samedi 14 juin 2008 - par Yannick Harrel

L’Irlande biffée d’une plume assassine

Chers Agoravoxiens, je me dois de vous avouer que je n’avais pas particulièrement prévu de réagir au résultat du référendum Irlandais, d’autant que je me doutais que la réactivité des rédacteurs de votre gazette en ligne serait amplement suffisante à ce titre. En revanche, et ce très naïvement, j’étais loin de m’imaginer qu’un tel mépris serait affiché aussi ouvertement par l’élite politico-médiatique Française à l’égard de celui-ci.

Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir des yeux l’éditorial du Figaro en date du 14 juin 2008, où M. Rousselin s’évertue, non sans talent rhétorique, à nous faire prendre les vessies étoilées sur fond d’azur pour des lanternes vertes.

Dès le début de la lecture, l’on est rendu confiant par un constat évident : La surprise qui a accueilli le non irlandais au traité de Lisbonne montre que les dirigeants européens n’ont guère appris la leçon de la crise ouverte il y a trois ans par les référendums en France et aux Pays-Bas. Bien, bien, toutefois l’on déchante d’autant plus rapidement que la suite revient dans les ornières de la mauvaise foi la plus grotesque : en Irlande, comme en France et sans doute ailleurs, il suffit de présenter un texte au suffrage des électeurs pour que l’addition des mécontents, aux motivations disparates et contradictoires, dépasse le nombre de ceux assez motivés pour aller voter en faveur d’un texte déjà approuvé par leurs élus. Que doit-on comprendre à cette phrase fort malheureuse : 1) que les parlementaires sont nimbés de la vérité absolue et ne peuvent qu’en être les dépositaires exclusifs ? 2) que le peuple ne mérite pas d’être consulté car réagissant indéfectiblement à des stimuli difficilement discernables ?

La suite est encore plus "savoureuse" : Heureusement, l’Irlande est le seul pays dont la Constitution l’oblige à soumettre tout traité au vote populaire…Débarrassé de tout son fard voilà l’idée mise à nue : déposséder les peuples de leur maigre once de pouvoir, le bulletin de vote ! M. Rousselin a au moins le mérite d’être moins hypocrite que l’immense cohorte d’élus, de journalistes et d’experts prenant moult précautions pour éviter de laisser sourdre leur ressentiment et dégoût pour toute cette piétaille ne partageant pas leurs idées éclairées (d’autant qu’elle ne partage pas non plus leur sort mais ceci est une évidence).

Accrochez-vous puisque ce n’est pas terminé, l’éditorialiste souhaitant préciser sa pensée : Puisqu’il serait peu démocratique que trois millions d’électeurs irlandais décident pour 450 millions d’Européens, la seule issue à la crise est de poursuivre le processus de ratification en espérant qu’il parviendra à réunir vingt-six pays sur vingt-sept. Quid du fossé grandissant entre les citoyens et sujets de l’Union Européenne avec leurs représentants qui n’ont aucunement pris en compte les avertissements sévères de 2005 ? L’auteur, au travers de cette assertion par trop hâtive, renie toute la pertinence ébauchée pendant les premières lignes de son éditorial. Pourquoi ne pas justement prendre en considération le fait que quelque chose ne tourne plus rond au sein de l’Union Européenne ? Lorsque les voyants sont au rouge, quelle serait l’intelligence d’éteindre le panneau de contrôle ?

Tout remettre à plat est impossible : ce serait faire fi de dix années d’efforts pour sortir de l’impasse institutionnelle. Pour que l’Europe suive son chemin, pour qu’elle puisse peser dans un monde en plein bouleversement, il va falloir dédramatiser le non irlandais et garder le cap sur les priorités de la politique européenne. En quelques mots, l’on a compris que l’on était repassé en mode novlangue après voir pensé tout haut. En effet, dédramatiser le non Irlandais ne serait-ce pas tout simplement insinuer subrepticement qu’il est impératif de passer outre le message inhérent de ce vote ? Quant au chemin qu’offre l’Europe, je lui ai trouvé un nom tout indiqué : voie de la fuite en avant. Espérons qu’il ne nous mènera pas à une impasse...

Pour en revenir à vous M. Rousselin, je tiens à vous dédier ce proverbe Irlandais : You never miss the water till the well has run dry. Et au plaisir de continuer à savourer votre plume au sein de ce vénérable journal qu’est Le Figaro.



13 réactions


  • Alpo47 Alpo47 14 juin 2008 10:42

    Ce n’est pas une impasse, plutôt un précipice...

    A la lecture de toutes ces "élites" qui veulent absolument, et contre notre gré, nous emmener à entrer toujours plus dans "leur" europe, on peut se poser une question logique : Pourquoi ? ou Quelle est leur objectif véritable ?


  • W.Best fonzibrain 14 juin 2008 11:09

    le truc c’est que dire non ,si quelquechose d’autre est possible

     

     

    pourquoi certains députés eurpéens n’ecrivent ils pas une constitition alternative

    quelque chose de nouveau

    moi je ne suis pas un spécialiste

     

    mais dire non c ’est bien surtout pour l’europe de marché qu’il nous font je me souviens d’un article du monde diplomatique de ya quelque années

    europe s.a etait le titre

     

     

    il faut proposer autre chose

     

    chaque pays ,pris tout seul,ne pourra lutter contre de grand pays comme la chine,l’inde

     

    si rien n’est fait,l’europe que l’on aime pas va se construire tout de même

     


  • Internaute Internaute 14 juin 2008 11:57

    Le lien vers Rousselin est terrifiant. Comment des gens soit-disant démocrates et intelligents peuvent-ils dire qu’il n’y a pas d’autre solution et avoir l’arrogance de dire que si les peuples n’en veulent pas, peu importe on inventera n’importe-quoi pour passer outre. La dictature s’accomplit sous nos yeux.

    Ces apparatchik n’ont toujours pas compris le sens du NON. Il ne s’agit pas d’un NON au gouvernement en place ou l’expression d’un mécontentement. Il s’agit simplement que l’on ne veut pas d’Europe politique supranationale et cette volonté unique s’exprime sur toute la palette de l’éventail politique avec des sensibilités et des mots différents. C’est peut-être cela qui dépasse le cerveau des apparatchiks. Faut-il faire des séminaires pour l’expliquer aux députés ? Le mépris qu’ils ont de nous en faisant mine de croire que le peuple n’a rien compris au TCE est inacceptable. Les imbéciles, ce sont eux. On n’a pas voté NON en ayant peur de l’avenir. On a voté NON en jugeant sur pièce 30 ans de Komintern, de Soviet Suprême bruxellois. Ce sont eux qui ont peur pour leurs fesses si l’organisation actuelle de l’UE s’arrête.

    Il faut remettre à plat les mécanismes européens et proposer aux peuples un discours porteur d’espoir et qui les respecte. La première chose à faire est de délimiter les frontières de l’Europe, de reconnaître l’existence des peuples européens, de définir des traités dont l’objectif est le renforcement de leur avenir en Europe et de leur rayonnement mondial et de bâtir une assiociation de nations. AUjourd’hui l’UE se fiche des peuples européens. Elle n’est qu’une organisation mondialistes, un avatar de l’ONU et le marchepied de la mondialisation. Les directives européennes ne sont que la traduction régionale des directives de l’OMC. Cette façon qu’ont les députés de cacher leurs objectifs montre bien qu’on avance en terrain miné. Demain la Turquie, aprés-demain l’Irak ou l’Israël. Nous avons tout à perdre à cette fuite en avant.

    Une nouvelle organisation européenne doit naître sur les cendre de Schengen, de Barcelone, de Lisbone et de Nice. Une assemblée constituante doit être créée à ce propos et un référendum exécuté le même jour dans toute l’Europe doit en valider l’acceptation populaire.

    Plus cela va et plus Dupont-Aignant a le vent en poupe.


  • W.Best fonzibrain 14 juin 2008 12:53

    La première chose à faire est de délimiter les frontières de l’Europe, de reconnaître l’existence des peuples européens, de définir des traités dont l’objectif est le renforcement de leur avenir en Europe et de leur rayonnement mondial et de bâtir une assiociation de nations. AUjourd’hui l’UE se fiche des peuples européens. Elle n’est qu’une organisation mondialistes, un avatar de l’ONU et le marchepied de la mondialisation. Les directives européennes ne sont que la traduction régionale des directives de l’OMC. Cette façon qu’ont les députés de cacher leurs objectifs montre bien qu’on avance en terrain miné. Demain la Turquie, aprés-demain l’Irak ou l’Israël. Nous avons tout à perdre à cette fuite en avant.
     

     

    entierement d’accord avec toi

    une europe des nations,pas une union européenne qui nie toute spéificité national,chaque pays a ,même si nous sommes tous proche,une histoire et culture que nous ne pouvons melanger dans un maelstrom européen comme on nous le vend en ce moment.

    sans vouloir en faire trop

    je pense que les anciens pays du pacte de varsovie sont entré trop vite dans l’europe,on aurai du faire ce que l’on veut faire avec l’unin méditéranéenne,c’est à dire les integre ,mais petit à petit dans notre espace économique mais surtout politique.

    le coeur de l’europe doit etre le centre géographique,le couple franco -allemand.

    je me demande même si,étant donné le blocage euopéen,la france et l’allemagne ne devrai pas fusionner .

    j’entend par la,une politique étrangere commune avec une armée commune,en sortant les deux pays de l’otan et créant une nouvelle stucture militaire avec une force de projection rapide et puissante en nombre et materiel.

    et ensuite naturellemnt les petit pays comme le benelux nous suivraient mais sans les problèmes inhérents à l’europe d’aujourd’hui,la division etant le plus important.

    souvenons nous de la fracture réalisé par les usa lors de la guerre d’irak

    et sans vouloir etre plus gauliste que de gaulle, LE ROYAUME UNI NE DOIT PAS ETRE DANS L EUROPE.

    donc,ensuite les pays entrant dans cette union franco allemande,la politique etrangere et l’armée passe sous commandement franco allemand,les nouveaux pays participent aux prises des décisions mais en la décision appartient aux franco allemand( nous donnerions l’arme atomique au allemand,en gage de bonne fois)

    je suis sure qu’ensuite l’italie l’espagne et tous les autres suivront aussi.

    et la l’europe sera independante, forte et uni

     


  • gossip 14 juin 2008 13:07
    xLen>fr Googlec
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    Dans le même ordre d’idée : "le vote citoyen nous emmerde", j’ai relevé ceci dans une dépêche de l’AFP : 

     

    "La situation devrait amener la présidence française à tirer les leçons du non irlandais, estime Sylvie Goulard, présidente du Mouvement européen France, selon laquelle toute consultation future de ce type devrait se faire "avec une sanction à la clé en cas de non".

     

     

     


  • mandrier 14 juin 2008 14:17

    cette "commission", désavouée par les Peuples Français, Hollandais, et Irlandais, doit se démettre au plus vite...

    Ces commissaires sont dangereux pour les Peuples et vont nous mener à l’aventure.

    Ces commissaires imbus d’eux-mêmes ne representent en fait qu’eux mêmes...

    S’ils persistent ils vont provoquer la guerre en Europe.


  • Francis Francis 14 juin 2008 15:11

    Mouais, en même temps c’est Le figaro, quand on appartient à un marchand d’armes qui a objectivement intérêt à ce que l’Europe du traité de Lisbonne se fasse, il ne faut pas en attendre beaucoup non plus ...


  • leréveur 14 juin 2008 16:27

    Monsieur Harel est d’ordinaire plus perspicace : vraiment vous découvrez Rousselin ??

    et est ce que vous découvrez aussi le nouveau Figaro façon Serge et Olivier Dassault ?

    ce canard est devenu le relai du journal officiel de Washington (des neocons) ; voyez les reportages sur le Moyen Orient ; à vomir

    ce Rousselin du parti répète ce que disent les bureaucrates du magma ; la démonstration est faite qu’ils ne pèsent plus rien, et leurs organes de propagande non plus


  • alceste 15 juin 2008 11:22

    @ Yannick Harrel,

    Vous avez mille fois raison de souligner par votre analyse le mépris souverain des patriciens éclairés pour la plèbe , ou la piétaille, à laquelle bon nombre d’entre nous appartiennent.

    Je crois que je vais attendre un moment pour lire les savantes analyses de M. Rousselin, étant donné que je sors de l’article de B. Dugué et surtout des commentaires que l’article a suscités : pour un nombre non négligeable de commentateurs le "non" irlandais témoigne soit de l’aveuglement du peuple manipulé par les extrêmistes, soit des courants les plus réactionnaires, soit encore d’une sorte de haine démagogique des élites.

    En un mot, quand un peuple a le mauvais goût de ne pas voter comme on le souhaite, il serait normal de se passer de son consentement, ce qui est une curieuse conception de la démocratie.


  • melanie 15 juin 2008 16:31

    Je ne crois pas que Rousselin dise autre chose que ce que Merkel, Sarkozy et notre ultraliberal de Baroso pensent et par ailleurs ont exprimé, même si Sarkozy , comme à son habitude , a prononcé un discours lénifiant sur la necessité d’analyser les raisons de ce non, discours uniquement destiné, comme pour tout le reste de sa politique ,à calmer le jeu , pour avoir les coudées franches et continuer sa politique en évacuant d’un geste agacé - quels emmerdeurs ces Irlandais - les manifestations qui n’iraient pas dans le sens de la stratégie décidée.

    Le vote des Irlandais est un incident de parcours, de toutes manières il était entendu que l’élargissement - à la Turquie puisque l’Europe a entériné la non-nécessité d’un referendum des peuples européens à l’entrée de la Turquie dans l’Europe- et l’ouverture de l’ Europe au grand marché Mondial et à la concurrence globalisée de tous contre tous pour le plus grand profits des lobbys et des transnationales allait se poursuivre.

    En clair, bien sûr que l’Irlande votait pour du beurre , comme - et ce parallèle n’est pas si anodin que cela- les partenaires sociaux en France votaient sur les 35 Heures...pour du beurre.

    La Démocratie  ???

    Ce n’est qu’un hochet qu’on agite régulièrement dans les discours pour calmer le jeux et mieux faire passer la pillule du reste...Une vaseline comme beaucoup de jolis mots du vocabulaire ancien à l’ ultralibéralisme : Sécurité- sociale ou privée -assurance- chômage - , retraite- complémantaire par capitalisation... !! - droits -des salariés à accepter un licenciement à l’amiable-, ce sont des mots qu’on utilise encore un peu, jusqu’à leur disparition car obsolètes...mais je m’égare.


  • Blé 16 juin 2008 09:00

    Qui a intérêt à ce que l’Europe reste un espace économique et ne devienne pas une puissance capable de faire face aux pays émergeants ?

    Un pays européen seul ne fait pas le poids face à l’Inde ou à la Chine mais à 27 les choses ne se présentent plus de la même façon. Pour ma part, je suis contre l’Europe des rentiers et du cac 40, de la concurence et du rendement à tout crin mais j’ai l’impression que pour le moment c’est cette Europe là qui gagne.

    Ne serait-il pas possible de faire voter tous les citoyens de l’Europe des 27 le même jour sur des projets valables pour tous ? Ceux qui gouvernent réellement le monde sont en dehors de toute décision "démocratique" en Europe ou ailleurs, ils n’ont pas besoin de démocratie.

     


  • frédéric lyon 16 juin 2008 16:14

    De Fonzibrain :

    "................le coeur de l’europe doit etre le centre géographique,le couple franco -allemand.

    je me demande même si,étant donné le blocage euopéen,la france et l’allemagne ne devrai pas fusionner .

    ......................et sans vouloir etre plus gauliste que de gaulle, LE ROYAUME UNI NE DOIT PAS ETRE DANS L EUROPE.

    ......................................

    C’est l’Europe de 1940 à 1944, que Fonzibrain ressuscite sous nos yeux !!!!!

    Une Allemagne et une France "fusionnée" et l’Angleterre envoyée aux pelotes !!

    Ce n’est pas précisemment l’Europe du Général de Gaulle, réfugié à Londres pendant la guerre, mais c’est plutôt l’Europe d’Adolf Hitler !!

    Sacré Fonzibrain !! Heil Hitler !!

     


  • phiconvers phiconvers 16 juin 2008 21:40

    La publication de cet article m’ayant été refusée par les gardiens du temple agoravoxien, le voici !

     

    Message à l’Européen de 60 ans : « Tu appartiens à une génération qui s’est bercée dans l’illusion que l’Europe était la solution miracle. L’Europe tampon, l’Europe qui engraisse, l’Europe qui invente ce que les nations n’arrivent pas à trouver, l’Europe qui montre ses biscotos, enfin, aux puissances archaïques ! En fait de construction géniale, nous avons récolté un nain militaire, gras de ses juristes doctrinaires et de sa haine des nations, ces vieilles constructions des dizaines de générations précédentes qui, comme chacun sait, étaient beaucoup plus bêtes que la vôtre.


    L’Europe de 2008, c’est une erreur initiale de gens de bonne volonté traitée aux hormones des baby-boomers matérialistes, jouisseurs et décadents.

    Alors, il faut que toi et tous ceux qui insultent les Irlandais après avoir subverti la volonté des peuples se mettent dans la tête qu’on n’achète pas la souveraineté à coups de subvention. L’Irlande a empoché et vous emmerde. Elle a bien raison. »

     

    Pourquoi l’Europe est dans l’impasse.

     

    Dans des temps normaux, une personne qui répondrait complètement à cette question s’enrichirait rapidement, son opus s’arrachant à prix d’or dans les chancelleries et dans les couloirs impersonnels des cubes de verre et béton qui donnent à Bruxelles l’impression qu’elle est une capitale internationale. En ces lendemains de claque irlandaise bien sentie, il ne faut pourtant avoir aucune illusion, l’ordinateur de nos « zélites » est verrouillé et leurs oreilles bien remplies de cérumen pilé.

     

    Pas la peine donc, de s’acharner à être complet. Voici simplement quelques raisons que j’identifie et qui demeurent, depuis l’éveil de ma conscience politique, quand on nous vendait Mastricht avec des trémolos dans la voix :

    - L’Europe associe des nations solides, à la puissance relative déclinante (le Royaume-Uni et la France), des petits pays qui n’ont jamais eu de puissance et qui n’en rêvent point et des nations contestées à l’intérieur ou émasculées par l’histoire (Espagne ou Belgique pour la première catégorie, Allemagne pour la seconde) ;

    - Par un curieux concours de circonstance, les mythiques pères fondateurs, des hommes ayant pris leurs traumatismes personnels consécutifs à la guerre comme une raison suffisante pour abolir l’ordre ancien, ont réuni autour de leur chimère des intérêts différents mais momentanément convergents : celui de De Gaulle, fossoyeur de l’Empire français au nom d’un France petite mais puissante, celui d’une Allemagne souhaitant échapper à l’opprobre frappant ce pays à l’origine de trois guerres en moins d’un siècle, celui d’une Hollande marchande et mercenaire, celui d’une Belgique se haïssant, celui de l’improbable mais très banquier Luxembourg et, enfin, celui d’une Italie n’en pouvait mais de son interminable décadence.

    - Par la suite, se sont agglomérés sur cette improbable molécule 21 Etats supplémentaires, attirés par l’opulence qui doit sans doute plus à la conjoncture et aux (beaux) restes de l’Histoire qu’au génie des institutions européennes. Chacun de ces 21 Etats a une histoire propre et des motivations particulières. Certains coïncident avec de vieilles nations déterminées par leur propre culture, leur environnement et leur volonté collective.

    - L’un des avatars de la démocratie en Europe est la nécessité du mouvement perpétuel ou, plutôt, de la sensation de ce mouvement. Il faut aller de rupture en rupture, d’initiative en initiative, faire des lois, des règlements, innover. Cette caractéristique est bien connue des Français, ces derniers mois. Et d’ailleurs, moins les idées sont nombreuses et innovantes, plus la frénésie doit couvrir la réalité. C’est ainsi que l’Europe n’échappe pas à cette dictature du mouvement. Nous avons eu une zone de libre-échange puis une union douanière, mais c’était faire preuve d’une hallucinante naïveté que de penser que les responsables politiques sauraient en tirer les bénéfices sans vouloir pondre une nouvelle étape chaque jour. A cet égard, les « pères fondateurs », eux, avaient fait preuve d’une diabolique prescience.

    - Nous voilà donc avec une Europe politique sur les bras, larguée par un mélange harmonieux d’enfants de la guerre mondiale, de repentants post-coloniaux, de baby-boomers sans repères, sans valeurs et sans enfants et d’élites biberonnées au lait tiède de l’universalisme confortable. Nous y sommes encore.

     

    SAUF QUE…

    - pendant que nous dépensons les derniers deniers de la prospérité construite en mille ans, une vaste partie du monde crève plus ou moins la dalle et que, sur ces terres, l’Europe ne suscite guère plus de pitié que les autres puissances qui, elles, se protègent et avancent, immoralement peut-être, mais non sans une certaine efficacité ;

    - notre idée post-nationale prétendument géniale n’intéresse guère le reste de l’Humanité (merci de vous abstenir de me parler du Mercosur, de l’ALENA ou de l’ASEAN…) ;

    - nous parlons plus de vingt langues différentes et que nous avons une histoire différente. Cela ne nous condamne pas à la guerre ou à l’absence de coopération, mais cela ne s’effacera pas avec Erasmus (et c’est tant mieux, soit dit en passant, j’aurais horreur de me sentir dans mon pays quand je prends la peine d’aller en Espagne, en Italie ou en Angleterre !) ;

    - nos voisins ont des motivations très différentes de celles qui ont présidé à « notre » choix européen : certains sont européens parce qu’ils veulent démanteler l’Etat central, vécu comme une contrainte (et cela n’a pas toujours grand-chose à voir avec les politiques libérales ou socialistes dudit Etat) : c’est typiquement le cas de l’Espagne, où les communautés autonomes voient en Bruxelles l’allié objectif contre Madrid ; d’autres voient l’Europe, à juste titre, comme un formidable accélérateur de mondialisation : c’est le cas des nations marchandes de la péninsule européenne, d’autres encore espèrent naïvement que l’Europe les protègera de la vieille nation de tutelle (même s’ils ont quand même la lucidité de privilégier l’OTAN) : welcome Pologne, Estonie & co. Restent enfin la France et l’Allemagne. La première a cru que l’Europe serait un démultiplicateur de sa puissance, un empire de substitution après l’aventure coloniale. L’Allemagne, de son côté, a vu l’Europe comme un investissement. Elle a (beaucoup mis à la caisse) et pense que le moment est venu d’encaisser les dividendes. Et elle le fait. Je suis frappé par l’affirmation allemande depuis la guerre des Balkans. Berlin n’est plus disposé à laisser le leadership diplomatique continental à Paris, ce qui était le deal initial. Avez-vous vu comme nous devons céder sur à peu près tous les sujets avec la mère Merkel. Quel est, dans cette Europe fidèle à la loi de la spécialisation, l’avantage comparatif de la France ???

     

    ALORS, de ce qui précède, je tire les conclusions suivantes :

    - notre destin nous appartient : nous sommes condamnés à sombrer ou à continuer comme la vieille nation que nous sommes ; il ne faut compter ni sur Madrid, ni sur Bruxelles, ni sur Berlin ni (évidemment !) sur Londres pour nous sortir de l’ornière ;

    - nous avons bien sûr vocation à coopérer étroitement avec nos voisins, sur notre petit sous-continent européen, mais nous avons parfois des intérêts divergents et nous serions bêtes de ne pas défendre les nôtres ;

    - la France ne sera sans doute plus jamais ce qu’elle fût au XVIIe s. ou, même, en 1914, la première puissance mondiale. La bonne nouvelle est que ce n’est pas grave ! Nombre de « petits » pays sont très heureux de leur situation et ne cherchent pas à faire nombre pour pouvoir enfler leurs jabots.

    - Petits que nous sommes, nous conservons une position objective extrêmement privilégiée, qu’il faut s’attacher à maintenir et conforter.

    - C’est en nous et chez nous que nous trouverons les clés de l’avenir. C’est difficile, mais nous n’avons pas le choix.

     

    C’est ce à quoi je m’attelle. Et je vous promets que quand je prends le RER ou que j’ouvre la télé, je doute. Pas longtemps, heureusement !

     


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