jeudi 5 juin 2008 - par Argoul

La pensée trentenaire

Ceux qui ont 30 ans cette année sont nés en 1978. Ils ont émergé à la pensée consciente vers 1981 et ont vécu sous la gauche toute leur adolescence. On peut parler de « la génération Mitterrand ». Lorsqu’ils ont voté, c’était sous Chirac – peut-être pour lui déjà en 1995 et sûrement en 2002… Que pense donc cette génération, la trentaine venue ? TNS Sofres publie une enquête sur ses « valeurs », en avril 2008. Une "valeur" est en théorie "ce qui vaut" ; de nos jours elle signifie trop souvent "ce à quoi on se raccroche". La conception nouvelle n’est pas positive, mais de l’ordre de la réaction à ce qui survient. Ce pourquoi je préfère parler pour ma part de "pensée", mot plus général qui englobe le positif et le négatif - et laisse cohabiter les nécessaires contradictions.

Car des contradictions, pour les trentenaires d’aujourd’hui, il y en a ! 84 % déclarent se sentir bien dans la société telle qu’elle est, dont 14 % « très bien » (et seulement 3 % « très mal » - la « révolution » n’est pas pour demain, n’en déplaise aux yakas). Enfants, famille et amis sont l’univers où passer le meilleur du temps (en gros la moitié au moins des sondés). Avec un peu d’activité : du sport (37 %), de la télé (35 %, dont le sport devant la télé…), internet (34 %, mais 43 % pour les sans enfants). Pas plus le cinéma que lire (autour de 20 %), finalement peu de musique, moins qu’avant (13 % - 1968 est bien loin…). Encore moins faire des courses (20 % enfants obligent, mais 10 % sans) ! La consommation de marchandises n’est donc pas cette tentation ignoble qui hante tant la « pensée de gauche » ; elle est plutôt « culturelle » cette consommation - télé incluse, qui est un cinéma à domicile à cause des enfants (19 % avec, 28 % sans). A noter les jeux vidéo, cette américanisation des comportements et du culturel qui, eux, entrent carrément dans la « marchandise » (sans s’attirer les foudres de ladite « pensée de gauche », on se demande pourquoi). Ils touchent quand même 16 % des 30 ans (adolescents attardés ou mutants ?), contre 4 % des 30 ans munis d’enfants (adultes « normaux » ou dépassés ?). Pourtant, la marchandise comme infantilisation, voilà une critique de gauche recevable ! Malgré le battage des intermittents du spectacle, vivant sur fonds publics, les trentenaires vont moins les voir (9 % avec enfants, 15 % sans) qu’ils ne vont au cinéma – et moins qu’ils ne jouent aux jeux vidéo pour les plus libres… Faut-il faire tout ce foin et tout ce saupoudrage de dépense publique pour une pratique somme toute marginale de « la culture » d’aujourd’hui ? Ou est-ce une action « politique » symbole d’une gauche qui cherche ces rassemblements collectifs qui se font plus rares ? N’y a-t-il pas d’autres priorités pour un Budget qui ne saurait être extensible à l’infini, ou est-ce le retour aux priorités de base (manger, dormir, être soigné) qui désormais importe au plus grand nombre ? En bref, l’enquête renvoie l’image d’une génération égocentrée, très imbibée d’usages « américains » (ou de la modernité ?), repliée sur les proches et les activités locales. Très peu de bénévolat, 8 % que ce soit avec ou sans gosses.

Ce que confirme le regard que les trentenaires portent sur eux-mêmes : « individualistes » à 34 %, « solidaires » seulement à 18 % ou « engagés » à 17 %. Ils se veulent lucides (31 %) et responsables (28 %) – voire désabusés (25 %) ou égoïstes (22 %). Rançon des rêves brisés de la gauche cru 1981, dont le relais réaliste n’a jamais été pris dans le parti, tout comme de la fainéantise Chirac. Les trentenaires se voient plus « pessimistes » (21 %) qu’« optimistes » (15 %). Rien d’étonnant à ce que la « morale » soit tombée si bas… à 10 %. Elle se trouve au 11e rang des qualificatifs. Exemple des pourris sous la gauche comme sous la droite, du Carrefour du Développement aux écoutes illégales, faux attentats (Irlandais de Vincennes) et suicides (Bérégovoy, Grossouvre) sous Mitterrand - et aux dépenses de la mairie de Paris, dessous de table, billets d’avion, frais de bouche Chirac, pots de vins sur trafic d’armes (frégates de Taiwan, imbroglio Clearstream), copinage éhonté (un ami du président poussé à la tête d’EADS et soupçonné de délit d’initié sur ses propres actions !) et autres faux électeurs Tibéri. Reste aussi cette réprobation Mai-68 pour tout ce qui touche à l’autoritarisme, dont la « morale » est le Surmoi fouettard. A noter que seulement 2 % se disent « sans opinion » pour qualifier leur génération. S’ils sont timides, ils ne sont pas inconsistants, c’est rassurant.

La « chance » des trentenaires par rapport aux aînés vient des loisirs, de la santé et de l’aisance matérielle. En revanche, qualité de vie et logement agréable sont balancés (autour de 50 %), tandis que ressources financières, situation mondiale et emploi sont de vraies malchances. Surtout l’emploi – merci Mitterrand et Chirac, merci l’immobilisme idéologique (à causes opposées) ! Ils sont 84 % à jeter à la gueule des quadra, quinqua et autres sexa voire septua, leur échec patent dans la gestion de ce qui est le problème majeur de la France – bien qu’étant à la base du faire-société. Le raidissement corporatiste et caporaliste de la gauche sur l’emploi, tout comme l’hypocrisie d’une libéralisation mal assumée et mal suivie à droite, ont gelé le travail en France. N’est-ce pas pour cela surtout que Sarkozy a gagné ? Pas la peine de donner des leçons de « solidarité » et des incantations à la « démocratie participative », si c’est pour ne rien faire d’efficace – au contraire de tous les pays voisins – sur cette priorité de l’emploi !

La gauche pourrait se rattraper : elle a bien fait l’école et la génération Mitterrand récite son petit catéchisme convenable de valeurs très positives : « progrès », « droits de l’homme », « engagement ». Mais avec cette contradiction imitant fort bien la gauche partisane : en parler souvent (78 % d’engagés très positifs et 75 % de solidaires) - le faire rarement (17 % d’engagés effectifs, seulement 18 % de solidaires) !

La droite menace : mérite (75 %), travail (73 %), entreprise (73 %) et morale (71 %) sont des valeurs positives, avec la même contradiction sur la morale (très valorisée, très peu pratiquée). Si le « libéralisme » (52 %) est presque aussi bien (ou mal) vu que l’argent (55 %), c’est en tout cas la grève (49 %), l’Administration (46%), la mondialisation (43 %), la religion (40 %) ou la politique (36 %) qui sont mal perçus, en dessous des 50 %. Quant au marxisme, son heure est passée, il a tant écœuré la génération gavée par les profs idéologues, qu’il ne recueille que 21 % de valeur positive ! Il faut dire que l’événement marquant pour 47 % est la chute du Mur de Berlin en 1989 – l’échec marqué du social-communisme. Ce pourquoi la gauche italienne – réaliste – a supprimé toute référence au communisme et au socialisme dans sa représentation partisane. Seulement 14 % des trentenaires ont été marqués par l’élection de Mitterrand, premier président de gauche de la Ve République, en quasi-jeu égal avec la rupture Sarkozy (12 %).

D’où l’attentisme politique : prouvez ce que vous pouvez faire et on vous croira. Pas la peine de bavasser, gauche et droite même combat. Les craintes majeures sont en effet l’accroissement des inégalités (58 %) et la dégradation de la Sécurité sociale (43 %). Elles sont liées inextricablement au problème n° 1 à 30 ans : l’emploi ! l’emploi ! l’emploi ! Avec la crainte de la baisse du pouvoir d’achat (54 %) et le chômage (43 %). La perte d’identité de la France ou de son influence diplomatique culturelle sont les dernières roues du carrosse, respectivement 13 et 9 %, bien loin des préoccupations des souverainistes gauche ou droite. La « qualité des services publics » dont syndicats et technocrates se remplissent les babines ne fait pas bander : 19 % seulement « craignent » leur dégradation. Peut-on se réjouir de l’échec d’école, de l’impasse de l’université, des lenteurs et oukases de la justice, de l’action de la police, de la gabegie des hôpitaux, des autorisations diverses au commerce, de la paperasserie des petits-chefs dans les diverses administrations ? Il y a un appel à l’Etat pour réorganiser tout ça, s’élever au-dessus des petits intérêts mercantiles ou corporatistes, offrir la même base à tous : ils sont 67 % à le réclamer, évidemment plus à gauche 76 % (toujours caporaliste), qu’à droite 54 % (plus éprise du lâchez-nous les baskets). Mais enfin, l’Etat reste une valeur trentenaire. Yaka le rendre plus efficace et proche des gens…

Enquête TNS Sofres réalisée par téléphone auprès d’un échantillon de 400 personnes, représentatif de la population des 30-39 ans selon la méthode des quotas, du 26 au 28 mars 2008.



22 réactions


  • Boson De Higgs Boson De Higgs 5 juin 2008 15:19

    100%* des trentenaires ont moins de 40 ans,

    Ils sont psychologiquement instables (12%* ont déjà voulu étranglé leur conjoint, 0.5%* ont déjà tué quelqu’un, 0.7%* a déjà commis un viol, ils sont fans de Johnny à 8%* : il y a donc plus d’un trentenaire sur cinq qui souffre de psychose).

    Cette instabilité mentale est due, selon les spécialistes au fait que 51%* des trentenaires sont des femmes.

    *Sondage PIF Gadget

     

     


  • zets zets 5 juin 2008 15:27

    Plus de morale, et ces saletés de jeux vidéos, rha les intermittents qui servent à rien... gn gn gn

    Faut-il y voir une belle chronique du futur 3ème âge ??

    (signé un 30naire ! ;)


  • vivelecentre 5 juin 2008 16:06

    moi je préfère le sujet sur les anthropophages...


  • superesistant superesistant 5 juin 2008 16:11

    si on vous suit, on supprime ces glandeurs d’intermittents payés à presque rien fouttre, et on les remplace par des home-cinémas pour matter la star ac’ en famille ou entre couples de potes...

    la diversité de toute façon on s’en cogne, yaka tout faire pareil... affligeant...

    un sondage réalisé sur 400 personnes, çà en tout cas c’est l’échantillon le plus léger que j’ai pu voir pour une enquête...

    ce qui est dommage c’est que des valeurs comme l’entre-aide, la solidarité et autres poncifs d’idéalistes à la noix sans doute évadés du polit bureau cher à devedjan, sont des valeurs qui pourraient améliorer le quotidien d’une frange ( ouai bon on s’en fout ils sont pauvres mais bon.. ) non négligeable de la planète ( environ 4 à 5 milliards d’êtres humains ) voir de préserver un temps soit peu cette planète. mais bon voilà, le pourcentage étant contre eux, on va se mater un match de foot devant la TV avec une binouz et une poart de Pizz et pi c’est tout !

    un "autre" trentenaire.. désabusé , du coup.

     


  • LE CHAT LE CHAT 5 juin 2008 16:47

    je ferai bien le cannibale avec celle là aussi !

     

    moi aussi je sais appater le chaland 

    http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=28953

     


  • morice morice 5 juin 2008 17:09

     Merci pour les modifs.


  • Sandro Ferretti SANDRO 5 juin 2008 18:28

    @ Tous :

    Interessant.

    La "fameuse" photo incriminée a disparue (essayez de faire cela avec un de vos articles...), et les commentaires négatifs, réservés ou ironiques ont... disparus.

    Les cuisines citoyennes....

     


  • pseudo pseudo 5 juin 2008 19:10

    Si je comprends bien ils reprochent aux quadras, quinquas... de leur avoir laissé un pays en mauvais état et ils sont bien décidés à ne rien faire pour que ça change . C’est logique.

    Qu’ils fassent attention quand même, les jeunes de 10 / 20 ans sont là en embuscade... Et dans 10 ans, les trentenaires devenus quadras se feront à leur tour malmener ...


  • Lisa SION 2 Lisa SION 5 juin 2008 19:44

    ...finalement peu de musique, moins qu’avant (13 % - 1968 est bien loin… avez vous écrit.

    La musique d’aujourd’hui ne déplace plus que cinquante mille personnes ( dans des " raves ") et cent mille au stade de France dans le meilleur des cas !. Pour écouter les bonnes de l’époque, c’est trente secondes dans les pubs ou la nouvelle star, qui fai execption dans ce domaine. On peut y écouter de jeunes chanteurs de talents faire des interprètations magnifiques de morceaux déjà culte. ( Je cherche à ce sujet la version de "yesterday " magistralement interprétée par Raphaëlle Dess. )

    ...Il faut dire que l’événement marquant pour 47 % est la chute du Mur de Berlin en 1989 ... Le bénéfice de ce formidable jour du 4 novembre 1989 a perduré jusqu’au triste 15 janvier 1991 à une heure du mat !

     


    • docdory docdory 6 juin 2008 09:32

       @ Lisa Sion 

      Effectivement , triste 15 janvier 1991 ! Je me souviens m’être saoulé la gueule de colère , que dis-je de rage avec un copain , et d’avoir , avec lui , semé un certain désordre dans la rue !


  • Le péripate Le péripate 5 juin 2008 20:04

    Ils ne sont pas si mal que ça, nos trentenaires ! Et la petite pique sur les intermittents m’a réjoui...

    Signé : un intermittent...

     


    • Nobody knows me Nobody knows me 9 juin 2008 10:40

      Ils ne sont pas si mal que ça, nos trentenaires ! Et la petite pique sur les adolescents attardés m’a réjoui...

      Signé : Un joueur... trentenaire... Non mais !

       smiley

      Argo, merci pour cet article, j’apprécie toujours autant le style d’écriture. Mais pourquoi une telle focalisation sur l’époque Mitterrandienne, sur la gauche, etc... ? Pour extrapoler sur des statistiques déjà peu crédibles (de mon point de vue en tout cas, les stats ça a jamais été mon dada smiley ? Si la France avait vraiment été socialiste ou communiste, la CIA aurait renversé le pouvoir et mis un "démocrate" en place, comme au Chili un peu avant par exemple... smiley

      Merci mr Mitterrand de n’avoir pas été si socialiste que cela... Et merci à mr Attali...


  • lola_gouttiere 6 juin 2008 09:59

    Petite correction : ceux qui (comme moi) ont 30 ans cette année n’ont malheureusement pas voté en 95, nous avions 17 ans !

    Notre première participation aux présidentielles fut donc 2002.... No comment.

     


    • Nobody knows me Nobody knows me 9 juin 2008 10:44

      Ô pôvre, ne m’en parlez pas ! J’en ai encore des relans... smiley

      Pour un premier vote, voter pour un escroc à la place d’un fasco... Tout ça sous la houlette de nos medias pas contrôlées du tout du tout. Mais du tout !

      Et vous voulez qu’on soit optimiste après ça ??


  • roOl roOl 6 juin 2008 10:22

    Bye Bye Agoravox...

    c’est la derniere fois qu’on efface mes coms sur ce media qui n’as de citoyen que le nom.


  • Kaneda 6 juin 2008 12:01

    Ils n’ont pas pu voter en 1995 puisque pas majeurs. De plus à entre 10 et 18 ans rares sont ceux qui s’intéressent déjà à la politique alors parler de génération Mitterrand ... moi je dirais plutôt génération Chirac !

    La « chance » des trentenaires par rapport aux aînés vient des loisirs, de la santé et de l’aisance matérielle

    Ben voyons l’aisance matérielle des tout juste trentenaires par rapport à leurs ainés ... la bonne blague


    • Argoul Argoul 6 juin 2008 14:43

      Vous avez une drôle d’appréciation des statistiques, vous... "Trentenaire" c’est celui qui a de 30 ans et 1 jour à 39 ans et 11 mois 30 jours. Il s’agit d’un intervalle statistique. Celui qui était né en 1978 ne pouvait pas voter, mais tous les autres trentenaires d’aujourd’hui nés avant, si - jusqu’à ceux nés en 1969. 

      C’est aussi pourquoi je parle de "génération Miterrand" et pas Chirac. Les 69 avaient 12 ans lors de l’intronisation de François III, les 78 avaient 3 ans. Comme son règne a duré 14 ans, faites le calcul !

      D’autre part, n’étant plus moi-même aujourd’hui trentenaire, inutile de me prêter les goûts et les couleurs affirmés par l’enquête. Je me contente de les reprendre tels qu’exprimés, dans ce billet. "JE" ne dis rien sur les intermittents ; ce sont les trentenaires qui le manifestent (sans le dire - sujet tabou !). Mais en bon faux-culs à la française (voir les contradictions engagement affiché, engagement réel), ils votent avec leurs pieds. Ils sont "scandalisés" en paroles et bien contents en fait, ou indifférents.

      A ce qu’il semble. Selon cette enquête. Précisément celle-là. Pas plus, pas moins.

      S’agissant d’une enquête, le résultat est forcément "moyen" - comme dans tous les sondages. Il serait plus utile de dire en quoi vous différez, vous personnellement trentenaire. Sans accuser le thermomètre !


    • Kaneda 6 juin 2008 17:13

      au temps pour moi pour la tranche d’âge, il faut dire que la première phrase de l’article prête à confusion.
      Pour le reste il ne me semble pas vous avoir prêté de propos particuliers, mais la phrase en question me fait bien rire, voilà tout.


    • tub 9 juin 2008 09:41

      Pour les intermittents, je ne sais pas ce que les 30aires manifestent, mais en tout cas, quand ils vont au ciné, ou quand ils regardent la télé, ils voient le travails des intermittents.

      Les intermittents, c’est pas juste du spectacle de rue, c’est les techniciens ciné (tous les 30aires qui ont été voir les chtis ont-il ainsi voté avec leurs pieds, pour soutenir le travail des intermittents ???) , c’est les techniciens télé, c’est au théatre, sur les spectacles, sur les festivals de musiques (qui font le plein pendant l’été) etc....

      Il me semble donc que vous ne savez pas ce que peut être un intermittent. Du coup, n’essayez pas de disserter sur un truc que vous ne connaissez pas. Ou alors, renseignez vous.


  • manusan 6 juin 2008 12:49

    La droite menace : mérite (75 %), travail (73 %), entreprise (73 %) et morale (71 %) sont des valeurs positives,

    c’est surtout chez les plus de 60 ans que Sarko a fait le plein au 2ds tour (75%) il me semble, d’ailleurs c’est un régle, on se "droitise" avec l’age.

    31ans.


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