La neutralisation d’une bombe inexplosée
Gare du Nord à Paris, l’une des plus fréquentées d’Europe avec plus de 226 millions de voyageurs par an a connu vendredi 7 mars 2025 une pagaille monstre. Les TGV, Eurostar, RER, TER et Transiliens sont restés à l'arrêt une douzaine d'heures. « Une matinée en gare du Nord, c’est habituellement de l’ordre de 300.000 voyageurs sur TER et RER, et 15.000 sur trains longue distance ». La SNCF invitait les usagers à reporter leur voyage, impossible de rejoindre l’aéroport Charles-de-Gaulle. Des voyageurs se sont rués sur les cars assurant les liaisons avec Amsterdam, Bruxelles ou Londres, d'autres de s'engouffrer dans le métro pour rejoindre les trains à destination de Lille, Dunkerque et Valenciennes reportés gare de Lyon. Le RER B était reporté à la Plaine-Stade de France et à Aulnay-sous-Bois et les lignes K et H à Mitry et à Saint-Denis. Une partie du boulevard périphérique et de l’autoroute A1 était fermée à la circulation. Deux cents riverains évacués tandis que d'autres étaient invités à se confiner. La raison ? la découverte dans la nuit de vendredi d'une bombe anglaise de 500 kg datant de la Seconde Guerre mondiale à 2,5 km de la gare du Nord à Saint-Denis, et à 200 m au nord du boulevard périphérique parisien. Le trafic a été rétabli progressivement à partir de 18 H.
Si les journalistes confondent une mine avec une bombe aérienne gravitationnelle ou un obus projeté par un tube..., ne commettons pas la même erreur. Il s'agit probablement d'une bombe MC (medium capacity) de 1 000 livres (463 kg), longueur 184 centimètres, diamètre 45 cm et chargée de 218 kg d'explosif. Les bombes de la Deuxième Guerre mondiale cylindro-ogival conçues pour provoquer la destruction par la détonation d'une charge explosive ou d'un matériau incendiaire comportent : une enveloppe extérieure métallique - une charge explosive - un empennage pour tomber verticalement sur la cible et lui éviter un ricochet sur un sol dur - voire un anneau pour l’empêcher de pénétrer trop profondément dans le sol - d'un ou deux emplacements pour recevoir une fusée ou dispositif de mise à feu - un mécanisme d'armement de la fusée.
Les premières bombes aériennes apparaissent en 1849 lorsque les Autrichiens lâchent de petites bombes à partir de ballons sur Venise. En 1912 les Italiens utilisent l'avion pour larguer des bombes en Tripolitaine. La bombe contemporaine, corps en acier avec la fusée logée dans la pointe et un empennage fait son apparition en 1915. Deux années plus tard le bimoteur allemand le « Gotha » (plafond 3 000 m) emporte 600 kg de bombes et frappe les capitales pour en effrayer les populations. En 1942 le bombardier quadrimoteurs Lancaster Avro : vitesse 190 nœuds (environ 350 km/h), rayon d'action 1 458 NM (2 700 km) servi par un équipage de 7 hommes emporte 10 tonnes de bombes. Construit à 7 377 exemplaires il fut le principal bombardier de la Royal Air Force totalisant 156 000 sorties et 608 000 tonnes de bombes larguées principalement lors de raids nocturnes et un taux de perte de 8 % au début de l'année 1943.
Les bombes sont principalement : les bombes à usage générale (general purpose) qui pénètrent dans le sol avant d'exploser et qui contiennent 30 à 50 % de leur poids total en explosif. Les bombes soufflantes contiennent jusqu'à 80 % d'explosif déflagrant. Les bombes perforantes, 5 à 15 % d'explosif brisant, pénètrent les blindages, le béton armé et n'explosent qu'une fois leur course terminée. Existent également les bombes à fragmentation (projection d'éclats et les bombes incendiaires. Autre classification rencontrée : bombes légères (LC) poids total de 250 kg - semi-légères (MC) 500 kg - semi-lourdes (MH) 1 000 à 3 000 kg - lourdes 6 000 kg. La plus grosse bombe britannique « Grand Slam » (gros coup) pesait 10 000 kg ! Les « bombes volantes » allemandes V1 et V2 qui atteignaient 1 200 m/sec sont classées dans les fusées à grande portée.
Au début de la guerre un bombardier volant à 6 000 m d’altitude a 1,2 % de chance d'atteindre une cible de 30 m2, la quantité de bombes déversée va suppléer le manque de précision. En 1943 ce sont 16 % des bombes qui tombent à moins de 300 m de l'objectif et 60 % à la fin de la guerre. Quand un bombardier largue ses bombes celles-ci ne tombent pas toutes au même endroit (dispersion). La précision du bombardement dépend de l'altitude de largage, de la vitesse sol, du type de bombes, de la précision du navigateur, du pilote, du calculateur, du maintien d'altitude (à chaque bombe lâchée l'aéronef s'allège et gagne de l'altitude), des conditions météorologiques, de la dérive, durée du largage, des défenses adverses (chasse et DCA), et de la position dans la vague d'attaque. Stephen Mc Farland a résumé les difficultés à atteindre une cible : un B-17 vole à 300 km/h à 6 900 m d'altitude et largue une bombe de 300 kilos à 2 700 m de l'objectif avec une durée de chute de 38 secondes. Si l'erreur de la vitesse-sol est fausse de 3 km/h et l'altitude de 7,5 m, l'écart de la frappe est de 345 m ! On est loin des frappes chirurgicales...
Un objet qui tombe dans l'air voit sa vitesse augmenter de plus en plus, et la résistance de l'air augmenter selon le carré de la vitesse. Sa vitesse ne peut augmenter indéfiniment, lorsque la résistance de l'air équilibre le poids, l'objet atteint alors sa vitesse limite (environ 250 m/s pour une bombe). Lorsqu'une bombe heurte le sol, elle s'y enfonce d'autant plus que celui-ci est meuble, que la vitesse d'impact (Ec et Ep) est grande, qu'elle tombe à la verticale, que la charge au maître-couple (quotient du poids par la plus grande section) est importante. Une bombe de 250 kilos a un rayon mortel d'une vingtaine de mètres, creuse un cratère d'environ 2,70 m de diamètre et d'une soixantaine de centimètres de profondeur. Une bombe peut projeter des d'éclats sur plusieurs centaines de mètres, surtout dans le plan perpendiculaire à son axe. Les stopper requiert un minimum de 30 cm de béton armé ou 45 cm de maçonnerie pleine. Pour avoir une idée du potentiel de destruction d'une bombe de 250 kg, il faut une dalle de 2 mètres d'épaisseur - 500 kg 2,5 m - 1.800 kg 4 m.
Les bombes à usage général (GP) utilisées lors des premières missions étaient équipées de détonateurs à retardement d'un quart de seconde et d'un dixième de seconde dans le nez. Un rapport de décembre 1942 rédigé après le raid sur Lille, rapportait que 20 % des bombes larguées n'avaient pas explosé car leurs mécanismes d'armement avaient gelé après avoir été exposés aux conditions humides des aérodromes pendant la nuit. La procédure opérationnelle fut modifiée et les détonateurs mis en place juste avant le décollage lorsque les bombes étaient solidement arrimées dans le bombardier. Les fusées sont armées au moment du largage par : une hélice d'ogive, le dévissage d'un écrou papillon, l'arrachage d'une goupille, d'un fil d'armement ou mouvement d'horlogerie pour qu'elle ne puisse exploser dans l'appareil. Il est à noter qu'une ou deux fusées peut être insérée dans l’ogive, le culot ou sur le côté selon le type de bombe.
Les fusées électriques comportent un circuit-retard comprenant résistances et condensateurs. « Au moment du lancement de la bombe, le plot de chargement écrase son ressort et transmet au condensateur de charge la tension d'une batterie. Pendant la chute de la bombe, le condensateur charge le condensateur de mise à feu à travers une résistance assez importante pour retarder de plusieurs secondes ( ) le moment ou le condensateur de mise à feu sera chargé. Le choc de la bombe à l'arrivée au sol fait vibrer l’interrupteur constitué par une masselotte maintenue par un fil d'acier flexible dans l'axe d'un cylindre conducteur ; la masselotte vient au contact de la paroi du cylindre à la manière du battant d'une cloche et le circuit de décharge du condensateur de mise à feu se trouve fermé ; la décharge allume une amorce électrique qui provoque la détonation de l'explosif ».
En 1943 une bombe sur cinq arrivée au sol n'éclate pas, en cause, le très long retard chimique (acétone et celluloïd). Les nouvelles bombes GP de 250 livres, 500 livres, 1 000 livres et 2 000 livres vont représenter la plupart des bombes larguées au cours de la dernière année du conflit. Au mois de janvier 1945, les experts recommandent l'utilisation de bombes GP de 100 livres contre les gares de triage et les pistes d'atterrissage, et la 250 livres contre les installations pétrolières, les dépôts de carburant et de munitions. Après le bombardement britannique sur la gare de Noisy-le-Sec le 17 avril 44, la moitié des quatre cents bombes inexplosées sautèrent spontanément jusqu'à trois jours après le bombardement, et deux cents restèrent enfouies avant d'être détruites !
Après un raid aérien les habitants des villes ou villages bombardés signalent les bombes non éclatées au service de la Défense passive. Si certaines se sont enfoncées dans le sol de quelques mètres, d'autres sont parfois immobilisées au cœur d'un l'immeuble ! L'artificier doit la dégager sans la déplacer afin d'en reconnaitre le type avant d'envisager sa neutralisation. Les bombes inférieures à 10 kg sont pétardées sur place, les bombes d'un poids supérieur sont désamorcées pour être transportées sur un terrain éloigné de toute habitation avant leur destruction. Si certaines fusées peuvent être ôtées facilement au moyen d'une clef à griffes, d'autres sont piégées et doivent être neutralisées impérativement avant tout déplacement. L'artificier fore un trou dans une partie inférieure de la bombe pour y injecter de la vapeur, la chaleur dégagée fait fondre l'explosif qui s'écoule à l'extérieur où il est recueilli, l'artificier peut ensuite en dévisser la fusée. Autre pratique, l'injection d'une « mélasse » très épaisse dans le mécanisme afin d'en immobiliser les pièces avant d'en entreprendre le démontage.
Voyons la particularité du piège de la fusée type 37. Le percuteur est maintenu éloigné de son amorce par une couronne de billes, dès que la fusée est désserrée d'un tour de pas de vis, les billes sont repoussées dans un logement circulaire et libèrent le percuteur qui entraine l'explosion. Pour se prémunir de ce piège redoutable, le démineur enserre la base de la fusée entre deux mâchoires, chacune comportant une petite charge de poudre qui une fois initiée, à distance, délivre un couple capable de la dévisser en un centième de seconde (invention allemande copiée par les Français et améliorée par les Américains).
La France a reçu 22 % du tonnage de bombes larguées par les Alliés sur l’Europe ! Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale le ministère de la Reconstruction et de l'urbanisme estime le nombre de mines à plusieurs dizaines de millions et autant de bombes et d'obus disséminés sur plus de 500 000 hectares. Les experts disent que 10 milliards de francs seront nécessaires, la direction du déminage devra se satisfaire de deux milliards. Près de 3 200 démineurs sont chargés de neutraliser puis de détruire les engins de mort inexplosés et les nombreux stocks découverts. Il leur faut déblayer au plus vite les abords des villes, bâtiments, usines et voies de communications bombardés afin de permettre la reprise économique. Les travaux de déminage sont considérés comme terminés fin 1947, plusieurs centaines de démineurs y ont perdu la vie. Les bombes alliées ont tué 57 000 Français, sont responsables de 74 000 blessés civils et de la destruction de 300 000 logements ! Brest, Caen, Lorient, le Havre, Marseille, Nantes, etc., ne sont que décombres. Quel état d'esprit animait les aviateurs français des escadrilles Guyenne et Tunisie impliqués dans certains de ces bombardements ? Une correction, une précision, une remarque ?
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°