lundi 11 avril 2016 - par Didier Cozin

La réforme de l’Etat. Deuxième partie : la loi et les Français

L'inflation législative

Montesquieu au XVIII ième siècle écrivait qu'il ne fallait toucher aux lois que "d'une main tremblante" et encore que "les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires"

Aujourd'hui pour tenter d'exister et faire montre d'autorité l'Etat multiplie les lois, les textes et contraintes de toutes sortes (sans aucun résultat avéré autre qu'un accroissement de la complexité et une perte d'autorité).

Bien évidemment cette inflation règlementaire ne fait pas que des malheureux et désormais toute une économie parallèle prospère sur la "réforme" et les changements incessants de règlementations (parlementaires, commissions administratives, cabinets de communicants, médias, consultants, juristes, partenaires sociaux ...)

Une illustration : la formation et sa malheureuse réforme de 2014

En 2013 les pouvoirs publics entreprirent de "réformer" une formation professionnelle qu'on disait inégalitaire (certainement) et couteuse (si l'on prenait principalement en compte les dépenses de l'Etat pour ses fonctionnaires ou encore l'enseignement professionnel initial).

La réforme se déploie donc depuis 2013 et en cette troisième année de vélléité réformatrice de l'Etat les salariés comprennent que la formation (qui était insuffisante et mal organisée avant 2015) est devenue tout à la fois très improbable et extrêmement périlleuse tant l'Etat s'est ingénié à multiplier les obstacles et les barrières pour entreprendre la plus modeste formation (parfois simplement 20 h d'anglais ou d'informatique).

En janvier 2015 le Compte Personnel de Formation a donc remplacé le DIF (paré pour l'occasion de tous les défauts) et le ministre du travail de l'époque (Michel Sapin) promit d'une manière présomptueuse (lui qui avoua dans un livre de souvenir ne pas connaître la formation avant de s'y attaquer) un dispositif "simple pour les salariés et simple pour les entreprises".

Penchons nous sur cette "simplicité" organisationnelle 2 ans après les fallacieuses annonces gouvernementales

Un rappel tout d'abord concernant le DIF. Pour se former via ce dispositif inauguré en 2004 il fallait franchir trois étapes :

- une demande du salarié,

- une réponse et un accord de l'employeur dans les 30 jours,

- un départ en formation sur le thème et la durée négociée entre le salarié et son employeur

 Comment désormais un salarié doit-il procéder pour se former "simplement" durant 20 heures avec son CPF ?

 Avec le CPF, tout a changé, la complexité et la lourdeur sont devenues la norme et le départ effectif en formation tient désormais plus de la loterie ou de la roulette russe que de la modernité accessible.

Une vingtaine d'étapes à suivre scrupuleusement pour espérer se former avec un CPF

  1. Etre salarié (en poste) ou demandeur d’emploi (indemnisé)
  2. Avoir des anciennes heures de DIF (acquises jusqu’au 31/12/2014)
  3. Ou avoir cumulé des heures de CPF depuis janvier 2015 (24 heures au 31 décembre 2015 pour un travail à temps complet)
  4. Avoir ouvert son espace sur le site gouvernemental www.moncompteformation.gouv.fr
  5. Chercher une formation éligible au CPF (sur une liste 17 000 certifications sans rapport pour la plupart avec le métier exercé)
  6. Trouver une formation compatible avec ses disponibilités horaires et son capital d'heures (pas moins de 7 h mais pas plus de 150 h par an)
  7. Espérer que l'organisme de formation pressenti pourra organiser les formations aux dates souhaitées, qu'il sera habilité à délivrer la certification, est certifié qualité et dispose d'un numéro d'organisme de formation...
  8. Prier pour que cet organisme de formation ne dépasse par le plafond financier de prise en charge de l’OPCA (plafond pouvant évoluer en cours d'année)
  9. Espérer donc que la totalité du prix de la formation sera pris en charge par l'OPCA ou que le restant à charge (majoré de 20 % de TVA) ne sera pas trop important (un salarié s'est vu réclamé récemment par un OPCA une somme 2 000 euros sur les 4 000 euros au total que coutait sa formation)
  10. Faire partager, éventuellement, son projet de formation CPF à son employeur (si celle-ci doit se dérouler tout ou partie sur le temps de travail)
  11. Obtenir l'accord de l'employeur sur le planning de départ en formation (si celle-ci est réalisée sur le temps de travail)
  12. Procéder ensuite à son inscription sur le site mon compte formation (en disposant de toutes les informations administratives sur son employeur, sur l'organisme de formation et sur la session de formation, son coût TTC, son code CPF régionalisé et ses diverses modalités)
  13. Contacter l’OPCA 2 mois au moins avant la formation et lui faire parvenir par voie postale au moins 3 dossiers papier renseignés (le dossier de prise en charge, la convention ou le contrat de formation et le devis de l'OF)
  14. Une fois l'accord de prise en charge obtenu (sous 2 mois) recontacter l'organisme de formation
  15. Signer avec l'organisme de formation un contrat de formation (contrat de services) et verser un acompte prévisionnel de 30 % du prix total (+ TVA)
  16. S'engager à payer des pénalités en cas d'abandon ou d'absence en formation (l'OPCA ne paiera pas plus que l'employeur)
  17. Espérer démarrer la formation aux dates programmées une fois que les trois parties seront parvenues à un accord (OPCA, Organisme de formation et salarié ou employeur)
  18. Espérer qu'aucun accident (de trajet par exemple) ne se produira durant la formation car personne ne saurait dans ce cas si la législation sur les accidents du travail pourra s'appliquer (l'employeur se déclarant logiquement non responsable de ce dont il ignore l'existence sur le temps libre de son salarié)
  19. Passer 1/2 journée au moins, en fin de formation, (même pour une formation courte de 20 h) sa certification, parfois sur un site distant de plusieurs dizaines ou centaines de km (et sur le temps personnel du salarié)
  20. Prier pour que durant ce process CPF (qui s'étalera au bas mot sur 6 mois) aucun grain de sable ne se glisse dans une des stations du parcours du combattant du CPF

La Complexité préexistait en partie avant la réforme de 2014

Cette complexité (nous serions passés avec le CPF d'un "usine à gaz à un "complexe gazier" selon les mots de Bernard Accoyer) préexistait avant la réforme.
Mais cette complexité en formation (provoquée par les pouvoirs publics et leur volonté de transformer la formation en un impôt mutualisable) reposait jadis sur la technicité de l'employeur et de ses services RH ou formation (ceci expliquant sans doute pourquoi dans les PME/TPE la formation était inconnue des salariés).

Aujourd'hui la complexité et la responsabilité de la mise en oeuvre du CPF reposent à 95 % sur l'individu salarié et on comprend mieux dès lors le double objectif qui fut recherché (et atteint) par le MEDEF dès 2013 quand il proposa de faire disparaître le Droit Individuel à la Formation :

a) Eliminer le risque financier lié au développement de la formation puisque l'OPCA joue désormais le rôle d'assureur formation (pour une prime modeste de 0,2% de la masse salariale, payée seulement par les employeurs de plus de 10 salariés)

b) Eliminer les risques organisationnels et sociaux avec un CPF hors temps de travail et hors du champ de responsabilités de l'employeur (sauf s'il insiste vraiment ou y trouve un intérêt financier).

Le CPF "plante" désormais toute la formation en France et fait régresser l'effort formation dans la plupart des entreprises.

On a confondu l'enseignement initial et la formation continue des adultes, la formation des chômeurs et celle des salariés. Le CPF et la réforme ont transformé un Droit (légitime) à la formation (le DIF) en un égrenage vain d'heures de formation sur un compteur inutile et nullement sécurisant.

La loi en prétendant faire mieux n'a réussi qu'à tuer le peu de choses qui marchaient et à diminuer l'effort formation de tout un pays (facile à manipuler désormais puisque les indicateurs officiels des entreprises -la déclaration 2483- ont été démantelés par la réforme au profit de mensongers communiqués de victoire du ministère du travail (qui mélange et comptabilise désormais les CPF non pas réalisés mais initiés depuis 2015)

L'Etat en prétendant légiférer et dicter la politique formation des entreprises a sans doute fait bien plus mal que dans les pays anglo-saxons où aucune législation n'existe mais où les entreprises forment plus et mieux leurs salariés (parce que c'est bon pour leur business).

 



4 réactions


  • Le421... Refuznik !! Le421 11 avril 2016 19:40

    Député.

    Personne élue par des naïfs siègeant à une assemblée appelée Nationale.
    Le député se lève tous les matins en se posant cette angoissante question.
    Qu’est ce que je pourrais bien interdire aujourd’hui ?
    Surtout pour les gueux.
    La situation est dramatique. Il y a tellement de choses proscrites qu’il devient très difficile de laisser son nom sur une loi interdisant quelque chose.


  • Spartacus Lequidam Spartacus 11 avril 2016 19:55

    Il faut demander une formation au montage de dossier de formation. 


    Le problème c’est que pour demander cette formation, il faut être formé à la demande de formation.

    • Michel DROUET Michel DROUET 12 avril 2016 08:18

      @Spartacus
      Vous avez assez bien résumé la situation.
      Au rang de désastre législatif on peut également parler de la « réforme » des collectivités territoriales complètement vidée de son contenu « grâce » aux cumulards de mandats et aux lobbies divers et variés qui ont œuvré en coulisse.


    • Andreé 18 avril 2016 05:10

      @Spartacus
      Oui mais....cette formation n’est pas certifiante. Elle ne peut donc être prise en charge au titre du CPF. Qui financera ? 


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