L’urbanisme discrétionnaire sans égards pour les citoyens : l’exemple de Décines-Charpieu
La gestion cohérente de l’urbanisme n’est pas une évidence dans la commune de Décines-Charpieu dont le maire est Mme Laurence Fautra depuis 2018. Deux exemples récents dans cette commune témoignent de certains errements urbanistiques préjudiciables aux citoyens alors même que ces derniers sont souvent confrontés à une pénurie de logements.
La colère jusqu’au tombeau
Il y a quelques années, mais cela est peut-être toujours d’actualité, les visiteurs du vieux cimetière de Décines-Charpieu pouvaient faire une rencontre surprenante avec une tombe singulière : ni croix, ni christ, ni autres signes religieux, ni fleurs mais sur le caveau, un immense panneau, posé à plat, sur lequel était écrit un manifeste d’outre-tombe. Ce manifeste, ce cri, par delà les ténèbres, rappelait aux vivants la spoliation dont ont été victimes les défunts reposant dans le caveau. Le passant pouvait ainsi apprendre que cette famille d’agriculteurs se déclarait volé par un système qui avait permis la vente à bas prix de leurs terres agricoles, au profit d’un aménageur qui bénéficia du miracle d’un reclassement de ces terres en terrains constructibles. Le maire de l’époque était notamment visé dans cette dénonciation post-mortem. La rancœur et le sentiment d’avoir été spoliés étaient si grands que même de leur tombe les victimes hurlaient leur dégout.
La spoliation des propriétaires terriens victimes des classements volatiles des plans d’occupation des sols est hélas une chose courante. Si un maire sincère peut déclarer qu’il ne peut pas s’opposer à un permis de construire dès lors que ce dernier respecte les dispositions légales et réglementaires applicables, force est de constater que de nombreux élus croient qu’ils peuvent accorder ou refuser les permis de construire selon leur humeur et peut-être leurs intérêts. La méthode, très peu républicaine, s’inscrit dans une tendance lourde de l’être humain qui, doté d’un pouvoir, est tenté d’en user de façon très discrétionnaire.
La commune de Décines-Charpieu semble avoir une critiquable tradition d’un usage discrétionnaire de l’octroi des permis de construire et une tendance douteuse de laisser classer des terrains sur la base de motifs erronés. Deux exemples puisés dans cette commune illustrent ce qu’il faut bien appeler certaines dérives détestables des politiques d'urbanisme en général :
Le promoteur à qui on refuse un permis de construire sans raisons juridiques sérieuses
Le premier exemple concerne un promoteur qui, le 20 mai 2022, s’est vu refuser un permis de construire pour des logements sur la base de motifs reposant sur le non respect des règles de hauteur des constructions envisagées et l’absence d’harmonisation de ces dernières avec les constructions environnantes. Le 11 mai 2023, le tribunal administratif de Lyon (2204866) a balayé ces arguments en constatant que la commune avait fait une erreur d’appréciation de ce qui lui avait été soumis puisque contrairement à ce que soutenait la commune le gabarit du projet refusé était similaire à celui des constructions environnantes et la hauteur des constructions en conformité avec les règles d’urbanisme. La commune méconnaitrait-elle la réalité du terrain ? L’affaire a toutefois été portée en appel par la commune mécontente de la leçon donnée par le tribunal. Le 7 novembre 2023, la cour administrative d’appel de Lyon (23LY02260 et 23LY02486) a donné tort à la commune en reprenant l’exacte motivation du tribunal. En appel, la commune a essuyé un camouflet. Cela ne lui a pas servi de leçon car elle a décidé d’aller en cassation. Hélas pour le contribuable Décinois, la commune n’avait pas un seul moyen solide, pas un seul argumentaire juridique qui tenait la route. Le 21 mai 2024, le Conseil d’Etat, face à cette indigence, a été dans l’obligation de ne même pas pouvoir admettre ce pourvoi ! Tout cela aura couté aux contribuables 8 750 euros en frais reversés au promoteur lésé auxquels se sont rajoutés les émoluments des avocats, et aux personnes qui cherchent à se loger, 66 logements en habitat collectif non construits dans les temps.
L’erreur d’appréciation des services d’urbanisme de la commune ou des élus est possible mais peut-on parler d’erreur quand la procédure contentieuse leur donne tort devant le tribunal administratif, puis devant la cour administrative d’appel, pour enfin finir déboutés par le Conseil d’Etat ? Peut-on parler d’erreur quand on observe des motifs irrationnels de classement de terrains sur les documents d’urbanisme ?
Une zone de transition imaginaire sauf dans le PLU-H
L’autre exemple concerne le projet de classement ubuesque de terrains situés rue de la République (Décines-Charpieu) dans le cadre de la quatrième modification du Plan Local d’Urbanisme et de l’Habitat (PLU-H) de la métropole de Lyon. Cette rue fait l’objet depuis quelques années d’une restructuration : l’habitat ancien, et il faut bien le dire non remarquable, est détruit pour laisser place à des immeubles de logements, pour la plupart hélas tout aussi peu remarquables. Cette rue conduit vers l’ancien bourg de Charpieu où se trouvent l’église, l’ancienne mairie et quelques vieilles bâtisses anciennes mais hélas peu remarquables elles aussi. Aujourd’hui, cette rue est quasiment bordée d’immeubles pour la plupart en R+3 (3 étages) ou plus. Les immeubles disparaissent après le 111 et le 94 de la rue pour laisser place à une zone de transition vers le bourg de Charpieu. C’est dans ce cadre que des élus ont inventé un concept nouveau et novateur : la transition urbanistique entre deux points identiques. En général, en urbanisme, on parle de dent creuse ; à Décines, on parle de zone de transition, c’est plus chic. Ainsi, toute la zone située entre le 71 et le 81 de la rue va être classée, en zone HBCP10, c'est-à-dire une zone où ne pourront être construits que des immeubles en R+2 (2 étages maximum) et sur une bande de profondeur de 20 mètres à partir de la voirie alors même que sur une bande de 70 mètres de profondeur des villas auraient pu être construites. En clair, la viabilité économique des projets d’aménagement est tellement limitée que les constructeurs, les uns après les autres, jettent l’éponge. Par ailleurs, et c’est presque comique, on constate que cette obligation de construire en R+2 constitue une rupture avec les constructions en R+3 qui bordent cette zone et donc une absence d’harmonisation avec les constructions environnantes…. ce qui était le grief même de la commune envers l’aménageur dans le premier exemple. La commune reprochait ainsi à cet aménageur ce qu’elle-même crée en laissant modifier le classement des terrains en zone HBCP10 ! Si vous cherchez la cohérence, vous ne la trouverez pas. L’impossibilité de construire un habitat aux normes dans le cadre d’un projet économiquement viable est regrettable alors même que la métropole de Lyon souffre d’un déficit de logements.
Selon des élus dont on peut se demander s’ils connaissent le territoire qu’ils administrent, la zone située entre le 71 et le 81 de la rue assure une transition vers le bourg de Charpieu. Factuellement, c’est faux, c’est une appréciation erronée des faits et donc le même travers qui a valu à la commune de perdre devant la juridiction administrative dans l’exemple précédent. En effet, la zone reclassée est située entre des immeubles R+3 et parfois R+4 et R+8. Or le principe d’une transition entre un point A et un point B est d’assurer un passage doux entre deux points aux caractéristiques différentes. Tout le monde peut le voir sur Google Maps, la portion de territoire située entre le 71 et le 81 de la rue de la République est précédée et suivie d’immeubles majoritairement R+3. Il n’y a donc aucune transition urbaine possible en ces lieux puisque du 69 rue de la République au 97 de cette rue nous passons de R+3 à … R+3 ! Une transition urbaine s’effectue effectivement vers le bourg de Charpieu mais elle s’effectue après le 111 rue de la République et pas avant. La motivation de cette modification du PLU-H est dont erronée car sans lien avec la réalité.
Des conséquences fâcheuses pour les citoyens
Cette reconstruction du réel est typique d’un mépris envers ceux qui vivent dans le réel. En regardant l’habitat situé entre le 71 et le 81 de la rue en cause, nous découvrons un habitat ancien, vétuste et on le devine aisément, classé en G en matière de déperdition énergétique. Cet habitat est donc constitué, aux yeux de la loi, de « passoires énergivores ». Le coût de remise aux normes de ces bâtisses est prohibitif et souvent trop élevé pour des particuliers. La seule solution est la démolition et la reconstruction, si possible remarquable. Or, ce classement inadapté des terrains rend cette zone économiquement non rentable pour les aménageurs. La conséquence de ce choix des élus est donc de créer une zone en dérive urbaine, non aménageable, vouée à la décrépitude, une friche en devenir avec tous les désagréments que l’on peut imaginer pour l’environnement. Bien entendu, les personnes résidant dans cette zone improprement classée sont superbement ignorées par la municipalité.
La conséquence de ce classement est dramatique du point de vue de la politique du logement et de l’aménagement qualitatif du territoire mais elle serait brillante s’il s’agissait de constituer une réserve foncière pour l’avenir. Bien entendu, l’idée de constituer une telle réserve en rendant économiquement non viable un aménagement est impossible à concevoir car ce serait une méthode sournoise et méprisante pour les personnes en besoin de logements. Certes, une tombe du cimetière de Décines-Charpieu nous a rappelé que ce mépris et ce cynisme pouvaient exister …
En 2026, lors des élections municipales, la question du respect des règles de l’urbanisme et de leur usage pour le bien de tous devra sans aucun doute être un élément du débat pour savoir si les élus sont aptes à se saisir d’outils, certes complexes, mais nécessaires pour répondre aux besoins d’un habitat digne et disponible pour ceux qui cherchent à se loger.