samedi 9 septembre 2017 - par Stratediplo

La Catalogne a proclamé sa souveraineté

"Le peuple de Catalogne est un sujet politique souverain" (el poble de Catalunya és un subjecte polític sobirà), ainsi commence l'article 2 de la loi du referendum d'autodétermination ou loi 19/2017 (www.parlament.cat/document/bopc/232344.pdf) approuvée par le parlement catalan en sa 42° session plénière, le 6 septembre 2017, et entrée en vigueur dès sa publication officielle. L'article 3, qui énonce que la loi établit un régime juridique d'exception, édicte que parce qu'elle régule l'exercice d'un droit fondamental et inaliénable cette loi prévaut hiérarchiquement sur tout texte qui puisse entrer en conflit avec elle, ce qui sous-entend évidemment les lois espagnoles, le statut (constitution) de la communauté autonome de Catalogne et la constitution du royaume d'Espagne. Et l'article 4 oblige le parlement à déclarer formellement l'indépendance dans les deux jours suivant la proclamation des résultats du referendum, si les votes positifs l'emportent sur les votes négatifs.

Cette loi a été votée à la majorité absolue, et sans vote contre puisque les unionistes ont préféré s'abstenir en quittant l'hémicycle. Un peu avant minuit, dans les minutes suivant sa publication (électronique) au bulletin officiel du parlement, le gouvernement catalan a pris le décret 139/2017 de convocation du referendum, et le décret 140/2017 sur les règles complémentaires d'organisation. Le premier de ces décrets, consistant en un seul article, a été signé par tous les membres du gouvernement. Le deuxième décret, consistant en 108 pages, formulaires pour les bureaux électoraux et les observateurs internationaux inclus, a été signé simplement par le président et le vice-président.

Comme attendu, le lendemain jeudi le gouvernement espagnol a dénoncé la loi et les décrets au tribunal constitutionnel, qui a enregistré la requête ce qui, selon le cadre juridique espagnol, a automatiquement suspendu ces trois textes pour cinq mois, dans l'attente du jugement. Le tribunal constitutionnel, qui peut depuis une réforme de 2015 prendre lui-même des mesures pour imposer ses décisions, a informé jeudi après-midi de cette suspension conservatoire toutes les autorités concernées, dont évidemment le parlement et le gouvernement catalans mais aussi les 948 municipalités, pour leur interdire de collaborer à l'organisation dudit referendum. Dès le matin même le gouvernement catalan avait pris les devants en demandant aux municipalités de lui faire savoir sous quarante-huit heures les locaux qu'elles mettraient à sa disposition pour la tenue du referendum, ce qui lui permettra de compter réellement ses troupes samedi soir, et en particulier de connaître enfin la position de l'énigmatique maire de Barcelone, qui administre un cinquième de l'électorat de l'ancienne principauté. Mercredi soir c'est une députée de cette mouvance qui a spontanément retiré tous les drapeaux espagnols du parlement, mais le maire de Barcelone, qui avait déclaré jeudi sur Twitter avoir lancé le recensement des bureaux de vote pour répondre dans les délais, a fait interrompre ce recensement ce vendredi suite à la réaction judiciaire espagnole.

Selon le nouveau cadre juridique catalan établi par cette loi suprême à caractère exceptionnel, aucun texte espagnol, qu'il soit de nature constitutionnelle, législative et à plus forte raison judiciaire, ne peut avoir pour effet d'interdire l'exercice du droit fondamental et inaliénable (l'autodétermination) garanti par le droit international selon les textes dont certains sont cités en préambule de ladite loi, en particulier ceux signés et ratifiés par l'Espagne. La suspension de la loi et des décrets par la justice espagnole, l'interdiction faite aux municipalités, et l'éventuelle inhabilitation de responsables politiques sont donc sans effet aux yeux des autorités catalanes. Cela signifie d'une part que les politiciens catalans (hors les 10% de municipalités unionistes) n'interrompront pas la préparation du referendum, et d'autre part que la police catalane n'obéira à aucune réquisition judiciaire de les arrêter.

D'un point de vue international il faut noter que les députés catalans sont sortis du cadre constitutionnel espagnol. En effet lorsque l'opposition unioniste a demandé que le projet de loi soit présenté pour avis consultatif au conseil de garanties "statutaires" (constitutionnelles) de Catalogne, ce qui aurait retardé le vote d'un mois et donc fait dépasser la date du 1er octobre annoncée début juillet pour le referendum, les députés de la majorité indépendantiste ont refusé et sont passés au vote. Ce faisant, les séparatistes sont passés outre les règles de fonctionnement du parlement, ce que la Cour Internationale de Justice, en son fameux avis 2010/25, considère comme un élément important pour établir que de ce fait ils n'agissaient pas "dans les limites du cadre constitutionnel", que leur acte n'était pas destiné à prendre effet "dans le cadre de l’ordre juridique" antérieur, et que par conséquent ils n'ont "pas violé le cadre constitutionnel", en plus de n'avoir "violé aucune règle applicable du droit international", arguments fondamentaux dans sa très acclamée légitimation internationale de la déclaration d'indépendance de la diaspora albanaise de Serbie, en l'occurrence d'ailleurs sans referendum d'autodétermination populaire.

Afin de ne pas laisser dans l'esprit des électeurs le moindre doute concernant les conséquences irréversibles du referendum contraignant du 1er octobre, les partis indépendantistes ont ensuite, tôt ce vendredi 8 septembre, voté la loi de transition juridique et de fondation de la république ou loi 20/2017 (www.parlament.cat/document/bopc/232408.pdf), texte de nature constitutionnelle provisoire à entrée en vigueur différée et conditionnelle, en l'occurrence "une fois exécuté l'article 4.4 de la loi du referendum d'autodétermination", c'est-à-dire la déclaration formelle d'indépendance consécutive à la proclamation de la victoire du oui au referendum. Cette loi a également été votée à la majorité absolue, dans les mêmes conditions que la première, et sera elle aussi suspendue par le tribunal constitutionnel, sur requête espagnole. Comme on l'avait noté lorsque le projet de loi a été déposé, la "clause de déblocage" prévoyant son entrée en vigueur immédiate en cas de constatation par le parlement catalan de l'empêchement effectif de tenir le referendum, annoncée depuis deux ans et inclue dans les projets antérieurs, a disparu du dernier projet et donc de la loi votée, soit par souci de respectabilité internationale soit parce que les politiciens catalans ont compris que l'Etat espagnol ne peut plus empêcher la tenue du referendum (www.stratediplo.blogspot.com/2017/09/la-catalogne-enregistre-les-lois-de.html). Il est vrai aussi qu'en cas d'empêchement de la tenue du referendum, et puisque la loi de transition juridique et de fondation de la république permet expressément sa modification par majorité absolue, il reste possible d'en changer les conditions d'entrée en vigueur. Bien des indépendances, toutes celles d'Amérique par exemple, ont été proclamées plus sommairement, sans referendum (or la loi 20/2017 prévoit un referendum de ratification de la future constitution), par des autorités plus contestables et moins démocratiquement légitimes, et cependant reconnues par les pays tiers.

Sur la question de la future reconnaissance de l'indépendance de la Catalogne les grandes puissances ont jusqu'à présent préféré la retenue ("c'est une affaire intérieure") qui sied à la préservation du traité tacite de non-prolifération étatique que l'on a évoqué dans le rapport sur la sécession catalane la Neuvième Frontière (www.lulu.com/fr/shop/stratediplo/la-neuvième-frontière/paperback/product-23271364.html), mais depuis le 9 juin toute la presse mondiale présente comme à peu près certain qu'un referendum se tiendra le 1er octobre, et depuis ce jeudi 7 septembre la presse non espagnole se fait largement l'écho de l'approbation de la loi référendaire et des deux décrets, certes sans systématiquement exposer le conflit de légitimités qui la sous-tend. Par contre la presse espagnole de jeudi 7 arborait dans l'ensemble un ton d'incrédulité voire de stupeur. Pourtant elle est évidemment beaucoup plus au courant de la question et a suivi le feuilleton politico-judiciaire du printemps et de l'été, mais il semble que, sincèrement ou sur injonction gouvernementale, elle croyait au discours de déni du premier ministre espagnol et au voeu de silence du roi, et pensait que quelques menaces verbales et condamnations judiciaires suffiraient à interrompre le programme officiel et transparent des autorités catalanes. On dirait qu'à force d'arguments et de controverses sur le fond la presse espagnole en a oublié la lucidité nécessaire au suivi des actes concrets.

Ainsi, alors que le gouvernement espagnol présentait sans états d'âme ses dossiers préparés à l'avance au tribunal constitutionnel, une bonne partie de la population espagnole ignore encore que la Catalogne a, très explicitement, proclamé sa souveraineté dans la nuit du 6 ou 7 septembre.



10 réactions


  • baldis30 9 septembre 2017 09:29

    On recommence la guerre d’Espagne avec toujours la même nation étrangère en quête d’empire et de profits .. ... ?

    Pourtant à ma connaissance il n’y a pas de mercure ni de tungstène en Catalogne ... !

    Certes il y a du soleil pour faire bronzer les beaux blonds aux yeux bleus ...

     Quel leurre ....


  • Samy Levrai samy Levrai 9 septembre 2017 10:39

    Comment est ce que la catalogne compte rentrer dans l’UE ? il y a pourtant de fortes chances que l’Espagne ( et d’autres...) le refuse... cela sera drôle d’avoir des zones de non droit à l’interieur de « l’Union ».

    Vive le cataexit, vive le cataexit dure avec barbelés tout autour et longue vie à la destruction des nations pour le plus grand bien de l’Empire !


    • Abou Antoun Abou Antoun 9 septembre 2017 11:28

      @samy Levrai
      C’est bien le dépeçage des nations européennes (parfois millénaires) qui est au programme.
      Après la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie, c’est aujourd’hui le tour de l’Espagne avec la Catalogne, le Pays Basque, demain le Royaume Uni avec l’Écosse, après demain la France avec la sécession de la Région Parisienne, sorte de Kosovo pouvant s’ériger en République Islamique.
      Allez, à qui le tour ?
      Partout les minorités sont encouragées à revendiquer la création d’États qui sont autant d’euro-régions, parties de cette Europe qui n’est rien qu’une vague colonie U.S., un terrain de jeu pour les multi-nationales.
      Les politiques locaux, emportés par leurs ambitions personnelles sont prêts à tout brader comme ils l’ont fait lors de l’éclatement de l’URSS. Il ne suffisait pas à Edouard Chevardnadzé d’être le Ministre respecté des Affaires Étrangères de l’Union Soviétique, Président de la Géorgie, cela sonne mieux.


  • Prophète Prophète 9 septembre 2017 14:30
    Bonjour,

    Un site délicieusement rétro contenant des traductions de constitutions par pack de 36.

    La constitution espagnole actuelle, article 3, précise ce qui est et n’est pas négociable.

    Le très légaliste mouvement indépendantiste catalan s’exprimera dans le respect de la constitution.

    ++

  • McGurk McGurk 9 septembre 2017 15:57

    Je trouve absurde qu’un gouvernement local irresponsable aille tout à coup, avide de pouvoir et d’argent, déclarer son indépendance. Cela fait penser à un épisode de Picsou dans lequel il déclare l’indépendance de ses terres et où le gouvernement lui coupe l’eau et l’électricité...

    Avoir un gouvernement central corrompu ne signifie pas pour autant la fin d’un pays et encore moins qu’on ne puisse rien faire pour l’en guérir...Ils sont surtout pressés d’avoir leur petite part du gâteau en tirant toute la couverture à eux.


  • L'enfoiré L’enfoiré 9 septembre 2017 19:05

    « La Catalogne a, très explicitement, proclamé sa souveraineté dans la nuit du 6 ou 7 septembre ».

    Pour la nième fois.
    Tout est toujours une question de PIB
    Comprendre la Catalogne en 9 chiffres

    J’y étais en début de saison.
    Dans les hôtels, une partie du personnel venait du sud de l’Espagne et ne parlait pas le catalan.
    Cela me rappelle une histoire belge...
    Mais vous devez la connaître.
    Il était une fois, un Flamand qui parlait le français, tandis que les Wallons ne parlait pas le flamand....
    La suite à l’écran...


  • Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR) Mohammed MADJOUR 9 septembre 2017 19:06
    La Catalogne a proclamé sa souveraineté

    ET LE TERRORISME PRÉFABRIQUÉ DES «  »« ATTENTATS »" ... N’Y PEUT RIEN !!!!!!!!!!!!!!!!!!!

    • Christian Labrune Christian Labrune 10 septembre 2017 16:30

      @Mohammed MADJOUR
      C’est quoi, un terrorisme « préfabriqué » ? Vous voulez parler des bombes qu’on fabrique dans sa cuisine avec des éléments déjà existants comme une soupière, des clous de girofle et du poivre moulu pour faire éternuer les passants et simuler une petite explosion ? Farces et attrapes, en quelque sorte ? J’avoue que je ne comprends pas très bien.


  • Christian Labrune Christian Labrune 10 septembre 2017 16:15

    En tant que Berrichon « monté à Paris », comme on dit, et même si je ne suis pas bien grand, je revendique hautement pour les Bituriges le statut de nation indépendante et souveraine.

    Hier, à l’imitation de nos voisins barcelonais, j’ai passé toute l’après-midi à écrire une proclamation d’indépendance et une constitution pour le Berry. De mes propres mains. Mais plus j’avançais dans ce travail des plus salutaires, et plus il me paraissait que mes pieds ne suivaient pas. Il faut dire qu’ils me le faisaient bien entendre, en frappant le sol avec toute la violence dont de pareils sauvages peuvent être capables. Finalement, j’ai déchiré le tout et renoncé. Que pouvais-je faire d’autre ? Devenir cul-de-jatte ? Non, quand même pas.


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