vendredi 12 avril 2019 - par Franck ABED

La république démocratique pose problème

Les démocrates nous expliquent que la démocratie reste un merveilleux système, même si elle connaît échec sur échec. Néanmoins, selon eux, il convient de ne pas la remettre fondamentalement en cause. En effet, les difficultés de la démocratie résulteraient de son seul fonctionnement et non du régime en tant que tel. Pourtant, en réalité, la nature même de la démocratie amène de vraies difficultés, et la façon de la « traduire » ou la mettre en œuvre au quotidien n’est seulement qu’un arbre, utilisé pour masquer une véritable forêt.

Aujourd’hui, la démocratie dysfonctionne tellement qu’elle engendre une énorme frustration chez de nombreux Français. Cela ne se concrétise toutefois pas encore d’une façon véritablement radicale, nonobstant le phénomène des Gilets Jaunes lié à une offre politique particulièrement déficiente. La contestation à l’égard de ce système grandit, mais à ce jour elle reste trop faible pour espérer un changement institutionnel. Même si le régime démocratique est intrinsèquement mauvais, et qu’il produit de mauvais fruits, les Français n’entrevoient pas encore d’autres propositions institutionnelles sérieuses. Certains mouvements, bien souvent caricaturaux, en appellent de manière confuse et maladroite à des systèmes autoritaires de type fasciste, sans avoir la force, l’assise sociale et la maîtrise organisationnelle pour mener à bien leurs projets. Quant aux mouvements d’extrême-gauche, une fois de plus en décalage complet avec une réalité qu’ils voudraient modeler sur leur idéologie, leurs idées restent à la fois trop archaïques ou utopiques pour séduire une masse critique de Français, au-delà de leurs sempiternelles divisions et éclatement en multitude de groupuscules.

Nous pouvons le regretter, mais force est de constater que le régime démocratique et la république s’avèrent très bien implantés, tant par l’inertie de l’habitude, que par l’incapacité des mouvements qui lui sont opposés à proposer une alternative crédible. Alors que les Français usent déjà du droit de vote pour élire leurs maires, leurs députés, leurs députés européens et surtout le Président de la République, de nombreux compatriotes appellent à encore plus de démocratie. Il s’agit de cette prétendue démocratie directe, entrée dans le forum public avec l’acronyme RIC, qui est réclamée.

L’expérience du vote, et de ses multiples échecs pour la désignation d’une classe politique compétente, devrait conduire les citoyens à une prise de recul, voire même à une contestation en profondeur de la pratique électorale. C’est malheureusement tout le contraire qui se produit. Les élections, aussi bien municipales que pour la députation et l’élection présidentielle, ne produisent pas de résultats positifs. Eh bien, que nous rétorquent les démocrates et autres républicains ? Donnons aux Français l’opportunité de voter encore et toujours plus ! Le raisonnement souffre d’un total manque de logique, mais pourtant nous l’entendons partout. Qui aujourd’hui ne réclame pas le RIC ? Presque personne. Rappelons que pour certains, si en URSS le communisme n’a pas rencontré le succès escompté, c’est parce que le système soviétique ne mettait pas assez en avant le… communisme.

La démocratie ne fonctionne pas, car elle semble incapable d’offrir simultanément un cadre institutionnel pérenne, la liberté bien comprise et réelle de chacun dans l’espace public, et surtout une juste et efficace politique. Tout personne sincère, quelle que soit sa couleur politique, ne peut que reconnaître la faillite de la démocratie et de la république en France. Ce phénomène ne constitue pas une nouveauté, mais la marque de fabrique de l’institution républicano-démocratique. Un système qui encourage la guerre civile permanente entre « une gauche » et une « droite » ne peut offrir la concorde sociale nécessaire à la réalisation de grands projets. L’instabilité institutionnelle établie avec le quinquennat n’offre pas la dimension du temps, condition essentielle pour mener une saine politique au service du bien commun. La démocratie ne peut que conduire à la frustration, car chaque personne qui vote pour un candidat en définitive rejeté par les « urnes » ne se sentira ni comprise, ni écoutée, ni respectée : elle réalisera à terme qu’elle-même a également été « rejetée par les urnes ». Cependant, la perspective d’une nouvelle élection balaie ce sentiment d’insatisfaction et d’amertume, car elle laisse accroire que le recalé de la veille peut être l’élu du lendemain… La République se bâtit sur une cascade d’illusions : quand l’une s’évanouit, une autre surgit, ou renaît !

De la même façon, l’Etat devient lui aussi source de frustration, car les Français s’acquittent de nombreux impôts pour des services publics déficients ou minimalistes. Le virage libéral qui a été pris au début des années 1980, a permis de nombreuses privatisations pas toujours heureuses. Celles-ci ont dessaisi l’Etat de leviers essentiels de puissance, de croissance ainsi que de rentabilités économiques certaines. Aucun gouvernement digne de ce nom ne vend ses bijoux de famille - comme des fleurons industriels - pour un intérêt à court terme au risque d’hypothéquer l’avenir - et moins encore à des puissances étrangères. La décentralisation a permis en réalité une dilution du pouvoir étatique, sans que les régions, les départements ni les communes ne disposent des moyens nécessaires pour accomplir leurs différentes et précieuses missions. Concrètement, l’Etat démocratique s’affaiblit chaque jour davantage avec la décentralisation massive et les privatisations. Et je ne mentionne pas ici l’Union Européenne, qui vérole tout avec ses directives imposées, pour la plupart, en dépit du bon sens.

Autrefois, le Premier Ministre jouait le rôle de fusible par excellence dès que l’action gouvernementale en venait à provoquer un trop grand déplaisir des Français. Avec l’hyper-présidentialisation du système, née avec Nicolas Sarkozy, le Président devient l’unique responsable et le Premier Ministre remplit le rôle de subalterne. Ce n’est donc pas un hasard si depuis cette élection, aucun président en exercice n’a été réélu. Il y a de fortes chances qu’Emmanuel Macron connaisse le même sort. Pour rappel, son prédécesseur fut tellement décrié et critiqué qu’il renonça à défendre son titre lors de l’élection présidentielle de 2017. Cette hyper-présidentialisation fragilise encore plus le système républicain, car il n’existe plus de premier rempart entre le magistrat suprême et le peuple…

De fait, les élites sont stigmatisées pour au moins deux raisons. La première : elles n’accomplissent pas avec succès ce pourquoi elles ont été désignées. La seconde : leur niveau de revenu atteint des montants faramineux pendant que le peuple trime en étant payé aux lance-pierres. Les Français peuvent accepter ces grands écarts de revenus, quand les élites travaillent au bonheur de tous. En revanche, l’injustice est très mal supportée. Or depuis des années, les responsables politiques - dans une très large mesure – bien loin de servir l’Etat, se servent de lui pour accumuler richesses, positions, pouvoir, prestige médiatique et comportements de parvenus au détriment du bien commun. De même, il n’est pas rare de voir des politiques de premier plan rejoindre des groupes privés, ce qui renforce l’idée déjà très présente chez bon nombre de Français, d’un système de corruption ou d’influence, aux antipodes de l’esprit démocratique tant vanté par ses différents promoteurs.

Toutes les représentations citoyennes connaissent les pires difficultés à susciter des adhésions. Les partis politiques, les associations politiques, les syndicats sont désertés par les Français qui n’y trouvent plus leur compte. L’abstention bat souvent des records à chaque nouvelle élection. La probabilité que ce phénomène s’arrête flirte avec le néant, sauf grand retournement de tendance qu’amèneraient des « évènements » majeurs. Seule la présidentielle rencontre un certain succès, pour la raison énoncée plus haut : la personnalisation effective de la première place du système républicain permet l’identification évidente du responsable politique.

En fin de compte, si les Français désertent toutes les organisations représentatives, la faute ne leur en incombe pas totalement. Les politiques et les syndicalistes, qui défendent des intérêts particuliers, loin des enjeux réels qu’affrontent la France et les Français, doivent être désignés comme les principaux responsables de cette situation. Mais ils ne sont pas les seuls coupables. George Orwell a écrit de façon catégorique en son temps : « Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime ! Il est complice ! » Rien de plus à ajouter à cette terrible vérité.

La république et la démocratie posent véritablement problème. Malheureusement la contre-révolution institutionnelle n’est pas encore pour demain…

 

Franck ABED



7 réactions


  • Pierre Régnier Pierre Régnier 12 avril 2019 11:33

    @ l’auteur

     

    Je suis de ces nombreux compatriotes qui, dites-vous, appellent à encore plus de démocratie.

     

    C’est dans la création d’un Service public de l’audiovisuel sous contrôle populaire que, pour ma part, j’appelle à plus de démocratie.

     

    Ma démarche est à mettre en relation avec cette juste remarque que vous faites dans votre article : pour certains, si en URSS le communisme n’a pas rencontré le succès escompté, c’est parce que le système soviétique ne mettait pas assez en avant le… communisme.

     

    Je suis de ceux qui pensent cela.


    • Arogavox Arogavox 12 avril 2019 12:30

       Pour être honnête, avant de parler de démocratie, il faut d’abord s’informer de ce que cela veut dire !
        Qui peut accéder à un forum du Web, n’a aucune excuse pour n’avoir pas eu cette politesse élémentaire. 


    • Pierre Régnier Pierre Régnier 12 avril 2019 15:21

      @Arogavox

      Par la place qu’il occupe, ce commentaire d’Arogavox de 12h30 semble être une réponse au mien qui le précède, mais sans que ce soit explicite.

      Quoi qu’il en soit, et pour enchaîner par la même occasion sur le commentaire suivant, je précise que je suis résolument pour une forme de démocratie représentative, les deux mots ne s’opposant nullement, selon moi, comme dans l’écrit de Sieyès. Il est bien évident que, la très grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir, pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France. Le problème est donc dans la qualité du système qui leur permet de désigner, puis de contrôler, éventuellement de remplacer, ses représentants.

      Dans la situation de la France actuelle, je crois qu’il y a à rechercher une amélioration de ce qui existe en prenant dans ce que propose Étienne Chouard.

      Le contrôle du Service Public de l’Audiovisuel, en tous cas, doit selon moi répondre à une telle représentation du peuple.


  • MagicBuster 12 avril 2019 14:51

    « La république démocratique pose problème »

    La France n’est pas une démocratie , mais une république depuis 1875.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mocratie

    Du XVIIe au XIXe siècle

    .../... [EXTRAIT]

    En France Emmanuel-Joseph Sieyès (corédacteur de la Constitution française) oppose le gouvernement représentatif, qu’il contribue à mettre en place, à la démocratie (qu’il rejette) dans son discours du 7 septembre 1789 :

    « La France ne doit pas être une démocratie, mais un régime représentatif. Le choix entre ces deux méthodes de faire la loi, n’est pas douteux parmi nous. D’abord, la très grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir, pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France ; ils doivent donc se borner à se nommer des représentants. […] Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants »

    => Nous sommes actuellement dans une crise de la représentativité.


  • bernard29 bernard29 12 avril 2019 15:27

    Vous vous dites royaliste. Alors il vous reste à proposer le système qui serait idéal à vos yeux, et on pourrait débattre. 

    Votre article est celui d’un râleur impénitent qui se complaît dans le négativisme tout azimut.. Prouvez nous le contraire en exposant les grandes lignes de votre projet royaliste. Est-ce la démocratie de la monarchie parlementaire de Grande Bretagne ? Une autre ? et laquelle ? 

    Mais une remarque . Aucun démocrate ne considère le système actuel comme merveilleux, et la démocratie demande toujours plus d’améliorations et de rénovations, sans que l’on puisse jamais atteindre l’idéal. Ainsi, le vrai démocrate se doit de proposer perpétuellement des idées et des projets pour faire évoluer, pour adapter et rénover le système. 

     


  • acab2 12 avril 2019 22:13

    La quatrième révolution industrielle est presque terminée ;)


  • Pierre Régnier Pierre Régnier 14 avril 2019 12:07

    Nous sommes donc en désaccord sur un point important. Je suis résolument démocrate républicain laïc. Je peux ajouter « socialiste » mais, sur cet engagement, je pourrais ajouter bien des réserves puisque je ne cesse de dénoncer la fausse Gauche, adepte de l’économisme comme la "Droite extrême" macronienne, et résolument complice de ceux qui islamisent la France.


    Je crois qu’il faut prendre conscience que l’économisme transcende les traditionnelles classifications politiques et que c’est lui qui, avec les croyances religieuses violentes, conduit aujourd’hui le monde à sa perte. Je crois que nous sommes proches sur ce point-là.


    Bien que ne voyant pas la même nocivité que vous dans la « secte maçonnique », je vous remercie de défendre le christianisme sur Agoravox, avec persévérance et solide argumentation car, selon moi, le meilleur de la démocratie et de la République doit beaucoup au christianisme authentique (parole d’ancien catholique fervent devenu agnostique).


Réagir