samedi 18 janvier - par Régis DESMARAIS

L’urbanisme discrétionnaire sans égards pour les citoyens : l’exemple de Décines-Charpieu

La gestion cohérente de l’urbanisme n’est pas une évidence dans la commune de Décines-Charpieu dont le maire est Mme Laurence Fautra depuis 2018. Deux exemples récents dans cette commune témoignent de certains errements urbanistiques préjudiciables aux citoyens alors même que ces derniers sont souvent confrontés à une pénurie de logements.

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La colère jusqu’au tombeau

Il y a quelques années, mais cela est peut-être toujours d’actualité, les visiteurs du vieux cimetière de Décines-Charpieu pouvaient faire une rencontre surprenante avec une tombe singulière : ni croix, ni christ, ni autres signes religieux, ni fleurs mais sur le caveau, un immense panneau, posé à plat, sur lequel était écrit un manifeste d’outre-tombe. Ce manifeste, ce cri, par delà les ténèbres, rappelait aux vivants la spoliation dont ont été victimes les défunts reposant dans le caveau. Le passant pouvait ainsi apprendre que cette famille d’agriculteurs se déclarait volé par un système qui avait permis la vente à bas prix de leurs terres agricoles, au profit d’un aménageur qui bénéficia du miracle d’un reclassement de ces terres en terrains constructibles. Le maire de l’époque était notamment visé dans cette dénonciation post-mortem. La rancœur et le sentiment d’avoir été spoliés étaient si grands que même de leur tombe les victimes hurlaient leur dégout.

La spoliation des propriétaires terriens victimes des classements volatiles des plans d’occupation des sols est hélas une chose courante. Si un maire sincère peut déclarer qu’il ne peut pas s’opposer à un permis de construire dès lors que ce dernier respecte les dispositions légales et réglementaires applicables, force est de constater que de nombreux élus croient qu’ils peuvent accorder ou refuser les permis de construire selon leur humeur et peut-être leurs intérêts. La méthode, très peu républicaine, s’inscrit dans une tendance lourde de l’être humain qui, doté d’un pouvoir, est tenté d’en user de façon très discrétionnaire.

La commune de Décines-Charpieu semble avoir une critiquable tradition d’un usage discrétionnaire de l’octroi des permis de construire et une tendance douteuse de laisser classer des terrains sur la base de motifs erronés. Deux exemples puisés dans cette commune illustrent ce qu’il faut bien appeler certaines dérives détestables des politiques d'urbanisme en général :

Le promoteur à qui on refuse un permis de construire sans raisons juridiques sérieuses

Le premier exemple concerne un promoteur qui, le 20 mai 2022, s’est vu refuser un permis de construire pour des logements sur la base de motifs reposant sur le non respect des règles de hauteur des constructions envisagées et l’absence d’harmonisation de ces dernières avec les constructions environnantes. Le 11 mai 2023, le tribunal administratif de Lyon (2204866) a balayé ces arguments en constatant que la commune avait fait une erreur d’appréciation de ce qui lui avait été soumis puisque contrairement à ce que soutenait la commune le gabarit du projet refusé était similaire à celui des constructions environnantes et la hauteur des constructions en conformité avec les règles d’urbanisme. La commune méconnaitrait-elle la réalité du terrain ? L’affaire a toutefois été portée en appel par la commune mécontente de la leçon donnée par le tribunal. Le 7 novembre 2023, la cour administrative d’appel de Lyon (23LY02260 et 23LY02486) a donné tort à la commune en reprenant l’exacte motivation du tribunal. En appel, la commune a essuyé un camouflet. Cela ne lui a pas servi de leçon car elle a décidé d’aller en cassation. Hélas pour le contribuable Décinois, la commune n’avait pas un seul moyen solide, pas un seul argumentaire juridique qui tenait la route. Le 21 mai 2024, le Conseil d’Etat, face à cette indigence, a été dans l’obligation de ne même pas pouvoir admettre ce pourvoi ! Tout cela aura couté aux contribuables 8 750 euros en frais reversés au promoteur lésé auxquels se sont rajoutés les émoluments des avocats, et aux personnes qui cherchent à se loger, 66 logements en habitat collectif non construits dans les temps.

L’erreur d’appréciation des services d’urbanisme de la commune ou des élus est possible mais peut-on parler d’erreur quand la procédure contentieuse leur donne tort devant le tribunal administratif, puis devant la cour administrative d’appel, pour enfin finir déboutés par le Conseil d’Etat ? Peut-on parler d’erreur quand on observe des motifs irrationnels de classement de terrains sur les documents d’urbanisme ?

Une zone de transition imaginaire sauf dans le PLU-H

L’autre exemple concerne le projet de classement ubuesque de terrains situés rue de la République (Décines-Charpieu) dans le cadre de la quatrième modification du Plan Local d’Urbanisme et de l’Habitat (PLU-H) de la métropole de Lyon. Cette rue fait l’objet depuis quelques années d’une restructuration : l’habitat ancien, et il faut bien le dire non remarquable, est détruit pour laisser place à des immeubles de logements, pour la plupart hélas tout aussi peu remarquables. Cette rue conduit vers l’ancien bourg de Charpieu où se trouvent l’église, l’ancienne mairie et quelques vieilles bâtisses anciennes mais hélas peu remarquables elles aussi. Aujourd’hui, cette rue est quasiment bordée d’immeubles pour la plupart en R+3 (3 étages) ou plus. Les immeubles disparaissent après le 111 et le 94 de la rue pour laisser place à une zone de transition vers le bourg de Charpieu. C’est dans ce cadre que des élus ont inventé un concept nouveau et novateur : la transition urbanistique entre deux points identiques. En général, en urbanisme, on parle de dent creuse ; à Décines, on parle de zone de transition, c’est plus chic. Ainsi, toute la zone située entre le 71 et le 81 de la rue va être classée, en zone HBCP10, c'est-à-dire une zone où ne pourront être construits que des immeubles en R+2 (2 étages maximum) et sur une bande de profondeur de 20 mètres à partir de la voirie alors même que sur une bande de 70 mètres de profondeur des villas auraient pu être construites. En clair, la viabilité économique des projets d’aménagement est tellement limitée que les constructeurs, les uns après les autres, jettent l’éponge. Par ailleurs, et c’est presque comique, on constate que cette obligation de construire en R+2 constitue une rupture avec les constructions en R+3 qui bordent cette zone et donc une absence d’harmonisation avec les constructions environnantes…. ce qui était le grief même de la commune envers l’aménageur dans le premier exemple. La commune reprochait ainsi à cet aménageur ce qu’elle-même crée en laissant modifier le classement des terrains en zone HBCP10 ! Si vous cherchez la cohérence, vous ne la trouverez pas. L’impossibilité de construire un habitat aux normes dans le cadre d’un projet économiquement viable est regrettable alors même que la métropole de Lyon souffre d’un déficit de logements.

Selon des élus dont on peut se demander s’ils connaissent le territoire qu’ils administrent, la zone située entre le 71 et le 81 de la rue assure une transition vers le bourg de Charpieu. Factuellement, c’est faux, c’est une appréciation erronée des faits et donc le même travers qui a valu à la commune de perdre devant la juridiction administrative dans l’exemple précédent. En effet, la zone reclassée est située entre des immeubles R+3 et parfois R+4 et R+8. Or le principe d’une transition entre un point A et un point B est d’assurer un passage doux entre deux points aux caractéristiques différentes. Tout le monde peut le voir sur Google Maps, la portion de territoire située entre le 71 et le 81 de la rue de la République est précédée et suivie d’immeubles majoritairement R+3. Il n’y a donc aucune transition urbaine possible en ces lieux puisque du 69 rue de la République au 97 de cette rue nous passons de R+3 à … R+3 ! Une transition urbaine s’effectue effectivement vers le bourg de Charpieu mais elle s’effectue après le 111 rue de la République et pas avant. La motivation de cette modification du PLU-H est dont erronée car sans lien avec la réalité.

Des conséquences fâcheuses pour les citoyens

Cette reconstruction du réel est typique d’un mépris envers ceux qui vivent dans le réel. En regardant l’habitat situé entre le 71 et le 81 de la rue en cause, nous découvrons un habitat ancien, vétuste et on le devine aisément, classé en G en matière de déperdition énergétique. Cet habitat est donc constitué, aux yeux de la loi, de « passoires énergivores ». Le coût de remise aux normes de ces bâtisses est prohibitif et souvent trop élevé pour des particuliers. La seule solution est la démolition et la reconstruction, si possible remarquable. Or, ce classement inadapté des terrains rend cette zone économiquement non rentable pour les aménageurs. La conséquence de ce choix des élus est donc de créer une zone en dérive urbaine, non aménageable, vouée à la décrépitude, une friche en devenir avec tous les désagréments que l’on peut imaginer pour l’environnement. Bien entendu, les personnes résidant dans cette zone improprement classée sont superbement ignorées par la municipalité.

La conséquence de ce classement est dramatique du point de vue de la politique du logement et de l’aménagement qualitatif du territoire mais elle serait brillante s’il s’agissait de constituer une réserve foncière pour l’avenir. Bien entendu, l’idée de constituer une telle réserve en rendant économiquement non viable un aménagement est impossible à concevoir car ce serait une méthode sournoise et méprisante pour les personnes en besoin de logements. Certes, une tombe du cimetière de Décines-Charpieu nous a rappelé que ce mépris et ce cynisme pouvaient exister …

En 2026, lors des élections municipales, la question du respect des règles de l’urbanisme et de leur usage pour le bien de tous devra sans aucun doute être un élément du débat pour savoir si les élus sont aptes à se saisir d’outils, certes complexes, mais nécessaires pour répondre aux besoins d’un habitat digne et disponible pour ceux qui cherchent à se loger.



11 réactions


  • Com une outre 18 janvier 19:55

    Réserve foncière ou spéculation sur les terrains disponibles ? Surtout qu’avec la politique « écologique » de la ville de Lyon, les lyonnais s’intéressent de plus en plus aux proches banlieues où on a encore le droit d’avoir une voiture.


  • Régis DESMARAIS Régis DESMARAIS 18 janvier 20:15

    Bonsoir, il faut bien avouer que ce droit est de plus en plus raboter. Ayant eu plusieurs contacts avec des aménageurs avant de rédiger cet article, j’ai appris qu’il est de plus en plus demandé de réduire le nombre de place de parking par immeuble construit.. pour inciter l’usage de modes doux de transport. Les obstacles à l’usage de la voiture sont de plus en plus insidieux, et les prescriptions en matière de végétalisation des projets de construction sont de plus en plus importantes pour limiter l’espace des parking. A Décines-Charpieu, des milliers de mètres carrés sont transformés de facto en friche pour limiter l’habitat alors même que le besoin est important dans la métropole de Lyon.


    • Com une outre 19 janvier 08:50

      @Régis DESMARAIS
      Cette politique anti-voitures pousse les gens à déserter les métropoles au profit des zones peri-urbaines et rurales, entrainant une bétonisation des sols et une baisse des terres cultivables. Où est l’intérêt écologique, prétexte des mairies écologistes aux politiques menées ? Il est vrai qu’à Lyon, on fabrique 1,5 hectares de forêt en pleine Part-Dieu pour se donner bonne conscience. De qui se moque-t-on ?


  • Jason Jason 19 janvier 10:26

    Bonjour,

    Les maires ne renseignent que très rarement les habitants sur les plans d’aménagement de leur commune. Soit dit en passant, le terme d’urbanisme (urba = ville) ne s’applique que pour l’aménagement de l’espace des villes. Il faudrait dire pour les campagnes, plan d’aménagement des espaces ruraux. Mais, bon.


    Un PLUI (Plan Local d’Urbanisme Intercommunal) regroupant 8 ou 9 communes, établi sur une période de 7 ans et qui a coûté 350000 € n’a fait l’objet d’une présentation au public que lorsqu’il a été réalisé dans sa version quasi-finale. Car après adoption par l’intercommunalité, les habitants ont 2 mois pour faire valoir leurs réclamation. Et c’est au bon vouloir d’une commission Lambda de satisfaire leurs demandes. C’est tout dire. C’est la procédure. Et il ne tient qu ’au bon vouloir des maires d’en parler avant ou pas. Entre temps, tout se passe a huis-clos.


    Pour ce qui est des volets paysagers, il n’y a aucune discussion. Et on se retrouve avec des lotissements de 12, 15 et plus, maisons, avec des cahiers des charges draconiens, écrits d’avance. Que ça plaise ou non, c’est comme ça.


    Par un coup de baguette magique, pour des terrains diffus, un champ de patates d’un hectare qui vaut 4000 €, lorsqu’il devient constructible et divisé en 5 parcelles de 2000 m² à 40000€ pièce, passe de 4000 € à 200000 €, et c’est considéré comme prix moyen. On peut imaginer les intrigues, les combines et dessous de tables derrière une telle opération !


    La densité d’occupation se calcule au nombre d’habitants par hectare (comme pour l’élevage) ou le nombre de maisons par hectare.


    Mais personne ne corrigera ces injustices, car le public n’en sait rien et les élus ne veulent pas changer ces pouvoirs ancrés dans des procédures scandaleuses.


  • Régis DESMARAIS Régis DESMARAIS 20 janvier 10:31

    En complément de mon article, je tiens à préciser que la modification n°4 du PLU-H de la métropole de Lyon a été approuvé par le conseil communautaire le 16 décembre 2024 par délibération n°2024-2596 dont il est impératif de consulter son annexe qui fait état, commune par commune, des changements opérés. Cette modification n’a pas retenu la proposition de changement de zonage des terrains situés entre le 81 et le 97 de la rue de la République contre la volonté de la ville d’abaisser les hauteurs de construction de façon totalement déraisonnable. La commune de Décines ayant sur ce point adopté le 28 mars 2024 une délibération désapprouvant la volonté de la métropole de ne pas abaisser les hauteurs de construction (délibération municipale n°24.03.28.12).

    L’adoption de la modification n°4 du PLU-H de la métropole de Lyon est donc un désaveux de ce que souhaite la ville de Décines. 

    Récemment Lyon Mag se faisait l’écho sur les soupçons de prise illégale d’intérêts concernant le maire de Décines, Mme Fautra. Dans cet article est évoqué un lien avec Vinci qui n’est autre que l’aménageur qui semble avoir les faveurs de la commune pour aménager la rue de la République et qui ne pourrait que se féliciter de voir se constituer une réserve foncière de fait pour des aménagements futurs.

    On le voit, l’abaissement des hauteurs de construction entre le 81 et 97 de cette rue pourrait être une boîte de Pandore fatale pour la municipalité si des liens étaient tracés entre les différents protagonistes. En l’état, la métropole de Lyon semble avoir fait jouer l’intérêt des personnes en recherche de logements en maintenant la constructibilité en R+3 de la zone située entre le 81et 97 de la rue de la République et en ajoutant même, pour toute la métropole, un bonus de constructibilité de +20% dans la limite d’un étage supplémentaire, pour toutes les constructions vertueuses... appréciation assez subjective et source de débats et de contentieux.

    Enfin pour les lecteurs s’affolant des constructions inhumaines par leur côté massif, précisons que le R+3 est une hauteur moyenne et de taille humaine. On est loin des R+8... 


    • Régis DESMARAIS Régis DESMARAIS 20 janvier 13:19

      Une coquille dans le texte : lire entre le 71 et le 97 et non entre le 81 et le 97.
      @Régis DESMARAIS


    • Régis DESMARAIS Régis DESMARAIS 24 janvier 16:40

      @Régis DESMARAIS
      La nouvelle version du PLU-H de Lyon vient d’être mise en ligne sur le site du Grand Lyon et oh surprise, la modification aberrante de limitation de hauteur des constructions à 10 mètres a bien été ajoutée dans le PLU-H.... alors que la délibération et son annexe n’en parlent pas. Le Grand Lyon a été interrogé pour savoir quel texte avait modifié le PLU-H dès lors que les textes supports de la modification 4 de ce PLU-H ne comportent pas mention de cette diminution des hauteurs de façade. A suivre....


  • Régis DESMARAIS Régis DESMARAIS 20 janvier 10:35

    Autre complément à mon article : je vois que la dénonciation de l’instrumentalisation des règles d’urbanisme et la non prise en compte des intérêts des personnes en recherche de logements dignes suscitent des avis négatifs au regard de la notation de l’article. C’est hélas la tendance de notre époque, ce qui va mal et va à l’encontre des citoyens ne doit pas être évoqué pour quelques personnes actives sur internet. Cela en est presque caricatural...


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