lundi 13 décembre 2010 - par Paul Villach

La liberté d’expression en prison, chimère ou exigence ? Un débat de l’OIP à Lyon

La qualité de ses prisons ne serait-elle pas l’indice le plus fiable de la qualité de la démocratie dans un pays ? C’est la question lancinante qu’on n’a pas cessé soi-même de se poser au cours du « Débat public » organisé à Lyon, samedi 11 décembre 2010, dans le grand amphithéâtre de la faculté de Droit de l’Université Lyon 2, par l’OIP, l’Observatoire International des Prisons. Les débats étaient animés par Florence Aubenas, sa présidente, et Jean-Pierre Guéno, auteur du livre « Paroles de détenus  » paru en 2000. Le thème était le suivant : « Pour la libération de la parole détenue par les murs des prisons » : en d’autres termes, qu’en est-il de la liberté d’expression en prison et que faire pour qu’elle soit respectée ?

Sans doute autour de l’OIP-Régions Rhône-Alpes Auvergne animée par Céline Reimeringer, organisatrice, on comptait d’autres membres des autres régions, Paris et Nord-Pas-de-Calais-Picardie-Haute-Normandie. Mais, outre des représentants d’associations intervenant en prison comme les Visiteurs de Prisons ou le Génépi, une association d’étudiants vouée à l’enseignement en prison, étaient présents courageusement nombre de détenus, anciens ou bénéficiant d’un aménagement de peine, et même le nouveau directeur de la prison toute neuve de Lyon-Corbas au risque de s’exposer seul à des critiques de l’institution pénitentiaire dont il était l’unique représentant.
 
La liberté d’expression, l’instrument de mesure de la démocratie
 
Cette question de la liberté d’expression en prison peut paraître insolite. Mais n’est-ce pas le fait qu’elle le soit, qui devrait poser problème ? Robert Badinter rappelle souvent cette loi d’airain qui pèse sur la prison et selon laquelle les conditions de vie d’un détenu ne sauraient être supérieures à celles du plus misérable citoyen qui vit en liberté. La liberté d’expression est justement un de leurs instruments de mesure.
 
Or devrait-on être rassuré d’apprendre que dans les prisons françaises, la liberté d’expression n’existe pas ? Florence Aubenas l’a rappelé brièvement, après y avoir été invitée : le premier supplice qu’elle s’est vu infliger pendant qu’elle était otage en Irak, de janvier à juin 2005, et qui reste « un de ses pires souvenirs », c’est le bâillon pour qu’aucun mot ne puisse être échangé, y compris avec ses 13 co-détenus dans l’étroite cellule où ils étaient entassés, sous peine d’être battus. Or l’Irak n’était pas une démocratie.
 
Le bâillon de la peur
 
Sans doute le bâillon n’est-il pas utilisé dans les prisons françaises, mais les conditions de vie organisées suffisent à réduire au même silence le détenu. Le réflexe de la peur est quotidiennement stimulé et réactivé. Prostré dans sa solitude de condamné, le détenu ne songe même pas à oser revendiquer ses droits. Or, s’il est incarcéré en toute justice pour un motif qu’il ne conteste pas, il n’en demeure pas moins un être humain qu’on ne peut « déshabiller de sa dignité », selon le mot de Jean-Pierre Guéno. Il finit pourtant par l’oublier lui-même tant les humiliations gratuites deviennent son ordinaire tandis que toute tentative de les dénoncer les accroissent.
 
Les témoignages entendus passent l’entendement. Celui d’une jeune femme a particulièrement sidéré l’assemblée. Si elle n’a jamais contesté sa condamnation, elle n’a jamais pour autant accepté les brimades incessantes qui la réduisaient à son acte coupable. Mieux, elle a osé mettre son savoir, sa maîtrise de la parole et son courage aussi aux services de ses co-détenues, timorées le plus souvent et d’expression si embarrassée. Mais à quel prix l’a-t-elle fait !
 
L’indifférence à la dignité humaine et à la loi
 
Prétendre, en effet, faire respecter sa dignité en prison, s’est s’exposer à des sanctions répétées à la discrétion de l’administration selon les usages plus ou moins fantaisistes des lieux de détention. Ce sont des fouilles au corps incessantes et humiliantes sans raison, des courriers censurés et retardés, des soins médicaux et dentaires attendus des jours et des semaines durant, des interdictions de parloir signifiées à des familles sous prétexte de quelques minutes de retard, des isolements en cellule de quartier de sécurité, des exclusions d’atelier, des locations de télévision ou de réfrigérateur à des prix prohibitifs pour des détenus sans le sou, des déplacements d’une prison à l’autre, des comparutions en conseil de discipline, le fameux "prétoire", des témoignages de surveillant dont la parole l’emporte sur celle du détenu, des aménagements de peine compromis. On n’imagine pas l’inventivité du personnel carcéral pour réduire au silence les détenus.
 
S’y ajoute l’intimidation exercées par des détenus eux-mêmes sur d’autres : d’un côté, des groupes organisés autour de caïds font régner leur loi ; de l’autre, des informateurs de l’administration cherchent par la délation à gagner ses faveurs.
 
En somme ce qui frappe, c’est qu’on retrouve dans le comportement de l’administration pénitentiaire, au nom de l’impératif de la sécurité, la même indifférence à la loi dont fait preuve une administration en liberté comme celle de l’Éducation nationale, mais en pire ! On n’est, du coup, pas surpris de cette parenté de conduite. Car, si déjà dans l’Éducation nationale, la loi qui doit protéger la dignité humaine n’est pas respectée par l’administration, comment le serait-elle par l’administration pénitentiaire qui ne connaît à vrai dire aucun contre-pouvoir et dont l’impunité est une culture au moins aussi assurée qu’à l’Éducation nationale ?
 
Même si le problème n’a pas été évoqué en séance, cette culture de l’impunité administrative vient d’être utilement illustrée par la manifestation stupéfiante de deux cents policiers venus protester devant le Tribunal de Bobigny, vendredi 10 décembre 2010 : ils entendaient dire leur colère contre la condamnation de sept d’entre eux pour avoir à tort imputé à un tiers un accident provoqué par une de leurs voitures. Comment des policiers peuvent-ils en venir à perdre à ce point le nord démocratique  ?
 
Le chantage implicite imposé aux intervenants extérieurs
 
Or, seul le pouvoir, dit Montesquieu dans « L’Esprit des Lois », arrête le pouvoir. Les intervenants extérieurs, bénévoles ou non, peuvent-ils être un de ces contre-pouvoirs ? Leur statut est si vulnérable. Ils ne peuvent pénétrer dans la prison que sur autorisation expresse et révocable, qu’il s’agisse des médecins, des enseignants, des associations comme l’OIP, les Visiteurs de prison ou le GENEPI ?
 
Si, selon le titre du magazine de l’OIP « Dedans Dehors  », ils s’aventurent à révéler au « dehors » ce qu’ils ont vu « dedans » ou ce que des détenus leur ont confié, ils prennent le risque de se voir intimider : ils peuvent faire l’objet d’enquête de police, être menacés de garde à vue, ou tout simplement se voir retirer leur autorisation. Certains résistent, d'autres démissionnent. C’est un rapport de forces constant.
 
Car l’institution pénitentiaire a besoin d’eux tout de même pour tenter d’offrir l’image la moins désastreuse possible, surtout aujourd’hui : les prisons françaises ne sont-elles pas dénoncées comme indignes d’une démocratie par les institutions européennes ? 
 
Était-ce un hasard ? Ce débat de l’OIP sur la liberté d’expression en prison s’est déroulé pendant « La fête des Lumières » à Lyon qui répandait dans la nuit sur la ville guirlandes lumineuses, lampes de bureau géantes, veilleuses, foyers flamboyants, feux follets courant le long des rives du Rhône et de la Saône, lune géante pendue à une grue, place Saint-Jean, au pied de la basilique Notre Dame de Fourvière en gloire qui rayonnait de lasers multicolores. Les témoignages entendus et les échanges ont été, eux aussi, autant de faisceaux de lumière projetés dans la nuit noire des prisons françaises pour convaincre que, si des citoyens libres se préoccupent à ce point de défendre les droits non respectés des détenus, c’est parce que ce sont aussi les leurs qui sont en jeu et ceux de tous leurs concitoyens qui n'en ont pas encore conscience. Une civilisation se juge à ses prisons. Paul Villach


10 réactions


  • cti41 cti41 13 décembre 2010 10:45

    La liberté d’expression dans les prisons..........Ce sujet est bien complexe pour savoir jusqu’où peut aller cette liberté sans nuire à la sécurité des établissements pénitenciaires. Vous évoquez une manifestation de policier qui sont syndiqués mais il ne faut pas oublier cette liberté d’expression qui n’existe pas ou si peu chez les militaires en général et les gendarmes en particluier. Voyez le cas Matelly, rayé des cadres, viré, pour avoir osé donner un avis négatif sur le rapprochement police gendarmerie au minsitère de l’intérieur. Est il normal que ce soit des retraités ou des civils qui doivent faire passer le ressenti des gendarmes. Christian Contini. http://sites.google.com/site/assogendarmesetcitoyens/archives-des-bulletins-d-information


    • Paul Villach Paul Villach 13 décembre 2010 12:10

      @ Cher Cti41

      1- La liberté d’expression des gendarmes est un sujet de premier ordre. Je suis d’accord avec vous.

      2- Je n’évoque ici que l’invraisemblable manifestation des policiers contre la condamnation de 7 d’entre eux pour falsification. Cette revendication d’impunité jette le discrédit sur les forces de l’ordre. Ils auraient voulu donner des arguments aux provocateurs et délinquants de tout poil, qu’ils ne pouvaient mieux faire. Paul Villach


    • cti41 cti41 13 décembre 2010 12:17

      Je pense qu’à Bobigny le problème est beaucoup plus complexe. Il n’y a pas revendication d’impunité mais incompréhension sur le fait que des juges vont bien au delà des réquisitions du Procureur qui pourtant, lors de son réquisitoire, avait eu des mots très durs faisant un parrallèle entre police et gestapo. N’ayant pas les détails de l’affaire initiale je ne veux porter aucu jugement mais je constate que les policiers ont « mobilisé » grâce à leurs syndicats, dans un cas identique les gendarmes n’auraient pu s’exprimer que sur des forums ou par la voix d’association en se retranchant derrière l’anonymat. 


    • Paul Villach Paul Villach 13 décembre 2010 12:30

      @ ctdi41

      Quelque complexe que soit le problème, la condamnation est claire et ne saurait souffrir une telle manifestation de policiers.

      Après tout, comme dans toute profession, il existe un pourcentage de gens qui déshonorent la profession. Je ne vois pas ce que la profession a à gagner à se solidariser avec des falsificateurs. Paul Villach


  • Clojea Clojea 13 décembre 2010 11:15

    Sujet complexe qui mérite d’être traité. Je pense que le système carcéral tel qu’il est actuellement est voué à l’échec. Normalement, le but serait de réhabiliter les criminels de façon à ce qu’ils puissent se réinsérer dans la société, et qu’ils se sentent de nouveau responsables. Applicable pour ceux bien sur qui sont récupérables. La catégorie fous sadique devraient être tenus à l’écart de la société, dans des conditions humaines acceptables. Le plus dur est d’arriver à faire admettre à un délinquant qu’il a tort et qu’il peut changer. Comme personne n’aime avoir tort, c’est le cap le plus difficile. Quand une personne peut voir en face qu’elle a fait une bêtise, elle peut changer et s’améliorer.


  • docdory docdory 13 décembre 2010 18:52

    @ Paul Villach

    Effectivement, si la prison est par définition une privation de liberté, ce doit surtout être une privation de la liberté de déplacement , ce qui permet à un prisonnier de ne pas être un danger pour la société pendant son temps d’incarcération, et une certaine restriction de la liberté de communiquer avec l’extérieur ( juste ce qui est nécessaire pour qu’un prévenu n’aille pas maquiller des preuves ou organiser des faux témoignages par personne interposée, par exemple )
    Il ne devrait s’agir de rien d’autre, en particulier ni une privation de paroles, ni une privation de soins, ni une privation d’hygiène , ni une privation de dignité.
    Les prisons françaises en sont loin .

  • hks 14 décembre 2010 09:11
    La cour d’appel de Douai, dans le nord, a donné raison à 38 détenus de la prison de Rouen qui se plaignaient de cellules trop petites, de la promiscuité et surtout de la proximité des toilettes. L’Etat est donc condamné pour mauvaises conditions de détention.( france infos 9/12 ) à ViIlach

    je suis tout à fait en phase avec vous sur ces questions .
    1) nécessaire liberté d ’expression des gendarmes
    2) les prisons en France ( voire ailleurs évidemment )
    3) l ’affaire de Bobigny ( ne pas oublier que le « larron » calomnié risquait la réclusion à perpetuité )

    hks


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