samedi 9 septembre 2017 - par Taverne

La colère : la leçon de Sénèque

Avant de se jeter sur un stage payant de maîtrise de la colère, il est utile de lire ce qu'a dit Sénèque dans son livre "De la colère". Cette lecture est gratuite. Nous allons ici en présenter la substantifique moelle, par sous-thèmes. Qu'est-ce qui est bon en matière de colère ? La garder en soi peut nous miner, mais exploser peut nous conduire à blesser les autres voire à commettre des actes irrémédiables qui nous seront directement préjudiciables. Les psychologues ont beaucoup de recettes en ce domaine. Mais l'Antiquité n'est pas en reste.

Concours de prophètes !

A l'époque de Sénèque, les hommes étaient en quête de prophètes mais c'est la philosophie d'un autre homme - l'exact contemporain de Sénèque - qui aura le retentissement le plus considérable . Vous en avez peut-être entendu parler de lui : un certain Jésus Christ...

Sénèque était né 4 ans avant la date officielle de naissance du Christ. Il est mort après lui, en l'an 65.

Sénèque plus ultra.

On peut se fier à l'expérience de Sénèque en matière de colère. Il fut le conseiller à la cour impériale sous Caligula. Il fut ensuite le précepteur de Néron puis son conseiller. Caligula et Néron sont des noms qui font encore frémir et l'on imagine que Sénèque a cotôyé d'autres personnages dangereusement colériques...Vous me direz, on dirait bien que les leçons ont peu profité à son élève, Néron ! Certes, certes... !

Sénèque a été le témoin de ce qu'il y a de pire sur la question ici traitée de la colère. Et ce savoir, on ne peut lui retirer. Philosophe stoïcien, ses réflexions sont d'une profondeur et d'une puissance inégalées. Le portrait des traits physiques engendrés par la colère reste un monument de littérature et une modèle encore cité. Tellement vrai et tellement précis. Vous pouvez vous en rendre compte ici.

Sénèque est too much !

Quand Sénèque tombera en disgrâce, il ne manifesta pas la moindre colère. Pas davantage quand Néron lui donna l'ordre de mette fin à ses jours : Sénèque s'exécuta sans l'ombre d'une remontrance, sans exprimer ni colère ni haine. On peut donc, selon ces critères, se fier à l'utilité de sa méthode et de ses conseils.

Les citations qui suivent sont issus de l'oeuvre "De la colère - Livre 1er". Elles ont été regroupées par mes soins sous différentes rubriques.

1°) La spécificité de la colère

C'est une caractéristique de l'être humain. En effet, dit le philosophe romain, « Les bêtes ont de l'impétuosité, de la rage, de la férocité, de la fougue ; mais elles ne connaissent pas plus la colère que la luxure, bien que pour certains plaisirs elles aient moins de retenue que l'homme. »

Parmi les passions humaines, la colère même a sa propre spécificité : « Les autres passions peuvent se cacher, se nourrir en secret : la colère se fait jour et perce à travers la physionomie », « Quel est donc ici le trait distinctif ? Si les autres passions se montrent, la colère éclate. » Sénèque donne une description particulièrement bien détaillée des symptômes visibles (voir lien ci-dessus).

2°) Qu’est-ce que la colère ?

- Ce n’est pas l’irascibilité

« J'ai suffisamment expliqué ce que c'est que la colère ; on voit comment elle se distingue de l'irascibilité. »

- Le désir de se venger

 « Une vengeance imaginaire emporte une douleur qui ne l'est pas moins » (l’enfant qui bat la terre qui l’a fait tomber).

« Mais d'abord par colère, nous entendons le désir, et non la faculté de se venger ; or, on désire même ce qu'on ne peut. » « La définition d'Aristote n'est pas bien éloignée de la nôtre ; car il dit que la colère est le désir de rendre mal pour mal. Il serait trop long de faire ressortir en détail en quoi cette définition diffère de la nôtre. »

3°) L'emploi de la colère

- Il faut punir juste

Il s'agit d'employer sa colère dans un but juste et donc sans bleser les autres.

« Eh quoi ! Le châtiment n'est-il pas souvent nécessaire ? - Qui en doute ? Mais il le faut pur, raisonné ; alors il ne nuit pas, il guérit en paraissant nuire. »

Sénèque cite Platon : « Le juste, dit-il, ne blesse personne ; or la vengeance blesse : donc elle ne sied pas au juste, non plus que la colère, dont la vengeance est fille. »

4°) La nature foncièrement mauvaise de la colère

- C’est de la faiblesse 

« Eh ! si la colère était un bien, ne serait-elle pas l'apanage de l'élite des humains ? Cependant les esprits les plus irascibles sont les enfants, les vieillards, les malades ; et tout être faible est naturellement querelleur. »

« C'est pour cela que Socrate disait à son esclave : "Comme je te battrais, si je n'étais en colère !" Pour punir, il attendit que son sang-froid fût revenu, et se fit la leçon à lui-même. Qui pourra se flatter de modérer ses passions, quand Socrate n'osa pas se fier à sa colère ? »

« La colère, au contraire, a souvent fléchi devant la pitié ; car sa force n'est que bouffissure, sans consistance ni solidité… »

- C’est de l’aveuglement

« La raison n'envisage que le fond même de la question ; la colère s'émeut pour des motifs puérils autant qu'étrangers à la cause. »

« Le mal, le grand mal de la colère, c'est qu'elle ne veut pas être éclairée. La vérité elle-même l'indigne dès qu'elle éclate contre son gré… »

 « C'est un élan ; or, il n'y a pas d'élan sans l'assentiment de l'esprit ; et dès qu'il s'agit de se venger et de punir, ce ne peut être à l'insu de l'intelligence. » (…) « Il est hors de doute que la peur porte à fuir, la colère à se précipiter ; or, je le demande, croit-on que l'homme recherche ou évite quoi que ce soit, sans l'assentiment de son intelligence ? » (Livre 2ème)

Le Livre 2ème comprend les citations qui suivent.

5°) La non justification de la colère

« Ne cherchons point une excuse, une apologie pour nos emportements, en soutenant qu'ils sont ou utiles, ou inévitables ; car quel vice a jamais manqué d'avocat ? Ne disons pas : "La colère ne se guérit point." »

« La colère n'est donc de mise en aucun temps, si ce n'est peut-être son simulacre, quand il s'agit de commander l'attention d'esprits paresseux ; ainsi l'on emploie le fouet ou la torche pour aiguillonner un cheval lent à prendre sa course. Où la raison est impuissante, souvent l'ascendant de la crainte est nécessaire. »

6°) Le remède contre la colère

Temporiser mais ne pas chercher à l'étouffer d'un coup si elle est déclenchée.

- Il faut savoir temporiser

« Et d'abord il est plus facile d'expulser un mauvais principe, que de le gouverner ; plus facile de ne pas l'admettre, que de le modérer, une fois admis : dès qu'il a pris possession, il est plus fort que le maître, et ne connaît ni restriction ni limite. L'âme, une fois ébranlée, jetée hors de son siège, n'obéit plus qu'à l'impulsion qui l'emporte. Il est des choses qui dès l'abord dépendent de nous, et qui plus tard nous subjuguent et ne souffrent point de retour. » (…) « Le mieux est de se mettre au-dessus des premières atteintes de la colère, de l'étouffer dans son germe. »

« Par cruel moyen Fabius releva-t-il les forces épuisées de la république ? Il sut attendre, temporiser, toutes choses dont l'homme irrité est incapable. »

« La colère n'est donc pas utile, même à la guerre et dans les combats ; elle dégénère trop vite en témérité, et ne sait pas fuir le péril où elle veut engager les autres. »

- « N'essayez pas de l'étouffer d'un seul coup..."

« N'essayez pas de l'étouffer d'un seul coup, ses premiers éclats ont trop de force : la victoire complète ne s'obtient ici que par des succès partiels. »

« Deux causes, ai-je dit, font naître la colère : d'abord on se croit outragé : j'ai suffisamment traité ce point ; puis outragé injustement. » (…) « Tout mal imprévu nous semble une indignité, et rien n'exaspère l'homme comme de voir déjouer ses calculs et ses espérances. »

En conclusion, il est toujours profitable de se se souvenir de ce que dit Sénèque à propos des grands dangers de la colère et de ses conséquences possibles.

La colère est tyrannique : « Le plus obscur mortel nourrit les prétentions d'un roi : il veut pouvoir tout sur les autres, et que les autres ne puissent rien sur lui. »

Elle est totalitaire : « Les autres vices, en effet, n'entrent dans l'âme que par degrés ; celui-ci l'envahit dès l'abord et tout entière, paralyse toute autre affection, fait taire même l'amour le plus ardent. L'amant que la colère égare perce l'objet de sa tendresse et meurt dans les bras de sa victime. L'avarice, monstre si dur, si inflexible, s'anéantit dans la colère, qui se fait une loi de sacrifier les trésors, de transformer en bûcher sa demeure et tout ce qu'elle renferme. Que dis-je ? N'a-t-on pas vu l'ambitieux répudier, fouler aux pieds des insignes qui furent ses idoles, des honneurs qui s'offraient à lui ? Point de passion que la colère ne domine en souveraine. »

 



4 réactions


  • Le421... Refuznik !! Le421 9 septembre 2017 16:53

    La colère, comme la peur, est une qualité humaine parfaitement normale et nécessaire.
    Aussi nécessaire que l’on doit apprendre à la contrôler et à l’exprimer de façon juste.
    Je vous ramène à ces paroles de Henri Grouès (Abbé Pierre) respectable parmi les respectables...
    Si nous sommes sans colère quand nous voyons les autres bafoués, exploités, humiliés, il est clair que nous ne les aimons pas.


    • Taverne Taverne 9 septembre 2017 18:02

      @Le421

      L’abbé Pierre était donc plus proche en pensée de Sénèque que du christ ? Le Christ proscrit toute colère alors que Sénèque, comme Socrate, dit qu’il faut la maîtriser et ne jamais agir ou décider sous le coup de la colère. Ces philosophes ne discutent pas des raisons légitimes ou non de la colère. Il appartient à chacun de juger de ses raisons.

      La pensée de Nietzsche va dans le même sens quand il se réfère à la pensée orientale (le « non agir » de Lao-Tseu) : Quand on est faible, on ne doit pas agir. Or, c’est justement quand on est faible que l’on est tenté d’agir comme par compensation ou défi ou déni.

      En cas de passion négative, il faut au contraire réagir tout de suite pour l’évacuer. Par exemple, une petite vengeance évitera une grande rumination vers une vengeance plus grande.


    • Le421... Refuznik !! Le421 10 septembre 2017 09:52

      @Taverne
      Oui, je pense.
      C’est là où je ne comprends pas du tout la pensée chrétienne.
      L’histoire de l’autre joue tendue alors que la tentation de rendre le « ramponneau » est souvent la plus forte, me fait penser à un idéal voulu mais inatteignable.
      En prêchant l’impossible, on fini par ne pas être suivi.
      Et quand on se mets à détourner une règle, on finit par toutes les remettre en question.
      Si je prends mon cas.
      J’ai toujours été un « gentil », le brave type de service.
      Mais j’ai malheureusement une mémoire tenace qui induit une rancune sans limite.
      Ce n’est pas une qualité, je sais, mais la conséquence est que si on m’en fait une trop grave, un jour ou l’autre, je remets les pendules à l’heure. Quand le malheureux s’y attends le moins.
      J’ai coincé un ancien copain d’école, 40 ans plus tard, pour un avion jeté dans la classe avec mon nom dessus. La maîtresse m’avait collé une telle torgnole, hélas involontairement à plat sur l’oreille, que j’ai été sourd avec des acouphènes pendant plusieurs jours...
      Et à l’époque, on rentrait à la maison et on fermait sa gueule, sinon, c’était une supplémentaire.
      Une anecdote...

      Ah, je précise, je suis totalement agnostique.


    • Ezech 10 septembre 2017 14:43

      @Le421Je pense qu’il est trop tard. En temps que « guetteur » je mets en garde les adorateurs de mammon, les instigateurs de la société consumériste à cesser leurs oeuvres mauvaises qui ménent à la mort ; la leur et celle de la planète. L’intensité grandissante des phénoménes météorologiques ainsi que l’accentuation incontestable de leur fréquence nous font dire Stop ! ... Nous atteignons les barriéres du non retour et est le néant devient notre avenir en ce monde et dans l’Autre.


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