mercredi 18 février 2009 - par Paul Villach

La professeur poignardée d’Étampes (suite) : une culture de l’indignité à l’Éducation nationale, preuves en mains

On se souvient que, le 14 novembre 2008, le tribunal administratif de Versailles a condamné l’État à verser 15.000 Euros d’indemnité avec intérêts à Mme Karen Montet-Toutain : c’était la chiche réparation du préjudice subi à la suite de la tentative de meurtre de sept coups de couteaux dont elle avait été victime de la part d’un élève dans sa classe du lycée professionnel Blériot d’Étampes, le 16 décembre 2005. La réaction du rectorat de Versailles avait alors surpris : il n’interjetait pas appel, avait-il déclaré, selon le Parisien.fr du 9.12.2008, au motif que « l’Etat (avait été) exonéré de toute responsabilité » dans cette agression (1)

On ne comprenait pas dans ce cas pourquoi l’État était ainsi condamné si ses représentants n’étaient pas impliqués d’une manière ou d’une autre dans ce préjudice. On a donc cherché à se procurer le jugement. Après lecture, tout s’éclaire.

1- Un jugement à lire entre les lignes

Le document est on ne peut plus concis. Il comprend quatre pages. Si on écarte le dispositif procédural, l’analyse des faits et le jugement tiennent en deux pages. Et si on ne prend pas en compte le rappel de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 et de son commentaire, l’analyse proprement dite du litige tient en 9 lignes.
Autrement dit, le tribunal ne s’est pas apesanti sur des faits qui ne nécessitaient aucune controverse, tant ils étaient évidents et faisaient mal sans que l’administration ait rien fait pour les prévenir. Ceci, certes, n’est pas écrit clairement noir sur blanc par le tribunal. Mais il faut lire entre les lignes.

2- Le rapport des inspecteurs-maison longtemps refusé à la victime

On apprend, d’abord, que Mme Montet-Toutain avait dû demander au tribunal que lui soit transmis le fameux rapport d’enquête des inspecteurs-maison qui avait conclu à l’exonération de toute responsabilité de l’administration en janvier 2006, conformément aux déclarations préalables du ministre de Robien ! Cela signifie donc que l’administration avait dans un premier temps refusé de le lui communiquer. Il est vrai que la loi du 12 avril 2000 qui a vidé de son contenu la loi du 17 juillet 1978, autorise l’administration à refuser à sa convenance la communication des documents administratifs nominatifs qui font apparaître le comportement d’autres personnes. Toutefois, elle s’était entre temps ravisée : le tribunal constate donc que le rapport a fini par être remis à l’intéressée et que la requête est devenue sans objet.

3- Le comportement cynique de l’administration et son mépris du professeur

Le rappel de la loi est ensuite l’occasion pour le tribunal d’énumérer les obligations de l’administration ("la collectivité publique") quand un fonctionnaire est attaqué à l’occasion de ses fonctions. Cette protection est d’abord un devoir : «  La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires… », dit l’article 11 de la loi 83-634 du 13 juillet 1983.

1- Aucune assistance préventive
Force est de constater que l’administration n’en a rien fait dans cette affaire. On sait qu’elle a joué odieusement sur le fait que Mme Montet-Toutain, dans l’ignorance des textes, n’avait pas adressé une demande de protection à l’autorité compétente, le recteur, conformément à la procédure légale. Elle s’était contentée, la malheureuse, de faire un rapport au conseiller principal d’éducation, d’alerter l’inspectrice pédagogique régionale par courriel et la proviseur de vive voix en essuyant de sa part des rébuffades humiliantes : « De mieux en mieux ! » avait rétorqué cette dernière quand la victime lui avait signalé que ses élèves avaient menacé de la violer en classe et de se la passer à tour de rôle ! Mais cela signifie qu’il ne s’est trouvé personne de l’administration ni parmi les collègues, syndiqués ou non, pour lui indiquer la procédure de demande d’une protection statutaire en cas d’attaque à l’occasion des ses fonctions ! C’est du joli ! Qu’on se reporte au livre de Mme Montet-Toutain ! (2)

2- Aucune réparation spontanée du préjudice subi
Le tribunal souligne, d’autre part, « que cette obligation de protection peut avoir pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles le fonctionnaire est exposé et de l’assister dans les procédures judiciaires qu’il pourrait engager, mais aussi de lui assurer une réparation intégrale des préjudices qu’il a subis ».


- L’assistance consentie à Mme Montet-Toutain s’est donc réduite au service minimum : seuls ses frais d’avocats ont été pris en charge, constate le tribunal. L’administration n’a même pas jugé utile de se constituer partie civile aux côtés de la victime : sans doute les faits n’étaient-ils pas assez graves… puisque la victime avait survécu !

- Quant à la réparation intégrale du préjudice subi, l’administration a eu l’indélicatesse de tenter d’y échapper. Elle pensait sans doute que c’était une façon de reconnaître sa part de responsabilité dans la tentative de meurtre et que tout recours de Mme Montet-Toutain devant la juridiction administrative serait frappé d’irrecevabilité pour vice de forme puisqu’elle n’avait pas respecté la procédure initiale de demande de protection statutaire.
 
Le tribunal n’a pas ergoté : il n’en a pas moins reçu sa demande : « (…) Il ne résulte pas de l’instruction, écrit-il, que (l’administration) l’ait indemnisée du préjudice moral résultant de son agression ; qu’en l’absence de tout motif d’intérêt général, Mme Toutain est donc en droit d’obtenir de l’État qu’il l’indemnise de ce préjudice moral (…) »


Sans doute, le jugement de parle-t-il pas explicitement de « la faute » commise par l’administration dans son refus initial de la protection statutaire due à Mme Montet-Toutain et dans son assistance minimale à ses côtés devant la juridiction judiciaire. Et on doit le regretter. Mais on ne peut nier que la première abstention a laissé la voie libre à la perpétration du crime, et que la seconde a montré le cynisme et le mépris du professeur qui guident cette administration. La condamnation de l’État à verser cette indemnité à la victime n’en livre pas moins de ses représentant un visage hideux. Il n’y a qu’une administration inhumaine pour pouvoir se féliciter d’un tel jugement sous prétexte que le mot « faute » n’y figure pas. Elle se moque bien de n’avoir même pas eu l’élémentaire correction d’épargner à la victime qui avait déjà tant souffert, une procédure supplémentaire et inutile pour obtenir la réparation à laquelle elle avait simplement droit. Quelle indignité ! Et ça prétend éduquer la jeunesse d’une nation ! (3) Paul Villach

(1) Paul Villach, « La conduite indigne de l’administration envers K. Montet-Toutain, cette professeur poignardée dans sa classe », AGORAVOX, 9 décembre 2008.
(2) Paul Villach, « Le livre de Karen Montet-Toutain, professeur poignardée : le service public outragé ! », AGORAVOX, 4 octobre 2006.
(3) Paul Villach, « Karen-Montet-Toutain, ce survivant reproche vivant qu’aimerait discréditer Le Figaro », AGORAVOX, 26 janvier 2009.




8 réactions


  • armand armand 18 février 2009 11:58

    Tout aussi indigne est le jugement cynique des jurés d’appel, réduisant la peine de l’agresseur (lequel, conseillé par son avocat bien sûr, a préféré mégoter sur sa peine plutôt que d’assumer son geste et se repentir).

    J’ai eu l’impression qu’on poignardait Mme Toutain une deuxième fois.

    Sans vouloir faire du mauvais esprit, si un amoureux éconduit l’avait aspergée d’essence, m’est d’avis qu’elle eût été mieux défendue par l’institution judiciaire et que l’agresseur aurait écopé de deux fois plus..

    Ah, mais la préméditation alors ? Il est bien vrai qu’on se rend d’ordinaire en cours muni d’un couteau de cuisine simplement pour se faire les ongles...


  • Alexeï 18 février 2009 20:07

    @ l"auteur ou autres lecteurs d’AG.

    Est-il possible d’obtenir copie intégrale de ce jugement que l’on souhaiterait exemplaire ?

    L’administration est condamnée mais quand on voit les termes précautionnuex utilisés par les juges administratifs, il y a encore du chemin à faire pour aboutir à une pratique respectant la Dignité de la Personne. Cette professeure aura subi tous les outrages :
    - injuriée par des voyous (pardon aux humanistes béats je ne dis pas élèves en difficulté) ainsi que par une proviseure inculte,

    - poignardée par une racaille,

    - salie par le ministre de Robien qui a, avant même le lancement d’une enquête maison, annoncé que l’administration était exonérée de toute responsabilité,

    - salie par le recteur Boissinot qui méprise l’autorité de la chose jugée (il n’est élas pas le seul puisque ses confrères refusent systématiquement la protection de la collectivité publique aux agents de l’État attaqués à l’occasion de leurs fonctions),

    - injuriée par le le Figaro qui méprise également l’autorité de la chose jugée et dresse un portrait ignoble de la victime (transformée en fautive).

    On est en droit de se demander si ces vénérables personnes n’auraient pas préféré qu’elle perdît la vie !!!


    • Paul Villach Paul Villach 19 février 2009 10:48

      @ Alexeï

      J’ai évidemment le jugement entre les mains. Paul Villach


    • armand armand 19 février 2009 08:49

      cassandre,

      Ou si simplement elle était policière...

      Loin de moi l’idée de cautionner la moindre attaque contre ces fonctionnaires, mais force est de constater qu’un brigand qui blesse un policier armé est plus lourdement sanctionné que le malfrat qui s’en prend à une femme sans défense. Je sais que le symbole de l’autorité publique y est pour beaucoup, néanmoins, il faut plus de courage et d’intégrité pour échanger des coups de feu. Quant à celui qui s’attaque à une femme à coups de couteau, il ne mérite que de balancer au bout d’une corde.


    • Louisiane 19 février 2009 10:50

      "Pour un flic tué, pour un flic blessé
      Branle bas de combat, l’ordre est menacé
      Alerte générale, obsèques nationales
      Restaurons les valeurs ça ne peut plus durer

      Pour mille mecs humiliés en toute impunité
      Combien de ligne de journaux, combien de scoop de télé
      Combien de numéros d’officiels courroucés ?

      Je me penche, je dégueule,
      j’ai envie de tout casser"

      François Béranger
      "Je ne veux plus le savoir"
      chanson de 1979 !


  • homosapiens homosapiens 18 février 2009 21:51

    si on espère qu’un tribunal apporte de la justice dans ce pays, on est mal barré...
    j’en ai vécu diverses expériences dans différentes instances, heureusement moins
    grave que le cas de cett enseignante, mais à chaque fois un sentiment d’écoeurement
    même quand je gagnais....
    J’ai perdu des procès sur des fondements absurdes et contenant une avalanche
    de non sens juridique, de violation de secret etc...à une telle quantité que même une classe
    de troisième aurait mieux fait..
    j’en ai gagné avec des arguments et conclusions complètement absurdes, voire même inverse et dont la logique décrite aurait du au contraire me rendre perdant..
    Aprés une dizaine de procés je n’en engage plus aucun, nul part, dans aucun cas, j’ai plus vite
    fait d’aller acheter 10 billets de tacotac.
    Mais ce procès, cette méthode de jugement me fait presque vomir tant le sentiment d’écoeurement
    doit envahir les tripes de cette prof, et même avec 15 000 euros ou 1 millions, rien ne l’enlèvera.

    Je prie pour ne pas avoir à affronter une telle épreuve de lynchage, de lachage.

    Beurk, rien que d’y penser.


    • Alexeï 18 février 2009 21:56

      Tout à fait, la justice est devenue dans ce beau pays de France une loterie : l’insécurité n’est pas un mythe, elle n’est cependant celle qui est décrite sur tous les médias de masse (l’insécurité s’appelle JUSTICE et encore, nous ne sommes pas tous tombés sur des assassins style BURGAUD et LESIGNE).


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