La « Croisière des idées »
Il est des moments où la tartufferie de l'époque devient insupportable, des moments où l'on a envie de tout démolir tellement la nausée s'impose. Heureusement que certains sites permettent de s'exprimer en toute liberté et de canaliser les velléités haineuses par l'écrit et sa diffusion. Voici donc l'objet de mon petit courroux.
Je viens de tomber inopinément sur une publicité extraordinaire en dernière page de Marianne, journal rebelle par excellence. La voici :
Un prix imbattable pour une telle prestation :
"Boissons et vins à volonté pendant les repas", et il en faudra pour entendre comme des "idées" ce qui est ressassé depuis des décennies et mâtiné de l'air du temps par des professionnels de l'indignation de salon.
La carte des réjouissances :
Casablanca, Cadix, Lisbonne, Malaga, Valence, Barcelone, que des villes où se jouent réellement le sort des peuples, on l'aura compris. Elles vous combleront de leurs charmes entre deux festins d'idées, toutes aussi nourrissantes les unes que les autres.
On se demande bien pourquoi la Croisière des idées ne s'est pas plutôt attachée à répendre ses fruits aux abords de villes telles que Tripoli en Libye, Bassora en Irak, Port-Saïd en Égypte ou Lattaquié en Syrie. Peut-être n'avaient-elles pas le wi-fi ?
Un casting de rêve :
Mais voyons d'un peu plus près la teneur des idées que les champions annoncés vous promettent. Cinq grands esprits se disputeront vos faveurs. S'il vous semble qu'ils s'opposent à un moment quelconque, et que le débat s'envenime, soyez sans crainte, il ne s'agit que d'un spectacle et tout est sous contrôle, aussi bien l'allégence européenne de chacun d'eux que leur amour inconditionnel d'une démocratie leur réservant une place de choix ou leur capacité d'analyser les populismes pour mieux les combattre, sans négliger un art commun de la chicane oiseuse, communément exercé à la scène comme à la ville.
- Jacques Julliard :
Monsieur Julliard, ancien appui du Nouvel Obs, est éditorialiste chez Marianne. On lui doit une récente historiographie des gauches françaises... dont il a peut-être senti la mort prochaine. Son dernier livre, Le choc Simone Weil, laisse entendre l'émoi que peut susciter la découverte de cette philosophe profonde et généreuse dans un cerveau socialiste.
- Franz-Olivier Giesbert :
Actuel patron du Point, ancien directeur du Nouvel Obs, côtoyant les grands de ce monde, Monsieur Giesbert semble tout indiqué pour commenter l'état actuel de son demi-pays. Son rond de serviette chez son éditeur attitré est sanctionné par un ouvrage annuel.
- Pierre Larrouturou :
Monsieur Larrouturou, conseiller régional Île-de-France, est un indigné au sens propre. Tantôt rose, tantôt vert, il vient de fonder le parti Nouvelle Donne, esquif du bateau PS qui prend l'eau de toutes parts. Il a parfaitement su trouver un courant porteur en charriant les trésors de la "justice sociale", expression promise à un bel avenir dans les prochains mois en France-terre-d'accueil.
- Laurent Joffrin :
Ancien collaborateur de Libé et du Nouvel Obs, Monsieur Joffrin a le goût de l'histoire. C'est en cette matière qu'il a trouvé acquéreur d'une série de romans policiers dont l'action se déroule durant le Premier Empire. Une manne, à n'en pas douter.
- Jean-François Kahn :
Pour finir, Monsieur Kahn, fondateur de Marianne, est tout particulièrement à l'écoute des Français puisqu'il parvient à éditer deux livres par an avec un mot d'ordre : Peuple de France, réveille-toi, les élites se foutent de toi.
Inutile de vous dire que chacun d'eux aura prévu des cartons d'ouvrages à dédicacer en fin de séance, autant de catalogues d'idées à déguster ou à offrir, au choix.
Appel aux dons :
Il est manifeste que Marianne, tout comme Le Nouvel Obs, Libé, Le Point, auxquels manquent L'Express et l'inénarrable Christophe Barbier, sont présentement à court d'idées. Tous ces médias semblent avoir gaspillé leur fonds et être dans l'incapacité chronique d'en soumettre d'inédites à leur clientèle. Jacques Attali, dernièrement, et en désespoir de cause, demandait instamment et sans plus d'arguments à ses concitoyens dépités : "S'il vous plaît, ne votez pas pour le Front National".
Tout ceci sent la fin de règne. Marianne, qui escompte renflouer après deux années stériles en dirigeants à vomir, compte beaucoup sur le soldat Sarkozy, dont on annonce le retour. Ce cernier ayant toujours fait de son mieux pour aider toute une presse aux abois à combler la vacuité de leurs idées par la dénonciation de commande d'un fascisme imaginaire, on peut augurer deux ou trois lendemains qui chantent, mais guère plus.
Je vous demande donc de mettre la main à la poche, citoyens, de faire vos fonds de tiroirs comme on dit, d'appeler de vieilles tantes qui en ont vu d'autres et de rameuter les voisins, afin que toutes et tous nous nous mobilisions pour assembler le plus d'idées possibles à faire parvenir à notre presse nationale en crise. Je le répète : si d'aventure certains d'entre vous ont de vieilles idées, même poussiéreuses, même périmées voire creuses, pensez à nos journalistes. Sachez qu'en deux ou trois coups de peinture aux couleurs de l'époque, ils sauront leur rendre leur prime jeunesse, qui dans un livre défendu chez Ruquier, qui sur un paquebot en croisière. Merci pour eux. Infiniment.
PS : évitez tout de même les idées "nauséabondes" ou "qui dérapent". Liste disponible sur demande auprès de Monsieur Bernard-Henri Lévy, philosophe quant à lui.
À vous lire,
EG