

    Castaner porte plainte contre lui, il porte plainte contre Castaner

    Voyant sa « mauvaise blague » devenue virale lui échapper au point que le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner avait annoncé le dépôt d’une plainte contre lui, le jeune homme avait diffusé un démenti, toujours sur les réseaux sociaux. "Je savais que j’allais gagner des abonnés mais de là à impacter le public, je ne pensais pas du tout« , avait admis à la barre l’étudiant.

     »On peut rire de tout, mais tout dépend avec qui", avait rappelé, dans son réquisitoire, Boris Duffau au jeune homme qui pensait que "les gens avaient les mêmes références cinématographiques" que lui. C’est-à-dire le film « American Nightmare (The Purge) » de James deMonaco, dans lequel les citoyens ont l’autorisation pendant une nuit de régler leurs comptes.

    La purge était une énorme blague & une invention de ma part ! Elle a pris une trop grande ampleur alors j’ai décider d’annoncer a tout mon snap que c’était une blague ! Il n’y aura ni de purge à Grenoble, paris, Genève lyon etc... aller voir le message dans ma story ! pic.twitter.com/MJqkkOxUQo

    — 👻Aissabcl👻 (@AissaAskip) 28 octobre 2018

    L’adolescent, début novembre« , avait annoncé vouloir porter plainte contre Castaner, estimant qu’il a été »excessivement pointé du doigt« .

    Une »blague« qui manquait de »contexte« 

     »Comment comprendre qu’il s’agit d’humour ? Ceux qui n’ont pas les clés de lecture cinématographiques, que vont-ils en faire ?", avait interrogé le procureur, considérant qu’il manquait à cette « mauvaise blague » le « contexte ».

    "Qu’il ait voulu susciter un intérêt médiatique, faire du bien à son égo, peut-être, sans doute. Mais il n’y a pas de volonté de provoquer la violence !", avait plaidé en réponse le conseil de l’étudiant Me Ronald Gallo, qui demandait la relaxe.

    "Ces règles sont issues nettement d’un film, c’est ce réalisateur qu’il faut poursuivre Madame la Présidente !", avait lancé l’avocat, pour qui son client s’adressait « à ses abonnés, à ceux qui savent » à quoi il était fait référence.

    À voir également sur Le HuffPost :


  • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 14 décembre 2018 19:45

    Un excellent papier

    https://lundi.am/Prochaine-station-destitution

    Prochaine station : destitution

    Contrairement à tout ce que l’on peut entendre, le mystère, ce n’est pas que nous nous révoltions, mais que nous ne l’ayons pas fait avant. Ce qui est anormal, ce n’est pas ce que nous faisons maintenant, mais ce que nous avons supporté jusque-là. Qui peut nier la faillite, à tous points de vue, du système ? Qui veut encore se faire tondre, braquer, précariser pour rien  ? Qui va pleurer que le XVIe arrondissement se soit fait dépouiller par des pauvres ou que les bourgeois aient vu flamber leurs 4X4 rutilants ? Quant à Macron, qu’il arrête de se plaindre, c’est lui-même qui nous a appelés à venir le chercher. Un État ne peut pas prétendre se légitimer sur le cadavre d’une « glorieuse révolution » pour ensuite crier aux casseurs dès qu’une révolution se met en marche.

    [Illustrations : Rémy Soubanère]

    La situation est simple : le peuple veut la chute du système. Or le système entend se maintenir. Cela définit la situation comme insurrectionnelle, ainsi que l’admet désormais la police elle-même. Le peuple a pour lui le nombre, le courage, la joie, l’intelligence et la naïveté. Le système a pour lui l’armée, la police, les médias, la ruse et la peur du bourgeois. Depuis le 17 novembre, le peuple a recours à deux leviers complémentaires : le blocage de l’économie et l’assaut donné chaque samedi au quartier gouvernemental. Ces leviers sont complémentaires parce que l’économie est la réalité du système tandis que le gouvernement est ce qui le représente symboliquement. Pour le destituer vraiment, il faut s’attaquer aux deux. Cela vaut pour Paris comme pour le reste du territoire : incendier une préfecture et marcher sur l’Élysée sont un seul et même geste. Chaque samedi depuis le 17 novembre à Paris, le peuple est aimanté par le même objectif : marcher sur le réduit gouvernemental. De samedi en samedi, la différence qui se fait jour tient 1 - à la croissante énormité du dispositif policier mis en place pour l’en empêcher , 2 - à l’accumulation d’expérience liée à l’échec du samedi précédent. S’il y avait bien plus de gens avec des lunettes de piscine et des masques à gaz ce samedi, ce n’est pas parce que des « groupes de casseurs organisés » auraient « infiltré la manifestation », c’est simplement que les gens se sont fait extensivement gazer la semaine d’avant et en ont tiré les conclusions que n’importe qui de sensé en tire : venir équipé la fois d’après. D’ailleurs, il ne s’agit pas d’une manifestation ; il s’agit d’un soulèvement.

    Si des dizaines de milliers de personnes ont envahi le périmètre Tuileries-Saint Lazare-Étoile-Trocadéro, ce n’est pas en vertu d’une stratégie de harcèlement décidée par quelques groupuscules, mais d’une intelligence tactique diffuse des gens, qui se trouvaient simplement empêchés d’atteindre leur objectif par le dispositif policier. Incriminer l’« ultra-gauche » dans cette tentative de soulèvement ne trompe personne : si l’ultra-gauche avait été capable de conduire des machines de chantier pour charger la police ou détruire un péage, cela se saurait ; si elle avait été si nombreuse, si désarmante et si courageuse, cela se saurait aussi. Avec ses soucis essentiellement identitaires, ladite « ultra-gauche » est profondément gênée par l’impureté du mouvement des gilets jaunes ; la vérité, c’est qu’elle ne sait pas sur quel pied danser, qu’elle craint bourgeoisement de se compromettre en se mêlant à cette foule qui ne correspond à aucune de ses catégories. Quant à l’« ultra-droite », elle est prise en sandwich entre ses moyens et ses fins supposées : elle fait le désordre en prétextant l’attachement à l’ordre, elle caillasse la police nationale tout en déclarant sa flamme à la police et à la nation, elle veut couper la tête du monarque républicain par amour d’un roi inexistant. Sur ces points, il faut donc laisser le ministère de l’Intérieur à ses divagations ridicules. Ce ne sont pas les radicaux qui font le mouvement, c’est le mouvement qui radicalise les gens. Qui peut croire que l’on réfléchit à déclarer l’état d’urgence contre une poignée d’ultras ?

    Ceux qui font les insurrections à moitié ne font que creuser leur propre tombeau. Au point où nous en sommes, avec les moyens de répression contemporains, soit nous renversons le système, soit c’est lui qui nous écrase. Ce serait une grave erreur d’appréciation que de sous-estimer le niveau de radicalisation de ce gouvernement. Tous ceux qui se placeront, dans les jours qui viennent, en médiateurs entre le peuple et le gouvernement, seront déchiquetés : plus personne ne veut être représenté, nous sommes tous assez grands pour nous exprimer, pour voir qui cherche à nous amadouer, et qui à nous récupérer. Et même si le gouvernement reculait d’un pas, il prouverait par là que nous avions raison de faire ce que nous avons fait, que nos méthodes sont les bonnes.

    La semaine prochaine est donc décisive : soit nous parvenons à mettre à l’arrêt à plus nombreux encore la machine économique en bloquant ports, raffineries, gares, centres logistiques, etc., en prenant vraiment le réduit gouvernemental et les préfectures samedi prochain, soit nous sommes perdus. Samedi prochain, les marches pour le climat, qui partent du principe que ce n’est pas ceux qui nous ont menés à la catastrophe présente qui vont nous en sortir, n’ont pas de raison de ne pas confluer dans la rue avec nous. Nous sommes à deux doigts du point de rupture de l’appareil gouvernemental. Soit nous parvenons dans les mois qui viennent à opérer la bifurcation nécessaire, soit l’apocalypse annoncée se doublera d’une mise au pas sécuritaire dont les réseaux sociaux laissent entrevoir toute l’étendue imaginable.

    La question est donc : que signifie concrètement destituer le système ? De toute évidence, cela ne signifie pas élire de nouveaux représentants puisque la faillite du régime actuel est justement la faillite du système de la représentation. Destituer le système, c’est reprendre en main localement, canton par canton, toute l’organisation matérielle et symbolique de la vie, car c’est précisément l’organisation présente de la vie qui est en cause, c’est elle qui est la catastrophe. Il ne faut pas craindre l’inconnu : on n’a jamais vu des millions de personnes se laisser mourir de faim. De même que nous sommes tout à fait capables de nous organiser horizontalement pour faire des blocages, nous sommes capables de nous organiser pour remettre en marche une organisation plus sensée de l’existence. De même que c’est localement que la révolte s’est organisée, c’est localement que les solutions seront trouvées. Le plan « national » des choses n’est que l’écho que se font les initiatives locales.

    Nous n’en pouvons plus de devoir compter pour tout. Le règne de l’économie, c’est le règne de la misère parce que c’est en tout le règne du calcul. Ce qu’il y a de beau sur les blocages, dans la rue, dans tout ce que nous faisons depuis trois semaines, ce qui fait que nous sommes en un sens déjà victorieux, c’est que nous avons cessé de compter parce que nous avons commencé à compter les uns sur les autres. Quand la question est celle du salut commun, celle de la propriété juridique des infrastructures de la vie devient un détail. La différence entre le peuple et ceux qui le gouvernent, c’est que lui n’est pas composé de crevards.


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