samedi 15 mai 2010 - par Gabriel

La colère de l’ancien

07H00 du matin, comme d’habitude, le soleil rasant sur les toits, Raymond 82 printemps jardine ses 1200 M². Cette année, me dit-il, je vais lever un peu le pied et laisser tomber haricot et framboise. La Gilberte 80 ans, 60 années de mariages avec le Raymond (Bientôt dans le Guinness Book) a de plus en plus de mal à se baisser pour la cueillette. De plus, elle est abonnée depuis des lustres aux récitals dominicaux du prélat local. Comme dit le Raymond : « Elle en passe du temps à la messe, m’enfin ces bondieuseries lui font du bien ! ».  Pour l’ancienne, le bon Dieu c’est son repaire pour l’éternité, sa balise dans cet inconnu qui s’approche, une sorte de contrat d’assurance pour l’au-delà avec le patron.

Aujourd’hui Raymond pète la forme, il me regarde l’œil plein de malice et commence sa diatribe :


- Non mais t’as vu ce con de S…… qui parle encore d’insécurité, ça fait 8 ans qu’il nous bassine avec ça. Y nous prend pour des demeurés ou quoi ? Je te ferais un putain de nettoyage moi, en y envoyant l’armée ou la légion ! De mon temps les jeunes y allaient au boulot, faut dire que nos parents ne rigolaient pas avec le respect. Et tous ces émigrés avec leurs religions, y foutraient pas un peu la merde ? 

- Raymond, ces émigrés comme tu dis, beaucoup sont français. Ne me dit pas que tu es raciste ?

- Si ! Avec les cons et les fouteurs de merde !

- Tu sais, cela n’est pas si simple. Du boulot il y en a presque plus à cause de l’automatisation, de la délocalisation, des patrons voyous qui emploient des émigrés sans papier au noir pour les exploiter avec la bénédiction du gouvernement.

- Alors cela n’empêche pas le respect !

- C’est vrai, mais encore faudrait-il qu’on les respecte aussi et que ceux qui nous gouvernent donnent l’exemple.

- J’vais te dire Gabriel, je les mettrais ensemble dans la même cellule, politicards et loubards !

Je me surprends à penser que présenté sous cet angle, l’idée est alléchante mais bon, ce n’est peut-être pas la meilleure solution. Aussi pour exacerber la vivacité de l’aïeul je me décide à faire l’avocat du diable.


- Donc, Raymond tu n’iras pas voter ?

- Tu n’as pas fini de raconter des conneries ? En soixante ans je n’ai jamais raté une élection même si je suis de moins en moins d’accord avec les guignols qui se présentent, je fais mon devoir. C’est le seul instant où l’on peut botter le cul de celui qui nous a menti et pris pour des cons pendant des années ! Et puis si on a fait la révolution c’est pour qu’on puisse ouvrir sa gueule et dire ce qu’on pense !

J’en rajoute une couche, pour le fun…


- Donc tu fais un vote de protestation, genre FN.

- Tu me cherches ce matin ou quoi ? T’as pas vécu pendant la guerre toi, sinon tu dirais pas des conneries pareilles. Mon paternel était dans la résistance, les extrémistes je les connais, leur fonds de commerce c’est la misère, leurs discours la démagogie et une fois en place adieu la liberté et les résultats sont terribles. Retourne à l’école pour apprendre ton histoire ! Et pis tu m’agaces là !

- C’est toujours la même chose avec toi Raymond, tu as un sale caractère. Allez vient boire un café.

- J’espère qu’il y aura au moins un croissant ?

Nos culs posés sur le banc de pierre en dessous du lierre, sirotant notre boisson énergétique matinale, je pensais : « Les anciens c’est la sagesse dans la simplicité. Le problème, c’est peut-être leur façon un peu abrupte de l’exprimer. Raymond est un brave type qui ne comprend plus l’époque et ses travers, il se demande comment tout a pu foutre le camp en si peu de temps. Pourquoi tergiversons-nous sur ce qui lui apparaît comme des évidences, respect, liberté, laïcité … ? » 

Les rides sur son visage sont comme les cernes sculptées par les années dans le cœur des grands arbres. Sa vivacité d’esprit est restée intacte et fluide comme la rosée matinale sur ses salades. Son humanité, cachée par une authentique rudesse, est toujours présente et disponible. Je suis heureux d’être son ami et ses coups de gueules, bousculant mes certitudes, ont l’art de remettre un peu de d’humilité dans ma façon de voir le monde. La vie, il faut l’apprendre je crois, à chaque instant, chaque seconde.
 


20 réactions


  • Lisa SION 2 Lisa SION 2 15 mai 2010 12:48

    Bonjour Gabriel,

    « J’vais te dire Gabriel, je les mettrais ensemble dans la même cellule, politicards et loubards ! » Ya qu’un mec qui a voté pour dire cela, mais qu’en est il pour ceux qui ont voté pour les gagnants et responsables de notre sort commun ? Qu’est ce qui doit bien pouvoir se passer dans la conscience de celui qui a toujours voté pour tous les présidents sortants, et qui donc a cautionné une à une toutes les dérives qui frappent notre quotidien ?

    autre chose, j’ai toujours été fasciné devant la clairvoyance de certains paysans du cru, mais s’ils étaient au gouvernement, les lois seraient bien plus lisibles ce qui peut vouloir dire, expéditives. N’ont ils pas de leur passé lointain, conservé quelques relents de fascisme local ?


    • Gabriel Gabriel 15 mai 2010 13:30

      Bonjour Lisa,

      Autre temps, autres moeurs, autres façon d’appréhender les évènements. Chaque époque à ses richesses et ses travers. Ne jugez pas trop vite …


  • finael finael 15 mai 2010 12:54

    Excellent dialogue qui m’en rappelle bien d’autres.

    @ Lisa Sion

    Vous devriez fréquenter un peu plus nos campagnes et la « France Profonde », je crois que vous seriez extrêmement surpris !


    • Lisa SION 2 Lisa SION 2 15 mai 2010 14:28

      Finael,

      le survolé est j’en conviens, osé, et risque d’être mal interprété, mais vous me connaissez, j’aime faire ces assimilations / projections historiques. Je me demande même si cet esprit ne provient pas du fait qu’ils élèvent de la viande pour la tuer... 


    • Gabriel Gabriel 15 mai 2010 15:09

      Salut Calmos,

      Pour la cueillette il faut se baisser et c’est la Gilberte qui s’y collait. Tu avoueras qu’à 80 balais et des poussières c’est un peut dure. Pour ta gouverne, le père Raymond n’est pas un avatar, il est bien réel et du devrait lire jusqu’au bout car même si tu n’es pas d’accord, la parole des anciens est toujours bonne à entendre. Un peut de tolérance vilain matou !...


  • Internaute Internaute 15 mai 2010 18:07

    C’est quoi cette mode de dire ancien à la place de vieux ? Les vieux vous font-ils peur à ce point ? Comment maintenant va-t-on parler des mèdes et des égyptiens si un ancien a à peine 80 ans ? Vous êtes entrain de tuer le langage et de créer la confusion dans les esprits.


    • Gabriel Gabriel 15 mai 2010 18:56

      Vieux, anciens, vétérans, seniors etc... Si votre seul problème est d’ordre grammatical alors quelle chance vous avez ! A ce propos c’est tout ce que vous avez retiré de ce texte ? Surprenant !


    • finael finael 16 mai 2010 10:00

      Bien au contraire, il y a beau temps que le terme « ancien » est employé en français !

      Peut-être moins maintenant, mais le « conseil des anciens » vous contredit sur ce point.


    • Internaute Internaute 16 mai 2010 11:15

      Je vois que vous lisez Lucky-Luke. Le conseil des anciens est celui des indiens Sioux. Chez nous cela serait plutôt le conseil des sages.

      Le Conseil des ancien, créé à la Révolution est l’ancêtre du Sénat. Les révolutionnaires se sont inspirés de l’antiquité à tel point que le calendrier révolutionnaire de 360 jours est une copie de l’ancien calendrier égyptien. On lui a rajouté 5 jours bouche trou pour combler l’année. De toute manière ce terme d’ancien correspond bien à sage. Dans l’article l’auteur sombre dans l’excès actuel de ne vouloir froisser personne et de croire que les mots usuels sont péjoratifs. C’est cela que je critique. Si le vieux en question participait à une assemblée nationale je veux bien qu’on parle d’un ancien mais pour cultiver son champ on est simplement vieux.


    • finael finael 16 mai 2010 12:07

      Pourtant, dans nos campagnes, on dit toujours des expressions comme « l’ancien », « les anciens du village disent ... ».

      Ce n’est peut-être plus très répandu dans nos cercles parisianistes.


  • viva 15 mai 2010 19:15

    Je trouve le texte caricatural.

    Il ne faut pas non plus oublier que c’est l’électorat agé qui a bien contribuer à élire notre leader.

    Je n’oublie pas non plus que 80% de la population est passive,

    Ne faudrait-il pas mettre un petit test facile joint au bulletin pour valider ou non un vote.

    Il y a en France une majorité de gens qui ne votent que par automatisme et non après réflexion. Le minimum serait de vérifier qu’ils savent ce qu’ils font ...


    • gimo 15 mai 2010 20:38

      viva  



      ok bien  dans le mille
      y a en France une majorité de gens qui ne votent que par automatisme et non après réflexion. Le minimum serait de vérifier qu’ils savent ce qu’ils font ...


      @GABI BON ARTICLE MERCI

    • Gabriel Gabriel 16 mai 2010 08:50

      @viva

      L’intelligence est la chose la mieux répartie dans ce monde étant donné que chacun est persuadé d’en avoir assez vu que c’est avec cela qui juge.


    • finael finael 16 mai 2010 10:09

      Ne pas oublier non plus que l’électorat jeune vote moins !

      Ne pas oublier non plus que plus on est pauvre moins on vote !

      Ne pas oublier non plus que les femmes votent plus à droite que les hommes.

      Ne pas oublier non plus que les privilégiés votent plus souvent à droite.

      ....

      Quant à voter après réflexion, encore faudrait-il que les différents programmes soient clairement exprimés, que les élus respectent leur parole et ne soient pas « vendus » comme des savonnettes par leurs publicistes, pardon, « communicants » !

      Et que votre niveau de réflexion ne se limite pas à ce que vous avez entendu à la télévision.

      Un « test » pour voter, un « permis de vote » qui ne serait attribué qu’à qui ? Ceux qui votent dans le « bon » sens ?


  • hans 15 mai 2010 19:21

    Beau texte merci Gabriel


  • Blé 16 mai 2010 08:05

    Une autre colère

    Dans les années 50-60 70, les anciens en ville n’auraient jamais voté pour un parti de droite, un travailleur digne de ce nom votait à gauche contre le capitalisme, faut dire aussi qu’il y avait une culture ouvrière que la gauche bobo a vite défait. Les syndicats convenaient qu’il fallait que les ouvriers apprennent à lire et à écrire pour émanciper la classe prolétarienne, aujourd’hui cela ne semble pas être à leur programme. Ils sont « responsables » et discutent avec les « responsables » qui nous gouvernent.

    Ce sont les anciens dans les campagnes (propriétaires de leurs terres) à la même époque qui votaient pour la droite bien pensante. Ces braves paysans avaient une peur bleue du communisme , la propagande de la classe dominante (banquiers, politiques, média) a fait du bon travail. Aujourd’hui, ces braves paysans font tout ce qu’ils peuvent pour que leurs terres passent du statut de terres agricoles à terrains constructibles pour les vendre à bon prix. Voilà des gens qui savent s’adapter à l’air du temps.

    J’appartiens à la classe d’âge que l’on appelle « sénior » et je peux vous dire que je n’ai pas voté Sarko par contre les couples que je côtoient qui ont entre 30-40 ans se sont laissés avoir par le « saigneur » à talonnettes en toute beauté. Il ne connaissent pas l’histoire de leur pays, il ne connaissent pas le programme du C N R, ils ne connaissent pas que la solidarité pour les « dominés » est une question de survie et non une question idéologique.

    Durant ma scolarité, j’ai appris que Napoléon était un grand homme, je n’ai jamais entendu parlé de La Commune encore moins de Louise Michel. La culture dominante via le système scolaire et les média n’est pas faite pour émanciper les esprits mais pour les « formater ». Ensuite, il ne faut pas s’étonner que les personnes votent contre leurs propres intérêts.


    • Gabriel Gabriel 16 mai 2010 09:02

      Bonjour Blé,

      Le niveau de réflexion pour un choix est fonction de son vécu, de sa culture et de son niveau de crédulité. Qui ne sait jamais tromper ? La dernière élection présidentielle en est un exemple flagrant. Lorsque la vérité est travestie, il n’est pas évident de trier le bon grain de l’ivraie.


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 16 mai 2010 08:32

    Ce texte me fait penser à un temps où on laissait pas une montagne de merdes et détritus en tout genre et une dette genre gouffre aux suivants , les générations futures .

    Poullailler , oeufs frais pas d’ emballages .

    Fruits et légumes de saison ne passant pas dans des chambres froides ensuite sous les lumières des hypers

    Pas de T de V ni de A

    A cette époque il n’ y avait quasiment pas de poubelles dans les campagnes .

    Raymond et Gilberte , revenez , maintenant ces cons croient que le bonheur s’ appelle Carrefour Leclerc et autres escrocs habillés de marketing .


    • Gabriel Gabriel 16 mai 2010 08:54

      Salut capitaine,

      Vous avez raison sur le fond et la forme mais à notre époque, le cerveau lavé par les médias, le superflu est devenu l’indispensable et le paraître une religion d’état.


  • Clojea CLOJEA 16 mai 2010 17:02

    Sympa le texte, une bouffée de fraicheur. J’aime bien politicards et loubards dans les mêmes cellules, à se demander qui boufferait l’autre le premier....


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