lundi 22 août 2022 - par Elric Menescire

La gouvernance Twitter

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"La lâcheté commence là où cesse la puissance"

-Gérard Klein

 

Un été comme un autre

Août 2022 : plusieurs incidents graves, impliquant des rodéos urbains, défraient la chronique. Le ministre de l'Intérieur "se saisit immédiatement de l'affaire" et décide que les rodéos sont une priorité de la police nationale : plusieurs centaines de contrôles par semaine seront diligentés, pour un résultat finalement assez médiocre...Sur Twitter, le ministre-accusé-de-viol-mais-pas-coupable-et-toujours-en-poste pérore : ""En 7 jours, 2914 opérations anti-rodéos menées, 338 interpellés, 157 saisies"

Autant dire rien, vu l'ampleur du phénomène, connu -et subi par beaucoup- depuis des décennies. Et là aussi, les suppressions de moyens de terrain chez les fonctionnaires de police (dont le gouvernement Macron a bien sûr pris sa large part), ont peut-être à voir avec ce phénomène qu'il est aujourd'hui pratiquement impossible de contenir, de l'aveu même des policiers ? 

Vite, vite, surtout ne réflechissons pas trop : passons plutôt à autre chose.

Jeudi 18 Août : Météo France se plante en Corse. En annonçant une simple "alerte jaune", alors qu'un orage supercellulaire dévastateur (qui en eût nécessité une alerte rouge écarlate, voire noire) balaie l'île de Beauté, faisant 6 morts au passage, l'organisme chargé des prévisions de la météo hexagonale déclenche à nouveau le réflexe-Twitter de notre violeur ministre de l'Intérieur : Darmanin estime que "ce n'est pas normal" et annonce "une enquête administrative sur le déclenchement de l'alerte". Gageons que, comme d'habitude, le résultats de cette enquête seront communiqués au grand public et que le gouvernement en tirera les conclusions... ou pas...sachant qu'un rapport sénatorial, à l'unisson des syndicats de salariés, alertait il y a déjà plusieurs années le gouvernement que "Météo France pourrait avoir du mal à prévoir des événements extrêmes à l'avenir, faute de moyens." Il faut dire que le gouvernement Macron I avait supprimé plusieurs centaines de postes de prévisionnistes dès 2018, et ce dans l'indifférence générale, comme d'habitude.

Petit saut dans le temps : 13 Août, l'écrivain Salman Rushdie est poignardé par un jeune radicalisé lors d'un évènement littéraire à New-York. Emmanuel Macron réagit immédiatement sur Twitter  : "Depuis 33 ans, Salman Rushdie incarne la liberté et la lutte contre l’obscurantisme. La haine et la barbarie viennent de le frapper, lâchement. Son combat est le nôtre, universel. Nous sommes aujourd'hui, plus que jamais, à ses côtés." 

Passons sur "le combat universel contre la barbarie", de la part de quelqu'un qui vend des tombereaux d'armes aux enturbannés d'Arabie Saoudite, armes qui permettent, rappelons-le ici encore, à ces fanatiques de tuer des centaines de milliers de civils yéménites dans l'indifférence générale du camp du Bien. Passons aussi sur le tapis rouge déroulé récemment par notre magnifique président défenseur des droits de l'Homme sur Twitter, au barbare-découpeur-de-journaliste en chef Mohamed Bin Salman, prince héritier de ce royaume aux relents moyennâgeux, qui fait lapider les femmes pour un oui ou un non et décapite au sabre plusieurs centaines d'opposants par an, mineurs inclus.

Allez, une petite dernière pour la route : le 27 juillet dernier, un jeu inspiré de Kohlanta est tourné à la prison de Fresnes, jeu organisé par une association d'insertion agréée par le ministère de la justice. Au menu, 3 équipes (une de détenus, une de surveillants, et une de jeunes du quartier) s'affrontent dans des épreuves comprenant du Karting, notamment.

Toute l'extrême droite et la droite extrême hurlent en coeur contre cette infâmie. Peu importe que le jeu ait été approuvé au plus haut niveau de l'administration, ou encore que l'évènement ait permis de récolter 1700 euros en faveur d'une association caritative, ou qu'il soit à visée éducative, ou bien même encore qu'il soit exclusivement réservé aux courtes peines (et pas "aux assassins et aux violeurs" comme le mentent Ciotti et toute la clique de puants de l'Assemblée). Ou même qu'il n'ait pas coûté un centime d'euro au contribuable, comme l'affirment encore les menteurs d'extrême droite-qui-votent-avec-la-macronie à l'Assemblée.

L'inénarrable Eric Dupond-Moretti, mis en examen cette année pour soupçons de conflits d'intérêts (et qui avait d'ailleurs tenté, en sa qualité de ministre de la "justice", de faire annuler ces poursuites), monte donc au créneau, à la remorque de cette extrême-droite dont lui et ses petits amis ont besoin pour gouverner. Et il annonce... l'ouverture d'une "enquête administrative" sur l'organisation de ce jeu, estimant sur Twitter qu' "après les images choquantes de la prison de Fresnes, (..) La lutte contre la récidive passe par la réinsertion mais certainement pas par le karting !". Ici aussi, nous attendrons les résultats de "l'enquête administrative" avec impatience.

Tout ce cirque -car il n'y a pas d'autre mot- toute cette comédie, sied bien à notre époque.

Et Guy Debord ne s'était pas trompé quand il avait nommé notre société "la société du spectacle", car au fond, nos représentants, les "premiers de cordée" et autres profiteurs, ne sont que le reflet de nos propres turpitudes.

 

La société du spectacle

Une société où les problèmes sont connus, indentifiés, récurrents, et où celles et ceux qui pourraient, qui devraient y remédier en prenant les mesures adéquates, ne le font jamais. A la place, faire du vent est plus souhaitable, plus profitable, car au fond, il n'y a que l'habillage qui compte. Il ne faudrait surtout pas que les gens déchirent l'emballage, ou poussent le décor, pour découvrir ce qu'il y a derrière. Ca la foutrait mal, vous imaginez ? Des gens qui se mettraient à réfléchir, au lieu de réagir de manière totalement disproportionnée, à l'émotion, à chaque fait-divers, à chaque actualité ?

Rappelons ici aussi encore une fois, que le cerveau reptilien prend le dessus quand une réponse de type émotionnel est sollicitée, et apportée, par un fait-divers, une actualité, ou tout autre sujet "sensible". Et la particularité de ce cerveau est de court-circuiter totalement le cerveau logique, et la réflexion qui va avec. Ceci est couramment utilisé en publicité, marketing, et bien sûr en politique. Les USA ont même créé un emploi officiel pour ce genre de manipulateurs au service du pouvoir, on appelle ça des spin doctors. En France, la macronie en a pris le chemin avec les fameux "conseillers en communication" et autres "consultants en stratégies" des cabinets de conseil payés une fortune. Avec l'argent de nos impôts, cette fois-ci. Pour de vrai.

Edward Bernays, au travers de son fameux ouvrage "Propagande" écrit en 1928, fut un des grands précurseurs (et Gustave Lebon avant lui) de cette science de la manipulation de l'opinion publique et des foules en démocratie. Son ouvrage est toujours une référence dans les écoles de management et de marketing, et je ne connais pas un spin doctor ou un "consultant" digne de ce nom qui n'en ait pas lu quelques paragraphes, a minima. C'était déjà conseillé par mes professeurs en Communication du temps où j'étais étudiant, au milieu des années 90.

Tout ceci pour dire que la mécanique est désormais bien huilée, et que ça rentre de plus en plus dans les moeurs ; à tel point qu'aujourdh'ui il serait très fortement reproché à un politique de ne pas "réagir" (le mot est important, il a tout son sens) sur les réseaux sociaux, à un faits-divers de l'actualité. Ceci serait considéré comme anormal, voire signe d'un désintérêt. Alors que précisément, c'est parce qu'ils font du vent sur Twitter que les gouvernants ne règlent rien : c'est un signe évident de "communication", donc pas d'action. Ré-agir, c'est tout sauf agir.

Et c'est bien là le but : il faut communiquer en permanence, histoire de bien court-circuiter continuellement les esprits, de les abrutir sous un flot d'infos sans lendemain, car il faut faire monter l'adrénaline, la colère, la peur...et susciter de l'émotion brute, instantanée, sans réelle possibilité de passer à la réflexion.

Car au fond, si les Français commençaient à réfléchir... que se passerait-il ?

Nos zélites ne le savent que trop bien : elles perdraient rapidement leur pouvoir, puis encore plus vite leur tête.

 

La gouvernance Twitter

Le réseau "social" Twitter est le parfait outil de cette méthode : il permet de ne poster que des "tweets" de 280 caractères maximum. Autant dire que la réflexion est reine avec ce format.

Autre fait significatif : "Tweeter" veut dire "gazouillis" en Anglais. Et c'est presque une insulte pour les oiseaux, dont on peut admirer les magnifiques chants au printemps -pour ceux qui ont survécu à l'extinction de masse que nous sommes en train de mettre en oeuvre consciencieusement du moins.

Mais c'est surtout bien caractéristique : un gazouillis ne prête à rien, si ce n'est à la rêverie, à la distraction. Aussitôt entendu, aussitôt émerveillé, puis vite oublié. On passera vite au suivant, et ainsi de suite. A la fin de la journée, ça aura fait une belle rêverie de promeneur solitaire, mais sans aucune réelle avancée au niveau de la résolution de quelque problème que ce soit.

Tout ceci est évidemment destiné à cacher l'absolue impuissance de ceux qui prétendent nous régenter : que ce soit en matière sécuritaire, comme en matière économique, ou en quelque autre domaine que ce soit, nos gouvernants ont les pieds et les poings liés. Ils se sont d'ailleurs eux-mêmes mis les chaînes aux pieds avec le sourire.

Soit en acceptant comme une religion indépassable les traités européens (suppression toujours plus accrue de fonctionnaires et de services publics, contraintes budgétaires érigées en religion, ajustements "structurels" etc.) ou encore plus prosaïquement par la dégradation, le pourrissement de la situation depuis des décennies, sans rien d'autre qu'un enième coup de peinture de temps en temps : en matière sécuritaire ou pénitentiaire notamment, mais la même chose serait valable pour pratiquement tous les domaines de la vie sociale, jusqu'aux dernières mesures "pour la solidarité avec l'Ukraine" qui sont en train de foutre par terre le peu qui restait de notre pays.

Alors que la maison est en train de s'écrouler pour de bon : les Services Publics dans leur ensemble s'effondrent les uns après les autres, le fameux "Etat de droit" n'acte désormais plus que le droit des plus riches de faire ce qu'ils veulent, au détriment de la très grande majorité qui souffre en silence, et l'économie suit la danse, malgré les chiffres bidonnés et la propagande ahurissante, ici aussi encore, qui essaient tant bien que mal de camoufler la poussière sous le tapis.

Les Français sont condamnés, et peu d'entre eux acceptent de le voir. C'est sans doute là l'explication du dernier discours de l'impuissant en chef, vendredi dernier. Un discours empreint de fausse gravité, récité par un mauvais acteur, toujours autant planqué bien à l'abri de "l'amour des Français" à son égard, derrière ses centaines de gardes du corps :

"« Je pense à notre peuple, auquel il faudra de la force d’âme pour regarder en face le temps qui vient, résister aux incertitudes, parfois à la facilité et à l’adversité, et, unis, accepter de payer le prix de notre liberté et de nos valeurs"

 ??

Derrière cette nouvelle flaque d'urine, se cache cependant un fond de vérité : ils savent très bien l'état réel du pays, et notre situation face aux pénuries qu'ils ont eux-mêmes provoquées, et la décrépitude générale dûe à leur aveuglement total sur tous les fronts. Mais qu'importe : la gouvernance Twitter a encore frappé, et frappera encore, car juste après ce discours la "mobilisation" des français a été une fois de plus, exemplaire...pas dans la rue mais sur Twitter bien sûr, ou le hashtag #MacronDestitution était en tête des "tendances" l'après-midi même. Ca ne s'invente pas : le peuple lui-même ne se mobilise plus qu'en "gazouillant", rien d'autre.

Le pouvoir est ainsi confirmé dans sa stratégie : il tweete ses "réponses" aux "problèmes" qui se posent aux français, et ceux-ci répondent et "manifestent" qu'ils ne sont pas d'accord en...tweetant.

La boucle est bouclée, et elle est parfaitement circulaire.

Ce sont des problèmes structurels auxquels nous devons faire face, c'est à dire des problèmes qui devraient être réglés par des mesures fortes, drastiques et difficiles à prendre. Au lieu de cela, tout le monde tourne en rond.

Et plus particulièrement les plus privilégiés de la République. En lieu et place de réelles mesures de fond, nous avons surtout des individus cherchant à se faire réélire ou même, juste à se faire bien voir de la populace, l'oeil rivé en permanence sur les courbes de sondages de la fameuse "opinion publique". Opinion qui n'est en fait qu'un golem créé par ceux-là mêmes qui composent en permanence avec elle...Là aussi, le système a gagné et perdu en même temps, en créant les outils de sa propre inaction, et en les érigeant en dogme.

Les outils de sa propre destruction.

Tout ceci est véritablement criminel au dernier degré, car l'ensemble de ces problèmes non réglés, pris par dessus la jambe par nos politichiens irresponsables-mais-pas-coupables, va nous revenir dans la figure sous la forme d'une tempête parfaite qui emportera tout. Alors qu'ils eussent pu être réglés si, une fois le diagnostic fait, des mesures avaient été prises. Encore eut-il fallu ne pas partir d'entrée de jeu avec des menottes aux poignets.

Encore eut-il fallu sortir d'une idéologie de la toute-puissance dans laquelle ils baignent depuis leur plus tendre enfance...nous savons désormais qu'ils en sont tout bonnement incapables. Ils sont tels ce capitaine du Titanic, incrédule, qui regarde l'iceberg déchirer la coque du navire en ordonnant à l'orchestre de continuer de jouer.

Alors gazouillons, encore et toujours, et écoutons avec ravissement le chant mélodieux des sirènes.

Avant que ne nous interrompe brutalement, très bientôt je le crains hélas, le chant bien plus rude des sirènes d'alarme.

Et quand il retentira pour de bon, ce sera trop tard.



2 réactions


  • Clocel Clocel 22 août 2022 17:21

    Macron vient d’être réélu, c’est donc que la populace s’en accommode...


  • Durand Durand 23 août 2022 10:34

    La démocratie contre la démocratie...


    « On peut tromper une partie du peuple tout le temps, tout le peuple une partie du temps mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. »


    Abraham Lincoln


    Certes,... mais la caste a trouvé la parade : la démocratie !... Car en démocratie, il suffit de posséder les médias de masses pour tromper une majorité de votants et faire quand-même ce que l’on veut du peuple... Les minorités n’on plus qu’à la fermer, sauf à se faire traiter de fascistes... 


    Pas étonnant que la caste mondialiste promeuve sans arrêt cette ”démocratie” puisqu’elle en a fait son principal outil de contrôle de l’opinion pour assure sa domination !...





    ..




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