mardi 17 octobre 2017 - par lephénix

La force de l’utopie, la possibilité du changement...

Comment rendre l’utopie réelle ? Si la politique est « l’art du possible », l'historien et journaliste Rutger Bregman propose une nouvelle carte du monde en rendant « l’impossible inévitable »…

 

Les hommes ont toujours rêvé d’un monde meilleur – forcément situé « ailleurs », sur terre comme au ciel… En 1516, Thomas More le situait sur une île, régie par les mathématiques et située… « nulle part » !

Ce n’est pas étonnant : le terme utopia signifie tout à la fois « bon lieu » et « aucun lieu »… Sur son Utopie, les habitants sont assurés de leur subsistance par un revenu sans contrepartie laborieuse et productive de leur part… Son attribution est supposée leur épargner des tentations bien humaines - comme voler pour manger…

De « l’argent gratuit » contre … rien ? Lequel ? Celui... "des autres" ?

Même d’éminents économistes en arrivent à ce constat d’une logique implacable : « la manière la plus efficace de dépenser de l’argent pour les pauvres, c’est peut-être de le leur donner »…

Ainsi, Charles Kenny notait : « La principale pour laquelle les pauvres sont pauvres, c’est qu’ils n’ont pas assez d’argent et il n’y a rien d’étonnant à ce que leur donner de l’argent soit un formidable moyen de réduire ce problème  »…

Après tout, la pauvreté n’est qu’un « manque d’argent, pas de caractère  »… Le tout est de donner aux pauvres l'argent directement - afin qu'ils ne s'égare plus dans les poches profondes de ceux qui sont chargés "gérer" la pauvreté...

 

« Le Progrès, c’est la réalisation des utopies »…

 

C’est l’idée reprise par Rutger Bregman dans son best-seller (traduit en 17 langues) intitulé Utopies réalistes qui prône notamment l’instauration d’un revenu universel comme antidote à la pauvreté : « Il faut le voir comme un dividende du progrès, rendu possible par le sang, la sueur et les larmes des générations passées. En définitive, nous ne devons qu’une fraction de notre prospérité à nos propres efforts. Nous, habitants du pays d’abondance, sommes riches grâce aux institutions, au savoir et au capital social amassé pour nous par nos ancêtres. Ces richesses nous appartiennent à tous. Et un revenu de base nous permettrait à tous d’y prendre part. »

L’historien et journaliste hollandais constate que jusqu’alors, nos riches sociétés n’ont pas fait la guerre à la pauvreté mais aux pauvres… Le problème, « ce n’est pas que nous soyons pauvres » - si seulement nous avions l’honnêteté de notre pauvreté : « c’est seulement qu’il n’y a pas assez de travail payé pour tout le monde  »…

Aujourd’hui, le droit de vivre peut-il encore se négocier sur un « marché de l’emploi » sous pression dans un monde en pleine dislocation sociale ? Qui de sensé consentirait à être condamné à l’exclusion ou à la famine… dès l’instant où il naît comme étant déjà « de trop », faute d’accès à un « emploi » salarié et sanctifié ?

Aujourd’hui, à l’heure d’une « révolution digitale » se soldant par des destructions d’emplois jamais vues dans l’histoire de l’humanité, les « travailleurs » potentiels se retrouvent bien démunis et déqualifiés face à une panne de « croissance » comme de sens, face à des lendemains glaçants sans avenir – et face à cette contradiction majeure : comment prélever de plus en plus de cotisations sur un nombre décroissant de « salariés » pour assurer une « redistribution » à un nombre d’exclus en « croissance » exponentielle, lui ?

Par ailleurs, comment se fait-il que ceux qui contribuent le plus à la bonne marche et la prospérité de nos sociétés (les professions du soin ou celles qui assurent la sécurité publique) soient si mal payées alors que des métiers inutiles voire destructeurs « qui ne font que déplacer de l’argent » (traders, banquiers pourvoyeurs de prêts à risques ou autres « produits dérivés » hautement toxiques) « sans contribuer à rien qui ait une valeur tangible pour la société  » rapportent autant ?

Et que se passerait-il si tous les talents étaient investis dans la véritable création de richesse plutôt que dans son déplacement ? Si la « course contre la machine » semble d’ores et déjà perdue, il est vital d’assurer l’avenir de nos sociétés par un mécanisme de redistribution indemnisant aussi bien les perdants que les gagnants de ce « deuxième âge de la machine » alliant intelligence artificielle, robotique et économie numérique : « L’alternative serait qu’à un tournant du siècle qui s’avance, nous rejetions le dogme selon lequel il faut travailler pour vivre. Plus nos sociétés s’enrichissent, moins le marché du travail sera un facteur de répartition de la prospérité. Si nous voulons conserver les bienfaits de la technologie, il n’y a qu’une option en fin de compte, c’est la redistribution. Une redistribution massive. Redistribution d’argent (revenu minimum), de temps (réduction de temps de travail), de l’imposition (sur le capital plutôt que sur le travail) et, bien sûr, de robots. »

En somme, mieux vaut s’atteler à résoudre une fois pour toutes les problèmes plutôt que de les « gérer » - notamment par une fiscalité intelligente et en préservant, tout de même, une économie de travailleurs permettant de payer les « vrais gens » en fonction de leur contribution réelle… Car ce qui manque, ce n'est pas le travail mais la création de vraies richesses, une juste rétribution de ceux qui les créent et une redistribution efficace. La "crème" (ou l'écume) des 1% n'existe que par l'océan de tous ceux qui ont créé leur richesse...

L’utopiste radical prône aussi l’ouverture des frontières tout en concédant qu’une « migration incontrôlée nuirait certainement à la cohésion sociale » des pays d’accueil… Comment accueillir tous les talents et toutes les bonnes volontés du monde entier, ceux et celles qui feraient volontiers leur « part du colibri », sans inviter la pauvreté à s’étendre et se répandre avec ses légions de « passagers clandestins » - et sans prendre le risque de fermer les cœurs ?

La « flexibilité » ne concerne pas que « l’emploi » mais aussi nos modèles mentaux, nos représentations – et le pouvoir régulateur du politique… Force est de constater que la génération actuelle a hérité de bien plus de possibilités de changer le monde que celles d’avant. Libérée de l’assignation à la fiction d’un « plein emploi » introuvable, elle pourrait faire bénéficier chacun d’une autonomie inédite en imaginant un monde où le travail salarié ne serait plus le centre de l’existence. Encore faudrait-il s’accorder sur les choix fondamentaux menant à la bonne trajectoire commune sur le chantier d'un Réel en construction permanente par la libération de toutes les potentialités, de toutes les bonnes volontés - et de toutes les vocations.

Rutger Bregman, Utopies réalistes – en finir avec la pauvreté, La Découverte, Seuil, 250 p., 20 €



8 réactions


  • Cateaufoncel 17 octobre 2017 16:52

    "L’utopiste radical prône aussi l’ouverture des frontières tout en concédant qu’une « migration incontrôlée nuirait certainement à la cohésion sociale » des pays d’accueil…« 

    Ce sera déjà énorme si on réussit à mettre en place un tel système pour les seuls nôtres, il sera donc exclu d’accueillir tous les autres, qui aspireront à en profiter.

     »Comment accueillir tous les talents et toutes les bonnes volontés du monde entier...« 

    Des talents, il y en a, mais de quel droit en priver des pays, où ils sont déjà globalement rares, des capacités qui sont aptes à améliorer les choses chez eux ? Pour ce qui est des »bonnes volontés", je vois surtout des masses d’aspirants profiteurs qui ne sont riches de rien de ce que leurs ancêtres ont amassé pour eux.

    La seule solution qui permettrait d’éviter une submersion à laquelle nous ne survivrions pas, serait d’interdire l’immigration spontanée, en même temps que le logement et l’emploi des clandestins, avec, à la clé, des sanctions financières ruineuses pour les esclavagistes et les marchands de sommeil. Ce qui, soit dit en passant, pourrait déjà s’appliquer maintenant.


  • lephénix lephénix 17 octobre 2017 21:00

    @cateaufoncel

    idéalement le revenu universel instauré dans chaque pays devrait être précisément un « outil de régulation des flux migratoires ».... puis qu’il dissuaderait de hasardeuses migrations sans priver les pays de départ (éventuel...) de précieux talents et de non moins précieuses compétences - ni de ces bonnes volontés de bâtisseurs pour reconstruire à domicile ce qui peut l’être...

    mais c’est bien vrai, ça : pourquoi tout le monde ne l’a-t-il pas « chez nous » déjà ?

    la ligne tolérance zéro des australiens a amené les passeurs à « privilégier » d’autres destinations...


  • lephénix lephénix 18 octobre 2017 00:11

    @Cateaufoncel

    c’est une « autre volonté que la nôtre » qui s’accomplit.. dans quel but ? quel voile est jeté sur l’essentiel ? réduit-on la pauvreté en l’étendant ? quel seuil atteindre pour un quota d’indignation ? qui est passé par pertes et profits dans cette histoire sans fin ?


  • Yvance77 Yvance77 18 octobre 2017 08:57

    Le tour de force est de faire croire que la situation d’esclave économique est la seule planche de salut.


    Retour à 89 ... coupons deux trois têtes ... démocratie participative ... et certains y réfléchironsensuite.

  • lephénix lephénix 18 octobre 2017 10:20

    @Yvance77

    les tours d’illusionnistes seront de plus en plus périlleux...malheur au dernier arrivé de la pyramide de Ponzi des « honneurs »... et au bad timing... depuis le temps que l’on sait que le tarissement des ressources et une démographie exponentielle font le lit de l’insoutenable... 


  • lephénix lephénix 18 octobre 2017 10:25

    @Ratatouille

    le problème de ces migrations cosmiques c’est l’énergie de propulsion... la mobilité interstellaire demeure une « vue de l’esprit » et les « forces de l’esprit » ont assez à faire avec d’autres « mobilités », d’autres « flux » - mais pas de richesses, qui, elles, restent à créer sans cesse pour ceux qui n’ont que leur « force de travail »...


  • genrehumain 18 octobre 2017 19:11

    «  Le Progrès, c’est la réalisation des utopies »…

     L’utopie ou le Progrès de notre siècle, où une partie de l’humanité est lancée dans une course sans fin dans un bonheur matérialiste, et une autre dans l’espoir qu’un retour au passé du religieux est la solution aux problèmes de ce monde, ne serait il pas de voir la chose autrement ?

     Cette citation métaphorique ci-dessous peut sans doute nous donner à y réfléchir.

    1. « La religion et la science sont les deux ailes qui permettent à l’intelligence de l’homme de s’élever vers les hauteurs, et à l’âme humaine de progresser. Il n’est pas possible de voler avec une aile seulement.
      Si quelqu’un essayait de voler avec l’aile de la religion seulement, il tomberait bientôt dans le marécage de la superstition, tandis que, d’autre part, avec l’aile de la science seulement, il ne ferait aucun progrès mais sombrerait dans la fondrière désespérante du matérialisme ».

    2.  ( Causerie donnée a Paris en 1913 par un sage oriental du nom Abdu’l-Baha )

      Ce déséquilibre n’est- ce pas l’état du monde aujourd’hui ?


Réagir